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DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE

Section 1. Choix méthodologiques

Cette recherche utilisera une approche qualitative et inductive pour répondre à nos interrogations. Plus spécifiquement, nous avons choisi de procéder par une étude de cas

multiple enchâssés (Gombaut, 2005 ; Yin, 2013) basée essentiellement sur de

l’ethnométhodologie.

Même si elle est présentée dans cette section dans sa version finale, cette méthodologie s’est structurée progressivement dans une dynamique d’exploitation continue de nos données et d’adaptation de la méthodologie (Glaser et Strauss, 2009 ; Suddaby, 2006). Par rapport aux itérations que nous avons présentées ci-avant, la première structure de recueil de données était nourrie d’un travail préalable (un mémoire de recherche en sociologie du travail (Ottmann, 2011)), et elle a été modifiée et enrichie après l’analyse d’un terrain exploratoire.

Cette approche multi-cas enchâssés porte sur quatre laboratoires du CEA, partageant certains points communs et différents sur d’autres aspects, ainsi que sur les acteurs de leur structure hiérarchique.

Nous allons dans cette section expliquer les raisons qui nous amènent à choisir cette méthodologie dans ses quatre dimensions : (1.1.) une méthode qualitative et inductive, (1.2.) une étude de cas, (1.3.) une approche multi-niveaux et (1.4.) et enfin une démarche comparative.

Une démarche qualitative et inductive 1.1.

L’ancrage de ce travail dans une approche interprétativiste entraîne des obligations méthodologiques pour la production de connaissance « valide » (Djabi, 2014 ; Sandberg, 2005).

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Tableau 6 : Implications méthodologique d'une posture interprétative (selon Sandberg 2005) (Djabi 2014) Critères de validité de la

connaissance selon Sandberg (2005)

Implication méthodologique

Validité communicationnelle S’assurer que la connaissance

produite est partagée par une « communauté interprétative » afin

de vérifier la cohérence de nos interprétations

Recueil de données

- multiplier les points de vue

- dialoguer avec les participants sous la forme d’une conversation

- demander aux participants de préciser le sens de leurs propos

Analyse de données

- assurer une cohérence interprétative des données analysées entre elles en vérifiant que l’ensemble du matériau empirique correspond bien à l’interprétation que nous en faisons

- confirmer, challenger, corriger nos interprétations en dialoguant avec la communauté scientifique et avec les interlocuteurs du terrain de recherche

Validité pragmatique Réduire l’écart entre ce que les individus disent faire et ce qu’ils font

réellement

Recueil de données

- demander aux participants d’illustrer leurs discours par des exemples, des situations concrètes

- éventuellement, réaliser des observations - la manière la plus poussée de vérifier la validité

pragmatique des interprétations produites est de les vérifier en vivant l’expérience étudiée

Validité transgressive Prendre conscience de nos cadres implicites qui guident l’analyse du

matériau

Analyse de données

- analyser les contradictions, tensions dans le matériau empirique

- prendre conscience de nos biais interprétatifs en tant que chercheur

- analyser l’ensemble des données du matériau comme importantes

Notre méthode de recherche va donc être en premier lieu qualitative et inductive, dans la tradition de la méthode de la théorie enracinée proposée par la sociologie interactionniste américaine (Glaser et Strauss, 2009). Cette dimension qualitative, qui permet de répondre aux obligations méthodologiques induites par notre positionnement compréhensif et interprétativiste. Elle va permettre d’assurer les critères de validité communicationnelle et pragmatique. Elle se confronte toutefois à la difficulté de la compréhension des activités d’expertises par un observateur extérieur (Bisseret, Sebillotte et Falzon, 1997).

Pour contourner cette difficulté d’observation des activités d’expertises et pour garantir la validité communicationnelle, nous utiliserons des données qualitatives essentiellement recueillies lors d’entretiens de recherche semi-directifs (Romelaer, 2005) et d’observation participante (Beaud et Weber, 2003 ; Journé, 2012), qui dans les deux cas permettent un dialogue, de multiplier les points de vue et des demandes de précision.

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De même, pour la validité pragmatique, ces entretiens semi-directifs et cette observation participante permettra de demander aux participants des exemples, d’obtenir des exemples par des observations, et dans une certaine mesure de vivre l’expérience étudiée (même si notre participation était dans les fait relativement distante).

