• Aucun résultat trouvé

Hiérarchie et séparation des pouvoirs dans les sociétés anonymes de type classique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Hiérarchie et séparation des pouvoirs dans les sociétés anonymes de type classique"

Copied!
728
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-01259556

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01259556

Submitted on 20 Jan 2016

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Hiérarchie et séparation des pouvoirs dans les sociétés

anonymes de type classique

Nedra Abdelmoumen

To cite this version:

Nedra Abdelmoumen. Hiérarchie et séparation des pouvoirs dans les sociétés anonymes de type classique. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2013. Français. �NNT : 2013PA010342�. �tel-01259556�

(2)

UNIVERSITE PANTHEON- SORBONNE PARIS I

U.F.R. DROIT DES AFFAIRES

THESE

Pour l’obtention du titre de Docteur en droit

Présentée et soutenue publiquement le 6 décembre 2013 par

Nedra ABDELMOUMEN

HIERARCHIE ET SEPARATION DES POUVOIRS DANS LES

SOCIETES ANONYMES DE TYPE CLASSIQUE

Directeur de recherche : M. Alain Couret,

Professeur à l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne

Jury :

M. Alain Couret, professeur à l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne

M. Arnaud Reygrobellet, professeur à

l’université Paris Ouest- Nanterre, La

défense, Rapporteur

M. Jean-Marc Moulin, professeur à

l’université Perpignan Via- Domitia,

Rapporteur

(3)

Remerciements

Mes remerciements les plus sincères à

mon Directeur de thèse, Monsieur le

professeur Alain Couret, pour avoir dirigé

avec tant de patience et de collaboration ce

travail, ses conseils ne m‘ont jamais fait

défaut. Qu‘il veuille trouver ici

l‘expression de ma profonde gratitude.

(4)

DEDICACE

A mon père, j‘espère que, du monde qui est sien maintenant, il apprécie ce

travail comme reconnaissance de la part d‘une fille qui a toujours prié pour

le salut de son âme.

A ma mère, qui m‘a toujours poussée et motivée dans mes études, pour son

sacrifice et son amour éternel, que Dieu la protège et la prête bonne santé et

longue vie.

A mon mari, en témoignage de mon amour, pour la patience qu‘il a consentie

devant les changements d‘humeur occasionnés par ce travail.

A mes enfants Ghada et Mohamed, en témoignage de leurs encouragements

silencieux, je leur souhaite un avenir plein de bonheur, de réussite et de santé

A ma sœur et mes frères, en témoignage de l‘attachement, de l‘amour et de

l‘affection.

(5)

PRINCIPALES ABREVIATIONS

AFEP

Association française des entreprises privées

AMF

Autorité des marchés financiers

ANSA

Association nationale des sociétés par actions

BALO

Bulletin des annonces légales obligatoires

Bull. Joly

Bulletin mensuel Joly d‘information des sociétés

Bull. Joly Bourse

Bulletin Joly bourse et produit financier

Chron

Chronique

CA

Arrêt de la Cour d‘appel

Cass. com

Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de

cassation

D.

Recueil hebdomadaire Dalloz

Dr. et patrimoine

Droit et patrimoine

Dr. sociétés

Revue droit et sociétés

Gaz. Pal

Gazette du palais

Infra

Ci- dessous

JCP, éd. E

Semaine juridique entreprise et affaires

JCP, éd. G

Semaine juridique édition générale

JO

Journal officiel

LPA

Les petites affiches

MEDEF

Mouvement des entreprises en France

Obs.

Observations

RDBF

Revue droit bancaire et financier

Rev. soc

Revue des sociétés

RIDC

Revue Internationale de droit comparé

RIDE

Revue internationale de droit économique

Rép.min

Réponse ministérielle

RJDA

Revue de jurisprudence de droit des affaires

RJCom

Revue de jurisprudence commerciale

RLDA

Revue Lamy Droit des affaires

RTDF

Revue trimestrielle de droit financier

RTD com

Revue trimestrielle de droit commercial

RTD civ

Revue trimestrielle de droit civil

Supra

Ci-dessus

(6)

1

Sommaire

Introduction ... 4

Première partie/ La construction de la société anonyme selon les principes de hiérarchie et de séparation des pouvoirs ... 32

Titre 1/ Les fondements de l‘attribution de la souveraineté à l‘assemblée d‘actionnaires ... 35

Sous-titre 1/ Les justifications théoriques sous-jacentes ... 37

Chapitre 1/ Fondements liés à la nature de la société ... 39

Conclusion Chapitre 1 ... 53

Chapitre 2/ Fondements liés au modèle de la hiérarchie et de la séparation des pouvoirs ... 54

Conclusion Chapitre 2 ... 79

Chapitre 3/ Les fondements apparents de la souveraineté ... 80

Conclusion Chapitre 3 ... 94

Conclusion Sous-titre 1 ... 95

Sous- titre 2/ La rationalisation des fondements ... 96

Chapitre 1/ La généralisation d‘un droit à la transparence ... 99

Conclusion du Chapitre 1 ... 156

Chapitre 2/ Le renforcement de l‘information sur la rémunération des dirigeants sociaux ... 157

Conclusion Chapitre 2 ... 194

Conclusion Sous-Titre 2 ... 195

Conclusion Titre 1 ... 196

Titre2/ Les limites assignées à la souveraineté de l‘assemblée d‘actionnaires ... 197

Chapitre1/ Les limites justifiées par la concurrence de pouvoirs au sein de l‘organe de gestion. ... 199

Section 1/ La redéfinition des pouvoirs du conseil d‘administration ... 201

Section 2/ Amélioration du fonctionnement du conseil ... 217

Conclusion Chapitre 1 ... 226

Chapitre2/ La figure d‘une souveraineté partagée, l‘exemple des conventions réglementées ... 227

Section 1/ Les conventions soumises au régime de l‘article L225-38 et s. du Code de commerce .. 228

Section 2/ Le régime de l‘autorisation du conseil d‘administration et l‘approbation du conseil .... 241

Conclusion Chapitre 2 ... 247

Chapitre3/ La concurrence entre l‘organe de contrôle et l‘organe de gestion : l‘exemple des opérations d‘offre publique d‘achat ... 248

Section 1/Attribution du pouvoir de décision à l‘assemblée d‘actionnaires ... 251

Section 2/ L‘intégration de nouvelles mesures défensives ... 269

(7)

2

Conclusion Titre 2 ... 278

Conclusion Première partie ... 279

Deuxième partie/ L‘érosion du principe de hiérarchie et du principe de séparation des pouvoirs ... 281

Titre 1/ L‘érosion à l‘épreuve des exigences idéologiques ... 285

Sous-titre 1/ La recomposition du conseil d‘administration ... 286

Chapitre préliminaire : L‘influence du courant anglo-saxon ... 287

Chapitre 1/ L‘atténuation de la représentativité des actionnaires ... 300

Conclusion Chapitre 1 ... 320

Chapitre 2/ La séparation organique entre la direction générale et la présidence du conseil ... 321

Conclusion Chapitre 2 ... 337

Sous-titre 2/ La diversification de l‘information financière ... 338

Chapitre 1 /L‘émergence d‘une information diversifiée ... 339

Conclusion Chapitre 1 ... 355

Chapitre 2/ L‘information sur l‘actionnariat ... 356

Conclusion Chapitre 2 ... 376

Conclusion Sous-titre 2 ... 377

Conclusion Titre 1 ... 378

Titre 2/L‘érosion à l‘épreuve des exigences économiques ... 379

Sous-titre 1/ Les mécanismes de la gestion du capital ... 381

Chapitre 1 / Le mécanisme de la délégation ... 382

Conclusion du Chapitre 1 ... 416

Chapitre 2/ Rapports de pouvoir et création de nouveaux titres de capital, de nouvelles modalités de gestion ... 417

