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Les avantages particuliers profitant à un ou certains associés

La reconnaissance de l’inégalité entre associés en droit des sociétés

Section 2. L’identification de l’inégalité entre associés

A. Les avantages particuliers profitant à un ou certains associés

330. Les avantages particuliers « constituent la plus importante des sources d’inégalité »331 entre associés. Pourtant, la loi reste peu bavarde en la matière. Les seules

dispositions qui y font référence concernent les sociétés par actions. À ce titre, le Code de commerce dispose que, en cas d’attribution d’avantages particuliers à certains actionnaires lors de la constitution de la société332, d’une augmentation de capital333, d’une fusion334 ou d’une transformation d’une autre forme sociale en société par actions335, « un ou plusieurs

commissaires aux apports sont désignés à l’unanimité des fondateurs (ou actionnaires) ou, à défaut, par décision de justice »336.

Nous définirons la notion d’avantage particulier (I), avant de la confronter à celle de l’inégalité entre associés (II).

330 Voir supra, n°325.

331 R. TUNC, op.cit., p. 18, n°13.

332 Articles L225-8 pour les sociétés faisant appel à l’épargne publique et L225-14 pour celles ne faisant pas cet appel. 333 Art. L225-147 du Code de commerce.

334 Art. L236-10, III, du Code de commerce. 335 Art. L224-3 du Code de commerce. 336 Art. L225-8 du Code de commerce.

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I. Définition de l’avantage particulier

331. Qu’entend-t-on par avantage particulier ? La réponse n’est pas aisée car, bien que très

ancienne en droit des sociétés337, cette notion n’a fait l’objet d’aucune définition de la part ni du législateur338 ni de la jurisprudence. C’est donc à la doctrine qu’est revenue la lourde tâche de déterminer sa signification. À cet égard, force est de constater que les débats doctrinaux n’ont pas permis d’éclaircir toutes les zones d’ombre qui l’entourent, si bien que la notion demeure toujours obscure339 et floue340. Certes, jusqu’en 2004, le débat portait essentiellement sur la nature de l’avantage soumis à la vérification car, pour le reste, les auteurs avaient réussi à dégager une définition que nous avons convenu d’appeler la définition classique.

Toutefois, depuis l’ordonnance du 24 juin 2004, cette acception classique ou unitaire semble dépassée (a), laissant la place à une nouvelle définition de l’avantage particulier (b).

a. Déclin de la conception unitaire ou classique de l’avantage particulier

332. Les limites de la conception classique de l’avantage particulier sont apparues avec

l’introduction des actions de préférence dans le droit des sociétés. Avant de les examiner (2), il est nécessaire de rappeler la teneur de cette conception (1).

1. Rappel de la conception classique ou unitaire

333. Traditionnellement, la doctrine définit l’avantage particulier comme une faveur

attribuée à un associé ou à une catégorie déterminée d’associés341. Deux critères se dégagent

de cette définition. Le premier réside dans la notion de faveur342 ou d’altérité-positive343. Les auteurs s’accordent à considérer que l’avantage particulier ne saurait exister « comme tel en

l’absence d’un privilège »344. Ce consensus doctrinal se justifie parfaitement, car il est

évidemment difficile de concevoir l’avantage particulier sans cette idée de préférence. Aussi,

337 La notion fut mentionnée pour la première fois dans la loi du 17 juillet 1856, puis reprise par celles du 24 juillet

1867 et du 24 juillet 1966, voir P. DIDIER et P. DIDIER, Les sociétés commerciales, op.cit., p. 509, n°634.

338 P. REIGNE et T. DELORME, art. cit., n°1, p. 1117.

339 H. BOSVIEUX, « De la notion d’avantages particuliers », art. cit., p. 65. 340 T. GRANIER, « Définition des avantages particuliers », art. cit., p. 4. 341 P. Le CANNU et B. DONDERO, op.cit., n°646, p. 432.

342 ESCARRA et RAULT, Traité théorique et pratique de de droit commercial, Sociétés commerciales, op.cit.,

n°666, p. 162.

343 D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, op.cit., n°95, p. 103. 344 T. GRANIER, v° « Avantages particuliers », Rép. sociétés Dalloz, décembre 2010, n°12.

