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DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE

Encadré 4 Chiffres clefs du CEA en

 10 centres de recherche

 Environ 16 000 salariés CDI

 Environ 1500 doctorants et 270 post-doctorants

 4,4 milliards d'euros de budget

 51 unités de recherche sous cotutelle (UMR)

 53 accords-cadres en vigueur avec les universités et écoles

 751 dépôts de brevets prioritaires

 27 Pôles de compétitivité

 115 start-up technologiques créées depuis 2000

 Plus de 500 partenaires industriels

Juridiquement, le CEA est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Il est donc de droit privé et non de droit public pour son fonctionnement : les personnes qui y travaillent sont salariées et non fonctionnaires.

Le CEA dépend pour sa gouvernance de tutelles ministérielles : les activités militaires sont pilotées (et financées) par le Ministère de la Défense, et les autres sont rattachées à plusieurs Ministères : portefeuilles de la Recherche, de l’Énergie et de l’Industrie.

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154 L’Administrateur Général du CEA65

et le Haut-Commissaire à l’Énergie Atomique66, les deux postes les plus élevés de l’organisme, sont nommés par décret du gouvernement.

2.1.2. Organisation67 a. Structure

Environ un quart de l’activité du CEA (en proportion de salariés) est tourné vers le nucléaire militaire68, un quart vers le nucléaire civil, un quart vers la recherche technologique, et le dernier quart vers les sciences de la matière et du vivant.

Ces activités sont organisées dans cinq pôles scientifiques (ou « Directions »)69 :

 Direction des Applications Militaires (DAM) (~25%)

 Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN, nucléaire dit « civil ») (~25%)

 Direction de la Recherche Technologique (DRT) (~25%)

 Direction des Sciences de la Matière (DSM) (~15%)

 Direction des Sciences du Vivant (DSV) (~10%)

Si l’on devait résumer, la DAM et la DEN ont un fonctionnement proche et une culture d’ingénieurs : lignes hiérarchiques lisibles, mandat de quatre ans pour les managers, fonctionnement en projet, etc. A l’inverse, la DSM et la DSV ont des fonctionnements et des cultures beaucoup plus proches de la recherche académique classique : une dissociation de la responsabilité managériale et scientifique, des « mandarins », etc. Enfin, la DRT a un fonctionnement et une culture plus proche du privé : financements majoritairement externes (80%), commercialisation de la recherche, recours significatif à des non-permanents, croissance continue depuis 2000, etc. Chaque pôle a dans tous les cas une culture marquée et des caractéristiques de fonctionnement ou d’organisation qui les distinguent les uns et des autres.

Ces cinq pôles scientifiques sont complétés par quatre pôles fonctionnels (« Ressources Humaines et Formation », « Maîtrise des Risques », « Stratégie et Relations Extérieures » et « Gestion et Systèmes d’Information ») et par des programmes scientifiques transverses.

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En septembre 2015, Daniel Verwaerde.

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En septembre 2015, Yves Bréchet.

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Les éléments présentés dans cette section sont issus des données institutionnelles et de notre expérience en tant que chargé de mission à la DRH centrale du CEA de 2009 à 2013.

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Pour des raisons évidentes de confidentialité, aucun aspect du CEA se rattachant aux applications militaires ne sera traité dans cette recherche. L’intégralité de ces activités est concentrée dans cinq des sites du CEA.

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L’organisation managériale du CEA est beaucoup plus marquée que dans d’autres organismes de recherche publique (université, CNRS…). Cela se traduit par une organisation pyramidale et matricielle : Administrateur Général et Haut-Commissaire à l’Énergie Atomique, Directeurs de pôles, Directeurs de centres, Directeurs d’instituts, Chefs de département, Chefs de service, Chefs de laboratoire (et non « directeurs de laboratoire », titre qu’on trouve au CNRS ou à l’Université), et enfin les personnels de laboratoire. Cette structure pyramidale de la hiérarchie est globalement présente dans tout l’organisme, même si selon les directions elle peut cacher quelques variations : les « instituts » sont un niveau hiérarchique bénéficiant d’une certaine autonomie. La majorité de la DEN et de la DAM n’en a pas, et est organisée en « départements » directement rattachés à des directions. Les instituts de la DRT on quatre niveaux hiérarchiques (laboratoire, service, département et institut) à l’exception d’un (qui n’a pas de niveau « service »). À certains endroits les laboratoires sont sous-divisés en « équipes », surtout à la DSM et la DSV. Globalement toutes les unités du CEA s’intègrent dans une structure à quatre niveaux : direction – institut/département – service – laboratoire.