Conclusion Chapitre 2 ... 439

Conclusion Sous-titre 1 ... 440

Sous-titre 2/ L‘érosion à l‘épreuve des logiques de simplification et de réalisme ... 441

Chapitre 1/ L‘introduction de la logique de simplification du droit dans les opérations de fusions et de scissions ... 443

Conclusion Chapitre 1 ... 455

Chapitre 2/La logique de réalisme ... 456

Conclusion Chapitre 2 ... 468

Conclusion Sous-titre 2 ... 469

Conclusion Titre 2 ... 470

(8)

3

Troisième partie/ La refondation des principes de hiérarchie et de séparation des pouvoirs

... 473

Titre 1/ Le réaménagement des pouvoirs ... 478

Sous-titre 1/La redéfinition des pouvoirs de l‘assemblée d‘actionnaires ... 480

Chapitre 1/ La redéfinition des pouvoirs des acteurs ... 481

Conclusion Chapitre 1 ... 499

Chapitre 2/La redéfinition des pouvoirs de l‘organe ... 500

Conclusion Chapitre 2 ... 517

Conclusion Sous-titre 1 ... 518

Sous-titre 2/La rationalisation des pouvoirs de l‘organe de gestion ... 519

Chapitre 1/ La dimension de la gestion sociale ... 520

Conclusion Chapitre 1 ... 558

Chapitre 2/ La professionnalisation de l‘activité de gestion ... 559

Conclusion Chapitre 2 ... 574

Conclusion Sous-titre 2 ... 575

Conclusion Titre 1 ... 576

Titre 2/La légitimation des principes de hiérarchie et de séparation des pouvoirs ... 577

Sous-titre 1/ Les finalités des principes de hiérarchie et de séparation des pouvoirs ... 579

Chapitre 1/ Les finalités sous-jacentes ... 580

Conclusion Chapitre 1 ... 597

Chapitre 2/ La hiérarchisation des intérêts ... 598

Conclusion Sous-titre 1 ... 613

Sous titre2/ La réhabilitation des rapports entre l‘organe de contrôle et l‘organe de gestion ... 614

Chapitre 1/ L‘intégration de nouvelles valeurs aux principes de hiérarchie et de séparation des pouvoirs ... 616

Conclusion Chapitre 1 ... 626

Chapitre 2/La particularité des principes de hiérarchie et de séparation des pouvoirs de la société anonyme ... 627 Conclusion Chapitre 2 ... 639 Conclusion Sous-titre 2 ... 640 Conclusion Titre 2 ... 641 Conclusion Partie 3... 642 Conclusion générale ... 643

(9)

4

Introduction

« Dans l‟ancien protocole impérial nippon, il est stipulé que l‟on s‟adressera à l‟empereur avec stupeur et tremblements »1.

1.

« Notre société vit depuis le Moyen Age sous la domination d‘une structure verticale fortement hiérarchisée, qui est restée prépondérante jusqu‘au milieu du XIXe siècle. En haut de l‘échelle trônait Dieu, suivi du roi et de l‘archevêque. Aux niveaux suivants s‘échelonnaient successivement le juge, l‘évêque, le professeur… Au bas de l‘échelle se tenait le peuple… Dans la vie économique, l‘entreprise reflétait naturellement la structure verticale de la société, empruntant au modèle pyramidal sa concentration de pouvoir au sommet, un certain nombre d‘échelons intermédiaires et une large base tournée vers le marché »2.

2. Depuis les réflexions d‘Aristote3 et Platon4, en passant par la pensée romaine5, la théologie, la théocratie, la pensée scientifique et la pensée politique, et ce, jusqu‘à l‘heure actuelle, il ressort que les rapports humains sont fondés sur la hiérarchie. Celle-ci est présente dans les sociétés passées et contemporaines. Elle a un visage de domination et de rapports subordonnés les uns aux autres : les personnes aux personnes et les structures aux structures. Jusqu‘à la crise avec l‘Eglise, la hiérarchie était considérée comme le modèle par excellence qui maintenait l‘ordre social. La hiérarchie est envisagée comme un mode de gouvernement de toute action collective, « même dans le cas des sociétés animales, au fait qu‘il s‘agit de sociétés, c'est-à-dire de collectivités ayant choisi, ayant conçu une organisation, même minimale »6.

1A. Nothomb, Stupeur et tremblements, éd. Albin Michel, 1999, p. 172.

2 J. Carlzon (président-directeur général de SAS), Renversons la pyramide, Paris, InterEditions,1986, p.17.

3 Aristote fut le premier à avoir établi une hiérarchie en fonction des rapports des jeunes avec les vieux, « destinés

les uns à être commandés et les autres à commander ». Ce philosophe a fondé la hiérarchie sur l‘âge ; le vieux se situe

dans l‘âge de la sagesse, ce qui attribue une suprématie du vieux sur le jeune. Chez Aristote, « la relation entre

vieux et jeunes est pédagogique par essence, et dans cette éducation rien n‟est plus impliqué que la formation des dirigeants futurs par les dirigeants présents », V° H. Arendt, « Qu‘est-ce que l‘autorité ? », in La crise de la culture, Gallimard, p. 153 et p. 156.

4 En revanche, chez Platon, l‘inégalité entre les rapports hiérarchiques se fonde sur le savoir, la supériorité du

savant qui connaît le monde des idées sur l‘ignorant.

5 La pensée politique des Romains a été fortement influencée par la notion d‘autorité initiée par Platon et Aristote. 6E. Morin. M. Piatelli - Palmarini, Le primate et l‘homme, centre Royaumont pour une science de l‘homme, 1974,

(10)

5

3. La société anonyme7, cet « instrument du prodigieux essor économique »8, représentée comme le modèle parfait de démocratie avec gouvernement populaire9, n‘échappe pas au phénomène de la hiérarchie. L‘expression de la hiérarchie ne figure dans aucun texte de loi ; c‘est la jurisprudence qui a pris soin de rappeler que la société anonyme est une organisation hiérarchisée. Ainsi, le célèbre arrêt Motte10, à l‘occasion d‘une modification statutaire votée par l‘assemblée générale extraordinaire permettant au président-directeur général d‘exercer tous les pouvoirs attribués normalement au conseil d‘administration, a posé les principes suivants :

« 1°/La société anonyme est une société dont les organes sont hiérarchisés et dans laquelle l‘administration est exercée par un conseil, élu par l‘assemblée générale ; qu‘il n‘appartient donc pas à l‘assemblée générale d‘empiéter sur les prérogatives du conseil en matière d‘administration ; c‘est donc à bon droit qu‘un arrêt annule la résolution votée par l‘ensemble générale qui, modifiant un article des statuts sociaux, investit le président-directeur général de l‘assemblée des pouvoirs attribués jusqu‘alors au conseil d‘administration.

4. A l‘idée de la hiérarchie s‘ajoute celle de la séparation des pouvoirs : chaque organe a des

pouvoirs propres sur lesquels un autre organe ne peut empiéter. Chaque organe est chargé de compétences propres, et il est le seul à en être chargé. La jurisprudence avait toujours défendu ce principe. Ainsi, dans un arrêt très ancien de la Cour de Paris, en date du 26 novembre 1896, la Haute Juridiction affirmait que « quelque étendue que soit l‟autorité de

l‟assemblée générale dans une société anonyme, elle ne peut s‟élever à l‟encontre de la compétence spéciale qui appartient au conseil d‟administration par la nature même de ses fonctions et suivant les dispositions précises de ses statuts. Spécialement, lorsque les statuts attribuent exclusivement au conseil d‟administration le choix du directeur général et la fixation de son traitement, l‟assemblée générale n‟a aucune qualité pour faire droit à une demande d‟honoraires élevés par le directeur. Et le fait par le conseil d‟administration de consulter l‟assemblée générale sur cette question n‟implique pas

7 Connue en France depuis le XVIIe siècle.

8E. Escarra, J. Rault, Traité théorique et pratique de droit commercial, Les sociétés commerciales, Tome 2, Sirey,

1951, n° 504, p. 1.