179 parce qu’il doit être particulier, l’avantage ne saurait-il profiter à tous les associés345. Au

contraire, et c’est là son second élément, il doit être attribué intuitu personae346 ou à titre

personnel347 à un ou certains associés à l’exclusion des autres348. Pour ce faire, le ou les bénéficiaires doivent être identifiés ou suffisamment identifiables. Concrètement, leurs noms ou les critères permettant de les singulariser ainsi que le privilège, doivent être inscrits dans les statuts349. Si l’identification du ou des destinataires n’est pas établie à l’avance, elle devra intervenir au plus tard le jour de la décision de l’assemblée générale statue350. Lorsque l’avantage est affecté à une catégorie de personnes, le critère de la particularité ne sera rempli que si les membres de cette catégorie sont suffisamment identifiables351. Pareillement, si une faveur est attachée à une fonction ou une qualité, il n’y aura avantage particulier que si cette fonction ou cette qualité est elle-même réservée à des associés identifiés ou suffisamment identifiables.

334. La jurisprudence considère toutefois que ne constituent pas des avantages

particuliers, les faveurs qui ne sont que des conséquences de l’application de la loi. Il en est ainsi de l’avantage qui découle de la transmission universelle du patrimoine d’une filiale à sa mère352. À notre avis, il en est de même des actions spécifiques réservées à l’État-actionnaire. On sait que dans le souci de permettre à l’État de se réserver un pouvoir de contrôle sur les sociétés privatisées353, l’article 10 de la loi du 6 août 1986354 avait, à l’occasion des

345 T. com. Seine, 23 décembre 1935, Journ. sociétés, 1938, p. 232. Add. D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts

dans la société anonyme, op.cit., n°88, p. 96.

346 J.-J. DAIGRE, « Actions privilégiées, catégories d’actions et avantages particuliers », art. cit., p. 216. 347 P. ENGEL et P. TROUSSIERE, art. cit., p. 374, n°24.

348 ESCARRA et RAULT, Traité théorique et pratique de de droit commercial, Sociétés commerciales, op.cit.,

n°666, p. 163.

349 Art. R224-2 alinéa 5 du Code de commerce ; art. 55, décret n°67-236 du 23 mars 1967 ; T. GRANIER, v°

« Avantages particuliers », Rép. sociétés Dalloz, décembre 2010, n°12 ; CA Paris, 29 juin 1929, Gaz. pal. 1929, 2, p. 244, qui avait retenu, sous la loi du 24 juillet 1867, que les avantages particuliers ne sont soumis à la vérification prévue par l’article 4 de cette loi que lorsque le fondateur les a stipulés dans les statuts. La cour a récemment rappelé cette exigence, voir CA Paris, 20 Juin 2013, Bull. Joly, 2013, n°11, p. 733, P.-L. Périn. Voir cependant, B. DONDERO, « Statuts de SAS et pactes extrastatutaires : questions et confrontations », art. cit., n°19, pour qui l’avantage particulier peut figurer dans une convention extrastatutaire dès lors que la société en est débitrice.

350 A. COURET et Alii, Droit financier, op.cit., n°393, p. 260.

351 J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op.cit., n°738, p. 644. 352 CA Douai, 7 juillet 1994, RJDA, 1994, p. 996.

353 Y. GUYON, « Le régime juridique des sociétés privatisées », in Mél. offerts à Jean Waline, éd. Dalloz, 2002,

p. 223.

354 Art. 10 loi n°86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités de privatisations. Cette disposition a été modifiée

par l’article 7 de la loi n°93-923 du 19 juillet 1993 relative aux modalités de privatisations, JO n°166 du 21 juillet 1993, p. 10255 et récemment par l’article 39 de l’ordonnance n°2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.

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privatisations355 des entreprises publiques356, introduit en droit français les « actions spécifiques » ou « golden shares »357. En vertu de ce texte, la puissance publique peut, par décret et sous certaines conditions358, transformer l’une de ses actions ordinaires en action spécifique à laquelle pourront être attachés, alternativement ou cumulativement, un pouvoir d’agréer le franchissement de certains seuils de participation, un pouvoir de nomination au conseil d’administration ou de surveillance et un droit de véto contre les cessions de certains actifs359. Ces prérogatives sont légalement accordées à l’État grâce à son statut et échappent à la qualification d’avantages particuliers.

