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Notion d’intérêt social

Conclusion du chapitre

Section 2. La négation du principe d’égalité entre associés par la personnalité morale

A. Notion d’intérêt social

215. Que signifie l’intérêt social ? Le législateur ne fournit aucune réponse précise à cette

interrogation270. Malgré les diverses occasions qui lui ont été offertes271, celui-ci s’est toujours gardé de donner une définition à ce « serpent de mer juridique »272, préférant s’accommoder

259 Dans le Code de commerce : art. L221-4 à propos des pouvoirs des gérants de SNC ; art. L233-3 sur les

conventions de vote ; articles L241-3 et L242-6 concernant les abus de biens sociaux et de crédit. Dans le Code civil, l’article 1848 définit les pouvoirs du gérant de la société civile « dans les rapports entre associés ». add. S. ROUSSEAU et I. TCHOTOURIAN, « L’‘intérêt social’ en droit des sociétés : Regards canadiens », Rev.

sociétés, 4/2009, p. 735, spéc. n°6, p. 738.

260 Sur l’ensemble de la question, voir A. BENINI, L’intérêt social, th. Cergy-Pontoise, 2010. 261 A. CONSTANTIN, Droit des sociétés, op.cit., p. 100.

262 C. BAILLY-MASSON, « L’intérêt social : une notion fondamentale », LPA, 2000, p. 6.

263 Pourtant, un auteur propose que l’on cesse d’utiliser la notion car, selon lui, son rôle est « fictif voire inutile »

puisque seul le patrimoine de la société serait protégé dans l’intérêt des actionnaires non dirigeants et des créanciers, voir G. SOUSI, « Intérêt du groupe et intérêt social », JCP, 1974, II, 11816, p. 381. Voir aussi sa thèse, L’intérêt social dans le droit français des sociétés commerciales, op.cit., p. 352.

264 Sur l’éthique et le droit des affaires, voir B. OPPETIT, « Ethique et vie des affaires », in Mél. offerts à

A. Colomer, Litec, 1993, p. 319 ; J. MESTRE, « Ethique et droit des sociétés », in Mél. offerts à A. Honorat, éd. Frison-Roche, 2000, p. 291.

265 J. MESTRE, « Ethique et droit des sociétés », art. cit., p. 291. 266 A. PIROVANO, art. cit.

267 Selon le professeur Alain Couret, l’intérêt social est une « limite des comportements sociétaires acceptables », voir

A. COURET, « L’intérêt social », JCP E, Cah. dr. l’ent., 4/1996, suppl., p. 1, spéc. n°10, p. 3.

268 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, op.cit., n°490.

269 M. DESPAX, L’entreprise et le droit, éd. LGDJ, 1957, n°192, p. 209. 270 PH. MERLE et A. FAUCHON, op.cit., n°70.

271 On peut citer entre autres, l’avènement de la corporate governance en France et plus récemment la crise

financière.

119 d’une notion aux contours aléatoires273. Il convient donc de se tourner vers la doctrine et la

jurisprudence. Mais, alors que la première reste piégée dans de redoutables controverses274, la seconde est en proie à ses atermoiements.

216. Quand il s’est agi de définir la notion d’intérêt social, plusieurs thèses se sont

affrontées en doctrine. Nous allons les analyser.

217. Une première approche de l’intérêt social a été proposée dans les années 1960 par les

partisans de l’école de Renne275. Il s’agit de celle qui assimile l’intérêt social à celui de

l’entreprise276. S’appuyant sur la thèse fonctionnaliste selon laquelle la société n’est qu’une

simple technique au service de l’entreprise277, ces auteurs rangent dans l’intérêt social non

seulement l’intérêt des associés, mais aussi ceux catégoriels des salariés, des créanciers, des clients, voire même de l’État278. Pour Monsieur Despax, l’intérêt social est celui de

l’entreprise qui transcende celui des actionnaires et qui constitue la limite des sacrifices de ces derniers ou des salariés279. Jean Paillusseau abonde dans le même sens, estimant que l’intérêt social n’est rien d’autre que celui de l’entreprise et qu’il tend à assurer la prospérité et la continuité de celle-ci280. Cette doctrine de l’entreprise a toutefois été largement critiquée281

parce ce qu’« elle fait de l’intérêt des associés une composante par trop négligeable de

l’intérêt social »282.

