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Précisions sur les littératures de science de la science présentées

Sommaire du chapitre

Encadré 1: Précisions sur les littératures de science de la science présentées

Pour la suite de cette revue, nous privilégierons une approche par thématiques, ne faisant pas de distinction entre ces différentes disciplines. Nous parlerons de l’ensemble de cette littérature sur la science sous les termes de « science de la science » ou de science studies.

Si nous ne précisons pas le contraire, c’est que la littérature présentée concerne les sciences en général ou spécifiquement les sciences dures. Notre approche de la littérature étant qualitative, il ne nous parait pas nécessaire de recourir aux typologies standardisées servant à l’analyse statistique du secteur (OCDE, 2002).

3.1.1. La science autonome

Nous présenterons ici tout d’abord (a) le postulat qui justifie cette sous-section, puis (b) les liens entre ce postulat et la gouvernance de la recherche.

a. L’autonomie de champ comme postulat

Le premier postulat qui traverse la littérature de la science de la science est que le

champ scientifique doit nécessairement être autonome pour permettre une production scientifique et technique de qualité.

Ce premier postulat est nourri tant par l’histoire des sciences que par la sociologie des sciences. De nombreux travaux étudient directement ou indirectement le lien entre science et société (par exemple Merton, 1973 ; Cole, 1992 ; Collins et Pinch, 1994 ; Malissard, Gingras, et Gemme, 2003 ; Nowotny, Scott, et Gibbons, 2003 ; Godbout, 2004 ; Bauchspies, 2006 ; Vinck, 2007 ; Shapin, 2008a ; Shapin, 2008b ; Hackett, 2008 ; Cornwell, 2008 ; Guyon, 2012 ; Jouvenet, 2011). En effet, le système scientifique s’intègre dans le système social, politique et économique, et c’est un enjeu de la science de la science que de comprendre ou de proposer une forme optimale pour cette intégration. L’ensemble de la littérature converge alors vers ce consensus d’autonomie de la science, souvent de manière implicite, jusqu’à ce que cela devienne un postulat.

Nous considérons que cette affirmation n’est qu’un postulat car des éléments historiques peuvent le remettre en question : des champs scientifiques subornés au dernier degré ont quand même produit de la connaissance scientifique (Cornwell, 2008).

C’est aussi un postulat car il s’inscrit dans une perspective historique, d’une époque où la science était « pourvoyeuse de modernité » et où les scientifiques avaient en conséquence quasiment un pouvoir « pastoral » (Foucault, 2004). Cela n’est plus le cas aujourd’hui

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(Shapin, 2008b). Les années 1950 à 1970 étaient en effet ancrées dans un paradigme social de la modernité en marche (Bourdieu and Boltanski 2008 [1975]), et la science était le fondement de cette modernité (Shapin, 2008b). Cette position de « locomotive de l’époque » l’affranchissait de toute subordination à la société. Mais les temps ont changé et la modernité est maintenant considérée comme acquise : la science doit composer avec ce nouveau paradigme sociétal et se trouver une nouvelle place. On peut résumer cette évolution à l’affirmation de S. Shapin comme quoi « les scientifiques ne sont plus des prêtres » (Shapin, 2008b). En conséquence, les paradigmes actuels subordonnent davantage la science à la société (Hackett, 2008 ; Nowotny, Scott et Gibbons, 2003 ; Shapin, 2008b). Toutefois l’affirmation de la nécessité de l’autonomie du champ scientifique est encore présente dans les science studies et dans le monde scientifique.

b. La gouvernance de la recherche

Ce postulat initial de la littérature sur la science de la science s’exprime concrètement dans la problématique de la gouvernance de la recherche publique (Bauchspies, 2006 ; Vinck, 2007), et de la direction des laboratoires. Or cette gouvernance a profondément changé depuis le début des années 2000, en proposant comme nouveau paradigme que la recherche devait d’une part être performante et d’autre part avoir des débouchés économiques. Dit autrement, elle doit être « utile ». Ce nouveau paradigme s’exprime à travers de nouveaux modes de financement de la science (Collectif, 2011 ; Gaulejac, 2012 ; Guyon, 2012 ; Montlibert, 2004). La notion de financement par projet pour la science est maintenant centrale (Barrier, 2011 ; Guyon, 2012 ; Jouvenet, 2011 ; Malissard, Gingras et Gemme, 2003). Cette nouvelle gouvernance de la recherche publique française peut entrer en contradiction avec le postulat de l’autonomie du champ scientifique (Frances et Le Lay, 2012).