Perpendiculairement à cette organisation hiérarchique, coexistent des fonctions administratives ou liées à la sécurité, dont l’organisation se fait au niveau des établissements. On trouve aussi des fonctionnements en mode projet, en général circonscrits au sein de chaque Pôle.

La filière sécurité se décline notamment avec des « animateurs sécurité » dans les unités, des « ingénieurs sécurité » et des « chefs d’installation » qui ont en charge les problématiques de sécurité du travail (certification, prévention, accidents, etc.). Dans certains pôles (notamment la DEN, DAM) le chef de service est automatiquement chef d’installation, ce qui facilite la lisibilité de l’organisation. Dans les autres pôles, c’est parfois deux personnes distinctes.

Les différents pôles du CEA délimitent des champs scientifiques très différents et des activités variées, et les centres ont une forte culture locale. Cette diversité d’activités combinée à une organisation managériale et matricielle entraîne une tendance au fonctionnement en silo. Par contre, grâce à la mobilité interne des salariés et notamment des managers (un mandat est de quatre ans), on n’y trouve moins de situation de « mandarinat » que dans d’autres organismes publics de recherche ou universités en France, c’est-à-dire des responsables inamovibles, seuls maîtres des orientations scientifiques de leur laboratoire, et privilégiant un recrutement « localiste ». C’est aussi parce que d’une manière générale, les chercheurs du CEA sont moins libres de l’orientation de leurs recherches que les autres

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acteurs de la recherche publique en France. Certains laboratoires ou chercheurs du CEA conservent une réelle liberté dans le choix de leurs sujets, mais globalement les axes de recherche sont des choix stratégiques négociés ou décidés « en haut de la pyramide » et imposés aux équipes.

b. Budget et financement

Le budget du CEA est de 4,3 milliards d’euros annuels. Il est abondé à environ 60% par les subventions ministérielles, le reste provient de financements externes : Agence Nationale pour la Recherche (ANR), Europe, fondations, partenariats internationaux, partenariats industriels, etc. Le modèle économique des différents pôles varie par ailleurs grandement par rapport à cette moyenne.

Par exemple, 80% du financement de la Direction de la Recherche Technologique (DRT) est obtenu à partir de contrats industriels, régionaux et européens, à la différence des autres pôles qui tirent majoritairement leurs ressources de la subvention publique. Cela implique un modèle de fonctionnement bien plus « commercial » que ne peut l’être la recherche académique, malgré une tendance allant en ce sens pour cette dernière aussi (Malissard, Gingras et Gemme, 2003).

A l’inverse, la Direction des Applications Militaires (DAM) dépend à plus de 80% de la subvention ministérielle, et de surcroit d’une subvention dissociée de celle du reste du CEA et votée en loi de programmation militaire.

En termes de financements externes, des disparités existent au-delà des différences quantitatives : les Directions des Sciences du Vivant et de la Matière (DSV et DSM) vont dépendre essentiellement de financements de projets de recherche (ANR, Europe, fondations, etc.) tandis que les Directions de la Recherche Technologique et de l’Énergie Nucléaire (DRT et DEN) obtiennent beaucoup de leurs financements de partenariats industriels. Toutefois, là encore ce dernier point a priori similaire camoufle des disparités : la DEN développe de gros projets transverses, souvent bipartites ou tripartites avec AREVA, l’ANDRA ou EDF ; la DRT construit des partenariats de toute taille, tant avec des PME qu’avec de grands groupes.

a. Démographie

Le CEA représente aujourd’hui environ 19000 salariés : 16000 CDI, 1500 doctorants et 300 post-doctorants, 500 CDD « classiques » et 800 collaborateurs divers (CDD de recherche, contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation, etc.). 70

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Cette composition pose parfois problème, puisque deux personnes parlant des effectifs CEA ou d’une unité du CEA peuvent ne pas donner le même chiffre : ils peuvent parler soit seulement des permanents, soit des

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L’organisme a dix centres en France de tailles variées (de 250 salariés CEA pour Gramat à plus de 6000 pour Saclay), complétés par des « antennes » plus petites (Paris, Chambéry, Caen, Toulouse, etc. ; de 10 à 300 personnes), qui accueillent en tout de l’ordre de 24000 personnes sur sites (salariés CEA, personnel des unités mixtes de recherche, invités, personnel des prestataires et sous-traitants, etc.).

