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Potentiel d’évolution et résilience

La variation illustrée dans la figure 18 montre que les plus faibles richesses spécifiques se rencontrent pour des jachères cultivées tous les 4 à 5 ans. Les observations pour les plus faibles valeurs ne concernent que des sols gravillonnaires peu profonds. Ici deux hypothèses existent et laissent en suspens le choix entre la cause et l’effet. Soit la pratique a une influence sur l’état du peuplement, soit la défriche des jachères courtes se fait sur les sols les moins riches. Seule une étude précise des processus longs d’érosion des sols permettrait de trancher la question, et nous relèverons seulement que les cultivateurs choisissent des sols gravillonnaires pour les jachères courtes où se développera favorablement l’arachide, sélectionnant les meilleurs sites pour la production de riz sur des jachères dépassant 5 ans. Finalement, les meilleurs potentiels sont toujours préservés.

Figure 18 : Richesse spécifique ligneuse en fonction des fréquences de défriche

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 Jachères défrichées tous les 4 à 5 ans (9 observations) Jachères défrichées tous les 6 à 7 ans (11 observations) Jachères défrichées à plus de 8 ans (10 observations) valeur de richesse spécifique ligneuse minimale valeur de richesse spécifique ligneuse moyenne valeur de richesse spécifique ligneuse maximale

A l’heure actuelle et au vu des temps de jachère majoritairement pratiqués, la défriche-brûlis (1 à 2 années de mise en culture, des temps de repos de 5 à 10 ans), ne conduit pas à des érosions sensibles de diversité.

Les peuplements ont co-évolué avec ces pratiques depuis le premier défrichement, aujourd’hui hors de mémoire des hommes (et des milieux, si l’on peut dire). La formation

se maintient dans cette alternance de coupe et de repousse, sans signe, à ce jour, de forts déséquilibres.

Si les jachères actives représentent un type relativement homogène au regard des seules valeurs de diversité biologique, l’analyse des cortèges spécifiques et une attention particulière portée sur la nature des peuplements permettent de nuancer l’analyse en terme de dynamique. En effet, selon le cortège représenté, l’évolution du milieu peut varier. Il est possible dès lors de distinguer plusieurs types de jachère à partir de quelques critères. Le temps de jachère n’étant pas pertinent ici, nous prendrons en compte des indicateurs établis à partir de la nature et de la structure du peuplement. Bien plus que la diversité spécifique en elle-même, la diversité fonctionnelle, ou « écodiversité », est considérée comme une condition essentielle à la résilience des milieux.

La notion de résilience est entendue selon deux directions. La première est la résilience écologique, soit la capacité d’un milieu à assurer et maintenir ses fonctionnements biologiques. La seconde, qui lui est liée, s’approche d’une résilience « sociale », ou plus exactement de la capacité d’un milieu à assurer les fonctions sociales et productives qu’on lui assigne. Pour les jachères, les capacités de résilience s’expriment dans les potentiels de régénération des espèces ligneuses, assurant du même coup la capacité productive des espaces (recharge des sols en éléments organiques et minéraux, recouvrement ligneux empêchant la propagation des adventices…). Les espèces présentes dans les jachères, ainsi que les cortèges qui ont été mis en évidence, ne présentent pas les mêmes aptitudes, ni les mêmes rôles écologiques.

Importance des cortèges

La biomasse ligneuse est le critère essentiel de l’agriculteur. Ainsi l’intérêt réside pour lui dans la présence d’espèces qui produisent de multiples rejets de souche et se développent en hauteur. La figure 19 montre la relation qui existe entre les surfaces terrières mesurées, approximations de la biomasse ligneuse, et le cortège en présence pour 14 relevés effectués dans des jachères d’âges différents. Il apparaît que les valeurs de biomasse les plus fortes s’observent pour les cortèges de type E, caractérisés comme guinéens à tendance forestière. Les espèces principales sont ici Dialium guineense,

Parinari excelsa, Sterculia tragacantha ou Xylopia aethiopica pour ne citer que ces taxons.