9G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 1951, 2e éd.

10 Arrêt Motte, Cass. civ., 4 juin 1946, JCP G, 1947, II, note Bastian, 3518 ; Sirey 1947. I. 153, note Barby, Arrêt

cassant la décision de la Cour d‘appel de Douai, du 7 mai 1943. Dans les faits, l'assemblée générale d'une société de teinture et d'impression désirait, par le vote d'une résolution, investir le président de « l'ensemble des pouvoirs attribués jusqu'alors au conseil d'administration ». L'annulation de la résolution par la Cour d'appel de Douai fut confirmée par la Cour de cassation.

(11)

6

l‟engagement de se soumettre à son avis »11. Par cet arrêt, la jurisprudence rappelle que la législation a dépassé le cadre de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales, qui ne fixait que les pouvoirs de l‘assemblée générale, laissant à cet organe la liberté de déterminer les pouvoirs des autres organes.

5. En application du principe de hiérarchie et du principe de séparation des pouvoirs, la

Cour de cassation a décidé, dans un autre arrêt, que « s‟agissant de réparer le vice entachant la

désignation du président-directeur général par un conseil irrégulièrement composé, l‟assemblée générale était incompétente pour le faire, une telle désignation entrant dans les attributions exclusives du conseil d‟administration »12. Dans un autre arrêt rendu le 30 avril 1968, la Cour de cassation a estimé que l‘assemblée « ne peut sans porter atteinte aux pouvoirs que la loi reconnaît au conseil

d‟administration, ni se réunir, ni usurper à son profit, pour le confier à un tiers sans qualité, le droit de convoquer les actionnaires en assemblée générale »13. Dans un arrêt plus récent, la Cour de cassation a cassé la décision de la Cour d‘appel, donnant à un actionnaire l‘autorisation de nommer un administrateur provisoire aux fins de convoquer une assemblée générale pour compléter le conseil d‘administration et de se prononcer sur une délibération de ce conseil relative aux pouvoirs du président. La Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt rendu le 18 mai 1982, que « la Cour d‟appel, en décidant de faire convoquer l‟assemblée générale des

actionnaires avec mission de “se prononcer” sur une délibération du conseil d‟administration relative aux pouvoirs du président de cet organisme, alors que les pouvoirs d‟une telle assemblée ne comportaient pas cette prérogative, a violé les textes susvisés »14.

6. Au prime abord, ces arrêts montrent que la nature de la société a évolué d‘un modèle

purement contractuel, qui donnait aux associés tous les pouvoirs15, vers un modèle institutionnel16. Dans ce dernier modèle, aux associés revient le pouvoir de prendre les

11Houpin et Bosvieux, Tr. Des sociétés, 7e éd., II, n° 1226, Paris, 26 novembre 1896, Journ. Soc. 1897. 434.

12Cass. com., 31 janvier 1968, Dalloz, 1968, p. 321.

13 Cass. com., 30 avril 1968, D, 1969, note Lacombe.

14La Cour d‘appel avait l‘occasion de se prononcer dans ce sens en réponse à l‘adoption d‘un « comité de

direction » par l‘assemblée générale extraordinaire en raison d‘une modification des statuts : « Attendu que les

textes ne fixent de manière impérative les pouvoirs et prérogatives des différents organes de la société que si les statuts peuvent aménager, au mieux des intérêts sociaux, les modalités de l‟administration et de la direction, cette liberté s‟exerce sous la condition expresse d‟absence et de bouleversement de principes généraux de hiérarchie et de compétences des divers rouages institués par la loi ; que de même il n‟est pas permis à une assemblée générale, fût-elle extraordinaire, d‟empiéter sur le rôle dévolu au conseil d‟administration, celui-ci ne peut se dépouiller de ses attributions propres ; …qu‟il apparaît ainsi que l‟organisation d‟un comité de direction relève selon l‟article 90, de la compétence exclusive du conseil d‟administration ; qu‟en remettre la création à d‟autres, président ou statuts, reviendrait à transformer la responsabilité du conseil dans la gestion des affaires sociales ». Cour d‘appel d‘Aix, 28 septembre 1982, Rev. soc., 1983, p. 773, note J. Mestre ; Cass.

com., 18 mai 1982, Bull. Civ., IV, n°185, p. 164 ; Rev. soc., 1983, p. 71, note, Sibon.

15 Selon la conception traditionnelle, le pouvoir des dirigeants repose sur un mandat.

16 Sur le passage de la nature contractuelle à la nature institutionnelle et son impact sur le pouvoir des

(12)

7

décisions les plus importantes17. En revanche, les dirigeants sont investis par la loi des pouvoirs propres18. Au second abord, ces arrêts révèlent que le fonctionnement de la société anonyme est régi plus par le principe de séparation des pouvoirs que par le principe de hiérarchie. Cette évolution législative et jurisprudentielle déformait la construction de la société anonyme selon un « modèle pyramidal »19, présentant le principe de séparation des pouvoirs comme un principe « fort »20, consolidé par les lois et les statuts.

7. Il résulte qu‘à l‘instar d‘un gouvernement de l‘Etat, la société anonyme est régie par des

principes démocratiques21, qui postulent une hiérarchisation d‘organes et une spécialisation des pouvoirs. De la mise en œuvre de ces principes, il résulte une série de règles parmi lesquelles on note deux interdictions majeures. La première se rapporte à l‘idée de spécialité, qui interdit à tout organe d‘empiéter sur les pouvoirs propres d‘un autre organe. Ainsi, aucun organe ne peut se substituer à l‘autre. La deuxième règle a pour vocation d‘interdire à tout organe d‘effectuer des délégations générales de ses propres prérogatives à un autre organe. Dès lors, le principe de hiérarchie et le principe de séparation des pouvoirs s‘imposent à tous les organes, qui ne sauraient y déroger.

8. Ces principes sont d‘ordre public. Ainsi, à ceux-ci s‘attache le principe d‘ordre public que

la doctrine qualifie d‘« ordre public sociétaire » 22, afin de faire la distinction avec l‘ordre public au sens classique. L‘ordre public sociétaire réglemente le fonctionnement et l‘administration de la société anonyme et impose ses règles à toutes les parties, quelle que soit la nature de leurs intérêts antagonistes ou convergents. Ni les actionnaires, même unanimes, ni les salariés, ni les dirigeants et ni même les tiers ne peuvent déroger à une règle d‘ordre public. Ils ne peuvent ni autoriser ni interdire une règle qui touche à l‘ordre public. Le respect de l‘ordre public sociétaire se traduit par « un devoir de soumission » aux dispositions du droit des sociétés23. Toute partie doit respecter l‘ordre public sociétaire et les règles impératives, de

17 P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 4e éd., Montchrestien 2012, p. 281, n°452.

18 Les lois du 6 novembre 1940, du 4 mars 1943 et enfin la loi du 24 juillet 1966 constituaient le point de départ

d‘un débat inachevé sur la nature de la société : la société est-elle un contrat ou une institution ? V° I. Corbisier, La société : contrat ou institution, éd. Larcier, 2011.

19 Ibid.

20 P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, précité, p. 281, n°453.

21 V° Y. Guyon, La société anonyme, une démocratie parfaite !, in Propos impertinents de droit des affaires,

Mélanges en l‘honneur de C. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 133.

22 L. Nurit. Pontier « Vers un nouvel ordre sociétaire », in Les concepts émergents en droit des affaires, sous la

direction de D‘Erik Le Dolley, LGDJ, 2010.

23La jurisprudence, de son côté, n‘hésite pas à appliquer rigoureusement les règles relevant de l‘ordre public.