218. Un autre courant doctrinal a préféré une définition plus étroite qui confond l’intérêt

273 B. BASUYAUX, « L’intérêt social, une notion aux contours aléatoires qui conduit à des situations

paradoxales », LPA, 2005, n°4, p. 3

274 J.-P. BERTEL, « L’intérêt social », Dr. et patr. 1997, p. 42.

275 P. DURAND, « Rapport », in L’entreprise, Travaux de l’ass. H. Capitant, 1947, p. 54 ; J. PAILLUSSEAU,

« Les fondements du droit moderne des sociétés », JCP E, 1984, I, 14193, p. 165 ; M. DESPAX, L’entreprise et le droit, op.cit. ; J. SCHAPIRA, art. cit., p. 957.

276 B. TEYSSIE, « L’intérêt de l’entreprise, aspect de droit du travail », D. 2004, p. 1680 ; J.-J. DAIGRE, « Le

gouvernement d’entreprise : feu de paille ou mouvement de fond ? », Dr. et patr. 1996, p. 21 ; R. CONTIN, « L’arrêt Fruehauf et l’évolution du droit des sociétés », art. cit., p. 45.

277 Pour une étude globale sur cette approche fonctionnelle de la société, C. CHAMPAUD, Le pouvoir de

concentration de la société par actions, op.cit. ; J. PAILLUSSEAU, La société anonyme, technique

d’organisation de l’entreprise, op.cit.

278 J. PAILLUSSEAU, « Les fondements du droit moderne des sociétés », art. cit., spéc. nos60 et s., pp. 174 et s. 279 M. DESPAX, L’entreprise et le droit, op.cit., n°192, p. 209.

280 J. PAILLUSSEAU, « Les fondements du droit moderne des sociétés », art. cit., nos91 et s., pp. 178 et s. ; Du

même auteur, « Le big bang du droit des affaires à la fin du XXe siècle », JCP E, 1998, 15101, p. 58, spéc. nos69

et s., pp. 64 et s.

281 Voir par exemple, G. LYON-CAEN, et A. LYON-CAEN, « La « doctrine » de l’entreprise », in Dix ans de

droit de l’entreprise, éd. Litec, 1978, pp. 601 et s. ; A. VIANDIER, La notion d’associé, op.cit., nos139 et s.,

pp. 135 et s. ; B. OPPETIT, note sous Cass. com. 21 janvier 1970, JCP G, 1970, II, 16541 ; C. HANNOUN, Le

droit et les groupes de sociétés, préf. de A. LYON-CAEN, éd. LGDJ, 1991, n°154, p. 121.

282 J.-P. BERTREL, « Liberté contractuelle et sociétés : essai d’une théorie du ‘juste milieu’ en droit des

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social à celui des associés283. Cette doctrine considère que la société est, avant tout, la chose des associés284 qui attendent une création de richesse et une optimisation de la valeur de leurs titres285. Selon Monsieur Schmidt, elle « n’est pas constituée en vue de satisfaire un autre

intérêt que celui des associés qui ont, seuls, vocation à partager entre eux le bénéfice social »286. À signaler que le contempteur de l’intérêt social287 avait auparavant quelque peu brouillé les pistes puisqu’il semblait distinguer intérêt social et intérêt commun, en affirmant que le second ne concernait que les relations entre associés alors que le premier serait afférent aux rapports existant entre ces derniers et la société288.

219. Quoi qu’il en soit, force est de noter que cette doctrine néo-libérale qui met en avant

l’intérêt des seules parties au contrat de société289 a connu un regain vers les années 1990 avec

l’avènement de la corporate governance en France290 et la libéralisation et le développement

des marchés financiers. Selon ses partisans, en imposant des devoirs stricts aux dirigeants et en facilitant l’exercice des droits naturels des associés291, la corporate governance est une

réponse « au soulèvement du peuple des actionnaires investisseurs venu rappeler aux

actionnaires entrepreneurs que la définition de la société interdit une confiscation du pouvoir majoritaire, fût-il exercé au nom de l’intérêt social »292. Par conséquent, elle ne pouvait que

promouvoir une définition restrictive de l’intérêt social.

220. La principale critique qui a été formulée à l’endroit de cette opinion, c’est qu’elle

pêche par son excès d’absolutisme293 car, en faisant de la société la chose des seuls détenteurs

283 D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op.cit., n°80, p. 56.

284 J. FOYER, « Rapport français », in La personnalité morale et ses limites, Travaux et recherches de l’Institut

de Droit comparé de l’Université de Paris, t. XVIII, 1960, p. 131.

285 T. MASSART, Le régime juridique de la cession de contrôle, th. Paris II, 1995, p. 532. 286 D. SCHMIDT, « De l’intérêt social », art. cit., p. 361.

