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POUR UNE PLUS GRANDE DIFFUSION DU MODÈLE ECOREGIO

Le modèle d’EcoRegio est en parfaite cohérence actuellement avec les priorités des politiques publiques des municipalités, de la région, du pays et de l’Europe. Ces politiques prônent le produit de proximité, dit « km 0 » en Catalogne, et les circuits courts pour rapprocher producteurs et consom- mateurs, ainsi que l’agriculture biologique comme alternative vers une agriculture plus durable. Ce contexte politique favorable peut faciliter l’expan- sion du modèle, en associant les pouvoirs publics comme parties prenantes.

Un autre aspect contextuel favorable est le changement de comportement du consommateur qui s’oriente vers des produits alimentaires plus durables et une volonté de réduire les distances mentionnées (géographique, cognitive et écono- mique). La proximité entre producteur et consom- mateur, valeur intrinsèque à EcoRegio, est une des principales motivations des acteurs interviewés.

Du côté des entreprises, c’est la facilitation des relations entre les acteurs qui apparaît comme un

JOURNÉE DES INNOVATIONS POUR UNE ALIMENTATION DURABLE 2018

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point fort d’EcoRegio. Les entrepreneurs appré- cient ce rôle d’EcoRegio comme promoteur d’un travail collaboratif et du partage d’expériences. Pour Nacho Perez, producteur en agriculture bio- dynamique, « EcoRegio est un outil pour perdre

la peur de marcher ensemble, pour faciliter la force de la microsociété face à des problèmes communs. Une opportunité pour redonner de la dignité à la vie et au travail du paysan. Il des- sine aussi une ligne transversale directe avec le client » (Perez, 2018).

Mais le modèle rencontre aussi des limites. Il établit une coopération entre acteurs basée sur leur proximité géographique dans une région / zone donnée, mais pas forcément sur l’existence de proximités organisationnelle ou relationnelle préexistantes, qui doivent se créer par la suite. Il sera nécessaire alors d’analy- ser comment les acteurs combinent la proximité géographique et la proximité organisationnelle pour se coordonner (Gallaud et al., 2012). Car les acteurs interviewés confirment ne pas avoir de liens préétablis, et adopter des stratégies indivi- dualistes. EcoRegio, SL intervient alors dans un premier temps pour jouer le rôle de facilitateur exogène afin de dynamiser la création de liens et de favoriser l’émergence de réseaux. C’est jus- tement cet aspect exogène qui peut représenter une limite à la durabilité de l’initiative, et à son appropriation par les acteurs locaux. Quid aussi de potentielles relations conflictuelles entre acteurs, comme freins ? Néanmoins, avec un accompagne- ment participatif et dans le temps, les proximités organisationnelle et relationnelle pourraient se construire et durer.

Un autre aspect limitant la diffusion de l’ini- tiative, c’est sa dépendance vis-à-vis de l’inves- tissement social pour générer de la valeur. À ce niveau, le contexte socioéconomique et cultu- rel des régions joue un rôle déterminant. En Allemagne, la situation économique est stable et la consommation de produits biologiques est la plus importante d’Europe ; de ce fait, le contexte est favorable pour le développement de ce type d’initiatives. En Catalogne, par contre, avec une situation économique instable suite à la crise de 2008, et des évènements politiques entraînant de l’incertitude sur l’avenir de la région, le contexte est moins favorable à la consolidation d’une telle initiative. À cela s’ajoute un contexte cultu- rel pauvre vis-à-vis de l’investissement social.

Selon le maire de Celrà, Daniel Cornellà (village de la MicroEcoRegio Ter-Gavarres), « il y a un frein

culturel, car la population n’est pas habituée à ce genre d’initiatives et a besoin de concret pour investir son argent. Le processus s’accélèrera quand plus d’entreprises auront participé, et que des exemples concrets seront opérationnels »

(Cornellà, 2018). Dans ce contexte, EcoRegio, SL a mis plus de deux ans pour rassembler 100 000 € comme capital de fonctionnement, et avance lentement dans la construction de ses bases ; à savoir qu’au départ, l’objectif fixé pour le dévelop- pement d’EcoRegio, SL était d’arriver à mobiliser 3 millions d’euros d’investissement en 2020, et à créer cent cinquante emplois.

Enfin, le fait de restreindre le modèle à des acteurs en lien avec l’agriculture biologique limite considérablement sa diffusion. Dans un premier temps, s’ouvrir à d’autres acteurs pourrait facili- ter l’implantation du modèle EcoRegio.

