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Égalité entre associés et apport

Conclusion du chapitre

Section 1. L’introuvable lien entre principe d’égalité entre associés et contrat de société

A. Égalité entre associés et apport

159. Avant d’établir l’absence de relation entre la mise en commun des apports et le

principe d’égalité (II), il paraît important d’exposer le contenu de l’obligation d’apport (I).

I. Notion d’apport

160. L’apport4 est un concept « facile à définir »5. Il désigne à la fois « le bien ou le

service promis (à la société) et l’opération juridique visant à attribuer des prérogatives d’associés à raison de l’affectation de ce bien ou de ce service »6. Les apports peuvent être

d’inégale importance et de nature différente7. Ils peuvent être effectués en numéraire, en

nature8 ou en industrie. Alors que dans le premier cas, la mise consiste au versement d’une somme d’argent, dans le second, elle a pour objet un bien, autre que de l’argent. Sous la troisième forme, l’apporteur met à la disposition de la société son savoir-faire9. Lorsqu’il est

en nature, l’apport peut porter sur un bien10 propre11 ou commun, meuble ou immeuble,

3 Ce terme désigne ici à la fois les bénéfices et l’économie.

4 Sur l’ensemble de la question, voir H. BLAISE, L’apport en société, éd. Sirey, 1955 ; M. J. CAMBASSEDES,

« La nature et le régime juridique de l’opération d’apport », Rev. sociétés, 1976, p. 431 ; M. GENINET, « Les quasi-apports en société », Rev. sociétés, 1987, p. 25.

5 M. GERMAIN, « Les apports : entre passé et avenir », Bull. Joly, 2009, suppl. thématique : l’apport en société

dans tous ses états, p. 1148.

6 T. MASSART, art. cit., p. 298 ; P. Le CANNU et B. DONDERO, op.cit., n°199. 7 P. Le CANNU et B. DONDERO, op.cit., n°202.

8 Pour une classification des apports en nature, voir N. BINCTIN, « La classification juridique des apports en

nature », Rev. sociétés, 2009, p. 517.

9 T. MASSART, « Les apports de savoir-faire dans la SAS », Bull. Joly, 2009, suppl. thématique : l’apport en

société dans tous ses états, p. 1154. Nous préciserons au passage que ce type d’apport est interdit aux associés des sociétés anonymes (Code de commerce art. L225-8) et aux commanditaires dans les sociétés en commandites.

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corporel ou incorporel12. Il peut également s’effectuer en jouissance13 ou en pleine propriété14, en usufruit15 ou en nue-propriété16. La valeur du bien devra être évaluée17 par les associés ou par un commissaire aux apports18. Dans les SA et les SCA, l’évaluation se fait en application de la procédure spéciale dite de vérification des avantages particuliers19. La société ne sera constituée que lorsque l’apporteur accepte la valeur arrêtée20. Concernant les apports en

industrie, l’évaluation est forfaitaire puisque la loi accorde à leurs auteurs des droits et obligations équivalents à ceux de l’associé qui a le moins apporté en capital21. On notera que

l’ensemble des apports en capital forme le patrimoine initial de la société22.

161. Condition d’existence de la société23, l’obligation d’apport est considérée comme un

élément du critère d’associé24 et une manifestation de l’affectio societatis25. Elle s’impose à

toute personne désirant intégrer une société26. Lorsqu’il est souscrit, l’engagement d’apport doit être exécuté ou libéré. En d’autres termes, l’apporteur doit transférer à la personne morale le bien ou le service promis même au cas où cette dernière se retrouve entretemps en liquidation judiciaire27. Si la mise est en nature, la libération s’effectue de manière

11 Cass. civ.1re, 27 mai 2010, F-D, Romeo c/ Roure, D. sociétés, 2010, n°11, comm. 195, note M.-L. Coquelet. 12 Par exemple un fonds de commerce, voir Cass. com. 3 décembre 1991, Bliaut c/ Née, Rev. sociétés 1992,

p. 52, note Y. Guyon ; D. sociétés, 1992, n°2, obs. T. Bonneau.

13 Dans ce cas, la propriété du bien n’est pas transférée à la société. Sur la nature de cet apport, voir

N. PETERKA « Réflexions sur la nature juridique de l'apport en jouissance », Bull. Joly, 2000, n°4, p. 361.

14 N. BINCTIN, art. cit., p. 517. Il faut signaler, par ailleurs, que l’associé qui effectue l’apport a l’obligation de

garantir le bien, soit comme un bailleur s’il s’agit d’un apport en jouissance, soit comme un vendeur en cas d’apport en pleine propriété, voir l’article 1843-3 du Code civil.