Par ailleurs, notre démarche de recherche est compréhensive. Elle est en conséquence nécessairement inductive, que ce soit dans le recueil des données ou leur analyse. Pour le recueil des données, cela s’est traduit par l’utilisation de grille d’entretien légères et peu directives, et des observations participantes inspirées de l’ethnométhodologie (Beaud et Weber, 2003) sans grille d’observation, exhaustives et non pré-codées.

Cette approche très ouverte est aussi un premier moyen d’éviter le risque de circularité au sens de H. Dumez (Dumez, 2013), c’est-à-dire le fait de ne trouver que ce qu’on l’on souhaiter trouver dans le cadre d’une méthode qualitative. En effet, des grilles d’entretien ou d’observation structurées auraient davantage leur place à notre sens dans des approches hypothético-déductives, et pourraient amener à « manquer » des éléments pourtant significatifs dans une démarche compréhensive. Cet outillage non-directif pour le recueil de données nous a permis une « attention flottante » (au sens de S. Freud cité par H. Dumez) évitant la circularité (Dumez, 2013).

Ces données qualitatives ont été plus précisément rassemblées dans une démarche d’étude de cas.

Une démarche par étude de cas 1.2.

Cette orientation méthodologique de démarche inductive et qualitative nous amène à inscrire notre recueil de données au sein une étude de cas (Gombaut, 2005 ; Yin, 2013). C’est effet une méthode de recherche qui permet la production de connaissance compréhensive et l’identification potentielle de séquences récurrentes permettant la proposition d’explications, et qui est en conséquence cohérente avec notre positionnement épistémologique (Hlady Rispal, 2002). Plus spécifiquement, nous nous positionnons du fait de notre épistémologie dans une « étude de cas intrinsèque » (David, 2003). Cette conception de l’étude de cas est notamment cohérente avec le fait que nous exploitons de nombreux modèles théoriques.

Par ailleurs l’étude de cas « est une enquête empirique qui examine un phénomène contemporain au sein de son contexte réel lorsque les frontières entre phénomène et contexte ne sont pas clairement évidentes » (trad. par Hlady Rispal, 2002 ; Yin, 2013). Notre revue de littérature a montré la faible définition des frontières du contexte du phénomène dans les problématiques du mal-être et du bien-être au travail : le bien-être et le mal-être sont liés aux

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caractéristiques intrinsèques du travail, mais aussi aux conditions dans lesquelles le travailleur opère, aux relations sociales avec les collègues et avec les acteurs externes (clients, usagers, etc.), aux relations de subordination et aux enjeux de pouvoirs, etc. Il n’est de fait pas possible de placer la frontière entre le phénomène et son contexte, ce qui justifie le recours à une étude de cas pour permettre une vision globale.

Une étude de cas est aussi l’occasion de cumuler plusieurs sources de matériaux différents (Yin, 2013), ce qui permet de répondre aux critères de validité pragmatique et communicationnelle mentionnés ci-avant (Sandberg, 2005).

Une démarche multi-niveaux 1.3.

Nos cas sont enchâssés, c’est-à-dire que nous étudierons plusieurs niveaux organisationnels pour chacun d’eux. Ce choix méthodologique est justifié par l’importance accordée à la littérature aux effets de structure ou d’organisation du travail sur l’état subjectif final des individus.

Cela rejoint la difficulté à définir la frontière entre phénomène et contexte que nous indiquions précédemment, puisque les contraintes et les mécanismes qui ont au final un effet sur le bien-être ou le mal-être des individus sont créés, modifiés, nuancés ou modérés par la structure d’une organisation : hiérarchie, technostructure, répartition du pouvoir et des capacités d’agir, etc. (Mintzberg, 2003 ; Reynaud et Reynaud, 1994). La manière dont le management se saisit des problématiques aura évidemment un effet, mais pour avoir une compréhension complète du phénomène il convient de savoir quelles étaient les contraintes qui pesaient par ailleurs sur le management (Detchessahar, 2011a ; Dujarier, 2006 ; Ottmann, 2014).

