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Le partage de connaissances entre agriculteurs au cœur de la diffusion

des pratiques agroécologiques

Le besoin d’échange d’expériences et de connaissances entre agriculteurs

Pour favoriser la transition agroécologique, il s’agit de reconnaître les savoirs paysans souvent oubliés par les experts des sciences agrono- miques (recherche et agrobusiness) [Richardson, 2005]. Dès les années 1980 et 1990, les travaux de sociologie rurale, notamment portés par le

1. Entretiens avec plusieurs maraîchers du MSV, conseillers agri- coles et responsables de structures de formation.

Gerdal2, montraient l’importance des échanges

entre pairs pour favoriser l’innovation locale et adaptée aux attentes des agriculteurs. Par exemple, pour Jean-Pierre Darré, les réseaux permettent « d’échanger des expériences, des

informations, exercer une influence pour intro- duire une variante nouvelle ». Il s’agit aussi « d’un moteur d'activité réflexive sur les façons habi- tuelles de dire les choses » (Darré, 1993).

Face à l’incertitude liée à l’efficacité des pratiques agroécologiques et à des périodes de transition parfois longues, l’échange entre pairs permet donc une « réassurance psychologique » (Claveirole, 2016) qui accompagne la prise de risque. Échanger avec d’autres personnes partageant une situation similaire permet de prendre confiance. Le Conseil économique, social et environnemental souligne dans un rapport sur l’agroécologie que face à la forte hétérogénéité des pratiques agroécologiques, il existe un réel besoin d’une démarche collective ascendante impliquant l’échange de pratiques et de savoir-faire, l’observation et l'expérimentation sur le terrain (Claveirole, 2016).

Pour favoriser l’adoption des pratiques agroé- cologiques, il faudrait aussi réussir à convaincre les agriculteurs qu’elles sont durables et ren- tables. Cela passe principalement par l’acquisition de nouveaux référentiels techniques. Il est aussi nécessaire de communiquer auprès de l’ensemble des acteurs des systèmes alimentaires pour pro- mouvoir cette nouvelle agriculture.

L’échange au sein de réseaux et collectifs d’agriculteurs

Les échanges entre agriculteurs peuvent être favorisés par la constitution de réseaux et groupes d’agriculteurs. Les réseaux d’agriculteurs sont « une forme de collectif où les appartenances

sont libres et volontaires, dans laquelle les singu- larités de chacun sont ménagées et sont même sources de richesse » (Demeulenaere et Goulet,

2012). Dans un réseau, il n’existe a priori pas de hiérarchie, et l'information est censée circuler de manière horizontale. Le but est d’avoir des rela- tions directes entre individus. La pérennité des réseaux d’agriculteurs est en général assurée par des relations de réciprocité (services rendus) [Demeulenaere et Goulet, 2012].

2. Groupe d’expérimentation et de recherche : développement et actions localisées.

Dans le milieu agricole, les réseaux d’agriculteurs sont, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, des espaces sociaux essentiels sur lesquels se sont appuyés de multiples acteurs, experts, politiques, agroentreprises, pour faire évoluer les pratiques agricoles. Jean-Pierre Darré expliquait l’importance des groupes professionnels locaux, qui constituent un type de réseaux d’agriculteurs définis par la proximité sociogéographique (le village, la vallée), dont les membres sont à portée de dialogue et ont des activités semblables (Darré, 1991).

Dans les années 1940, les CETA (centres d’études techniques agricoles) avaient été créés pour permettre aux agriculteurs, souhaitant se regrouper localement autour de problématiques communes, de bénéficier d’une aide technique personnalisée. Ils ont permis de créer « une

dimension nouvelle de promotion humaine, de développement des personnes et de leur capacité à rechercher par elles-mêmes les solutions à leurs problèmes » (CETA Ille-et-Vilaine, 2018). Les CUMA

(coopératives d’utilisation du matériel agricole), créées après la seconde guerre mondiale, jouent aussi un rôle structurant sur les territoires. Ces « collectifs d’agriculteurs sont le lieu d’échanges,

parce qu’on est plus fort en groupe, pour partager les risques, se conforter, expérimenter ensemble ». Les CUMA permettent notamment

de diminuer les investissements individuels pour l’achat de matériel productif (Claveirole, 2016). Le réseau CIVAM (centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural), créé dans les années 1950, est aussi un réseau stratégique d’échanges pour une agriculture durable. Les CIVAM sont des groupes locaux qui rassemblent et mobilisent des agriculteurs qui partagent des questionnements similaires, autour de leurs pratiques. Chaque CIVAM est positionné sur différentes approches (agriculture biologique, circuit court, accès à l’alimentation, etc.), en fonction notamment de la demande des groupes, mais aucun groupe CIVAM n’est spécialisé dans la diffusion des pratiques agroécologiques. Dans la même logique, les groupements d’intérêt écologique et environnemental (GIEE) ont été mis en place en 2014 par le Gouvernement avec la loi d’avenir pour l’agriculture. Il s’agit de collectifs d'agriculteurs qui s'engagent dans un projet pluriannuel de modification ou de consolidation de leurs pratiques en visant des objectifs à la fois économiques, environnementaux et sociaux.

JOURNÉE DES INNOVATIONS POUR UNE ALIMENTATION DURABLE 2018

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Aujourd’hui, avec le développement des tech- nologies de l’information et de la communication (TIC), les groupes et réseaux ne sont pas forcé- ment limités à des échanges locaux. Par le biais d’Internet, il devient facile d’organiser des collec- tifs pouvant dialoguer à travers la France ou le monde. Des réseaux nationaux ont ainsi été créés par les agriculteurs pour échanger sur des pra- tiques durables, tels que le réseau BASE (biodi- versité, agriculture, sol et environnement), créé en Bretagne dans les années 2000. Cette associa- tion regroupe près de 40 000 adhérents qui ont souhaité échanger sur les pratiques de conserva- tion du sol. L’association MSV a pour sa part déve- loppé un réseau de maraîchers en non-travail du sol à travers la France. Pour faciliter l’accès à l’in- formation, d’autres initiatives se sont dévelop- pées. C’est le cas par exemple d’Osaé, une plate- forme en ligne créée par Solagro qui valorise les pratiques agroécologiques par l’échange entre agriculteurs.

Nous allons présenter l’association MSV puis la plateforme Osaé, qui représentent deux innova- tions organisationnelles utilisant les TIC au ser- vice du libre partage de connaissances. L’objectif est de comparer ces dispositifs et d’analyser leurs forces et faiblesses en tant que leviers pour l’ac- compagnement ou le renforcement des innova- tions en faveur de la transition agroécologique.

L’ASSOCIATION MARAÎCHAGE SOL