Dans le même sens, le juge a annulé une opération de cession d‘actif au motif que celle-ci devrait être approuvée par l‘assemblée générale extraordinaire et non par l‘assemblée générale ordinaire. Cass. com., 24 juin 1997, Rev. soc., 1997, p. 792, note P. Didier. Dans un autre arrêt, la Cour d‘appel de Paris a jugé qu‘ « il n‘est pas permis à une assemblée générale, fût-elle extraordinaire, d‘empiéter sur le rôle dévolu au conseil d‘administration, celui-ci ne peut se dépouiller de ses attributions » (Cour d‘appel de Paris, 28 septembre 1990, D, 1990, IR 269). En

(13)

8

la même manière que « tout citoyen est investi, parfois malgré lui, d‟une parcelle de l‟ordre public et

peut s‟en faire le gardien »24.

9. Ainsi, l‘assemblée d‘actionnaires occupe la position hiérarchique souveraine25. Cet organe représente un cadre de gouvernement démocratique au sein duquel les actionnaires expriment leur volonté en fonction de la loi de la majorité, en combinaison avec le principe de la proportionnalité26. De ce fait, la loi de la majorité donne à l‗idée que l‘assemblée des actionnaires est souveraine toute sa légitimité27. Ainsi, la majorité constitue un véritable « épicentre du pouvoir »28 auquel se soumettent, d‘une part, le groupe d‘actionnaires29 et, d‘autre part, tous les organes composant la hiérarchie30. En deuxième position, se place le conseil d‘administration ou le conseil de surveillance. La direction générale occupe la troisième position, et aux salariés est octroyée la place inférieure ; mais ces derniers, au fil des réformes, reprennent une structure de pouvoir dont l‘importance n‘est plus négligeable, et participent à l‘hétérogénéité de l‘actionnariat31.

revanche, dans un autre arrêt, la Cour de cassation a approuvé la répartition de jetons de présence par le président alors que cette compétence appartient au conseil d‘administration. Mais, dans un autre cas, la Cour de cassation n‘a pas hésité à rejeter l‘arrêt de la Cour d‘appel « qui décide de convoquer l‘assemblée générale des actionnaires avec mission de se prononcer sur une délibération du conseil d‘administration relative aux pouvoirs du président de cet organisme, alors que les pouvoirs d‘une telle assemblée ne comportaient pas cette prérogative ». Cass. com., 18 mai 1982, Rev. soc., 1983, p. 71, note J.-L. Sibon ; Grandes décisions, n°31, p. 159, obs. Y. Chartier et J. Mestre.

24M. Grégoire, « L‘ordre public dans la jurisprudence de la Cour de cassation », in L‘ordre public concept et

applications, Bruylant, Bruxelles, 1995.

25Dans la loi du 24 juillet 1867, l‘assemblée d‘actionnaires était qualifiée de « souveraine ».

26 Article L225-122 du C. com. Le principe de proportionnalité signifie « une action, une voix », V° C. Koering, Le

principe « une action, une voix », Thèse Paris 1, 2000.

27 En ce sens, certains auteurs, bien qu‘en affirmant que l‘organisation démocratique de la société anonyme

devient une idée contestable, confirment tout de même qu‘au moins d‘apparence elle est démocratique, V° Colloque, Démocratie et transparence dans le gouvernement d‘entreprise. Droit et démocratie, LPA, 1997, n°spéc, p. ; Y. Chartier, Droit des affaires, T. 2, Sociétés commerciales, Coll. Thémis, éd. PUF, 3e éd. 1992, n°248 ; Y. Guyon, Droit des affaires, t 1, 4e éd., éd. Economica, 1986, p. 266, n°279.

28 C. Ducouloux-Favard, « Le contrôle de l‘actionnariat en droit français », in Le contrôle du gouvernement des

sociétés dans l‘espace européen, Colloque du 7 novembre 1997, LPA, 14 octobre 1998, n°123, p. 26.

29 V° sur la loi de la majorité, colloque, « La loi de la majorité », RJCom, nov. 1991, n° spécial, p. 22 ; C. Ruellan, La

loi de la majorité dans les sociétés commerciales, Thèse Paris II, 1997 ; G. Ripert, La loi de la majorité dans le droit privé, Mélanges Sugiyama, 1940, p. 351.

30 Cependant, ce principe connaît des exceptions importantes en raison de multiples phénomènes (pouvoirs en

blanc, absentéisme des actionnaires, création des actions de préférence, système d‘autocontrôle, clauses de plafonnement, attribution gratuite d‘actions…).

31 Le statut de salarié évolue vers un statut de salarié-actionnaire ou statut de « cadre dirigeant ». Ce nouveau

statut pose des enjeux de pouvoirs importants provoquant un déséquilibre hiérarchique. Il n‘est pas question, dans le cadre de ce travail, d‘évoquer le pouvoir de l‘actionnaire salarié, ni celui « du cadre dirigeant ». Nous nous limitons essentiellement aux rapports entre les organes de gestion et l‘assemblée d‘actionnaires. Sur l‘actionnariat salarié, V° projet de loi AN n°774, 6, mars 2013, visant à associer les salariés à la stratégie des grandes entreprises, Bull. Joly, avril 2013 ; M. Maheust, Suite aux dernières évolutions législatives quel dispositif d‘actionnariat salarié mettre en place, Bull. Joly sociétés, avril 2013 ; J.-Ph. Lieutier, Le modèle de l‘actionnariat salarié, préf. R. Vatinet, Presses Universitaires, d‘Aix - Marseille, 2012. Cet auteur définit « l‟actionnariat salarié » comme « l‟ensemble des dispositifs spécifiques sur lesquels le titulaire d‟un contrat de travail est amené à détenir,

directement ou indirectement, des actions de la société qui l‟emploie et que celle-ci lui a proposé d‟acquérir, en l‟absence d‟initiative préalable de sa part, en raison de sa qualité d‟associé », p. 32 ; V° également, Colloque, Le salarié, sujet de

(14)

9

10. En conséquence, l‘assemblée d‘actionnaires, le conseil d‘administration et la direction

générale sont trois forces32 qui doivent être « capables de communiquer et de s‟informer entre elles

afin de pouvoir prendre des décisions en pleine connaissance de cause et d‟effectuer les changements nécessaires »33, permettant ainsi d‘obtenir « une sorte de plénitude de compétences »34.

11. A côté des forces internes énumérées ci-dessus, on retrouve des forces externes à la

société anonyme, mais qui influencent le pouvoir de décision voire commandent à bien des égards la hiérarchie. Il s‘agit du marché, composé pour sa part de plusieurs acteurs, le plus important étant l‘investisseur potentiel35, qui place des capitaux importants dans la société. Ces acteurs sont à prendre en considération, notamment dans un contexte où le droit boursier ne cesse d‘évoluer. Dans ce sens, la hiérarchie prospère si, en son sein, se conjugue une meilleure collaboration entre les forces internes et les forces externes. A cet égard, l‘Autorité des marchés financiers prend, entre les deux forces, une position déterminante en évolution constante. D‘un côté, son rôle consiste à contrôler l‘information diffusée sur le marché en vue d‘assurer la transparence des marchés financiers ; d‘un autre côté, son action permet de tempérer le pouvoir managérial.

12. Cela étant, il convient tout d‘abord de définir ce que l‘on entend par hiérarchie. La

hiérarchie n‘est pas une notion encadrée par la loi, elle n‘a pas non plus un régime juridique défini. Ainsi, des définitions multiples ont été données à la hiérarchie. Conformément à l‘étymologie, la hiérarchie est un terme composé de deux mots d‘origine grecque, « hieros » et « arkhein », le premier terme signifiant « sacré » et le deuxième « commandement ». La hiérarchie signifie alors « un commandement sacré ». Dans le sens usuel, la hiérarchie désigne une classification par rapport à une échelle de pouvoirs, de valeurs ou de normes36. Selon la

droit des sociétés, Actes du colloque de la faculté de droit de Caen, 20 novembre 2004, Bull. Joly, n° spécial, juillet 2005 : J. Vallansan, « Délégation de pouvoir du salarié et représentation de la société », Bull. Joly Sociétés, juillet 2005, p.94 ; J.-P. Valuet, « Le salarié optionnaire ou bénéficiaire de stock-options », Bull. Joly sociétés 2005, n° spécial, p. 14 ; J-C. Hallouin, « L‘exercice des prérogatives par les salariés actionnaires. Droits financiers et patrimoniaux », Bull. Joly sociétés, n° spécial juillet 2005, p. 44 ; B. Saintourens, « Le principe de la direction salariée », in colloque précité, p. 62. Sur la notion de « cadre dirigeant », V° A. Couret et B. Dondero, « L‘organisation du pouvoir dans les sociétés entre salariat et mandat social : la question du cadre dirigeant », JCP, E, n°10, 2012.