335. En résumé, lorsqu’une faveur est réservée à des associés identifiés ou identifiables et

qu’elle n’est pas instituée par la loi, nous sommes en présence d’un avantage particulier. « La

personne ainsi favorisée est située par rapport à d’autres ; (…) la faveur dont elle bénéficie opère un changement d’équilibre »360. Selon la doctrine, cet avantage reste intransmissible361

et sera perdu si l’attributaire se retire de la société362. Ce dernier n’est pas non plus protégé

par la loi au cas où le privilège devra être supprimé par la personne morale. Au résultat, dans sa conception classique, l’avantage particulier désigne une altérité-avantage, pécuniaire ou extrapécuniaire, intransmissible, attribuée à un ou certains associés nommément désignés ou suffisamment identifiables et dont la remise en question n’est pas subordonnée à l’accord de son titulaire. Cette définition classique présente aujourd’hui un certain nombre de limites.

2. Limites de la conception classique ou unitaire

336. Pendant longtemps, la doctrine363 a cherché à savoir si une catégorie de titres

réservée à certains associés pouvait être qualifiée d’avantage particulier. Sur ce point, les avis

355 Aux termes de l’alinéa 8 de l’article 34 de la constitution de 1958, repris par l’article 1er de la loi n°86-912 du 6 août

1986, la privatisation consiste dans « les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé ».

356 Selon la jurisprudence l’entreprise publique est celle « dans laquelle la personne publique propriétaire

détient plus de la moitié du capital social », voir Cass. civ. 1re, 3 mai 1988, JCP, 1989, II, 21203, note

F. Hervouët ; AJDA, 1988, p. 679, note J. Dufau.

357 Rappelons que ces actions ont été calquées sur les goldens shares ou « spécial rights shares » du droit

anglais, voir ZINE SEFKALI, « Le droit français des privatisations à l’heure anglo-saxon », Banque et Droit, n°34, mars-avril 1994, p. 3.

358 Sur ces conditions, voir M.-A. FRISON-ROCHE, « Les conditions communautaires de validité des golden shares

dans les entreprises publiques privatisées (arrêts CJEU 4 juin 2002) », D. 2002, p. 2242 ; G. PARLEANI, « Après l’arrêt Volkswagen du 23 octobre 2007, quelle liberté pour les Etats actionnaires ? », Rev. sociétés, 2007, p. 868.

359 Art. 10 loi n°86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités de privatisations. 360 A. BUGADA, L’avantage acquis en droit du travail, op.cit., n°33, pp. 35 et 36. 361 P. ENGEL et P. TROUSSIERE, art. cit., p. 374, n°24.

362 J.-J. DAIGRE, « Actions privilégiées, catégories d’actions et avantages particuliers », art. cit., p. 216. 363 A. COURET et alii, Droit financier, op.cit., p. 258, note 1.

181 étaient divergents. Certains364 estimaient qu’à partir du moment où l’avantage se transmettait avec les titres365, la catégorie de titres ne pouvait s’accommoder du qualificatif d’avantage particulier. De telle sorte que même si ces titres catégoriels étaient exclusivement accordés à certains associés366, l’application de la procédure de contrôle n’était jamais requise. Pour ces auteurs cette procédure ne pouvait se cumuler avec celle de création des actions privilégiées. D’autres367 pensaient, en revanche, que dès lors que la catégorie d’actions était attribuée à

certains associés seulement, elle devait être perçue comme un avantage particulier. Cette longue divergence a trouvé sa conclusion dans le nouvel article L228-15 du Code de commerce, issu de l’ordonnance de 2004. Nous avons vu qu’aux termes de ce texte, la procédure des avantages particuliers devait être observée chaque fois que des actions de préférence sont émises au profit d’associés identifiés ou identifiables. Certes, comme l’ont fait remarquer certains368, aucun article du Code de commerce ne qualifie expressément ces actions réservées d’avantages particuliers. Il nous semble toutefois qu’une telle qualification est difficilement niable au regard de la lettre de l’article L228-15.

337. À noter qu’il n’existe pas d’équivalent de l’article L228-15, ni dans le Code de

commerce, ni dans le Code civil concernant les catégories de parts sociales réservées à certains associés. Pour autant, rien dans le droit positif n’interdit de revêtir ces parts sociales catégorielles de la qualification d’avantages particuliers lorsqu’elles sont créées au bénéfice exclusif de quelques associés369. En conséquence, tout ce qui sera dit à propos des actions de préférence leur sera pratiquement applicable370.

364 J.-J. DAIGRE, « Actions privilégiées, catégories d’actions et avantages particuliers », art. cit., pp. 217 et s. ;

pour les parts sociales catégorielles, voir J.-M. de BERMOND de VAULX, « Les parts sociales privilégiées », art. cit. p. 521 ; J.-J. DAIGRE, F. MONOD et F. BASDEVANT, « Les actions à privilèges financiers », Actes

pratiques et ingénierie sociétaire, 1997, p. 2, spéc. n°14, p. 4.

