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CHAPITRE 3 : L'HÉTÉROGÉNÉITÉ STRUCTURALE DES FORÊTS DENSES HUMIDES

3.1 Introduction

Les forêts tropicales sont d'énormes réservoirs de carbone terrestre, elles contribuent à 55 % des stocks de carbone terrestre (Pan et al. 2011). La compréhension de la structure de ces forêts s'avère essentielle pour estimer avec précision la biomasse forestière (Shugart et al. 2010 ; Asner et al. 2013 ; Wright 2013 ; Berenguer et al. 2014).

Les forêts tropicales sont des écosystèmes complexes caractérisés par une diversité importante des assemblages d'espèces, des structures de couronnes et des distributions de classes de taille (Clark et al. 2001 ; Asner et al. 2002 ; Rubin et al. 2006 ; Broadbent et al. 2008 ; Palace et al. 2015 ; Farrior et al. 2016). Les forêts tropicales ont été considérées comme les forêts les plus structurées (Whitmore 1990 ; Richards 1996). Les composantes structurelles de la forêt comprennent la géométrie de la

canopée et l'architecture des arbres, la répartition des tailles des arbres et la diversité des espèces (Spies, 1998). Ces propriétés structurales des forêts sont étroitement liées au fonctionnement de l'écosystème (Spies 1998 ; Clark et al. 2001 ; Frolking et al. 2009). Les processus dynamiques de croissance et de perturbation se reflètent dans les composantes structurelles des forêts, telles que les distributions de tailles de diamètre des troncs d'arbres et les profils de canopée, définis comme la répartition verticale du feuillage (Tansley, 1935 ; Shugart et al. 1980 ; Rice et al. 2004 ; Unger et al. 2013). La complexité structurelle des forêts rend difficile la surveillance, la compréhension et la prévision de la dynamique du carbone (Frolking et al. 2009).

À l'échelle mondiale, les forêts tropicales montrent des différences biogéographiques prononcées dans leur structure, leur fonction et leur dynamique. Des études comparatives ont suggéré que ces différences sont principalement liées aux températures, aux régimes de précipitations et à la fertilité des sols. Par exemple, aux échelles pantropicales et régionales le coefficient de variation annuel des précipitations, la durée de la saison sèche et la température moyenne annuelle de l'air sont les principaux facteurs qui expliquent la variation de la hauteur des arbres (Feldpausch et al. 2011). La longueur de la saison sèche et les différences dans la fertilité des sols ont souvent constitué la base des systèmes de classification des types de forêts tropicales (Holdridge 1971 ; Blasco et al. 2000). En plus de ces facteurs explicatifs " classiques ", les régimes de vents influencent également à large échelle la structure et la dynamique des forêts tropicales, par exemple la densité de tiges et la hauteur des arbres de la canopée (de Gouvenain et Silander 2003 ; Thomas et al. 2015). Or les régions tropicales sont soumises à des vitesses de vent annuelles moyennes différentes, notamment entre les régions continentales et insulaires (Yin 2000 ; New et al. 2002). De plus, les effets d'évènements climatiques extrêmes tels que les cyclones tropicaux ont une forte influence sur la structure des forêts (Boose et al. 2001 ; Lugo 2008 ; Yao et al. 2015), pouvant aller de la défoliation partielle des couronnes des arbres à l'arrachage des arbres (e.g. Elmqvist et al. 1994 ; Franklin et al. 2004).

A l'échelle du paysage, la structure et la dynamique des forêts tropicales varie avec les propriétés du sol (Laurance et al. 1999 ; de Castilho et al. 2006), le climat (Saatchi et al. 2007 ; Clark et al. 2015), la topographie (Bellingham et Tanner 2000 ; Budke et al. 2007), les régimes de perturbation (Chazdon et al. 2007 ; Lugo et al. 2008), les stades de développement et la succession des

forêts (Saldarriaga et al. 1988 ; Frelich 2016) ou encore les impacts anthropiques (Laurance et al. 1997 ; Wright 2005). L'évaluation de l'influence des variables environnementales sur la dynamique et la structure des forêts tropicales est complexe car elle peut être occultée ou complexifiée par les successions forestières faisant suite aux perturbations passées (Lawrence 2005 ; Chave et al. 2008). Une jeune forêt tropicale humide de plaine (e.g. Richards 1996), aura par exemple les mêmes caractéristiques structurales, c'est-à-dire une forte densité de petites tiges et une canopée basse, qu'une forêt tropicale humide de très haute altitude (e.g. Clark et al. 2015), pourtant les conditions environnementales (notamment les régimes de précipitation et de température) qui les caractérisent sont différentes. C'est la définition du stade de succession, c'est-à-dire la composition floristique (des espèces de début de succession aux espèces de fin de succession) qui permet de définir si le modèle structural observé est lié au stade de développement du peuplement ou aux conditions environnementales (Frelich 2016).