32 R. H. Koppes, « L‘évolution du gouvernement d‘entreprise, tendances actuelles et orientations futures », LPA, 7

mai 1997

33

Ibid.

34 Ibid

35 Les définitions sont multiples pour distinguer « le gros actionnaire » du « petit actionnaire ». Ainsi, un

investisseur potentiel peut également être nommé : investisseur qualifié ou investisseur professionnel, voire investisseur institutionnel.

36 La hiérarchie de normes est un principe défendu par Kelsen, qui a mis en lumière les éléments constitutifs du

rapport hiérarchique. Ainsi, la hiérarchie des normes désigne un type particulier de relation entre normes juridiques envisagées du point de vue de leur validité. V° H. Kelsen, Théorie générale des normes, Paris, PUF, 1996. Sur la philosophie de Kelsen, revoir M. Troper, Le système pur du droit : le positivisme de Kelsen, in La

(15)

10

définition de H. Capitant : « La hiérarchie de personnes ou d‟organes est un ensemble de personnes,

agents ou services participant à l‟exercice d‟une autorité, considéré dans leur échelonnement et fondé sur l‟obligation, pour un élément subordonné, d‟exécuter les ordres et de suivre les instructions de l‟élément qui est immédiatement supérieur. »

13. Une autre définition de la hiérarchie est la suivante : « Proprement, subordination sérielle de personnes, telle que chacune soit supérieure à la précédente par l‟étendue de son pouvoir ou par l‟élévation de son rang social. Par extension, toute subordination sérielle de personnes, de faits ou d‟idées, telle que chaque terme de la série soit supérieur au précédent par un caractère de nature normative (soit appréciatif, soit impératif) : hiérarchie de devoirs, hiérarchie des sciences, hiérarchie des formes de l‟énergie, hiérarchie des phénomènes sociaux… »37. Le dictionnaire Larousse donne

quatre sens à la hiérarchie : on s‘intéresse au premier et au quatrième sens. Selon le premier sens, la hiérarchie « est une classification dans laquelle les termes classés sont dans une relation de

subordination, chaque terme dépendant du précédent et commandant le suivant »38. Selon le quatrième sens, la hiérarchie est « une classification dans laquelle les éléments sont ordonnés en

une série croissante ou décroissante, selon un critère de valeur, numérique ou autre, ou d‟importance (…) hiérarchie des besoins ( (…) hiérarchie des valeurs) »39. Dans son sens classique, la hiérarchie désigne une classification de valeurs ou de pouvoirs selon une échelle. Dans la hiérarchie s‘établit un ordre de subordination : il peut s‘agir d‘un ordre de concepts, d‘un ordre de valeurs, d‘un ordre de personnes, d‘idées, etc. Tout peut être sujet à la hiérarchisation. La hiérarchie établit une stratification selon un ensemble de jugements, de valeurs ou de pouvoirs40.

14. Rappelons que la société anonyme41, cet « instrument merveilleux du capitalisme moderne »42 qui ne cesse de dévoiler ses secrets, est instituée par un contrat qui lie entre eux des actionnaires autour d‘une entreprise commune. Dès lors, la société anonyme apparaît comme

force du droit, Panorama des débats contemporains, sous la direction de P. Bouretz, éd. Esprit, série philosophie, 1991, p. 117 ; pour une brève comparaison entre la hiérarchie de normes et la hiérarchie propre à la société anonyme, V° infra, n°1497

37 A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 14e éd., 1983, p. 413. 38 Grand Larousse Universel, tome 8, V° Hiérarchie.

39 Grand Larousse, précité.

40 R. Mousnier, Hiérarchies sociales de 1450 à nos jours, Presses Universitaires de France, 1969, p. 8.

41La doctrine a pris soin de définir la société comme « la collaboration volontaire de plusieurs personnes vers un

bien commun, par des moyens communs ». Aujourd‘hui, elle est définie selon les termes 1832, al. 1 du Code civil ; la société « est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d‘affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l‘économie qui pourra en résulter ».

(16)

11

une technique juridique essentielle de l‘organisation de l‘entreprise43, ou « comme un simple

mécanisme juridique mis à la disposition des hommes par le législateur »44. Cette forme de société constitue « une entité économique et sociale organisée par le droit »45, dotée d‘une personnalité morale46, distincte des personnes physiques l‘ayant créée47.

15. Loin de son caractère juridique, la société anonyme est une organisation au sein de

laquelle des rapports de pouvoirs interfèrent et des structures d‘influence prospèrent48. Ce qui permet d‘affirmer que le principe hiérarchique et celui de la séparation des pouvoirs sont faussés par l‘évolution de la société anonyme comme organisation. Nous démontrerons que ces deux principes connaissent des destinations différentes.

16. Ce changement de perspective est naturel, il n‘étonne pas, il correspond au vécu de ces

principes. La théorie des organisations nous enseigne beaucoup sur le caractère politique du fonctionnement des organisations49. Toute organisation est hiérarchisée, et en son sein s‘entretiennent des rapports de pouvoirs plus ou moins proches du système normatif. Au demeurant, certains acteurs peuvent disposer de niveaux d‘influence sur les décisions sociales plus importants que d‘autres50. Il revient aux sociologues, depuis des décennies, de

43J. Paillusseau, La société anonyme, technique juridique d‘organisation de l‘entreprise. Thèse Rennes, 1965. Paris,

Sirey, 1967. Pour cet auteur, « la société est la technique juridique destinée à donner à l‟entreprise une existence et une

organisation sur le plan juridique » ; il ajoute qu‘« au lieu de considérer la société comme un entrepreneur, c'est-à-dire comme un propriétaire qui exploiterait une entreprise au même titre qu‟une personne physique, elle apparaît comme l‟ensemble des règles juridiques, des techniques et des mécanismes destinés à permettre l‟organisation juridique et la vie d‟une forme de production ou de distribution, d‟un organisme économique : l‟entreprise », V° pp. 4-7.

44Y. Chaput, L‘émergence du dirigeant exécutif, les mutations politiques du droit des sociétés, in Les concepts

émergents en droit des affaires, sous la direction de E. Le Dolley, LGDJ, 2010.

45J. Paillusseau, Entreprise, société, actionnaires, salariés, quels rapports ? D. 1999, chr., p. 162. 46 Sur la personnalité morale de la société, V° infra, n°160.

47 V° Vocabulaire juridique, G. Cornu, Nom donné à la personnalité juridique des personnes morales ; désigne

aussi, dans la théorie dite « de la personnalité morale », la fiction en vertu de laquelle un groupement, un organisme, etc., est considéré comme un sujet de droit en soi, une entité distincte de la personne des membres qui le composent.

48R. Sainsaulieu, Sociologie de l‘organisation et de l‘entreprise, Presses de la fondation nationale des sciences

politiques et Dalloz, 1987, p. 109 ; P. Jarinou, L‘entreprise comme système politique, PUF, Paris, 1981.