Les cortèges plus ubiquistes, U et C, également du domaine guinéen, mais composés d’espèces héliophiles peu exigeantes, comme Alllophylus cobbe, Anthonota crassifolia,

Diospyros heudelotii ou Ximenia americana, offrent des biomasses moyennes très

acceptables. C’est par contre la série d’espèce appartenant au domaine soudano-guinéen (D), comme Daniellia oliveri, ou les espèces pyrotolérantes telles que Piliostigma

thonningii ou Annona senegalensis, qui fournissent aux jachères les biomasses les plus

faibles.

Figure 19 : Relation entre surface terrière et type de cortège identifié

C/D C/E D E C D U/D E C E U E D E 0 5 10 15 20 25 30 35 40 S u rf ac e te rr iè re e n m ²/ h a jachère de 4 ans jachère de 5 ans jachère de 6 ans jachère de 8 ans jachère de 10 ans

E : cortège guinéen à tendance forestière ; C : cortège guinéen héliophile peu exigeant ; U : ubiquistes ; D : cortège soudano-guinéen

Se dégagent deux grands ensembles de jachères : le premier, selon un gradient allant des cortèges E, pour les valeurs les plus fortes au groupe C pour les valeurs moyennes, présente de bonnes capacités de régénération. Une bonne représentation de ces deux cortèges peut être alors utilisée comme un indicateur. A l’opposé, les jachères où se développent des espèces pyrotolérantes ou préférentiellement rencontrées dans des domaines savanicoles (D) offrent de faibles capacités de régénération.

Dynamique

Les milieux restent néanmoins dynamiques et, au sein des jachères, le peuplement peut se voir enrichi de nouvelles espèces. Ainsi, la capacité de régénération, dépendant des espèces en présence, peut évoluer dans le temps au gré des processus de dispersion. Le peuplement en place forme la base des capacités de reconstitution ligneuse, la majorité des individus étant, comme nous l’avons vu, issue de rejets de souche, mais de nouvelles pousses peuvent également se développer. Ici apparaît l’importance de plusieurs éléments dans la dynamique végétale : les réserves de graines, les arbres semenciers et la dispersion des semences.

La jachère est une formation très homogène où le type biologique majoritaire est représenté par des arbustes et des petits arbres issus souvent de rejets de souche (toujours plus de 50 % du peuplement). La diversité structurelle, et par extension, de fonction, est réduite. Or la résilience d’un écosystème, sa résistance aux perturbations, dépend de la diversité des fonctions des différents éléments de la biocénose et des interactions qu’ils entretiennent. La présence sporadique des grands ligneux est, à cet égard, fondamentale. Les grands arbres qui se maintiennent dans les jachères jouent un rôle écologique de premier ordre dans la diversification des peuplements. Ils participent d’une part, par leur seule présence, en tant que reproducteur, au renouvellement des stocks de graines de l’espèce, et d’autre part à la dissémination d’autres espèces (Carrière, 1999).

La comparaison de deux relevés réalisés sur le même site à Horrethangol (secteur de Kankayani, Kanfarandé) illustre le rôle des grands ligneux au cœur des jachères. Les comptages sont réalisés dans une jachère de 5 ans. Au milieu de la parcelle s’élève un

Parinari excelsa d’environ 20 mètres de hauteur. Sous le couvert du Parinari, pour une

surface de 12 m², 23 espèces sont dénombrées. Sur une surface de 60 m² dans l’espace ouvert se rencontre une diversité de 29 espèces, mais dans les 12 premiers mètres carrés du relevé en jachère, seulement 18 espèces sont présentes. Avec toute la réserve nécessaire, la diversité sous l’arbre serait 1,3 fois plus élevée qu’ailleurs.

Les densités suivent le même schéma, rapportées à la surface la plus petite, elles sont de 50 individus pour 10 m² dans l’espace dégagé et de 103 individus sous l’arbre.