Nous avons donc pris en compte plusieurs niveaux de structure dans les cas que nous avons étudiés, afin de percevoir le mieux possible les dynamiques pouvant avoir un effet sur les phénomènes qui nous intéressent. Cette nécessité nous est nettement apparue suite à l’analyse de notre terrain exploratoire ; nous avons donc élargit notre collecte de donnée tel quel le recommandent les méthodes inductives issues de la théorie enracinée (Glaser et Strauss, 2009 ; Suddaby, 2006).

Une démarche comparative 1.4.

Une approche par cas multiples est de facto une méthode comparative. Les méthodes comparatives permettent lorsqu'elle est bien conduite une réflexivité tant du chercheur sur sa

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démarche que de l'objet et ont une importance pour faire émerger de nouveaux cadres (Remaud, Schaub et Thireau, 2012).

Or une démarche comparative implique pour être justifiée de pouvoir répondre de manière satisfaisante à trois questions : « pourquoi comparer ? », « est-ce comparable ? », et « comment comparer ? » (Sartori, 1994). On peut ajouter à ce questionnement initial l’étape ultérieure « comment écrire la comparaison ? », car le travail d’écriture comparative est consubstantiel au processus de raisonnement comparatif (Béal, 2012 ; Courtin et al., 2012).

Nous répondrons ici tout particulièrement aux deux premières questions, et nous reviendrons sur « comment comparer » et « comment écrire la comparaison » ultérieurement.

1.4.1. Pourquoi comparer ?

Cécile Vigour (Vigour, 2005) propose quatre objectifs possibles à une démarche de comparaison, associés à quatre logiques ou étapes d’enquête :

Tableau 7 : Objectifs d'une démarche comparative (Vigour 2005)

Objectif de comparaison Logique/étape d’enquête

Prendre de la distance Épistémologique

Mieux connaître Descriptive

Classer, ordonner Explicative

Généraliser Théorique

Nous considérons qu’une démarche comparative est particulièrement adaptée à notre sujet d’étude puisque les quatre objectifs et logiques associées de cette démarche convergent avec nos besoins méthodologiques :

 Objectif de distance / logique épistémologique : une démarche de comparaison peut permettre de mettre à distance un objet familier. Cet aspect est pertinent dans le cadre de nos travaux pour trois raisons. (i) Tout d’abord, nous ne nous situons pas dans une démarche totalement inductive puisque nous avons cherché à mieux saisir notre objet d’étude préalablement à notre terrain de recherche. Or, nous avons montré l’importance volumétrique des sciences studies et leur convergence conceptuelle. Cette densité et cette convergence a nécessairement orienté nos a priori concernant nos objets, ce qui peut nous amener à toutes les difficultés liées aux prénotions que l’on peut avoir sur son terrain (Durkheim, 2010 ; Weber, 1992). Une démarche comparative est donc un moyen de ne pas laisser ces prénotions influencer nos conclusions. (ii) Ensuite, nous avons aussi suggéré que dans une certaine mesure ces

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approches de sciences studies sont construites sur des justifications tautologiques de postulats initiaux. Une comparaison de plusieurs laboratoires pourrait ainsi nous permettre de mettre à jour ces postulats, et de voir dans quelle mesure ils sous-tendent effectivement l’organisation de laboratoires différents (Remaud, Schaub et Thireau, 2012). La démarche comparative est en ce cas un outil de déconstruction et de critique d’une partie de notre littérature, ce qui pourra permettre la mise en visibilité des dynamiques réelles de l’organisation du système scientifique qui ont un impact sur le bien-être ou le mal-être des équipes de recherche. (iii) Enfin, nous sommes nous- mêmes chercheurs, inscrit dans un champ académique de recherche publique. En cela, une démarche comparative nous permet une distanciation de notre objet dans son sens le plus premier (Beaud et Weber, 2003 ; Durkheim, 2010 ; Remaud, Schaub et Thireau, 2012).

 Objectif de connaissance / logique descriptive : dans notre cas, c’est la nature qualitative de cette démarche qui nous semble nécessaire par rapport à notre questionnement et qui répond à cet argument (Chanlat, 2005 ; Ottmann, 2014 ; Schonfeld et Farrell, 2010). En effet, une comparaison qualitative permet une analyse compréhensive et explicative du phénomène étudié, cohérente avec notre volonté de positionnement compréhensif et interprétativiste. Cette logique descriptive n’est pas une fin en soi mais un prérequis à la construction de la suite de notre travail.