49Il revient à M. Crozier, dans son ouvrage codirigé avec E. Friedberg, d‘expliquer la nature politique des rapports

de pouvoirs. Il concentre sa problématique sur la conception de pouvoir qui cache un aspect moral dans sa définition : c‘est le vouloir d‘acquérir un pouvoir ou le vouloir de manipuler autrui afin de prendre le pouvoir qui donne une réalité politique du fonctionnement de l‘organisation loin des textes. Les auteurs concluent que « le

pouvoir est donc une relation, et non pas un attribut des acteurs ». L‘acteur et le système, les contraintes de l‘action

collective, Paris, éd. Le Seuil, 1977. Les études ultérieures ont essayé de détacher le pouvoir de son aspect éthique ; les rapports de pouvoir peuvent engendrer des situations déséquilibrées, si les modalités de sa mise en œuvre sont illégitimes. M. Crozier est l‘un des premiers sociologues français ayant attiré l‘attention sur le caractère politique des organisations ; par ailleurs, des enjeux de pouvoir se dessinent au sein de toute organisation. Les raisons sont nombreuses mais les solutions, d‘après cet auteur, se trouvent ailleurs que dans la hiérarchie.

50 « Il est notamment revenu à la sociologie des organisations de montrer qu‟il n‟existait pas nécessairement une harmonie

préétablie entre les objectifs visés par les différents acteurs du système entrepreneurial. Le dirigeant serait notamment enclin à poursuivre une stratégie de long terme destinée à confronter sa présence à la tête de l‟entreprise. A ce titre, il privilégierait une politique fondée sur des investissements dont l‟évaluation s‟avère délicate (investissement immatériel, recherche - développement) et serait un adepte de la croissance externe (opérations de fusion-acquisition). Sa préférence irait aussi à une politique d‟investissement au détriment de la distribution des dividendes. En d‟autres termes, l‟intérêt de l‟actionnaire ne

(17)

12

relever ce constat51. Ces spécialistes considèrent que « toute structure d‟action collective »52 représente une contrainte pour l‘acteur ou pour l‘individu. Cependant, la collaboration entre l‘organisation et l‘acteur n‘est pas impossible. En effet, ils considèrent que « l‟organisation

comme phénomène sociologique est donc un construit culturel grâce auquel les hommes parviennent à orienter leurs comportements de façon à obtenir un minimum de coopération, tout en maintenant leur autonomie d‟agents libres »53. La démarche des sociologues part de l‘individu, de l‘acteur, pour tenter de comprendre le rapport entre l‘individu et l‘organisation à partir du comportement de l‘acteur54. En effet, les sociologues partent de l‘hypothèse que « toute structure d‟action

collective se constitue comme système de pouvoir. Elle est phénomène, effet et fait de pouvoir. En tant que construit humain, elle aménage, régularise, “apprivoise” et crée du pouvoir pour permettre aux hommes de coopérer dans des entreprises collectives »55. Les travaux des sociologues ont certainement influencé les juristes et l‘école française de sociologie des organisations, qui ont formulé une théorie sur le pouvoir dans les organisations56.

17. Les sciences économiques, de leur côté, ont tenté de trouver des explications aux enjeux

de pouvoirs dans la société anonyme, notamment les analyses classiques et néoclassiques fondées sur la conception contractuelle de la société57. En ce sens, la théorie microéconomique a fortement influencé le développement de ce que le courant anglo-saxon appelle la corporate governance58.

18. Il s‘est ensuivi que, comme dans toute organisation59, le fonctionnement de « cette

communauté hiérarchisée »60 qu‘est la société anonyme présentait une autre réalité loin des

serait pas son souci principal. » D. Keller, Les notes bleues de Bercy, n°79, p. 2, cité par A. Couret, L‘intérêt social,

JCP., éd, E, 1996, n°48, p.9-10 ; V° également, P. Morin, Le management et le pouvoir, les Editions d‘Organisations Université, 1991, p. 103.

51Leur apport est considérable : voir notamment M. Crozier et E. Friedberg, précité ; V° également Jarinou,

L‘entreprise comme système politique, PUF, Paris, 1981 ; R. Sainsaulieu, Sociologie de l‘organisation et de l‘entreprise, précité., p. 109 ; P. Morin, Le management et le pouvoir, Les Editions d‘Organisation Université, 1991.

52 Selon l‘expression de M. Crozier et E. Friedberg, ouvrage précité, p. 25. 53 M. Crozier et E. Friedberg, p. 231.

54 M. Crozier et E. Friedberg, p. 46.

55M. Crozier et E. Friedberg, p. 25.

56La notion d‘organisation désigne un « ensemble cohérent d‟actions visant à atteindre un ou plusieurs objectifs par la

mobilisation de moyens dans le cadre d‟une structure plus ou moins hiérarchisée. Les organisations ont d‟abord été définies comme des réponses techniques et rationnelles aux contraintes extérieures. L‟accent a ensuite été mis sur la composante humaine, l‟organisation étant définie comme un système social répondant à un certain nombre de fonctions ». V°

Organisation, lexique de sociologie, 3e éd., Dalloz.

57 V° infra n° 75 et s. 58 V° infra n° 661 et s.

59V° Organisation, Vocabulaire, G. Cornu, L‘ensemble des organes investis d‘une fonction ; plus spécialement

l‘ensemble des services d‘une administration. L‘organisation comprend également l‘ensemble des normes gouvernant l‘activité des organes établis, les règles de leur fonctionnement. Enfin, l‘organisation comprend l‘action d‘organiser, d‘établir des structures en vue d‘une activité, d‘instituer des organes en les dotant d‘une fonction. Ainsi, l‘objet de l‘organisation est le même pour toute les sociétés. « Il s‘agit d‘organiser un groupement

(18)

13

textes ; autrement dit, un décalage puissant entre la réalité politique de son fonctionnement et les règles régissant l‘organisation de pouvoirs. Cette dissociation entre les textes et la réalité atteignait autrefois son apogée, au point qu‘elle était devenue une réelle problématique61. Ainsi, il était banal de constater la marginalisation de l‘assemblée d‘actionnaires, son manque de réalisme, la lourdeur de ses réunions, l‘interdépendance avec l‘organe de gestion62. Dans cet esprit, la technostructure se substituait à la démocratie, au point de sentir que la souveraineté de l‘assemblée d‘actionnaires était une chimère, qui n‘existait que dans les textes63.

19. Dans ce même contexte, le marché s‘est progressivement développé, notamment au cours

des deux dernières décennies, en raison de la libre circulation des capitaux, de l‘évolution de la participation des non-résidents dans les titres négociables émis par les sociétés françaises. Ce développement incite le législateur à rechercher de nouveaux paramètres permettant « aux usagers » du marché de retrouver une protection équivalente allant de pair avec la volatilité du marché. Désormais, on rédige des lois en faveur de l‘épargne. Ainsi, le droit des sociétés cotées évolue sous l‘effet du droit boursier, qui à son tour devient le successeur du droit des contrats64. Il en résulte qu‘en réponse aux besoins de l‘économie65, le droit des sociétés est devenu sujet à des réformes périodiques. Le marché dicte ses propres règles, parce qu‘il a ses propres exigences66. Il s‘impose à la hiérarchie et affirme sa suprématie par rapport à ses acteurs. Certains ont même signalé « l‟extension totalitaire du marché comme objet

dans la société »67.

20. Dans ce contexte de la libéralisation du marché et de l‘ère de la mondialisation, le marché

est sur le point de devenir un fantôme obligeant toutes les structures microéconomiques à

de personnes pour qu‘il puisse exister et fonctionner sur le plan juridique », J. Paillusseau, Les fondements du droit moderne des sociétés, JCP, éd., G, n°3148, 1984.

60 Pour G. Ripert et R. Roblot, « (…) une entreprise est une communauté hiérarchisée. Elle a un chef qui ne représente pas

seulement le capital, mais aussi toutes les forces engagées dans l‟entreprise et qui doit la diriger dans l‟intérêt commun »,

Traité de droit commercial par M. Germain, précité, n°130.