287 Voir M. GERMAIN, « L’intérêt commun des actionnaires », art. cit., p. 13 qui qualifie ainsi monsieur

Schmidt.

288 D. SCHMIDT, « De l’intérêt commun des associés », art. cit., n°5, p. 536.

289 C. RUELLAN, La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, th. Paris II, 1997, n°721.

290 Pour une étude d’ensemble sur cette question, v. D.COHEN, « Le « gouvernement d’entreprise » : une nécessité en

droit français ? », in Mél. offerts à Ph. Malaurie, Defrénois, 2005, p. 159 ; P. BISSARA, « Le gouvernement d’entreprise en France : faut-il légiférer encore et de quelle manière ? », Rev. sociétés, 2003, p. 51 ; J. HOPT, « Le gouvernement d’entreprise-Expériences allemandes et européennes », Rev. sociétés, 2001, p. 1 ; D. NECHELIS, « Le gouvernement d’entreprise », Dr. sociétés, 2000, Chron., n°23, p. 6 ; M.-C. PINIOT ; V. MAGNIER, « Principes (OCDE) relatifs au gouvernement d’entreprise. Premiers éléments d’analyse », JCP E, 1999, p. 1165 ; Q. URBAN, « La « communauté d’intérêts », un outil de régularisation du fonctionnement du groupe de sociétés », RTD com. 2000, p. 1.

291 A. COURET, « Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds de pensions »,

D.1997, chron. p. 241, n°1. Voir aussi du même auteur, « Le gouvernement d’entreprise », D. 1995, Chron. p. 163.

292 A. PIROVANO, art cit., p. 193.

121 du capital, elle néglige le fait que celle-ci doive s’inscrire dans la durée294. S’ajoute à cela que

si l’intérêt de la personne morale se confond souvent avec celui des associés, il arrive parfois que les deux ne concordent pas295. Didier Poracchia faisait remarquer que rien dans le droit des sociétés ne s’oppose à ce que les associés puissent décider une dissolution anticipée alors même que la société serait in bonis ou encore transmettre par une décision unanime les actifs de cette dernière à un organisme ad hoc dominé par quelques-uns parmi eux296. Or, il est évident qu’une telle décision porterait atteinte l’intérêt de la société qui réside dans sa pérennisation. C’est dans ces conditions qu’une autre définition de l’intérêt social a été proposée.

221. Celle-ci consiste à considérer l’intérêt social comme l’intérêt de la personne morale.

Sous cette acception, « l’intérêt social ne se confond pas avec l’intérêt égoïste et immédiat des associés, fussent-ils majoritaires ou minoritaires, encore moins avec l’intérêt personnel des dirigeants »297. Il se distingue aussi des intérêts des salariés, des créanciers dont le fisc, des fournisseurs et des clients298. Les adeptes de cette thèse ne considèrent pas la société comme un contrat ou un nœud de contrats, mais plutôt comme un être moral autonome par rapport à ses membres299 et doté d’un intérêt qui lui est propre300. Cet intérêt de la personne

morale tient à ce qui importe pour elle301, à savoir sa continuité302. Donc, pour assurer sa pérennité, la personne morale doit chercher la réalisation des profits les plus importants303 en affectant son patrimoine à une activité économique304. Selon un auteur305, c’est cette opinion qui a été consacrée par les évolutions législatives récentes306. Mais, malgré le fait que chacun de ces courants entend imposer de manière hégémonique sa propre conception, d’autres auteurs ont tenté de sortir de ce triptyque traditionnel en adoptant des positions plus variables et davantage nuancées.

294 G. GOFFAUX-CALLEBAUT, art. cit., n°2, p. 36.

295 D. PORACCHIA, « Le rôle de l’intérêt social dans la société par action simplifiée », Rev. sociétés, 2000,

p. 223, spéc. n°3, p. 224.

296 Ibid., n°5, p. 225.

297 M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, op.cit., n°491, p. 240. 298 P. BISSARA, « L’intérêt social », Rev. sociétés, 1999, p. 5.

299 Sur la distinction entre la personne morale et ses membres personnes physiques, voir M.-C. MONSALLIER,

L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°762, p. 318.

300 D. MARTIN, art. cit., p. 359, spéc. p. 361.

301 Voir C. CHABERT, L’intérêt de l’enfant et le conflit de loi, th. Aix, 2000, n°2, qui définit la notion d’intérêt

comme ce qui importe à une personne de quelque manière que ce soit.