Par extension, la question de l’autonomie de la science et de la gouvernance de la recherche se répercute sur la direction des laboratoires. En effet, l’activité d’un laboratoire et l’ensemble des personnes de son équipe peuvent être placés sous la supervision d’un responsable dont le titre et les modes de nomination varient selon les institutions et les époques (Castagnos et Echevin, 1981 ; Louvel, 2011 ; Tapie, 2006). Ce responsable est de fait un manager de proximité, dans le cadre d’une activité d’expertise, tout particulièrement dans le cadre de l’évolution des contraintes et enjeux de l’activité en sciences dures (Louvel, 2011 ; Simoulin, 2012 ; Vinck, 2006). En conséquence, il aura un rôle important dans la gestion des effets de ces orientations de gouvernance : exigence « d’utilité et de performance » de la science, obligation de se financer sur projet, etc. (Hubert et Louvel, 2012). Toutefois, la place des managers de la science, en général directeurs de laboratoires ou directeurs de recherche,

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n’est souvent étudiée que par leur poids dans la production finale : la prédominance de leurs paradigmes scientifiques, de leurs réseaux, etc. (Bourdieu, 1975 ; Shinn, 1988). Cette question de leur rôle par rapport à ce premier postulat de la littérature n’est étudié ni directement ni indirectement.

Il est difficile d’évaluer l’adaptation de la recherche publique française à ce nouveau paradigme et à ce nouveau fonctionnement : à défaut de percevoir des résultats clairs en terme de productivité scientifique, on peut constater que le monde de la recherche dénonce le stress et les difficultés induits par ce nouveau paradigme (Durat et Brunet, 2014 ; Flot, 2014 ; Guyon, 2014a ; Thomine, 2014).

Toutefois, les critiques de cette gouvernance semblent parfois structurées autour d’un discours davantage politique plutôt que sur des démonstrations rigoureuses (Collectif, 2011 ; Gaulejac, 2012 ; Montlibert, 2004). A l’inverse, il existe aussi des travaux qui montrent que le système produit des effets positifs, comme la disparition des « mandarins », ces directeurs de laboratoire inamovibles et omnipotents, ou une valorisation du rôle réel des doctorants dans les laboratoires (Barrier, 2011). Plus largement, on constate que ces financements amènent à une recomposition de l’organisation des institutions de recherche, avec une recomposition des rapports de pouvoir et d’autonomie : globalement, une individualisation de la recherche, et des réflexions sur le moyen de maintenir des solidarités d’institution dans ce nouveau système (Hubert et Louvel, 2012 ; Louvel, 2007).

* * *

Dans le cadre de nos recherches sur le bien-être et le mal-être au travail, l’application de ce postulat entraîne une conception de la recherche publique comme d’un champ qui devrait être protégé de toute contingence économique ou politique. Cette perception, si elle est partagée par les personnes présentes dans des équipes de laboratoire, aura nécessairement une influence sur leur rapport au travail, en fonction notamment de si oui ou non leur laboratoire bénéficie d’une réelle autonomie de champ.

Les questions soulevées par extension sur la gouvernance de la recherche publique nous intéressent pour deux raisons : d’une part, c’est un élément important du contexte de notre objet ; d’autre part, cette gouvernance a surtout des conséquences pratiques sur le quotidien des scientifiques et sur leur rapport au travail (Harman, 2003), ce qui rejoint

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entièrement notre questionnement sur le mal-être et le bien-être au travail des métiers scientifiques.

Par ailleurs, l’ensemble de ces critiques et de ces questions concernant la gouvernance font de facto émerger un manque de littérature sur le niveau organisationnel. Les laboratoires s’inscrivent systématiquement dans une organisation plus large : université, centre de recherche, ou même entreprise. Cette organisation est nécessairement une partie prenante du fonctionnement du laboratoire, un acteur des enjeux qui le traversent. Cet aspect est pourtant absent des études, à l’exception de celles se concentrant sur une approche historique de ces mêmes institutions (auquel cas ce sont les dynamiques internes de chacun de leurs laboratoires qui sont peu approfondies) (Par exemple J.-F. Picard, 1990 ; Simoulin, 2012).