15 E. THALLER, Traité élémentaire de droit commercial à l’exclusion du droit maritime, 6e éd. Librairie Arthur

Rousseau, Paris, 1922, n°234, p. 184, par J. Percerou.

16 R. GENTILHOMME « Apports de titres et démembrement de propriété », JCP N et Immo., 1994, n°21, p. 2989. 17 J.-J. DAIGRE, J. TUROT et M. AIMÉ, « L’évaluation des apports en nature à une société de capitaux », Actes

pratiques, 1995, n°19, p. 1.

18 M. PETITJEAN, « Le rapport du commissaire aux apports », JCP E, 2004, n°48, p. 1737. Pour autant, les

associés ne sont pas obligés de respecter l’évaluation du commissaire. Mais ils seront, dans ce cas, responsables d’une éventuelle surévaluation ou sous-évaluation de la valeur du bien.

19 Art. L225-8 du code de commerce. Voir aussi, H. LÉCUYER, « Surévaluation d’apports en nature et

recevabilité de l’action individuelle d’un actionnaire », Dr. sociétés, 2005, n°12, comm. 209.

20 Art. L225-8 du Code de commerce.

21 Par exemple pour les bénéfices, v. art. 1844-1 du Code civil. 22 M.GERMAIN et V. MAGNIER, op. cit., n°1549.

23 CE, 23 novembre 2001, Min. Éco. et Fin. c/ SA Cogedac, Bulletin Joly, 2002, n°4, p. 489, où le conseil décide

que « La convention de répartition des bénéfices et des pertes conclue entre une filiale et sa société-mère (qui

reçoit 90% des bénéfices) ne constitue pas une convention de société en participation dès lors qu’il n’y a pas de mise en commun de biens ou d'industrie ». Voir aussi M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, op.cit., nos125 et 126 ; D. SCHMIDT, « Les lois du 1er août 2003 et le droit des sociétés », D. 2003, p. 2619 ; H.

BLAISE, L’apport en société, op.cit., n°7, p. 15.

24 A. VIANDIER, La notion d’associé, op.cit., n°152, p. 151.

25 PH. MERLE et A. FAUCHON, op.cit., n°38, p. 50 ; H. BLAISE, L’apport en société, op.cit. Pour une opinion

contraire, voir T. MASSART, « La société sans apport », art. cit., pp. 292 à 294.

26 L. GODON, Les obligations des associés, préf. Y. Guyon, Economica, 1999, n°21, p. 23 ; M. COZIAN,

A. VIANDIER, F. DEBOISSY, op.cit., n°125.

93 instantanée. Si, toutefois, elle est en numéraire, l’exécution peut s’effectuer en une ou en plusieurs fois28. Elle peut aussi se réaliser par compensation si les statuts ne s’y opposent pas29. Enfin, s’agissant de l’apport est en industrie, l’exécution s’opère au fur et à mesure que l’apporteur travaille pour la société.

162. Cette obligation de libération est tellement forte que l’associé qui refuse de

l’exécuter, peut y être obligé à tout moment30. Si l’apport est en numéraire, il peut se voir

contraint, en cas de retard, de verser des intérêts31, au taux légal ou statutaire32, à compter du jour où l’exécution devait intervenir. Dans tous les cas, le défaut d’exécution de l’apport peut conduire à la condamnation de l’associé à verser des dommages et intérêts à la société. Depuis la loi NRE33, si un appel de fonds n’a pas été fait dans le délai légal, tout intéressé peut demander au président du tribunal statuant en référé, soit d’enjoindre sous astreinte aux dirigeants de procéder à ces appels, soit de désigner un mandataire chargé d’effectuer cette formalité34. Lorsqu’il s’acquitte de son obligation d’apport, l’associé sera rémunéré par des droits incorporés dans des actions ou des parts sociales selon le type de société concerné35.

Tout compte fait, du point de vue de l’apport « tous les associés sont placés sur le

même pied d’égalité »36. N’existerait-il pas alors un lien entre cette contrainte théorique faite à

tous les associés et le principe d’égalité ? Il convient de répondre à cette question.

II. Présentation critique du fondement de l’obligation d’apport

163. Le rattachement du principe d’égalité entre associés à l’apport obéirait à une certaine

logique. En effet, obliger tous les associés à fournir un apport et reconnaître à chacun des prérogatives proportionnelles à l’étendue de cette participation, n’est-ce pas consacrer une obligation de les traiter également en toutes circonstances ? Comment ne pas considérer l’apport comme la base d’un principe général d’égalité entre associés alors qu’il est à la fois

28 Par exemple pour les SARL, seul 1/5 du montant doit immédiatement libéré et le reste dans une durée ne

pouvant dépasser 5 ans, art. L 223-7 du code de commerce.