302 Voir E. BESSON, Rapport AN n°2327 sur la loi NRE, p. 238. 303 P. MOUSSERON et L. CHATAIN-AUTAJON, op.cit., n°265, p. 226. 304 A. CONSTANTIN, Droit des sociétés, op.cit., p. 100.

305 G. GOFFAUX-CALLEBAUT, art. cit., n°17, p. 41. 306 Pour plus de détails sur ces lois, voir Ibid.,n°3, p. 36.

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222. Écartant les opinions précédemment exposées, d’autres auteurs estiment que l’intérêt

social est un standard307. À ce titre, le professeur Bertrel défend la théorie du « juste milieu ». Selon lui, à l’instar de la société, l’intérêt social est un concept mixte qui est la synthèse entre l’intérêt des associés et celui de la personne morale308. Outre cette position, on a pu encore

relever en doctrine que l’intérêt social est une notion protéiforme309, plastique ou à contenu variable310 qui correspond tantôt à l’intérêt des seuls associés, tantôt à celui de l’entreprise311 ; qu’il traduit l’intérêt collectif « abstrait » des associés qui consiste en la recherche de la prospérité de l’entreprise pendant la durée de la société312 et, enfin, qu’il est « l’intérêt des

catégories de personnes qui sont liées à la société au regard de l’actif social en tant qu’il est le support de la valeur des droits de ces personnes »313.

Finalement, au sortir de cette analyse, l’intérêt social apparaît plus que jamais comme une notion confuse en doctrine. Qu’en-t-il de la jurisprudence ?

223. À en croire certains, seul le juge a le pouvoir de définir les contours de l’intérêt

social314. Cette affirmation s’expliquerait par le fait que la notion est avant tout un outil juridique forgé par les magistrats au fur et à mesure qu’ils l’utilisent315. Pourtant, si le débat

sur l’intérêt social a lieu plus souvent dans les prétoires316, la jurisprudence n’apporte que peu

de lueur sur le sens qu’il faut accorder à cette notion317. En effet, les juges entendent

« l’intérêt social dans le sens pragmatique du fonctionnement normal de la société »318. De la

sorte, leur démarche s’inscrit dans un mouvement de balancier entre intérêt des associés, intérêt de la société et intérêt de l’entreprise319.

224. Nous en voulons pour preuve, le fait que certains arrêts semblent avoir consacré la

vision élargie défendue par l’école de Rennes, alors que d’autres ont retenu celle étroite des

307 Ibid., p. 35. Sur la notion de standard, voir S. RIAL, Le juge administratif français et la technique du

standard, éd. LGDJ, 1980 ; « Les standards dans les divers systèmes juridiques », RRJ, 1988, p. 876.

308 J.-P. BERTREL et alii, art. cit., p. 45. 309 Lamy sociétés commerciales, op.cit., n°1536.

310 D. PORACCHIA et D. MARTIN, art. cit., n°2, p. 475. 311 Lamy sociétés commerciales, op.cit., n°1536.

312 D. PORACCHIA et D. MARTIN, art. cit., spéc. n°9, p. 478.

313 J.-M. MOULIN, Le principe d’égalité dans la société anonyme, op.cit., t. 1, n°114, p. 75. 314 J.-P. BERTREL et alii, art. cit., p. 47.

315 A. CONSTANTIN, « L’intérêt social : quel intérêt ? », in Etudes offertes à B. Mercadal, éd. Francis

Lefebvre, 2002, p. 317, spéc. n°7, p. 319.

316 PH. MERLE et A. FAUCHON, op.cit., n°70, p. 86.

317 S. ROUSSEAU et I. TCHOTOURIAN, art. cit., n°13, p. 741. 318 M. GERMAIN et V. MAGNIER, op.cit., n°1559.

319 En ce sens, D. PORACCHIA, « Le rôle de l’intérêt social dans la société par action simplifiée », art. cit., nos3

123 auteurs de l’école de Strasbourg. La doctrine de l’entreprise a d’abord été utilisée dans l’arrêt

Fruehauf320, puis en matière d’expertise de gestion321 et d’abus de bien sociaux322. Quant à la conception néolibérale, elle a eu écho notamment dans l’arrêt du 4 octobre 1994323 où la Cour

de cassation avait considéré que le seul critère pour déterminer le respect de l’intérêt social se mesurait par l’évolution des résultats de l’entreprise. Ce qui revenait, selon un auteur324, à consacrer la théorie contractuelle de l’intérêt social. On a également considéré qu’en attribuant aux associés la possibilité de se constituer partie civile en matière d’abus de biens sociaux tout en la refusant aux salariés et aux créanciers sociaux, les magistrats expriment leur préférence pour la thèse défendue par Monsieur Schmidt325.