Jusqu'à présent, il y a eu nettement moins d'études écologiques quantitatives des forêts tropicales insulaires que des forêts continentales. Pourant ces forêts regroupent plusieurs " hotspots " de la biodiversité et de nombreuses espèces endémiques, notamment dans la région tropicale du Pacifique Sud, et sont des sites clefs pour l'étude de l'impact des changements climatiques (Myers et al. 2000, Taylor et Kumar 2016). Des divergences sont attendues dans les modèles de richesse spécifique et de structure des forêts tropicales entre les îles océaniques et les régions continentales (Carlquist 1974 ; Shimizu et Tabata 1991 ; Strasberg 1996). Dans la région tropicale du Pacifique Sud, la plupart des études sur les forêts se sont concentrées sur la flore, tandis qu’en comparaison peu d'entre elles se sont intéressées à la structure (voir Webb et al. 2006 ; Keppel et al. 2010 ; Ibanez et al. 2014). La structure des forêts tropicales est généralement étudiée à partir de réseaux de parcelles permanentes, qui constituent incontestablement la façon la plus efficace pour évaluer les attributs structuraux (par exemple la densité des tiges, l'aire basale, la hauteur de la canopée). Ces réseaux de parcelles ont fait l'objet d'un intérêt croissant à travers les tropiques : en Amérique du Sud (Malhi et al. 2002 ; Guitet et al. 2015), en Afrique (Picard et al. 2010 ; Bastin et al. 2015), en Inde (Davidar et al. 2008), ou en Indonésie (Aiba et Kitayama 1999 ; Potts et al. 2002 ; Hadi et al. 2009). Ils offrent de

et la dynamique spatio-temporelle des forêts tropicales (Bakker et al. 1996) et fournissent des données essentielles pour évaluer et comparer les patrons structuraux à grande échelle (e.g. Peacock et al. 2007 ; Saatchi et al. 2011 ; Banin et al. 2012 ; Slik et al. 2013). Cependant peu de réseaux de parcelles permanentes ont été mis en place dans la région du Pacifique Sud (Webb et al. 2006 ; Keppel et al. 2010 ; Ibanez et al. 2014).

Les forêts denses humides de la Nouvelle-Calédonie ont principalement été étudiées par le biais de leur composition floristique, en raison de la singularité qui les caractérise (Morat et al. 2012 ; Kier et al. 2009). Ainsi la plupart des travaux menés sur la diversité de ces forêts se basent sur la conjugaison des paramètres floristiques et des variables environnementales (Virot 1951 ; 1956 ; Schmid 1979 ; Hoff 1983 ; Jaffré 1993). Or des travaux de synthèses plus récents suggèrent cependant que le caractère exceptionnel de la richesse floristique des forêts néo-calédoniennes est lié à la diversité inter-sites des espèces (diversité β) (Ibanez et al. 2014 ; Birnbaum et al. 2015). La richesse floristique de ces forêts serait davantage inscrite dans l'hétérogénéité à l'échelle de l’île que dans la diversité locale (diversité α). De plus, ces travaux ont également montrés que la composition et la richesse des forêts denses humides semblent moins dictées par les conditions environnementales qu’attendu. Ainsi il est difficile d'effectuer des regroupements typologiques des forêts denses humides néo-calédoniennes reposant uniquement sur les relations entre la composition floristique et l'environnement.

Peu de travaux se sont intéressés à la structure des forêts denses humides en Nouvelle-Calédonie, pourtant ils sont plus stables et fréquemment employés pour la description et l'étude de la dynamique des peuplements des forêts tropicales (e.g. Montgomery et Chazdon 2001 ; West 2009). Une définition de ces forêts basée sur des paramètres structuraux et floristiques a été proposée par Jaffré et Veillon (1991 et 1995). Cependant leurs résultats s'appuyaient sur des zones d'étude spatialement restreintes et souffraient d'un manque de données quantitatives et standardisées.

Le réseau de parcelles permanentes (NC-PIPPN) permet d’investiguer la relation entre les paramètres structuraux et les variables environnementales. Une synthèse à grande échelle de la diversité structurale et floristique a été publiée récemment à partir des 201 parcelles de 0,04 ha (Ibanez et al. 2014). Si la densité de tiges croit légèrement avec l’altitude et la pluviométrie, la petite taille de

ces parcelles (20 m x 20 m) constitue le verrou majeur pour identifier des relations robustes entre la structure de ces forêts et l’environnement (voir Grytnes et Felde 2014, Ibanez et al. 2016a). Pour pallier cette faille , nous présentons ici une nouvelle analyse basée cette fois sur les 23 parcelles d’1 ha récemment mises en place dans le cadre du réseau NC-PIPPN (Tableau 2.3). Les objectifs sont premièrement de définir les caractéristiques structurales des forêts denses humides de la Nouvelle-Calédonie, deuxièmement de comprendre les facteurs explicatifs de leur diversité structurale et troisièmement de positionner les forêts denses humides néo-calédoniennes dans un contexte mondial sur la base de leurs caractéristiques structurales. Ce travail permettra d'améliorer la définition des sous-unités structurales au sein des massifs forestiers de la Province Nord et participera à l'élaboration d'une nouvelle typologie des grands habitats forestiers calédoniens.