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Prédiction de la structure des forêts denses humides à large échelle

CHAPITRE 4 : CARTOGRAPHIE DE LA STRUCTURE DES FORÊTS DENSES HUMIDES

4.4.2 Prédiction de la structure des forêts denses humides à large échelle

L’analyse de la texture a été appliquée sur 8 sites (soit 1291 km2 dont 852,58 km2 analysés par FOTO), recouvrant 8 massifs forestiers. Elle a permis de délimiter 530,12 km2 de forêt. Nous considérons ainsi que l'ensemble du gradient de texture qui caractérise les forêts néo-calédoniennes a été pris en compte dans cette étude. Les indices de texture issus des trois premiers axes de l'ACP des spectres de Fourier (expliquant 57 % de la variance observée dans les spectres-r) ont permis de classer les forêts selon trois classes de texture : fine, intermédiaire et grossière. Ces trois classes étaient cohérentes avec la classification visuelle qui a pu être faite à partir des images THR de la canopée. Les indices de texture ont ainsi confirmé leur capacité à capturer l'ensemble du gradient de texture de la canopée des forêts néo-calédoniennes.

Les trois classes de texture ont pu être mises en relation avec des paramètres structuraux, car, comme il a déjà été montré dans la littérature (e.g. Couteron et al. 2005 ; Ploton et al. 2012 ; Bastin et al. 2014) les indices de texture permettent de prédire certains paramètres structuraux des forêts (e.g. la densité de tiges, l'aire basale ou encore la biomasse aérienne). En effet, dans notre étude les indices de

texture PC1 et PC2 étaient corrélés au coefficient de variation des DBH (CV DBH), au diamètre quadratique (Dquad), à la densité de tiges totale (D) et à la densité de tiges avec un DBH supérieur ou égal à 40 cm (D40), à l'aire basale (AB) et à la biomasse aérienne (AGB). CV DBH, Dquad et D sont particulièrement bien corrélés avec les indices de texture (R2 ≥ 0,7). Ils semblent donc être de bons candidats pour relier les variables mesurées à partir du sol et de l'espace en établissant une relation texture - structure. Ce lien obtenu à l’échelle du peuplement s’explique par des relations fortes entre les différentes parties des arbres. Ainsi, plusieurs études ont mis en évidence une relation allométrique forte et stable entre le DBH du tronc d'un arbre et les dimensions de sa couronne dans les forêts tropicales humides (Muller-Landau et al. 2006 ; Poorter et al. 2006 ; Antin et al. 2013) De plus les résultats du Chapitre 3 (Blanchard et al. 2016) ont confirmé que le DBH et l'aire de la couronne des arbres des forêts denses humides néo-calédoniennes était significativement corrélés (R2 = 0,59 et P <0,001). Or le DBH est directement lié au calcul du CV DBH et du Dquad, il fait directement partie du calcul de l'AB et il est la principale variable des équations de prédiction de l'AGB au niveau des arbres individuels (e.g. Chave et al. 2005 ; 2014). Il est donc facilement concevable que les indices de texture, qui sont généralement corrélés à la taille moyenne de la couronne des arbres de la canopée (Barbier et al. 2010), puissent prédire ces paramètres structuraux. En outre, les indices de texture des parcelles du site de Forêt Plate permettent aussi de prédire des caractéristiques structurales calculées sur l'ensemble des arbres avec un DBH ≥ 10 cm et pas uniquement à partir des seuls arbres dont la couronne est visible en canopée. En effet, dans les peuplements non équiens, bien que les gros arbres ne représentent qu'une petite fraction de la population d'un peuplement, leur densité joue un rôle important dans l'organisation structurale et la dynamique spatio-temporelle de ce peuplement (Lindenmayer et al. 2012 ;Bastin et al. 2015 ; Farrior et al. 2016). Nos résultats montrent dans le Chapitre 3 que la densité des gros arbres (DBH ≥ 40 cm), qui représentait une faible proportion du nombre d'arbre en canopée (8,5 %) et du nombre total d'arbres (DBH ≥ 10 cm) (5 % ), était significativement corrélée au coefficient de variation des DBH (R2= 0,56, P< 0,001), au diamètre quadratique (R2= 0,77, P< 0,001), à l'aire basale (R2= 0,76, P< 0,001), à la biomasse aérienne (R2= 0,64, P< 0,001) et à la stratification verticale des peuplements (nombre de tiges présentes en canopée)