29 Cass. civ. 3e, 28 novembre 2001, Bull. Joly, 2002, n°93, p. 427, note N. Pétrerka ; Dr. sociétés, 2002, n°34,

note T. Bonneau ; D. 2002, p. 215, note M. Boizard.

30 P. CORDONNIER, De l’égalité entre actionnaires, op.cit., n°4, p. 15.

31 Nous pensons que cette contrainte ne peut s’exercer que concernant les apports en espèces. 32 PH. MERLE et A. FAUCHON, op.cit., n°39, p. 51.

33 Art. 1843-3, al. 5 du Code civil.

34 Pour un exemple, voir Cass. com. 7 juillet 2009, Bull. Joly, 2009, n°211, p. 1053, note R. Mortier ; RTD com.

2009, p. 743, note C. Champaud et D. Danet.

35 Y. REINHARD et F. PASSOT, « Tout apport en société mérite rémunération... », Bull. Joly, 2005, n°1, p. 42. 36 P. CORDONNIER, De l’égalité entre actionnaires, op.cit., n°4, p. 15.

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une obligation commune à tous les associés et la mesure des droits et obligations de chacun d’eux ? A priori tout paraît pousser à admettre un lien entre les deux notions.

164. Aussi séduisante qu’elle puisse paraître, cette solution est pourtant difficilement

admissible. Trois objections se dressent devant elle. Tout d’abord, parce que l’obligation d’apport n’est qu’une exigence théorique, il existe des associés n’ayant effectué aucun apport au sens strict du terme37. Deux exemples suffisent pour justifier le propos. On songe d’abord à la possibilité offerte par la loi38 aux sociétés par actions d’attribuer gratuitement des actions aux mandataires sociaux ou aux salariés39 dans le cadre d’un plan d’épargne entreprise40. Techniquement, l’émission de ces titres gratuits résulte d’une incorporation des réserves dans le capital41 ou d’un rachat42 par la société de ses propres actions en vue de les distribuer43. Or, bien qu’ils deviennent des actionnaires à part entière44, au terme d’une période d’acquisition

de deux à quatre ans, les bénéficiaires de ces droits sociaux45 ne réalisent aucun apport.

165. Sans doute, certains considèrent que ces actions ne sont pas dépourvues de toute

contrepartie. On a pu affirmer que l’apport se trouvait dans les prestations fournies dans le passé par les bénéficiaires46, de sorte que les titres gratuits devaient être analysés comme une rémunération soumise à un régime spécial. Pourtant, il a été démontré que cette analyse ne concordait pas avec les régimes fiscal47 et social48 de ces plus-values49. D’autres ont suggéré de chercher l’apport dans les flux futurs que contribueront à dégager les attributaires des actions50. Cette approche n’emporte pas non plus notre adhésion, car elle ferait de l’apport

37 T. MASSART, « La société sans apport », art. cit., p. 291.

38 Du 30 décembre 2006 « pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié », les SA, SCA et

les SAS peuvent accorder des actions gratuites à leurs salariés et mandataires sociaux.

39 Articles L 225-197-1, L225-197-2, L225-197-3, L225-197-4 et L225-197-5 du Code de commerce.

40 T. BONNEAU, « L’acquisition de la qualité d’actionnaire par le salarié dans le plan d’épargne entreprise »

Bull. Joly, 2005, n° spéc. Le salarié, sujet de droit des sociétés, p. 29. Sur la souscription en général des salariés et mandataires sociaux, voir « La souscription ou l’acquisition de droits sociaux par les salariés ou dirigeants de PME », in Dix ans de droit de l’entreprise, éd. Litec, 1978, p. 543.

41 Pour une position contraire, voir F. M. LAPRADE, « Apport et contrepartie », Bull. Joly, 2009, suppl.

thématique : l’apport en société dans tous ses états, p. 1170.

42 Sur l’achat par une société de ses actions, voir J.-C. COVIAUX, « L’achat par une sociétés de ses propres

actions », in Dix ans de droit de l’entreprise, Litec, 1978, p. 187.