365 Et que l’article L225-138 du Code de commerce n’imposait pas le respect de la procédure des avantages

particuliers en cas d’augmentation de capital réservée à une ou plusieurs personnes.

366 Voir C. HOUPIN, « Création d’actions de priorité-vérification des avantages en résultant-applicabilité de

l’article 4 de la loi de 1867 », art. cit., pp. 195 et s., qui estimait que la qualification d’avantage particulier ne devait être retenue que si les actions de catégories devaient rémunérer des apports en nature.

367 H. BOSVIEUX, « De la notion d’avantage particulier », art. cit., pp. 79 et 80 ; M. GERMAIN, « Les moyens

de l’égalité des associés », art. cit., n°5 ; P. ENGEL et P. TROUSSIERE, art. cit., nos32 et s. ; M. JEANTIN,

« Observations sur la notion de catégorie d’actions », art. cit., n°3, p. 89.

368 D. DESCAMPS et S. SYLVESTRE, « La procédure de création des actions de préférence », Bull. Joly, 2006,

p. 1235, spéc. p. 1246, n°36.

369 Encore faut-il que ces parts confèrent une faveur, car si elles n’engendrent qu’un inconvénient, il sera difficile

de parler d’avantage particulier.

370 À l’exception toutefois de l’application de la procédure de vérification. En réalité, si les statuts ne prévoient pas

le respect de cette procédure en cas d’octroi de parts sociales catégorielles, les associés ne seront pas obligés de la mettre en œuvre. Néanmoins, pour se mettre à l’abri de certaines critiques des non-bénéficiaires, il est préférable de la mettre en application. Ce respect ne sera toutefois pertinent que si l’altérité attachée à la part est un avantage. Le cas échéant, il ne s’agira que d’un désavantage particulier qui ne saurait justifier l’application du contrôle.

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338. Ceci étant dit, il faut mentionner que l’hypothèse des actions de préférence réservées

est venue perturber la définition classique de l’avantage particulier. Tout d’abord, nous avons vu que le privilège particulier supposait, en premier lieu, l’existence d’une faveur. Pourtant, si nous admettons que la préférence attachée aux actions de préférence puisse être négative371, on conviendra aisément que puisse exister un avantage particulier sans avantage372. Ensuite, dans son acception classique, l’avantage particulier reste intransmissible. Tel n’est pas le cas du privilège accordé par le truchement des actions de préférence qui se transmet avec les titres. Enfin, il est classiquement enseigné que le bénéficiaire d’un avantage particulier ne jouit d’aucune protection légale. Le régime de la faveur particulière accordée par le biais d’actions de préférence contrevient à cette règle, puisque le bénéficiaire doit être consulté chaque fois qu’il est envisagé d’y porter atteinte373.

À l’issu de cette analyse, il s’avère que la notion d’avantage particulier renvoie aujourd’hui à une réalité diverse que la définition classique peut difficilement rendre compte. Cela conduit à admettre l’avènement d’une nouvelle conception de cette notion.

b. Naissance d’une conception pluraliste ou moderne de l’avantage particulier

339. Au regard de ce précède, il est devenu difficile de maintenir une notion unique

d’avantage particulier en droit positif des sociétés. La raison tient, nous l’avons dit, au fait que les caractéristiques et le régime du privilège particulier varient selon que celui-ci est joint à la personne du bénéficiaire ou aux titres sociaux. Cette variabilité des contours de l’avantage conduit à retenir une notion protéiforme du privilège particulier, avec comme dénominateur commun, le caractère particulier.

340. Ainsi, dira-t-on que tout avantage particulier est une altérité réservée à un ou

plusieurs associés nommément désignés ou suffisamment identifiables374. Au reste, les caractères de ce privilège varieront en fonction du canal par lequel il est accordé. S’il est attaché à la personne du bénéficiaire, l’avantage particulier doit, outre ce standard commun,

371 Rappelons que l’article L228-15 Code de commerce ne fait pas de distinction selon que l’altérité attachée aux

actions est positive ou négative.

372 Nous estimons toutefois que concernant les parts sociales catégorielles, la qualification d’avantage particulier

ne devrait être retenue que si ces titres confèrent effectivement un avantage. Cette opinion s’explique par le fait que, d’une part, la loi ne dit rien en la matière et, d’autre part, qu’il serait absurde de qualifier d’avantage particulier ce qui ne serait qu’un désavantage particulier.

