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Le pouvoir de révocation et le pouvoir de nomination

Section 1/ Illustrations des compétences générales

Paragraphe 2 Le pouvoir de révocation et le pouvoir de nomination

165. A l‘instar de toute démocratie où le peuple désigne et révoque ses représentants,

l‘exercice de la souveraineté suppose au second degré de désigner les dirigeants sociaux et de corriger leurs actes. En vertu de ce pouvoir, seule l‘assemblée générale est apte à nommer et à révoquer les dirigeants si l‘organe de gestion ne fixe pas des orientations stratégiques conformes à la définition de l‘objet social. Ce pouvoir constitue l‘une des principales prérogatives politiques. Un auteur a même résumé la plénitude du pouvoir souverain dans cette capacité de nommer et de révoquer, parce qu‘« en définitive, pour posséder le droit de

gouverner une entreprise, il faut simplement pouvoir nommer et révoquer les administrateurs »457. Ce pouvoir, nous pourrions le résumer en une triple fonction : « administrer », « gouverner » et « agir ». Il convient tout d‘abord de présenter le pouvoir de nomination (I) et ensuite le pouvoir de révocation (II).

I/La nomination des mandataires sociaux

166. L‘assemblée générale nomme les membres du conseil d‘administration, mais l‘assemblée

ne nomme ni le président du conseil d‘administration ou de surveillance, ni les directeurs généraux, ni les membres du directoire. En pratique, ce pouvoir propre de l‘assemblée est

452 E. Gaillard, précité, pp. 73-78. 453 E. Gaillard, p. 62.

454 D. Eskinazi, thèse précitée, n°9. 455 D. Eskinazi, thèse précitée, n°10. 456 D. Eskinazi, thèse précitée, n°57 et s.

457 J. Paillusseau, ouvrage, précité., p. 127. L‘on remarque, à titre subsidiaire, que le mécanisme de désignation des

dirigeants sociaux peut être contrôlé de fait par le recours à des aménagements concernant la nomination des administrateurs au siège du conseil d‘administration. V° notamment sur ce point, P.G. Gourlay, Le conseil d‘administration, Organisation et fonctionnement, Sirey, 1971, spéc. p. 129.

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anéanti. Il est fréquent qu‘on observe, à l‘initiative de la direction en place, un rapprochement entre elle-même et le futur président. Ce dernier désigne ses collaborateurs avant même sa propre nomination. Lors de la tenue d‘une assemblée, il ne fait que présenter les nouveaux administrateurs aux actionnaires. Cette pratique se reproduit fréquemment dans les sociétés cotées458. C‘est pourquoi, l‘assemblée d‘actionnaires se trouve, dans la plupart des situations, obligée d‘accepter les propositions du conseil d‘administration, à moins que le conseil ne soit dominé par un actionnaire majoritaire459. En revanche, il arrive que l‘assemblée d‘actionnaires refuse les choix proposés. Dans ce sens, il a été jugé que si le conseil d‘administration a l‘obligation d‘inscrire à l‘ordre du jour de l‘assemblée un point relatif au remplacement d‘un administrateur dont le mandat est expiré, il n‘est pas tenu de proposer la réélection de l‘intéressé460. De même, l‘assemblée générale n‘est pas tenue de réélire un administrateur dont le mandat a expiré461.

167. Toutefois, la portée de ce principe d‘ordre public est relative. En effet, la nomination des

administrateurs peut s‘effectuer d‘une autre façon : il s‘agit de la cooptation autorisée par l‘article L225-24. Ainsi, en raison de la lourdeur que représente la réunion d‘une assemblée générale, le conseil d‘administration peut, en cas de démission ou de décès, procéder à la cooptation entre deux assemblées462. Il s‘agit d‘une nomination provisoire d‘un administrateur au poste vacant, à la condition que cette cooptation soit soumise à la ratification de la prochaine assemblée463.

168. Cette règle est judicieuse dans la mesure où la composition du conseil d‘administration,

en tant qu‘organe chargé du gouvernement des affaires sociales, doit être complète. Dès lors, le conseil doit intervenir rapidement, mais la portée de ce pouvoir est limitée puisque les actionnaires peuvent reprendre l‘exercice de leur autorité et approuver ou désapprouver la décision du conseil lors de la réunion de l‘assemblée. Pourtant, il convient de souligner que le pouvoir de cooptation peut altérer le pouvoir de contrôle de l‘assemblée d‘actionnaires. Celle-ci peut se trouver incapable de procéder au remplacement d‘un administrateur. Pour

458 J.K. Galbraith, Le nouvel Etat industriel, Gallimard, 1967, p. 71 et s. 459Ph. Bissara, article précité.

460Com, 7 novembre 1989, Bull. Civ. IV, n°284 ; l‘arrêt cassé a même retenu un abus de droit : Versailles, 2

décembre 1987, JCP, 1988, II, 21067, note Estoup ; Rev. soc., 1990, note Y. Guyon, p. 36.