 Objectif de classement / logique explicative : comme nous l’avons indiqué dans notre cadre conceptuel, nos travaux s’inscrivent dans une volonté compréhensive des phénomènes que nous observons. Plus précisément, nous supposons que le bien-être et le mal-être ont des causes ou des sources objectives, même si à cela s’ajoute une dimension subjective. En cela, l’objectif de classement que permet une démarche comparative est cohérente avec la connaissance recherchée, puisqu’elle nous permettra d’identifier ces sources ou ces causes de bien-être ou de mal-être, notamment dans le cas de patterns observables (Béal, 2012 ; Remaud, Schaub et Thireau, 2012 ; Vigour, 2005). De plus, cet objectif de classement est aussi une étape de transition entre la description et la compréhension : par l’émergence de séquences, de catégories, de typologies, de construits homogènes, il est possible de trouver du sens à des éléments a priori disparates, et de proposer des liens de causalité. De plus, notre questionnement est structuré autour d’une approche par facteurs de notre sujet, comme nous l’avons montré : facteurs d’engagement, ou de mal-être. Ce type de raisonnement

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va nécessairement passer par une démarche de classement de ces facteurs, de réduction à des typologies.

 Objectif de généralisation / logique théorique : enfin, lorsque des phénomènes sont montrés et regroupés en ensembles cohérents auxquels sont associés des propositions de causalité, une démarche comparative permet par la mise en avant de la présence ou l’absence des causes ou des conséquences supposées de ces phénomènes dans les différents cas étudiés de démontrer la pertinence des hypothèses proposées (Durkheim, 2010). Dans le meilleur des cas, cette possibilité pourra nous permettre d’élaborer une théorie générale à partir de notre démarche de comparaison, ce qui améliorera la transférabilité de nos conclusions.

La cohérence de ces quatre objectifs d’une démarche comparative avec nos questions de recherche, ainsi que celle de leur logique associée, confirme la pertinence d’un recours à une démarche comparative pour notre étude.

1.4.2. Est-ce comparable ?

Les science studies insiste sur les différences entre sciences et disciplines (Doing, 2008 ; Whitley, 2000), ce qui justifie à nos yeux la nécessite de comparer plusieurs laboratoires différents pour répondre à nos questions de recherche d’une manière satisfaisante, sous peine de risquer l’étude d’éléments certes intéressants d’un point de vue compréhensif, mais sans transférabilité. Cela nous amène à notre démarche d’étude de cas multiple, donc à une démarche comparative.

Mais les cas que nous souhaitons comparer sont-ils comparables ? Comme indiqué, nous allons comparer quatre laboratoires du CEA, que nous détaillerons ultérieurement.

A. Przeworski et H. Theune indique qu’il existe deux stratégies de comparaison explicites : celle de comparaison « de systèmes très similaires », et celle de comparaison « de systèmes très différents » (Przeworski et Teune, 1970).

Notre démarche s’inscrit au départ dans une comparaison de systèmes très similaires : les quatre cas que nous allons développer sont tous des laboratoires du CEA, donc des laboratoires publics de « sciences dures » d’un même organisme, dont nous connaissons a priori les différences structurelles, disciplinaires et organisationnelles. Nous présenterons ci- après plus en détails leurs différences. Nous considérons que ces variations sont représentatives de la diversité qui peut exister dans les laboratoires de sciences dures du domaine public. En cela, cette comparaison devrait produire des conclusions présentant une réelle transférabilité.

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Synthèse de la Section 1. Choix de méthodologie

Nous avons présenté dans cette section les éléments qui nous amènent à choisir une démarche par étude de cas enchâssés multiples pour recueillir les données empiriques dont nous avons besoin pour répondre à nos questions de recherche.

Ce recueil de données va être une étude de cas enchâssés multiples. Cette méthode répond à la fois aux contraintes imposées par une posture compréhensive et aux éléments apparus dans notre revue de littérature. Elle a connu des itérations suite à l’analyse de premiers recueils de données.

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