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La variabilité structurale des forêts denses humides néo-calédoniennes

CHAPITRE 3 : L'HÉTÉROGÉNÉITÉ STRUCTURALE DES FORÊTS DENSES HUMIDES

3.4 Discussion

3.4.3 La variabilité structurale des forêts denses humides néo-calédoniennes

Une importante diversité structurale caractérise les forêts denses humides de Nouvelle-Calédonie à l'échelle de la Province Nord. Nos résultats montrent que la pluviométrie et l'altitude, influencent la variabilité structurale de ces forêts. Contrairement au gradient de température, il n'existe pas de règles générales sur les tendances altitudinales des précipitations, les gradients pluviométriques pouvant aller dans toutes les directions (Körner 2007). Dans certaines régions, les précipitations augmentent ou diminuent le long du gradient altitudinal, tandis que dans d'autres le pic des précipitations est atteint à moyenne altitude (e.g. Luo et al. 2005 ; Clark et al. 2015). Cependant la plupart des études qui s'intéressent à la variabilité structurale des forêts le long d'un gradient altitudinal sont réalisées sur un versant d'un massif montagneux et postulent que la pluviométrie est corrélée à l'altitude (e.g. Lieberman et al. 1996 ; Luo et al. 2004). Les peuplements forestiers étudiés ici sont répartis sur plusieurs massifs, distribués de chaque côté de la chaîne centrale ; ainsi, deux gradients pluviométriques se superposent. Les précipitations augmentent globalement avec l'altitude mais aussi d’est en ouest : de la côte est (au vent) exposée aux Alizés, vers la côte ouest (sous le vent). La chaine centrale induit en effet un important effet de Foehn (Brinkmann 1971) qui engendre des précipitations plus élevées sur la côte est que sur la côte ouest (METEO-France 2007). Des phénomènes similaires ont été décrits à Mauna Loa (Hawaï) où les précipitations sont influencées par le vent dominant du nord-est et ne sont pas corrélées linéairement avec l’altitude (Vitousek et al. 1990 ; Raich et al. 1997).

3.4.3.1 Influence des précipitations sur la variabilité structurale

Les précipitations influencent clairement la structure des forêts denses humides de Nouvelle-Calédonie. Le DBH quadratique moyen, la hauteur moyenne de la canopée et la biomasse aérienne tendent à diminuer avec l’augmentation des précipitations annuelles moyennes. De telles relations ont déjà été décrites dans les forêts d'Afrique Centrale les plus humides, où une diminution de la hauteur des arbres, des diamètres et de la biomasse a été enregistrée avec l'augmentation des précipitations (Longman et Jenik 1987 ; Richards 1996), ainsi qu’en Amazonie, où les forêts de la région nord-ouest (la plus humide) présentaient distinctement une plus faible proportion de gros arbres (Saatchi et al. 2009). Des tendances inverses ont également été observées ; il a été montré que la densité, l'aire basale et la biomasse aérienne des forêts étaient positivement corrélées aux précipitations à Bornéo (Slik et al. 2010) et dans la région néotropicale (Poorter et al. 2016). L’hypothèse la plus probable pour expliquer la diminution des hauteurs d’arbres avec l'augmentation de la pluviométrie en Nouvelle-Calédonie serait liée à la diminution de la fertilité des sols. Le taux de minéralisation et la présence de certains nutriments (PO4-P, Ca, Mg, et K) diminueraient avec les précipitations car elles engendreraient une augmentation du lessivage des sols (Austin et Vitousek 1998 ; Schuur et Matson 2001 ; Brenes-Arguedas et al. 2008), accentuée par le paysage montagneux néo-calédonien. En effet la baisse de fertilité des sols, résultat du lessivage, aurait pour conséquence une diminution de la biomasse aérienne des arbres au profit d'un investissement dans le développement des parties souterraines, afin d’optimiser la prospection et le captage des nutriments (Leuschner et al. 2007 ; Girardin et al. 2014).

La densité de tiges et plus particulièrement la densité des petites tiges (DBH ≤ 20 cm) augmente le long du gradient de pluviométrie, comme montré dans la littérature (e.g. Givnish 1999 ; ter Steege et al. 2003 ; Slik et al. 2010). Cette augmentation est probablement liée à un effet indirect de la diminution de la hauteur de la canopée, observée le long du gradient de pluviométrie. Nous avons montré que la stratification verticale des peuplements était plus homogène (moins étagée, majorité des tiges présentes dans la strate de canopée) dans les peuplements caractérisés par les hauteurs de canopée les plus basses. Cette relation peut être en partie expliquée par le seuil de DBH choisi (≥ 10

cm), qui ne permet pas de prendre en compte la totalité des tiges présentes dans la strate de sous-bois dont la plupart ont des DBH < 10 cm. D'après la relation allométrique établie entre le DBH, l'aire de la couronne et la hauteur d'un arbre (Antin et al. 2013 ; Blanchard et al. 2016), un peuplement caractérisé par une canopée basse devrait également être caractérisé par des arbres avec de petits DBH et des aires de couronnes peu étendues. Dans cette configuration, la disponibilité de la lumière augmente dans le sous-bois grâce à une pénétration de la lumière diffuse globale à travers de nombreuses petites ouvertures réparties uniformément dans la canopée (Clark et Clark 1996, Kabakoff et Chazdon 1996 ; Montgomery et Chazdon 2001). Cela se traduit dans la sous-canopée par une densification des petites tiges (Nicotra et al. 1999).