À l’instar de la situation en doctrine, nous constatons qu’aucune ligne claire ne se dégage en jurisprudence concernant les contours de l’intérêt social. Alors, qu’elle acception doit-on privilégier ?

225. Face à ce chambardement, nous considérons que l’intérêt social doit être compris

comme correspondant à l’intérêt de l’être moral qui se distingue aussi bien de celui des associés326, que de celui des salariés, des clients et autres327. En réalité, la naissance de la personnalité morale emporte la reconnaissance à la société d’un patrimoine propre. Il devient dès lors discursif d’admettre que cette dernière puisse avoir un intérêt qui lui est propre328. Cet

intérêt peut converger avec ceux des associés, mais peut aussi s’en détacher. Si globalement, les associés cherchent un enrichissement la société, source d’accroissement de leur fortune personnelle, il arrive que la pérennité de la personne morale soit le cadet de leurs soucis329. Dans la même veine, lorsque la société conclut un contrat de travail, les intérêts des parties sont en principe antagonistes. Le salarié veut le salaire le plus élevé alors que la société cherche à payer le moins possible. Cette assertion est valable pour toutes les conventions que

320 CA Paris, 22 mai 1965 préc.

321 Cass. com. 10 février 1998, RDBB, 1998, p. 181, note M. Germain et M.-A. Frison-Roche.

322 Cass. crim. 12 décembre 1994, Bull. Joly, 1995, p. 427 ; Cass. crim. 19 octobre 1971, Bull. crim. n°272 ;

Cass. crim. 26 mai 1994, Bull. crim. n°206.

323 Cass. com. 4 octobre 1994, Bull. civ. n°278. 324 D. MARTIN, art. cit., p. 364.

325 A. DEKEUWER, « Les intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux », JCP E, 1995, n°43, p. 500. 326 Voir D. PORACCHIA, « Le rôle de l’intérêt social dans la société par actions simplifiée », Rev. sociétés,

2000, p. 223, spéc. n°30, p. 239, pour qui la création de la SAS renforce la dichotomie entre l’intérêt commun des associés et celui de la personne morale.

327 De façon similaire, Y. DE CORDT, L’égalité entre actionnaires, op.cit., n°271, p. 409 ; M. NEUNREUTHER,

Permanence et renouvellement du principe d’égalité entre actionnaire dans les sociétés anonymes, op.cit., n°228,

p. 161.

328 Y. DE CORDT, L’égalité entre actionnaires, op.cit., n°266, p. 403.

329 Tel est le cas des actionnaires qui achètent des titres pour les revendre rapidement afin de réaliser des plus-

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la société passera à l’exclusion des contrats de société. Ainsi, les fournisseurs veulent vendre au prix fort pendant que la personne morale souhaiterait payer un vil prix. C’est également valable pour les impôts car, pendant que l’État cherche à en recouvrer le plus possible, la société souhaite, quant à elle, en payer le moins possible.

Au final, chaque fois que la société s’enrichit, ses cocontractants s’appauvrissent et inversement. Il est vrai que, comme l’a fait remarquer un auteur, dans tous les contrats, les parties visent à réaliser une opération unique, dont l’objectif est généralement de leur procurer des bénéfices330. Mais si tous ces partenaires de la société ont effectivement un intérêt à ce que celle-ci soit prospère pour pouvoir exécuter ses obligations, cet intérêt semble lointain. Leurs intérêts immédiats sont opposés à ceux de cette dernière. Cette divergence d’intérêts constitue, nous semble-t-il, un obstacle empêchant d’insérer les intérêts catégoriels dans la l’intérêt social.

226. Nous retiendrons que l’intérêt social est celui de l’être moral qui consiste, pour lui, en

la recherche du maximum de profits pour assurer sa pérennité331. Il peut recouper, dans certains cas, l’intérêt des associés332, sans toutefois jamais converger avec ceux des salariés,

clients, État, etc. Cet intérêt social doit être respecté par les dirigeants mais aussi par les parties au contrat de société. Aucun associé ne peut y porter atteinte en s’appropriant par exemple un élément du patrimoine social au détriment des autres. Il doit, au contraire, le défendre au cas où les dirigeants seraient défaillants333. Or, cette protection de l’intérêt social peut fonder de nombreuses différences de traitement entre associés, affaiblissant ainsi le principe d’égalité.