461Toutefois, la décision de non-renouvellement ne doit pas revêtir un caractère abusif lorsqu‘elle présente un

caractère précipité ou qu‘elle est entourée de circonstances injurieuses ou vexatoires, portant une atteinte injustifiée à la réputation de l‘administrateur concerné. Paris, 27 octobre 1995, D, 1995, IR, p. 270 ; Rev. soc., 1996, p. 8.

462 V° les articles R225-18 et L225-24, al. 3 ; V° également Cass. com., 18 nov. 1974, Rev. soc., 1975, 273, note Y.

Chartier ; le régime de la cooptation peut engendrer des difficultés d‘application ; à ce sujet, revoir : D. Lepeltier et E. Buttet, La représentation des salariés au sein des conseils d‘administration. Difficultés d‘application, BJS 1987, p. 337, spéc. n°47.

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remédier à ces pratiques, le code AFEP/MEDEF souligne l‘importance du comité de nomination, qui « joue un rôle essentiel pour l‘avenir de l‘entreprise puisqu‘il est en charge de la composition future des instances dirigeantes ».

En amont de ce pouvoir, l‘on peut évoquer le fait que le droit des obligations est plutôt prospère au niveau du pouvoir de nomination. En effet, des accords extrastatutaires peuvent se former dans l‘objectif de désigner les organes sociaux464. La jurisprudence a déjà admis la validité des clauses statutaires et des pactes d‘actionnaires sous réserve, évidemment, qu‘ils ne touchent pas au principe de la libre révocabilité des administrateurs465.

169. Quant à la nomination des représentants des salariés aux conseils d‘administration et de

surveillance, l‘assemblée d‘actionnaires n‘a pas un choix ouvert dès lors que les salariés détiennent 3% du capital466. Les salariés pourront réellement avoir leur mot à dire, essentiellement par l‘intermédiaire de leur représentant au sein du conseil d‘administration467. Par ailleurs, à l‘inverse, « il leur est en effet difficile d‟exercer un quelconque

pouvoir puisque ces derniers représentent une minorité éclatée démunie d‟information »468.

S‘agissant maintenant de la nomination du président du conseil de surveillance, seul le conseil est habilité à élire en son sein le président et son vice-président469.

II/La révocation des mandataires sociaux

170. Le pouvoir de révocation permet aux assemblées d‘actionnaires de retenir un

gouvernement stable de la société. La révocation est soit ad nutum, soit avec justes motifs. La révocation ad nutum est prononcée à l‘égard du président du conseil d‘administration, qu‘il assume ou non les fonctions de la direction générale470. Cette personne est donc éjectable à tout moment, soit par le conseil d‘administration, soit par l‘assemblée d‘actionnaires. La révocation ad nutum signifie que la personne peut être révoquée sans justifications. Mais, en application du principe du contradictoire, le dirigeant révoqué a le droit de s‘expliquer471. La révocation ad nutum ne donne pas à la personne révoquée le droit à des indemnités de

464P.G. Gourlay, Le conseil d‘administration, organisation et fonctionnement, Sirey, 1971, spéc. p. 129.

465Revoir, J.-P. Ferret, « Les pactes aménageant le processus décisionnel de la société », Cah. Dr. entr., 13 février

1992, n°7, p. 32, spéc. p. 34.

466Le choix s‘opère à partir d‘une liste présélectionnée (article L225-106) ; B. Saintourens, « Le gouvernement

d‘entreprise, la corporate governance », Bull. Joly, 2002, p. 461.

467F. Dekeuwer- Défossez, Les conséquences de l‘actionnariat salarié en droit des sociétés par actions, Thèse, Lille

2007.

468 Ibid.

469Art. L225- 81, J.-J. Caussain, « L‘autre président, le président du conseil de surveillance », in Etudes de droit

privé, Mélanges offerts à P. Didier, Economica, 2008.

470 L225-47 al. 3.

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départ472. La jurisprudence, pour sa part, admet que la révocation peut constituer un abus de droit si elle a été prononcée dans des circonstances injurieuses ou vexatoires473. Pourtant, l‘assemblée d‘actionnaires n‘est pas habilitée à prononcer une révocation à l‘encontre des commissaires aux comptes ou des administrateurs représentants des salariés474, sauf demande d‘une minorité qualifiée d‘actionnaires.