43 Articles L225-208 et L225-177 du Code de commerce.

44 M. GERMAIN, « Les apports : entre passé et avenir », art. cit., p. 1153.

45 Ces actions sont incessibles pendant une période dite de conservation qui ne peut être inférieure à deux ans. 46 Telle était l’interprétation donnée par la COB et l’AMF avant la loi du 30 décembre 2004, voir sur ce point, M.

GERMAIN, « Les apports : entre passé et avenir », art. cit., p. 1153.

47 Pour le régime fiscal de ces actions, voir art. 80 quaterdecies et 200 A 6 bis du Code général des impôts. 48 Pour le régime social, voir article L242-1, dernier alinéa, du Code de la sécurité sociale.

49 A. LIENHARD, D. 2005, p. 138.

95 une condition aléatoire, un élément « gazeux »51, puisque la richesse que créeraient les bénéficiaires n’est qu’éventuelle. .

166. Nous admettrons donc qu’il s’agit bien, dans ces hypothèses, d’associés sans apport

d’autant que ces derniers ne procèdent à aucun versement effectif52. Il s’agit d’une véritable

discrimination positive en leur faveur53. Compte tenu de ces éléments, rattacher le principe d’égalité à l’exigence d’apport, reviendrait inéluctablement à exclure ces associés de son champ d’application.

167. Ensuite, l’analyse des groupements de droit privé laisse voir que l’apport n’est pas

l’apanage du monde des sociétés. Les membres d’autres structures peuvent être contraints d’en fournir. En vertu de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901, « l’association est la

convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ». Il ressort de cette disposition que les sociétaires effectuent bien des apports, ne serait-ce qu’en industrie, puisqu’ils doivent mettre en commun de façon permanente leurs connaissances ou leur activité. De plus, les cotisations qu’ils sont obligés de verser peuvent, dans une certaine mesure, être analysées comme des apports54. Plus encore, la jurisprudence leur permet de mettre leurs biens à la disposition de l’association55. Il est vrai que dans ce

dernier cas, à la différence des associés, ils pourront reprendre ces biens56 à la dissolution de l’association, puisque ceux-ci n’auront pas intégré le patrimoine de celle-là. Mais tout compte fait, force est d’admettre que le système associatif n’exclut pas l’idée d’apport. Pourtant, il n’existe aucun principe général d’égalité entre sociétaires57.

168. Enfin, il y a lieu de relever que l’obligation d’apport ne serait qu’un fondement bien

fragile puisqu’elle tend elle-même à s’effriter. Au-delà de la possibilité de reprendre les

51 Le terme est emprunté à Michel Germain, M. GERMAIN, « Les apports : entre passé et avenir », art. cit. 52 F. M. LAPRADE, « Apport et contrepartie », art. cit., p. 1170 ; P. Le CANNU, « Monsieur de Saint-Janvier ou

le dépouillement de l’article 1832 du Code civil », art. cit., n°14.

53 Y. De CORDT, L’égalité entre actionnaires, op.cit., n°242, p. 356. 54 T. MASSART, « La société sans apport », art. cit., p. 292.

55 Cass. civ 1re, 4 novembre 1982, Rev. sociétés, 1983, p. 826, note G. Sousi ; RTD com. p. 572, obs. E. Alfandari

et M. Jeantin ; Cass. civ 1re 17 octobre 1978, Rev. sociétés, 1979, p. 565, note R. Plaisant ; RTD com. 1979,

p. 767, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.

56 Cass. civ 1re, 17 octobre 1978, Rev. sociétés, 1979, p. 565, note R. Plaisant ; RTD com. 1979, p. 767, obs.

E. Alfandari et M. Jeantin. add. F. LEMEUNIER, Associations : constitution, gestion, évolution, 11e éd.,

Delmas, 2005, n°205, p. 16.

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apports grâce à certains mécanismes, comme l’amortissement du capital58 ou sa variabilité, de

plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en question l’utilité du capital social. On a d’ailleurs pu affirmer qu’« au fond, une idée désabusée se dégage : le capital ne sert à rien,

mais il n’est pas gênant, et c’est pour cela qu’on le garde »59. Et on sait que le capital n’est

rien d’autre que la somme des apports en nature et en numéraire. Cela étant, si l’exigence d’un capital disparaît, elle emportera le devoir d’apport, considéré aujourd’hui comme une « contrainte inutile pour devenir associé »60. Ainsi, s’écroulera le principe d’égalité, puisque celui n’aura plus de support.

169. Finalement, aucun lien solide n’a pu être trouvé entre l’obligation de tout associé

d’effectuer un apport et le principe d’égalité entre associés. Quid des rapports entre ce supposé principe et la volonté de participer aux résultats sociaux ?