3.1.2. L’évaluation de la recherche

Nous allons présenter d’abord (a) le postulat qui justifie cette sous-section, puis (b) ses liens avec les valeurs du monde scientifique avant de conclure (c) par ses liens avec la gouvernance de la recherche.

a. L’évaluation par les pairs

Le second postulat qui traverse cette littérature est que la seule source valable de

légitimité de la science est l’évaluation par les pairs. En effet, la littérature aborde en détail

la question des mécaniques de création et de la légitimation de la connaissance par ses praticiens :

 Pourquoi un théorème, une donnée, va être accepté par la communauté scientifique et va se diffuser en son sein (Kuhn, 2008 ; Merton, 1973) ?

 Comment, et surtout pourquoi, des scientifiques vont être amenés à innover, à ouvrir de nouveaux champs de recherche ou à remettre en question des dogmes ou des paradigmes établis (Collins, 1992 ; Godbout, 2004 ; Kuhn, 2008) ?

 Ces enjeux systémiques de légitimation se retrouvent-ils au niveau local dans l’activité scientifique (Latour et Woolgar, 1996) ?

 Peut-on observer des différences dans ces mécanismes selon les disciplines (Doing, 2008 ; Knorr-Cetina, 1999 ; Kuhn, 2008 ; Sarin, 2012 ; Whitley, 2000) ?

Toutes ces questions convergent sur certaines réponses : la science se construit voir se négocie ; elle est cumulative, parfois itérative, et avance par évolutions et révolutions (rupture

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paradigmatique) ; et surtout, la seule source valable de légitimité de la science est l’évaluation par les pairs.

Le champ scientifique est aussi présenté comme conflictuel : les équipes et les chercheurs s’opposent dans une concurrence féroce (Kuhn 2008 (1962); Bourdieu 1975; 1976; Shinn 1988; Latour 2005). D’autres réflexions s’opposent à cette notion de conflit ou concurrence et préfèrent insister sur la collaboration et la coopération (Gargani, 2007 ; Godbout, 2004 ; Shrum, 2007 ; Vinck, 1991). Enfin, des travaux plus intermédiaires associent les deux points de vue, en positionnant le système scientifique comme un ensemble d’oppositions et de collaborations (Knorr-Cetina, 1999 ; Shapin, 2008a ; Whitley, 2000). Mais l’ensemble de ces débats sont d’accord sur le fait que concurrence, conflit ou collaboration trouvent leurs conclusions finales à travers la mécanique d’évaluation par les pairs.

b. Les valeurs de la science

Ce postulat est extrêmement présent, et se retrouve dans les réflexions sur les valeurs partagées par les personnes du monde scientifique. Deux largement citées et utilisées sont « l’éthos scientifique » et « les matrices disciplinaires ».

R.K. Merton, sociologue, parle en effet d’un « ethos de la science » présent dans le monde scientifique, partagé par tous ses membres et qui entraine son organisation et sa stabilité (Merton, 1973). On trouve aujourd’hui encore les normes de cet éthos dans les éléments concrets autour desquels se structurent l’organisation du système scientifique. Cette ethos est composé d’après R.K. Merton de quatre normes :

 Le « communalisme46 » : l’information et les résultats doivent librement circuler au sein de la communauté scientifique pour son bon fonctionnement (d’où l’importance de la publication scientifique).

 L’universalisme : l’évaluation des résultats n’est aucunement liée aux personnes qui les proposent (d’où les évaluations anonymes dans les systèmes modernes de revue par les pairs).

 Le scepticisme organisé : les résultats sont toujours soumis à un examen critique avant d’être acceptés, et peuvent être remis sans cesse en question par de nouveaux résultats contradictoires.

 Le désintéressement : le système de contrôle ne valorise que les résultats justes (par les trois normes précédentes).

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Ces valeurs sont toutefois tournées vers le fonctionnement du système scientifique global. Elles n’expliquent que peu le fonctionnement local et quotidien de l’activité scientifique.

L’historien des sciences T.S. Kuhn développe quant à lui le concept de « matrice disciplinaire » présente à tout moment dans la communauté scientifique mais rarement explicitée (Kuhn, 2008). Cette matrice regroupe tous les éléments qui structurent la production de savoir scientifique, donc tout ce que l’on peut regrouper sous le terme de « travail scientifique » :

 Les généralisations symboliques : ce sont des éléments acceptés par un groupe d’hommes de science sans difficulté ni discussion (formules de base, mécaniques bien connues, etc.).

 Les paradigmes ou « croyances métaphysiques » : l’adhésion collective à des convictions qui sont des interprétations intuitives de lois de la nature. Ces intuitions sont justifiées par des modèles ontologiques.

