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Comparaison avec d'autres forêts denses humides dans le monde

CHAPITRE 3 : L'HÉTÉROGÉNÉITÉ STRUCTURALE DES FORÊTS DENSES HUMIDES

3.4 Discussion

3.4.2 Comparaison avec d'autres forêts denses humides dans le monde

Les forêts denses humides de Nouvelle-Calédonie sont d'une part caractérisées par une exceptionnelle densité de tiges en comparaison aux autres forêts tropicales humides, que celles-ci soient en contexte continental ou insulaire. La densité de tiges ≥ 10 cm par hectare est comprise entre 766 et 1614 tiges/ha avec une moyenne de 1128 tiges/ha, ce qui est similaire aux valeurs trouvées par Jaffré et Veillon (1995) et Ibanez et al. (2014), comprises entre 1256 et 1318 tiges/ha. Cette densité de tiges élevée est inhabituelle pour les forêts denses humides de la région sud-ouest du Pacifique bien

qu’une densité de 1194 tiges ait été enregistrée sur le site de Eungella en Australie (Laidlaw et al. 2007), des densités deux fois inférieures ont été enregistrées en Papouasie-Nouvelle Guinée (entre 453 et 693 tiges/ha) et aux Iles Salomon (entre 409 et 662 tiges/ha). D'autre part, les forêts denses humides de Nouvelle-Calédonie sont également caractérisées par une hauteur moyenne de canopée basse (14 m) par comparaison aux autres forêts denses humides des îles d'Océanie et d'Asie du Sud Est (≥ 20 m). De plus pour un DBH donné, la hauteur des arbres et l'aire de leur couronne est beaucoup plus faible que celle des arbres des forêts denses humides des grands ensembles continentaux (Blanchard et al. 2016).

L'aire basale des forêts denses humides de Nouvelle-Calédonie est élevée. Avec une moyenne de 44 m2/ha, elle est proche des valeurs hautes des aires basales des forêts denses humides des îles d'Océanie et d'Asie (41 m2/ha en moyenne) et de l'aire basales des forêts denses humides australiennes (50 m2/ha) et nettement supérieure à celles des forêts denses humides des autres grands ensembles continentaux (compris entre 22 m2/ha pour le Sud de l'Amazonie et 34 m2/ha pour l'Afrique de l'Est), bien que ponctuellement des valeurs d'aire basale supérieures à 40 m2/an aient été relevées dans les forêts denses humides (e.g. Slick et al. 2010 ; Antin et al. 2013).

La particularité de la structure des forêts denses humides de Nouvelle-Calédonie peut être expliquée par la fréquence élevée des cyclones et des tempêtes tropicales (30 cyclones ont été enregistrés en Nouvelle-Calédonie entre 1975 et 2014 (Météo France) qui touchent le territoire (voir Read et al. 2011). Les cyclones ont une forte influence sur la structure des forêts qui persiste pendant des décennies ou plus (Boose et al. 2001 ; Lugo 2008 ; Yao et al. 2015). Les effets des cyclones tropicaux sont multiples, allant de la défoliation partielle ou complète, aux branches cassées jusqu'au déracinement ou à l'arrachage des arbres (Elmqvist et al. 1994 ; Franklin et al. 2004 ; Turton et Siegenthaler 2004). Des cyclones sévères peuvent aussi entraîner des taux de mortalité très élevés (Franklin et al. 2004 ; Pascarella et al. 2004). Pourtant, la capacité de résilience des forêts leur permet de se remettre généralement rapidement de telles perturbations (Kerr 2000 ; Pascarella et al. 2004). Les dommages et la mortalité causés par les cyclones sont généralement non aléatoires. Les grands arbres sont plus vulnérables (Walker 1991 ; Basnet et al. 1992 ; Herbert et al. 1999). De plus, bien que

la productivité primaire si la reprise de la croissance est longue et si les épisodes de défoliation sont fréquents, et par conséquent la croissance des arbres et l'accumulation de la biomasse (Wang et Hall 2004 ; Ito 2010). Ainsi les cyclones tropicaux fréquents peuvent modifier la structure des forêts, comme cela a été montré pour les forêts tropicales des Caraïbes et du Pacifique : les forêts sont caractérisées par des peuplements très denses et des hauteurs de canopée nettement plus basses par comparaison aux forêts qui ne sont pas soumises à ces perturbations (e.g. Basnet et al. 1992 ; de Gouvenain et Silander 2003 ; Lugo 2008 ; McEwan et al. 2011 ; Chi et al. 2015).

La diversité structurale observée entre les forêts denses humides insulaires et continentales peut également s'expliquer par les régimes de vents moyens. Les régions tropicales montrent entre elles de fortes différences de vitesses des vents moyennes. Les régions tropicales continentales sont en général caractérisées par des vitesses de vent annuelles moyennes plus faibles (comprises entre 1 et 3 m/s) par comparaison à certaines régions tropicales, notamment le nord de l'Australie, la Mélanésie et les Caraïbes orientales, qui sont soumises à des vitesses de vent annuelles nettement plus élevées, pouvant dépasser 6 m/s (Yin 2000 ; New et al. 2002). Il a également été montré que la vitesse des vents était plus élevée sur les côtes (Yin 2000 ; New et al. 2002), ce qui accroîtrait l'exposition des forêts denses humides aux vents sur les îles de petites tailles. Enfin la spécificité de la structure des forêts denses humides situées sur des îles montagneuses, comme la Nouvelle-Calédonie, pourrait être expliquée par un effet indirect de l'altitude via la variabilité de l'intensité des vents en fonction de la topographie. Il a en effet été montré que la vitesse du vent augmenterait avec l'altitude (Lawton 1982 ; Friend et Woodward 1990 ; Arya 1998), bien que les données climatologiques ne confirmeraient pas le modèle d'augmentation de la vitesse du vent avec l'altitude (Körner 2007).

Les conditions de vent moyen, la fréquence et l'intensité des cyclones ont des impacts sur la structure et la dynamique des forêts (Thomas et al. 2015) en influençant l'évolution des caractéristiques physiologiques et morphologiques des arbres tropicaux. Les perturbations biomécaniques induites par l'action des vents entrainent une diminution de l'extension en hauteur des arbres (Telewski 1995 ; Meng et al. 2006), la formation de bois de flexion (Telewski 1995), la réduction de la conductivité hydraulique des tiges (Liu et al. 2003) voire la modification de la morphologie des feuilles (Niklas 1996). Des vitesses de vent élevées, au-dessus de la canopée, ont

également un impact important sur les relations allométriques diamètre-hauteur (DBH-H), avec un ralentissement, voire un arrêt de la croissance en hauteur des grands arbres (Thomas 1996, Thomas et al. 2015 ; Poorter et al. 2006). De plus, la diminution de la hauteur des arbres et de l'aire de leur couronne entraîne une augmentation de la pénétration de la lumière sous la canopée, favorisant la productivité primaire des arbres de sous-canopée et réduisant la compétition " size-asymmetric " (sensu Weiner 1990, les plus grands arbres exploitent de façon disproportionnée de plus grandes quantités de ressources au dépend des individus plus petits), ce qui expliquerait la densité de tiges élevée observée dans les forêts denses humides insulaires.