CONCLUSION

EcoRegio, SL propose un modèle innovant qui est en train de susciter de l’intérêt de la part de différents types d’acteurs, des producteurs aux pouvoirs publics. Ainsi, il y a plusieurs demandes en cours pour créer des MicroEcoRegios en Catalogne et ailleurs (par exemple à Ibiza). De plus, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) des Pyrénées-Orientales Méditerranée, peut-être en collaboration avec les CCI partenaires de CCI Pirineus (CCI Lleida, CCI Girona, CCI Andorre, CCI PO), serait aussi intéressée par la création d’un projet pilote transfrontalier impliquant le Capcir et les Cerdagne française et catalane (Girona), Andorre et l’Alt Urgell (Lleida) [Delcasso, 2018]. Cependant, avant de de multiplier le modèle, il s’avère nécessaire qu’une première EcoRegio soit opérationnelle et se consolide, pour servir d’exemple concret de référence pour celles à venir, et pour permettre de tirer des apprentissages.

D’un autre côté, il reste encore des défis à rele- ver pour arriver à mobiliser le capital nécessaire pour que les EcoRegio soient actives et réus- sissent dans leur mission créatrice de valeurs durables. C’est justement à ce niveau-là que la viabilité économique du modèle pourrait être remise en cause. En effet, l’investissement à impact social en Espagne est encore émergent, et il faudra encore plusieurs années pour que le mar-

ché se consolide, autant du côté des entreprises qui proposent du capital que de celles qui sont en demande de capital.

En plus, comme exposé précédemment, ce modèle ne peut fonctionner que dans des contextes avec des caractéristiques particulières. De ce fait, il s’avère nécessaire de définir des critères spéci- fiques en amont pour une implantation réussie.

De par sa spécificité, le modèle EcoRegio peut également générer de l’exclusion de territoires ou d’acteurs et faire apparaître de la concur- rence entre eux ; car les phénomènes de concen- tration spatiale des activités peuvent profiter à une région au détriment de ses concurrentes (Pecqueur, 2006). En conséquence, certaines régions ou acteurs pourraient voir leur économie locale fleurir sur des bases de durabilité, tandis que d’autres resteraient économiquement dépri- més. Dans ce cas, les pouvoirs publics devraient contribuer à garantir l’équité et atténuer les écarts de développement économique.

BIBLIOGRAPHIE

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2016. Ecological, 14 p.

GALLAUD D., MARTIN M., REBOUD S., TANGUY C., 2012. Proximités organisationnelle et géographique dans les relations de coopération : une application aux secteurs agroalimentaires. Géographie, Économie,

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GENDRON C., BOURQUE G., 2003. Une finance responsable à l’ère de la mondialisation économique.

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PECQUEUR B., 2006. Le tournant territorial de l’économie globale. Espaces et sociétés, 124-125, 1, 17-32. Disponible sur Internet : https://www.cairn.info/ revue-espaces-et-societes-2006-1-page-17.htm TORRE A., 2015. Théorie du développement territorial. Géographie, Économie, Société, 17, 3, 273-288.

WHEELER D., MCKAGUE K., THOMSON J., DAVIES R., MEDALYE J., PRADA M., 2005. Creating Sustainable Local Enterprise Networks (SLEN). MIT Sloan

Management Review Fall, 1, 33-40.

Entretiens

CORNÈLLA D., éducateur social, maire de Celrà, entretien le 08/03/2018 par WhatsApp.

COSTA LECHUGA O., directeur d’EcoRegio, SL, plusieurs entretiens à distance et présentiels (entre janvier et mars 2018).

DELCASSO F., coordinatrice de la chambre de commerce et d’industrie Pyrénées-Méditerranée, entretien téléphonique le 09/03/2018.

PEREZ N., producteur en agriculture biodynamique à Barcelone, entreprise collaboratrice d’EcoRegio, entretien le 09/03/2018 par WhatsApp.

Cette étude s’est également basée sur les entretiens suivants, dont les contenus sont venus enrichir l’analyse :

BIDAULT L., spécialiste en communication, conseillère d’EcoRegio, entretien le 03/03/2018 à Girone. DELESSERT E., producteur de confitures biologiques et créateur de produits gastronomiques, entreprise membre de la MicroEcoRegio Ter-Gavarres, entretien téléphonique le 05/03/2018.

FORTUÑO D., investisseur d’EcoRegio, entretien le 06/03/2018 à Barcelone.

PERES J., directrice de la Fédération régionale CIVAM Occitanie, entretien le 23/02/2018 à Lattes.

RIMAV T., professeur associé à l’Université ESCI Pompeu Fabra, chercheur dans la thématique d’entrepreneuriat social, conseiller d’EcoRegio, entretien le 05/03/2018 à Barcelone. Remerciements

À toutes les personnes mentionnées pour s’être rendues disponibles et avoir accepté de partager leurs expériences.

FIGURE 1. L’ORGANISATION DU PROJET « DE LA TERRE À L’ASSIETTE »