 Les méthodes ou exemples : c’est l’ensemble des solutions types partagées par la communauté, présent dans l’enseignement de la discipline pour accompagner les étudiants dans l’acquisition des autres éléments de la matrice.

 Les valeurs : des éléments dont la reconnaissance donne à tous les spécialistes d’un domaine le sentiment d’appartenir à un groupe.

Cette matrice disciplinaire varie par ailleurs d’une discipline scientifique à l’autre (chimie, physique, biologie…), et expliquerait non seulement nombre des particularités de l’organisation du système scientifique, mais aussi la plupart des choix d’organisation de l’activité quotidienne de laboratoire.

On notera que dans les deux cas, la question de l’éthique de la recherche n’est pas présente directement. Bien entendu, des travaux spécifiques existent sur l’éthique dans la science et posent la question de ce que la communauté scientifique peut considérer comme normal, tolérable ou inacceptable (par exemple Bertin et Bontems, 2008 ; Cornwell, 2008).

c. Gouvernance et évaluation

Les valeurs partagées par le monde scientifique et ce postulat de l’indispensabilité de l’évaluation par les pairs donnent naturellement une place centrale à l’évaluation de la recherche. La gouvernance de la recherche, notamment dans le nouveau paradigme que nous avons présenté, qui veut que la science soit efficace, productive et utile, est aussi confrontée à cette question de l’évaluation.

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Cette évaluation par les pairs se réalise à travers deux principales mécaniques : les publications à comité de lecture et les comités de sélection ou de recrutement. Dans les deux cas, l’évaluation « par les publications », c’est à dire le recours à la bibliométrie comme indicateur de la qualité des travaux d’un chercheur ou d’un laboratoire, s’est énormément développé (Gingras, 2014)47. Or, cette tendance est critiquée puisque pouvant parfois mener à des décisions visant non à produire de la « bonne » science, mais à monter dans les classements de publication (Gaulejac, 2012). Des initiatives critiquant le recours systématique et « aveugle » à la bibliométrie comme méthode d’évaluation voient d’ailleurs le jour dans le système scientifique (par exemple “Du Bon Usage de La Bibliométrie Pour L’évaluation Individuelle Des Chercheurs”, 2011 ; “San Francisco Declaration on Research Assessment”, 2012), et des recherches sur les effets pervers du système existent (Gingras, 2014). Malgré ces critiques et ces propositions, cette approche bibliométrique de l’évaluation est maintenant centrale dans les carrières (recrutements, promotions) et dans la direction des laboratoires (obtention de nouveaux financements sur projet).

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Ce postulat de la place centrale de l’évaluation par les pairs a de l’importance pour nos travaux de recherche pour deux raisons.

D’une part, nous avons vu qu’il était lié au système de valeurs du monde scientifique, donc a priori aux valeurs des personnes qui travaillent dans les laboratoires. Or, la littérature sur le bien-être et le mal-être que nous avons présentée met en avant l’importance des problématiques de valeurs de la personne ou du collectif dans le rapport au travail ; source d’engagement lorsqu’elles sont cohérentes avec l’activité, source de mal-être lorsqu’elles sont en conflit. De ce fait, comprendre les valeurs du monde scientifique (et notamment la place de l’évaluation par les pairs) est nécessaire pour étudier le bien-être et le mal-être au travail dans les laboratoires.

D’autre part, ces questions entraînent des enjeux de carrière ou de gestion des laboratoires. Ces éléments auront probablement des effets en termes de bien-être ou de mal- être au travail, que ce soit directement, ou à travers les choix d’organisation ou de gestion faits pour les laboratoires.

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3.1.3. L’arbre et la forêt : le chercheur et le laboratoire

Nous présenterons ici dans un premier temps (a) le postulat sur lequel est basé cette sous-section, puis dans un second temps (b) son lien avec les populations spécifiques que l’on peut trouver dans les laboratoires.

a. La recherche réduite au chercheur comme postulat

Le troisième postulat de la littérature de la science de la science et que la production

scientifique peut être réduite à l’individu chercheur. La science de la science aborde en

effet la plupart du temps les enjeux du système par le prisme d’un l’individu (Bourdieu, 1975 ; Crane, 1965, 1969 ; Shinn, 1988 ; Shrum, 2007), même si le laboratoire est parfois utilisé comme unité d’analyse (Dubois, 1999). Or la production de connaissance scientifique est une activité collective et complexe, dont le bon déroulement implique les efforts et la coordination d’équipes de recherche plus ou moins grandes (Latour et Woolgar, 1996), et c’est particulièrement vrai dès lors que de très grands instruments scientifiques entrent en jeu (télescopes, accélérateurs de particules, lasers, supercalculateurs…) (Simoulin, 2012).