Figure 13 : Centres du CEA (www.cea.fr)

La population des salariés du CEA est aux deux tiers masculine, et aux deux tiers composée de cadres (les « ingénieurs-chercheurs », statut spécifique au CEA regroupant les salariés de niveau bac+5 et ceux de niveau bac+7, se rattachent à ce statut).

Les trois quarts de l’effectif sont « opérationnels », c’est à dire rattachés à des activités de recherche, et le reste est composé des services de soutien-support (administratifs, techniques…), le « fonctionnel ».

La pyramide des âges est irrégulière, car comme la majorité des personnes fait carrière au long de l’organisme, elle est dépendante des grandes vagues de recrutement.

2.1.3. Spécificités de l’organisme

salariés CEA (non-permanents et permanents), soit des personnes (salariés CEA et personnes d’autres institutions des unités mixtes de recherche), etc.

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Nous avons déjà indiqué que le CEA est beaucoup plus managérial que d’autres organismes de recherche publique. En cela, l’autonomie scientifique des équipes de recherche du CEA peut être plus limitée que celle par exemple d’équipes universitaires. En effet, si certain de ses chercheurs ont une relative autonomie scientifique (choix des sujets d’étude, des plannings, etc.), ce n’est pas le cas pour nombre de ses équipes (programmes décidés par la hiérarchie ou participation à de grands projets tel que le CERN71).

L’organisation du CEA est différente des principales institutions de recherche publiques françaises (universités et CNRS) : le CEA a un fonctionnement beaucoup plus managérial que ce qu’on peut trouver dans le reste de la recherche publique française (Louvel, 2011 ; Picard, 1990). Ce fonctionnement managérial, hiérarchique, peut aller dans certaines des directions du CEA jusqu’à une structure plus proche de la R&D industrielle que des fonctionnements habituels de la recherche publique (Kornhauser, 1982).

Les « chefs de laboratoire » du CEA sont nommés par la structure hiérarchique de l’organisme et non par leurs pairs, et les missions qui leur sont confiées sont identiques à celles de managers de proximité d’autres secteurs : gestion des carrières, primes et augmentations de leurs collaborateurs, relais des décisions de la direction, gestion des conflits ou des difficultés individuelles dans l’équipe, etc. Les chefs de laboratoire du CEA sont en conséquence des experts scientifiques de leur domaine, comme des directeurs de laboratoire du CNRS, mais aussi chargés d’une véritable mission managériale avec des outils de gestion associés, comme des managers de l’industrie.

Néanmoins, cette organisation managériale ne fait pas pour autant du CEA une entreprise publique « de production » comme la SNCF ou EDF. Du point de vue de sa « production » (Latour, 1995 ; Latour et Woolgar, 1996), le CEA reste une organisation intégrée au champ de la recherche, puisqu’elle affiche chaque année plusieurs milliers de publications dans des revues à comité de lecture et des centaines de brevets (4 735 publications en 2012 et 794 brevets prioritaires en 2013 d’après le rapport annuel public du CEA72). En outre, l’organisme bénéficie d’importantes subventions publiques comme nous l’avons indiqué, et n’a aucunement l’objectif de profits.

Pertinence du terrain 2.2.

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Programme européen, un gigantesque accélérateur de particule installé près de Genève et le centre de recherche associé : http://home.web.cern.ch/fr

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Notre recherche porte sur le bien-être et le mal-être au travail dans les métiers scientifiques, et plus spécifiquement dans les laboratoires publics de « sciences dures ». En cela, le CEA correspond au périmètre que nous souhaitons étudier : son cœur de métier est les « sciences dures », et ses laboratoires accueillent environ 12 000 salariés permanents directement positionnés sur des activités opérationnelles (donc scientifiques ; les 4 000 autres permanents sont le « soutien-support »), plus les doctorants, post-doctorants, non-permanents et unités mixtes de recherche. Par ailleurs, il est pris dans les mêmes champs de contrainte que le reste du secteur de la recherche publique : place centrale de l’évaluation par les pairs, obligation de trouver des financements externes, etc. Le CEA est donc représentatif des contraintes externes qui peuvent peser sur toutes les équipes scientifiques du secteur public, et devrait en cela nous permettre de recueillir un matériau empirique apte à répondre à nos questions de recherche.