373 Art. L225-99 du Code de commerce.

183 consister en une faveur, pécuniaire ou extrapécuniaire, objectivement appréciable. En pareil cas, il ne saurait se transmettre et son titulaire ne bénéficie d’aucune protection légale. Le même raisonnement s’applique au privilège accordé par le biais d’une catégorie de parts sociales, à ceci près, que l’avantage lié aux parts demeurera transmissible375. Enfin, si

l’avantage particulier réside dans l’attribution d’une altérité incorporée dans des actions de préférence, alors cette altérité pourra non seulement être positive ou négative, mais aussi se transmettre et son titulaire sera protégé au même titre que tous les détenteurs d’actions de catégorie.

341. Au bout du compte, l’avantage particulier apparaît comme une notion complexe dont

la détermination soulève encore d’énormes difficultés. Il va sans dire qu’elle gagnerait à être éclaircie par une intervention législative ou jurisprudentielle. En attendant, nous devons vérifier si son attribution produit une inégalité entre associés.

II. Avantage particulier et inégalité entre associés

342. Selon certains auteurs, seuls les avantages particuliers accordés à titre gratuit

provoquent une rupture de l’égalité entre associés376. Pour cette doctrine, l’existence d’une

contrepartie exclut l’inégalité entre associés377 puisque, dans ce cas, l’attribution de l’avantage

ne fait que prévenir ou réparer une discrimination378. L’expérience montre pourtant que les privilèges particuliers sont presque toujours accordés sur « un motif sérieux et intéressé »379. Leur attribution vise généralement à rémunérer un « service rendu avant la constitution de la

société ou à rendre pendant son fonctionnement »380. Comme l’a noté un auteur, « on imagine

mal les associés distribuer ci et là des gratifications et libéralités »381. En conséquence, si cette opinion devait être retenue, la quasi-totalité des avantages particuliers serait assimilée à de fausses inégalités entre associés.

343. Nous estimons que cette position doctrinale doit être repoussée. Cette récusation est

d’autant plus justifiée que l’on se demande comment jauger la notion de contrepartie. Où le

375 Mémento Pratique F. Lefebvre, Sociétés commerciales, op.cit., n°7205, p. 490.

376 J.-J. BURST, Rev. sociétés, 1974, p. 736 ; M. GERMAIN et V. MAGNIER, op. cit., n°1998.

377 A moins qu’il existe une disproportion entre l’avantage et cette contrepartie, voir Mémento Pratique

F. Lefebvre, Sociétés commerciales, op.cit., n°7205, p. 490.

378 J. MESTRE, « L’égalité entre associés, (aspects de droit privé) », art. cit. p. 407. 379 Ibid.

380 R. TUNC, op.cit., n°59, p. 53.

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curseur devra-t-il être placé pour que celle-ci soit jugée suffisante ? On remarquera que même ceux qui en excipent s’accordent à penser qu’il s’agit d’une notion fuyante dont l’appréciation reste délicate382. De plus, il suffira « d’invoquer un quelconque motif intéressé valant

contrepartie »383 pour réfuter une rupture d’égalité qui serait pourtant évidente. Il apparaît que la soustraction de la plupart des avantages particuliers des sources de l’inégalité entre associés, sous prétexte de l’existence d’une contrepartie, est une démarche malheureuse.

344. L’inégalité entre associés est une notion autonome qui s’apprécie en considération

exclusive des droits et obligations issus du contrat de société. Partant, indépendamment de l’existence d’une compensation à d’autres égards, il y aura inégalité dès l’instant que des associés reçoivent une altérité non partagée par les autres. Or, l’avantage particulier s’inscrit parfaitement dans cette logique puisqu’il constitue une altérité et ne profite pas à tous les associés. Aucune autre condition n’est requise. Dès lors, traiter l’avantage particulier comme la réparation d’une rupture d’égalité constituée par la fourniture d’un service à la société, reviendrait tout au plus à compenser une inégalité par une autre. La première découlant de l’absence de compensation du service rendu et la seconde résultant de l’attribution de l’avantage. Or, est-il possible de réparer une inégalité par une autre ? Comme le souligne un auteur, il n’est pas sûr que deux inégalités en sens contraire s’annulent au regard des principes du droit français384.

Toutes ces raisons nous conduisent à conclure que tout avantage particulier est une source d’inégalité entre associé, peu importe qu’il soit assorti ou non de contrepartie. Il en est de même des désavantages particuliers subis par certains associés.