De plus, ce n’est pas qu’une question d’épistémologie individualiste : la plupart de ces études se concentrent sur le métier de chercheur, laissant de côté de manière quasi- systématique celui de technicien de laboratoire, ou alors ne l’abordant que sous l’angle d’un pourvoyeur de données pour le chercheur (par exemple B. Latour et Woolgar, 1996). Certes, les chercheurs sont au centre de cette activité en tant que professionnels (Abbott, 1988 ; Goode, 1957), mais ils ne sont pas seuls : sans même parler du personnel administratif et de support nécessaire au fonctionnement d’un organisme de recherche, les équipes de laboratoires sont composées de personnes aux statuts multiples : chercheurs, ingénieurs, doctorants, post-doctorants, techniciens de laboratoire, stagiaires, etc. Une grande partie de la littérature laisse cette question de côté, y compris lorsque les techniciens représentent la majorité de l’effectif d’un laboratoire.

Or, les interactions sont une part importante du travail. On peut même supposer que comme tout système de travail organisé regroupant des personnes de plusieurs statuts aux attentes et contraintes différentes, un laboratoire est traversé par des tensions, luttes et enjeux de pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977 ; Jacob et Rouziès, 2014). C’est d’ailleurs ce que confirment des études portant sur le fonctionnement des universités (Durat et Brunet, 2014). Le corollaire de cette réduction des études sur le système à l’unité de l’individu, c’est que les études sur l’individu dans la science portent en général sur le système : l’individu n’est

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étudié quasiment que par l’étude de sa production ou de son intégration au contexte de la recherche (communauté, thématique, publications…) (Crane, 1965, 1969 ; Doing, 2008).

b. Populations spécifiques

Il nous semble pertinent de développer ou de revenir sur certaines populations spécifiques des laboratoires et sur les analyses qui ont pu être produites les concernant. En effet, ces études font apparaître davantage d’éléments en lien avec le bien-être ou le mal-être au travail. Comme nous l’avons déjà indiqué, les techniciens de laboratoire sont absents de la science de la science. Toutefois, d’autres typologies de population sont davantage étudiées : les doctorants, les chercheurs précaires (doctorants et post-doctorants essentiellement) ou les femmes.

Il existe des approches du champ scientifique par le genre. On constate une disparité numérique entre hommes et femmes dans ces métiers (Etzkowitz et al., 2008 ; Le Ru et Perrain, 2013). La place des femmes dans le champ scientifique est plutôt étudiée sous l’angle des écarts de carrière (Beaufaÿs et Krais, 2005 ; Etzkowitz et al., 2008 ; Latour, 2008 ; Pigeyre et Valette, 2004 ; Reskin, 1976). Les carrières des femmes ne sont pas statistiquement équivalentes à celles des hommes : le monde scientifique n’est pas épargné par le « plafond de verre ». Cela rejoint les études qui questionnent leur rapport à l’activité scientifique quotidienne, qui pointent la difficulté d’articulation d’une carrière de jeune chercheur(e) avec une vie de famille (Fusulier, 2012 ; Marry et Jonas, 2005). Or, comme dans de nombreux métiers, les moments clefs d’une carrière scientifique tendent à recouvrir la période où des parents vont avoir la responsabilité d’enfants en bas-âge. Ces difficulté liées au genre (carrière, articulation avec la vie personnelle) peuvent être liées aux questions de bien-être et de mal-être dans l’activité (Le Feuvre, 2013), et sont clairement présentes dans les métiers de la recherche (Monod, 2015).

Des travaux étudient les doctorants. L’investissement psychologique dans leur thèse peut être variable : par exemple un engagement complet paradoxalement associé à des incertitudes sur leur avenir, ou un engagement beaucoup plus pragmatique et presque instrumental (Lam et de Campos, 2014). On trouve aussi des études sur les rapports que les doctorants entretiennent entre eux (Wade-Benzoni, Rousseau et Li, 2006). D’autres travaux abordent de manière directe la fragilité inhérente à leur statut et ses conséquences importantes en terme de mal-être au travail (Collectif, 2011 ; Pourmir, 1998). Les doctorants sont présentés dans ces analyses comme dans une situation extrêmement tendue, soumis à la