Toutefois, nous avons montré que le fonctionnement et l’organisation du CEA s’écartent des standards de la recherche publique. Ces différences n’empêchent pas son utilisation comme source de données empiriques pour nos travaux. En effet, nous ne souhaitons pas produire une connaissance dont nous pourrons affirmer qu’elle s’applique in extenso à tous les métiers de laboratoires, ou à toute la recherche publique, ou à toutes les sciences. Le bornage de notre sujet est justifié par notre volonté de confronter des théories globalisantes du bien-être et du mal-être au travail à une catégorie de métiers et d’activités pour lesquelles nous n’avons pas la certitude qu’elles s’appliquent de la même manière afin de mieux en percevoir les nuances ou limites.

La diversité des sciences, des champs, des métiers et des modèles économiques des laboratoires du CEA est telle que nous faisons le choix de nous concentrer sur une démarche d’étude interne à l’organisme, et non une comparaison avec d’autres laboratoires (CNRS, Université…). Nous supposons que les différences qu’il est possible de trouver entre les équipes de recherche de l’organisme sont déjà suffisamment importantes pour éclairer les théories du bien-être et du mal-être au travail à l’aune d’activités d’expertise et de professions intellectuelles. En effet, un jeune doctorant d’un petit laboratoire de recherche fondamentale en chimie, un technicien en fin de carrière d’un laboratoire d’instrumentation en physique, ou une ingénieure-chercheuse chef d’un laboratoire de recherche appliquée en informatique auront des différences, même s’ils travaillent tous au CEA.

Sur certains aspects, les différences du CEA avec le reste de la recherche publique française sont même un atout pour notre travail de recherche.

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Par exemple, le CEA semble un terrain d’étude particulièrement adapté au questionnement de la notion d’autonomie dans l’activité scientifique pour deux raisons : l’autonomie dans le champ scientifique des équipes du CEA est sensiblement inférieure à ce que la sociologie des sciences considère être la norme de la recherche publique ; le positionnement particulier des managers, à l’intersection de ce qu’on trouve normalement dans la recherche publique et de ce qui existe dans le secteur privé. Nous supposons que ces deux éléments vont mettre en place un cadre de contraintes et de ressources pour les équipes de laboratoire qui permettra de questionner la notion d’autonomie dans les professions intellectuelles et les métiers d’expertises et ses liens avec le bien-être et le mal-être au travail. Cela sera d’autant plus observable que les situations au sein de l’organisme quant à ces questions peuvent être extrêmement variées.

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Synthèse de la Section 2. Présentation du terrain

Le CEA est un organisme public de recherche en « sciences dures ». Il accueille dans ses équipes les activités et les profils que nous cherchons à étudier, ce qui permet d’en faire notre terrain de recherche.

Sa grande taille et son importante diversité en termes de disciplines, champs scientifiques, financements et même d’organisation, nous offre des variables de compréhension et d’observation aptes à éclairer nos interrogations, et justifiant de ne pas chercher à comparer les équipes du CEA avec celles d’autres organismes publics de recherche.

Enfin, certaines de ses particularités et notamment son fonctionnement beaucoup plus managérial que l’Université ou le CNRS, offrent à nos yeux des conditions privilégiées pour étudier « en négatif » les effets de l’organisation habituelle du système scientifique et des métiers afférents.

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Synthèse du Chapitre 3 – Cadre de la recherche

Nous avons présenté le cadre dans lequel s’inscrit cette recherche. Ces travaux financés par le CEA s’inscrivent dans la démarche de prévention des risques psychosociaux que l’organisme met en place depuis 2008. Cette démarche soulève des questions auxquelles cette recherche souhaite apporter des réponses.

Notre démarche compréhensive va se décliner dans trois questions de recherches et sept sous-questions, qui ont pour vocation de déconstruire le bien-être et le mal-être des équipes de laboratoire, d’en comprendre les sources, les composantes ou les dynamiques.

Pour répondre à ces questions, nous allons mener notre recherche sur des équipes du CEA. Cet organisme public de recherche accueille en effet de nombreuses équipes de recherche en sciences dures. Il présente de plus une grande hétérogénéité : ses sujets vont des sciences fondamentales à la recherche appliquée et ce dans de nombreuses disciplines ; certaines de ces équipes bénéficient d’une véritable liberté similaire au monde académique là où d’autres sont organisées comme de la R&D industrielle ; les modes de financements et modèles économiques de ses différentes branches sont variables, etc.

Nous pensons donc pouvoir trouver sur ce terrain une diversité de situations qui nourrira notre démarche compréhensive, et qui nous permettra de faire émerger des séquences identifiables répondant à nos questions de recherche.

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