61 Les raisons sont multiples, et l‘on entend y revenir rapidement dans les développements qui suivent. Pourtant,

il convient de noter que la problématique de la décadence des assemblées d‘actionnaires est plus ou moins archaïque, V° C. Berr, L‘exercice du pouvoir dans les sociétés commerciales, Sirey, 1961, p. 257 et s.

62La problématique de la décadence des assemblées d‘actionnaires a généré une doctrine abondante, V° infra,

n°1148.

63Y. Guyon, « La société anonyme, une démocratie parfaite ! », précité.

64 « Le droit boursier a pris le pas sur le droit des contrats, il se présente comme un droit d‘ordre public, dont

l‘une des vocations essentielles serait de limiter l‘autonomie contractuelle en matière boursière », F. Peltier, Droit boursier et droit commun des contrats, RJCom, compte rendu du colloque : « Le droit boursier en mouvement », 2001, n° spécial, p. 189.

65 P. Bézard, La société anonyme, Montchrestien, 1998, n°86.

66 V° A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l‘effet des impératifs financiers, Thèse Paris 1, 1999. 67 M. A. Frison-Roche, « Le modèle de marché », Arch. Phil. Droit, 1995, n°40, p. 287.

(19)

14

s‘incliner, si bien que les marchés financiers deviennent des dictateurs68. Cependant, ce marché, présenté comme un fait qui échappe à tout encadrement par la loi, a ses propres mécanismes, ses propres limites et surtout son ordre public financier69, lesquels se sont développés pour orienter le droit70. De ce fait, les agents économiques qui déterminent en réalité les attitudes et les comportements sur le marché, ont intérêt à ce que les transactions entre les offreurs et les demandeurs dépendent d‘une déontologie propre au marché, un traitement équitable pour tous ses « usagers »71, en vue d‘assurer la confiance de tous les acteurs du marché et notamment des « principaux »72.

21. C‘est dans ce contexte que l‘on a commencé à évoquer régulièrement ce qu‘on appelle « la

moralisation de la vie des affaires », « la démocratie économique »73. C‘est dans cette perspective que la rationalité implique d‘assouplir le système normatif régissant les sociétés cotées. Le droit des sociétés cotées est fréquemment présenté comme « protecteur » de l‘épargne. Pour autant, la protection des épargnants n‘est pas l‘unique souci, la sécurité des marchés financiers constituant aussi un enjeu central.

22. La prééminence du marché sur la norme semble s‘épanouir de plus en plus74. Ainsi, le marché a besoin de la souplesse du libéralisme, de règles adaptées et d‘encadrement. Le contrôle du processus de la régulation est confié aux autorités régulatrices75. L‘AMF œuvre en vue d‘assurer l‘équilibre entre le marché et les structures microéconomiques76. Dans ce contexte, des organismes ayant vocation à défendre les intérêts des épargnants se sont développés, comme les associations de défense des investisseurs77.

68 H. Bourguinat, La tyrannie des marchés, Essai sur l‘économie virtuelle, Paris, Economica, 1995, p. 150. 69 V° J. Méadel, Ordre public et marchés financiers, LGDJ, 2007.

70V° H. De Vauplane, Les notions du marché, RDBF. 1993, n°36, p. 62 et s.

71 Les études sur l‘éthique financière se sont succédées, notamment ces dernières années ; J.-F. Daigne, L‘éthique

financière, Que sais- je ?, PUF, 1991 ; H. Ploix, Ethique et marchés financiers, in Rapport moral sur l‘argent dans le monde, éd. 1996 ; J.-F. Daigne, L‘éthique, nouveau moteur d‘efficacité, LPA, 29 juin 1990, n°78, p. 27.

72 G. Hirigoyen, Quelques réflexions sur le lien entre l‘éthique et la finance, Mél. Percerou, 1993, p. 208.

73 V° A. Minc, Conférence sur le thème « le marché, l‘argent et les règles », Association Droit et Commerce, 28

janvier 1991.

74 M.A. Frison-Roche, Le modèle du marché, APD 1995, vol 40, p. 286 et s. : « Le droit est l‟ensemble des règles

objectives et générales qui organisent les rapports sociaux. Mais le marché a prétention à être l‟ensemble des règles objectives et générales qui organisent les rapports sociaux. Le marché possède ses propres lois dont nul ne peut disposer. Le droit du marché est un instrument au service de ce dernier ; il doit en adopter la prétendue neutralité. Il ne pourrait pas contrarier la loi du marché ou même surajouter d‟autres impératifs. Le droit n‟a le pouvoir que de servir : il devient une discipline proprement ancillaire ».

75 V° infra, n° 1410.

76 Revoir, M. A. Frison-Roche, Droit, Finance, Autorité. Les modes de régulation juridique propres aux autorités

de marchés financiers, Rapport Laboratoire de sociologie juridique de Paris II, septembre 1999, § 49.

(20)

15

23. Ainsi, dans un contexte de libre-échange, le marché revêt un double aspect : d‘un côté, il a

besoin d‘être régulé78, mais d‘un autre côté, il intervient dans la société anonyme pour réguler son fonctionnement. En réalité, c‘est ce rapport dialectique entre le marché et la société anonyme comme agent sur le marché qui incite à sa régulation. Il ressort que la régulation s‘impose comme une solution sans précédent79, constituant une alternative naturelle à la « règlementation tatillonne »80.

24. Doit-on préciser une définition juridique du marché loin des définitions journalistiques

qui peuvent induire en erreur ? Assurément, la notion de marché est délicate à définir. A titre de définition générique, le marché est le lieu de la confrontation de l‘offre et de la demande des sommes d‘argent, représentées généralement par des titres représentatifs de capital ou des créances, selon un prix ajusté81. Pour Adam Smith, le marché est « le lieu de rencontre dans

l‟espace ou dans le temps entre les offreurs et les demandeurs »82. Le marché financier désigne une structure encadrée et régulée83. Il correspond, dans le paysage financier français traditionnel, à la bourse de valeurs, ou marché secondaire, c'est-à-dire le marché où se vendent les valeurs mobilières. S‘agissant du marché boursier, un auteur a précisé que celui-ci « permet de réaliser

des transactions portant sur des valeurs mobilières sur la base d‟un prix d‟équilibre, constamment ajusté à l‟état de l‟offre et de la demande et rendu public dans le cadre d‟un processus prédéfini et connu »84.

25. Sur une autre voie, il convient de rappeler que sous les nouvelles donnes financières et

économiques, les rapports entre la société anonyme et le marché ont provoqué une interfération entre le droit boursier et le droit des sociétés cotées85. En effet, si le droit des sociétés cotées86 a pour finalité la protection des acteurs internes et des acteurs ayant des

78 Le président de la COB, dans son rapport de 1996, qualifie la régulation comme « instrument indispensable de

la confiance, le mécanisme du marché ».

79 Plusieurs définitions ont été données au terme de régulation économique ; on retient la définition de M. A.

Frison-Roche : « Fixée sur un système de marché, tout à la fois requise et mise en difficulté par la globalisation, la régulation

est synonyme d‟équilibre entre les pouvoirs et reconstruction des rapports de force. Le droit peut tout entier jouer ce rôle dans son rapport avec l‟économie mais, si l‟on recherche une définition à l‟intérieur même du système juridique, elle visera l‟appareillage juridique qui construit des secteurs économiques sur un équilibre entre la concurrence et d‟autres impératifs hétérogènes », Frison-Roche, Définition du droit de la régulation économique, Dalloz, 2004, n°2, p. 126.

80 Y. Guyon, Traité des contrats: les sociétés aménagements statutaires et conventions entre associés , 5e éd., Paris,

LGDJ 2002, V° Introduction

81 J. Méadel, L‘ordre public et les marchés financiers, Thèse LGDJ, 2007, p. 2 ; V° également, H. De Vauplane, Les

notions de marché, RDBF, 1993, n°36, p.62 et s.