écosystèmes forestiers, et ce pour deux raisons principales. D'une part, dans les forêts tropicales, les ouvertures crées par la chute des grands arbres sont considérées comme le principal mécanisme de perturbation, à l'origine de la régénération des forêts denses humides (dynamique de trouée) (Vitousek et Denslow 1986 ; Clark et Clark 1996 ; Sist et al. 2014 ; Espírito-Santo et al. 2014). D'autre part les grands arbres créent des ségrégations spatiales en relation avec leur influence sur les régimes hydrologiques locaux (Lindenmayer et al. 2012) et sur la répartition de la lumière dans le sous-bois, à l'origine de la stratification verticale d'un peuplement. Or ces ségrégations spatiales contribuent à l'organisation spatiale des communautés forestières par filtrage de l'environnement ou par différenciation de niche écologiques (Sabatier et al. 1997, John 2007, Kraft et al. 2008, Vincent et al. 2011). De plus, la longévité des individus de grande taille augmente également leur potentiel pour générer une hétérogénéité à petite échelle dans le microclimat ou le sol (Rhoades et al. 1995 ; Lindenmayer et al. 2012). Enfin, les grands arbres concentrent une grande partie des stocks de carbone en raison de leurs volumes de bois élevés (e.g. Chave et al. 2001 ; Paoli et al, 2008 ; Slik et al, 2013 ; Bastin et al. 2015). Ainsi, l'allométrie entre le DBH et l'aire de la couronne et les corrélations entre la densité de gros arbres et les paramètres structuraux tels que le CV DBH, la AB ou encore l'AGB, permettent d'utiliser les produits de télédétection optique THR visant à prédire la structure des forêts en se concentrant sur des objets directement observables à partir de l'espace, à savoir les couronnes des plus grands arbres.

Les paramètres structuraux directement liés au DBH (CV, Dquad) sont logiquement les paramètres les mieux prédits par les indices de texture puisqu'ils sont directement corrélés à la taille des couronnes (Muller-Landau et al. 2006 ; Poorter et al. 2006 ; Antin et al. 2013). L'aire basale est un paramètre structural plus difficile à prédire car il dépend à la fois du nombre d'arbres et de la distribution diamétrique de ceux-ci. Un nombre infini de distributions de DBH peut partager le même moment du deuxième ordre (la variance) et donc la même aire basale pour un nombre donné d'arbres par hectare. Aussi, la corrélation entre les indices de texture et la densité de tiges totale des parcelles (précedemment observée par Couteron et al. 2005) que nous avons mise en évidence peut paraître surprenante puisque ce paramètre structural n'est pas corrélé à la densité des gros arbres (D40). D’autres études, dans d’autres sites tropicaux, n’ont pas trouvé une telle corrélation (Ploton et al. 2013

; Bastin et al. 2014). Enfin, la biomasse aérienne est également un paramètre plus complexe à prédire puisque son calcul, au niveau de l’arbre individuel, est fondé sur un modèle allométrique de type puissance utilisant trois variables (DBH, hauteur et densité de bois), ainsi toute erreur sur la mesure de ces trois paramètres va se propager au niveau de l'arbre, puis au niveau de l'estimation de la biomasse à l'échelle de la parcelle (Garber et al. 2009 ; Fortin et DeBlois 2010). De plus, dans l’estimation de la biomasse, le calcul des hauteurs est lui-même basé sur l’existence présupposée d’un modèle allométrique stable de type puissance, qui ne prend pas en compte la variation de l'allométrie DBH-hauteur entre les arbres de canopée et les arbres de sous-canopée (Temesgen et al.2015 ; Blanchard et al. 2016). L'utilisation de ce type de modèle puissance est par ailleurs actuellement remise en question, au profit de modèles allométriques complexes curvilignes (voir Picard et al. 2015).

La structure des peuplements forestiers néo-calédoniens peut être prédite sur de vastes zones à partir des arbres les plus gros, dans des conditions environnementales et des stades dynamiques contrastés, comme le montrent nos résultats. Cependant les erreurs sur cette prédiction sont plus ou moins fortes selon les variables considérées.