De plus, le nombre de tiges mortes, corrélé à la densité des petites tiges, est également corrélé à la pluviométrie. Ainsi un autre facteur explicatif de l'augmentation de la densité de tiges le long du gradient de pluviométrie pourrait être l'augmentation du nombre de trouées, créées par la chute des arbres de canopée ou des émergents (Brokaw 1982, Connell et al. 1997), la mortalité touchant majoritairement les grosses tiges dans les parcelles d’1 ha. En effet, l'augmentation des précipitations annuelles peut diminuer la résistance mécanique des sols du fait de l'augmentation de leur érosion et de la diminution de la profondeur de la zone d'enracinement (Schliemann et Bockheim 2011). Ces grandes ouvertures dans la canopée, qui induisent une augmentation de l'intensité lumineuse dans le plan vertical et dans le plan horizontal, sur de grandes distances (Clark et Clark 1996, Nicotra et al. 1999), pourraient également être à l'origine de l'augmentation de la densité de petites tiges (Denslow 1995 ; Hubbell et al. 1999).

3.4.3.2 Influence de l'altitude sur la variabilité structurale

L'altitude a très peu d'influence sur la variabilité structurale des forêts denses humides néo-calédoniennes. La hauteur moyenne de la canopée n’est pas influencée par l’altitude, contrairement à la diminution de la hauteur des arbres habituellement observée lorsque l'altitude augmente (Aiba et Kitayama 1999 ; Lovett et al. 2006 ; Culmsee et al. 2010 ; Girardin et al. 2014 ; Clark et al. 2015). De plus, la variabilité inter-parcelles de la densité de tiges par hectare est très peu expliquée par l'altitude,

altitudinal (Givnish 1999 ; Takyu et al. 2005 ; Lovett et al. 2006, Slik et al. 2010). En effet, bien que la densité maximale de tiges ait été observée sur la parcelle la plus haute (l'Aoupinié, 890 m), elle varie entre 804 tiges/ha (Gohapin) et 1319 tiges/ha (Tiwaé) à faible altitude (250-270 m), et entre 904 tiges/ha (Forêt Plate) et 1398 tiges/ha (La Guen) à moyenne altitude (512-575 m). A la différence des études précédemment citées, réalisées sur de grandes gammes d’altitudes, le gradient altitudinal étudié ici n'est pas aussi étendu (250-890 m), ce qui pourrait expliquer l'absence de corrélation entre l'altitude et la hauteur de la canopée, et la faible corrélation avec la densité de tiges. Il est tout de même intéressant de souligner que la faible hauteur de canopée et la densité de tiges très élevée qui caractérisent la parcelle de l'Aoupinié, pourraient être la conséquence de l'influence de températures plus basses à 890 m.

En revanche, l'aire basale augmente le long du gradient d'altitude en Nouvelle-Calédonie. Cependant, la relation entre l'aire basale et l'altitude est variable selon les sites étudiés dans le monde. Elle augmente sur le volcan Barva au Costa Rica (Clark et al. 2015 ; Lieberman et al. 1996 ; Kitayama 1992), diminue sur les Andes équatoriales (Unger et al. 2012), ou encore ne présente aucune tendance sur d'autres versants des Andes (Giradin et al. 2014). Dans notre site d'étude, l'augmentation de l'aire basale observée le long du gradient altitudinal serait alors davantage liée au gradient de précipitations est-ouest qu’à l'altitude. En effet, l'aire basale, qui est corrélée au nombre de grosses tiges, est plus élevée sur les parcelles caractérisées par une forte proportion de gros arbres, qui sont localisées sur la côte ouest (moins pluvieuse) et elle est plus faible sur les parcelles caractérisées par une faible proportion de gros arbres et qui sont localisées sur la côte est (plus pluvieuse). Néanmoins, deux parcelles ne suivent pas ce schéma : la parcelle de Gohapin qui est caractérisée par une densité importante de grosses tiges et une aire basale faible et la parcelle de l'Aoupinié qui est caractérisée par une densité faible de grosse tiges et une aire basale élevée. La densité de tiges pourrait expliquer ces deux exceptions. La parcelle de forêt de Gohapin présentant la plus faible densité de tiges (804 tiges), et la parcelle de l'Aoupinié la plus forte (1614 tiges). La parcelle de l'Aoupinié présente les caractéristiques structurales d'une forêt d'altitude, avec une canopée basse, une aire basale élevée et une densité de tiges très élevée.