82 A. Smith, An inquiry into the nature and causes of the wealth of nations : la richesse des nations, Paris, A. Blanqui,

1843.

83 Th. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, 2e éd., Economica, 2005, n°5, p. 11. 84 D. Ohl, Droit des sociétés cotées, 3e éd., Litec, 2007, p. 13.

85D. OHL, Droit des sociétés cotées, Litec, 2003, spéc. n°12.

86Le droit des sociétés cotées correspond au corps de règles appliquées aux sociétés dont les titres sont négociés

(21)

16

rapports directs avec la société, tels que les créanciers, le droit boursier s‘intéresse essentiellement à la protection du marché. Or, désormais, le droit des sociétés cotées s‘ajuste en fonction des contraintes financières, et ses dispositions peuvent compléter celles du droit boursier, « voire purement et simplement [être] ignorées ou écartées »87, tandis que le droit financier, a priori, « s‟élabore, perturbateur des règles et des catégories juridiques classiques »88.

26. Pour autant, le droit des sociétés participe à la stabilisation des marchés financiers89. En effet, les sociétés cotées ont des devoirs envers les agents du marché. En tant que structures émettrices, les investisseurs exigent que le fonctionnement des organes sociaux soit orienté vers la protection de leurs propres intérêts. Pour cette raison, dans la dialectique entre mode de gouvernement et mode de financement, le premier doit fonctionner dans l‘intérêt du deuxième. Dès lors, « la société cotée, technique de financement, […] n‟est plus vue comme un

groupement démocratique de personnes, mais comme un instrument de levée de fonds en vue de financement d‟une activité »90.

27. Pourtant, le marché obéit à un ordre public général, qui est différent de l‘ordre public

sociétaire, voire lui est supérieur91. En effet, au sein du marché, interfèrent tous les intérêts. C‘est la somme des intérêts individuels qui représente l‘intérêt général du marché. Il en résulte que la société anonyme qui participe au fonctionnement du marché se résigne à l‘ordre public du marché, appelé encore ordre public économique. De ce fait, l‘intérêt général devient le « moteur de l‟ordre public »92, fondé sur le principe d‘équité. Pour autant, l‘intérêt général est loin de constituer un objectif en soi ; il s‘impose tout simplement comme un outil indispensable au bon fonctionnement du marché.

28. L‘influence du marché est telle que certains finissent par penser que même la morale est

orientée vers des raisons économiques93. Le contexte juridique et économique français n‘est pas à l‘abri des mutations mondiales. En effet, « l‟organisation et le fonctionnement des sociétés

anonymes soulèvent les mêmes problèmes dans tous les pays capitalistes. Ces problèmes se multiplient aujourd‟hui en raison de la diversité et de la complexité des intérêts concernés par le fonctionnement

87 A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l‘effet des impératifs financiers et boursiers, Thèse, n°1725. 88 A. Couret, La loi sur l‘épargne, Loi n°87-416 du 17 juin 1987, Bull Joly, juin 1987, n°140, p. 429.

89 Y. Chaput, Le droit au défi de l‘économie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 256, cité par J. Méadel,

ouvrage précité.

90 J.-J. Daigre, Les techniques d‘émissions, Rev. soc., 2004, p. 479.

91 V° infra sur les finalités du principe de hiérarchie et de séparation des pouvoirs, n°1085 et s. 92 J. Méadel, ouvrage précité, p. 9.

(22)

17

des grandes sociétés »94. Le droit des sociétés est le domaine par excellence qui subit l‘influence des facteurs sociaux, politiques et notamment financiers.

29. Loin des exigences économiques, l‘évolution du droit des sociétés – notamment la société

anonyme, objet de notre étude – est dictée également par des considérations d‘ordre idéologique95. Ainsi, ces dernières décennies ont connu l‘évolution de ce qu‘on appelle la

corporate governance, ou « gouvernement d‘entreprise » selon la traduction française. La corporate governance, « plus qu‟un simple domaine d‟études dédié aux interactions entre dirigeants et

actionnaires pour la direction et le contrôle d‟une société, est une doctrine d‟origine anglo-américaine, prônant un système de solutions vouées à la création actionnariale et donc conçues pour garantir au mieux la responsabilité des organes de gestion vis-à-vis de la collectivité des actionnaires »96. Ce

mouvement est initié par la doctrine anglo-saxonne97 et intégré par les Principles of corporate

governance98 ; il est défini par ses fondateurs comme le système « par lequel les sociétés sont

dirigées et contrôlées ». La corporate governance se présente comme l‘expression parfaite « d‟un consensus sur l‟opportunité de modifier l‟équilibre entre le capital et les dirigeants au profit de l‟actionnariat »99. Ce mouvement entame une réflexion permanente sur l'équilibre du pouvoir, sur le perfectionnement des systèmes de contrôle. Le développement de la corporate

governance est le fruit d‘un grand phénomène caractérisant le fonctionnement des sociétés

commerciales, à savoir la dissociation entre la propriété du capital et sa gestion100. Ce phénomène a favorisé le développement d‘un pouvoir managérial qui s‘associe avec des investisseurs professionnels potentiels101.

30. En France, le professeur Alain Couret s‘est interrogé sur la possibilité d‘introduire les

principes de la corporate governance dans le droit français des sociétés102. Dans ce même contexte, les interventions législatives, les recommandations et rapports se sont succédés, le but étant d‘« insuffler davantage d‟efficacité, mais aussi, idéalement, de diligence, de loyauté et de

transparence dans la direction des sociétés en contraignant les responsables des entreprises à respecter

94G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, LGDJ, 2002, 18 éme édition, par M. Germain, t.1, vol. 2,

n°1390.

95 V° infra, n°653 et s.

96A. Pietrancosta, « Le droit des sociétés sous l‘effet des impératifs financiers et boursiers », Paris 1, 1999, n°158. 97 Idée formulée déjà par A. Berle et G. Means, the Modern Corporation and Private Property, New York, 1932, 4e éd. 98Ces principes sont formulés par l‘American Law Institute et le Code of Best Practice en 1992, issu du rapport

Cadbury au Royaume-Uni.

99V° E. Loiselet, « Le grand retour de l‘actionnaire », Banque Stratégie, n° 173, mai 2000, p. 2 ; I. Parachkévova, Le

pouvoir de l‘investisseur professionnel dans la société cotée, LGDJ, 2005.

100 V° les références ci-dessous, note 1728. 101 V°, I. Parachkévova, ouvrage précité.

102 V° A. Couret, « Le gouvernement d‘entreprise, la corporate governance », D, 1995, chron., p. 163 ; « Vers un

nouvel équilibre des pouvoirs dans les sociétés cotées. La « corporate governance » à la française », LPA, 27 septembre 1995, n°116, n° spécial.

Références

Documents relatifs

Les associations d’autorités locales 12 peuvent jouer un rôle actif dans la mise en place d’une bonne gouvernance et l’obtention de résultats en matière de développement

La hausse des prix à la consommation du gaz et de l'électricité a été constante dans la quasi- totalité des États membres, mais les écarts entre les prix nationaux

La définition de «catastrophe régionale hors du commun» énoncée dans le règlement est assez vague et les conditions d’intervention du Fonds pour cette catégorie de

«New policies» (nouvelles mesures).. Mais le CSC est aujourd’hui à la croisée des chemins. Tous ses aspects ont déjà fait l’objet de démonstrations en dehors de

Préparations destinées aux nourrissons en sous-poids à la naissance et aux nourrissons prématurés: La Commission n’a pas souscrit à la position du Parlement européen

31 Données provenant de 24 États membres (données partiellement manquantes pour la Belgique, la France et la Lituanie). Les données pour le Portugal n’ont pas

Ces avantages potentiels sont notamment liés à la diversification des risques (le fait de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier) et au maintien d'une émulation

2 Orientations concernant la mise en œuvre de la restriction temporaire des déplacements n on essentiels v ers l’UE, la facilitation du régime de transit pour le rapatriement