171. S‘agissant de la société à directoire, la loi admet une solution différente à l‘encontre des

membres du directoire. Ces derniers sont nommés par le conseil de surveillance, qui choisit également leur président parmi eux. Cette mesure est appropriée ; elle instaure un lien hiérarchique entre le conseil de surveillance et le directoire, alors même que la loi n‘a pas établi un rapport hiérarchique entre le directoire et le conseil de surveillance. Pour autant, la loi n‘a pas respecté le principe du parallélisme de forme en ce qui concerne la révocation des membres du directoire. Selon l‘article L225-61, alinéa premier, « les membres du directoire ou le

directeur général unique peuvent être révoqués par l‟assemblée générale, ainsi que, si les statuts le prévoient, par le conseil de surveillance ». Cette règle réécrite par la loi NRE donne à l‘assemblée

générale une compétence pour révoquer les membres du directoire. La règle antérieure accordait également ce pouvoir au conseil de surveillance, mais sur proposition de ce dernier, « ce qui donnait au membre du directoire visé un certain délai pour préparer des contre-

feux »475. En réalité, il n‘est pas certain que cette règle ait changé la donne. En effet, le conseil

de surveillance peut convoquer l‘assemblée à tout moment. De plus, dans l‘hypothèse où les statuts réservent cette compétence au conseil de surveillance, les pouvoirs de l‘assemblée à cet égard sont exclus, à la lettre du texte. Cette solution prévoit une concurrence entre le conseil de surveillance et l‘assemblée d‘actionnaires, mais a le mérite d‘assouplir la structure de la société à directoire. Selon le professeur Le Cannu, « au total, quatre possibilités peuvent

être reconnues aux statuts : révocation par l‟assemblée des actionnaires, révocation par le conseil de surveillance, révocation par l‟assemblée des actionnaires sur proposition du conseil de surveillance ; les deux dernières solutions supposent une clause des statuts, qui elle-même peut cumuler les deux premières solutions (révocation par l‟assemblée des actionnaires ou par le conseil de surveillance) »476. Les membres du directoire peuvent être révoqués par l‘assemblée générale. Si les statuts le

472 Ce principe connaît des mutations de plus en plus importantes. V° infra, sur la soumission des indemnités de

départ à la procédure des conventions réglementées depuis la loi dite « Breton ». En outre, depuis la loi TEPA, le versement de l‘indemnité de départ est soumis à des critères de performance définis par le conseil d‘administration.

473 CA Paris, 13 octobre 2000 : Bull. Joly sociétés, 2001, p. 176 ; CA Paris, 28 janvier 2003 : JurisData, n°2003-

202612 ; CA Paris, 13 octobre 2006 : RJDA 7/ 2007, n°742.

474 Article 227 de la loi de 1966, article L225-233 du Code de commerce. 475 P. Le Cannu et B. Dondero, précité, p. 541, n°820.

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prévoient, ils peuvent également être révoqués par le conseil de surveillance477. Avant la réforme NRE, les membres du directoire ne pouvaient être révoqués que par l‘assemblée générale sur proposition du conseil de surveillance. A noter que désormais, en cas de révocation par l‘assemblée, l‘obligation de proposition du conseil de surveillance est supprimée478.

477Article L225-61, al. 1, nouveau, modifié par la loi NRE.

478 J.-L. Aubert, « La révocation des organes d‘administration des sociétés commerciales », RTD com.. 1968, p. 977 ;

M.H. De Laender, « La révocation des dirigeants sociaux », Dr. Sociétés 2000, chron. n°9 ; Ph. Reigne, « Révocabilité ad nutum des mandataires sociaux et faute de la société », Rev. Soc, 1991, p. 499 ; P. Le Cannu, « Le principe de contradiction et la protection des dirigeants », Bull. Joly 1996, p. 11 ; J.-P. Berterel, « La cohabitation de la révocabilité ad nutum et du contradictoire », Droit et patrimoine, n°64, octobre 1998 ; R. Baillod, « Le juste motif de révocation des dirigeants sociaux », RTD com., 1983, p. 395 ; J.-J. Caussain, La précarité des fonctions de mandataire social, Bull. Joly 1993, p. 523 ; M.-C. Sordino, Mélanges Ch. Mouly, 1998, t. 2, p. 245.

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Conclusion Chapitre 3

172. La définition de la souveraineté de l‘assemblée d‘actionnaires échappe jusqu‘à l‘heure

actuelle à l‘analyse juridique479. C‘est à travers ses attributions et ses figures qu‘on a pu préciser ses contours. Les compétences illustrées tant ordinaires qu‘extraordinaires de l‘assemblée d‘actionnaires ne peuvent appartenir qu‘à un organe souverain.

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