Au regard de la composition spécifique, les deux relevés ont 13 espèces en commun. Si au total, sous le couvert, moins d’espèces sont présentes, et ce, en rapport à la

surface réduite imposée pour l’échantillonnage, on rencontre sept taxons qui ne sont pas représentés dans le reste de la jachère. Parmi ceux-ci, par exemple, on trouvera Uvaria

Chamae, Spondias mombin et Rauvolphia vomitaria. Petits arbres à fruits sucrés, ces

taxons illustrent le rôle de la faune dans la dispersion des espèces et l’enrichissement du peuplement des jachères. Le Parinari excelsa, grand arbre fruitier, attire les animaux disséminateurs (primates et oiseaux) dans sa canopée.

Les plus grands ligneux sont souvent conservés lors de la défriche. A Madya, les densités moyennes de grands ligneux rencontrées dans les jachères sont de 4 individus/ha, avec un écart type de 4,2. Pour les palmiers, suivant les sites, ces densités peuvent être parfois très élevées, jusqu’à 20 individus par hectare, mais avec des valeurs moyennes de l’ordre de 3 à 4 individus/ha. La première raison citée par les cultivateurs est le manque de moyen technique pour abattre les grands arbres. Certains cultivateurs y trouvent d’autres intérêts. La plupart des espèces maintenues sont des espèces utiles, pour la majorité portant des fruits comestibles : le Parinari excelsa (« Souguè »), le Parkia biglobosa (« Néri » ou « Néré »), l’Elaeis guineensis (« Tougui »), le Detarium senegalensis (« Bötö »). Pour d’autres cultivateurs, le rôle des grands arbres dans l’enrichissement des sols (formation d’une abondante litière) et pour le maintien de l’humidité est connu. Dans leurs pratiques agricoles, ils intègrent ces aspects soit en augmentant la densité de semis de riz sous le couvert des arbres, soit en y installant de petits jardins potagers.

Tableau 7 : Fréquence des espèces ligneuses conservées dans les parcelles agricoles

Fréquence de chaque espèce:

Elaeis guineensis 49,2% Pterocarpus erinaceus 45,4% Parkia biglobosa 23,8% Parinari excelsa 17,7% Daniellia oliveri 8,5% Borassus aethiopum 6,2% Prosopis africana 5,4% Piliostigma thonningii 4,6% Bombax costatum 3,1% Syzygium guineense 2,3% Mangifera indica 2,3% Spondias mombin 2,3% Ceiba pentendra 2,3% Erythrophleum guineense 2,3%

(comptage des ligneux supérieurs à 8 m de haut dans 104 parcelles)

La résistance au feu de ces arbres est évidente, mais elle n’est pas sans limite. A terme, au bout de plusieurs cycles de brûlis, les arbres finiront par dépérir. Des jachères existent sans que ne se soit conservé un seul arbre. La résistance au feu est variable suivant les espèces. Parmi les grands ligneux identifiés sur nos zones d’étude, Erythrophleum

guineense (« Mèli ») ou Chlorophora excelsa (« Simmè ») supportent mal le brûlis. On

observe de nombreux arbres morts sur pied, au point qu’il existe en langue Landouma deux noms pour l’Erythrophleum, «Kökön » quand il porte encore ses feuilles, et « Kösonkön » quand il est sec. Les plus tolérants sont les arbres résiduels de savanes, Parkia biglobosa,

Daniellia oliveri, Borassus aethiopum ou Pterocarpus erinaceus.

Au delà de la résistance au feu, la sélection de coupe ne concerne que les individus adultes, de plus de 12 m. de hauteur, ce qui laisse peu de chance au renouvellement. En effet, lors de la phase de défriche, les jeunes arbres sont coupés au même titre que les arbustes, sans distinction des espèces. Seul Elaeis guineensis est épargné même dans ses jeunes stades, ce qui pourrait expliquer son abondance dans ces milieux. Des hauteurs qui, selon les espèces, pourraient encourager les agriculteurs à conserver les ligneux ne sont atteintes, dans les meilleurs cas, qu’au delà de 8 ans de jachères. Face à un arbre de plus de 70 cm de circonférence, l’hésitation est possible et on ne le coupe pas si l’espèce est considérée comme utile, qu’elle soit fruitière, ou de bois d’œuvre (essentiellement

Figure 20: Relation entre la densité de ligneux hauts résiduels et les temps de jachère régulièrement pratiqués sur la parcelle

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 jachères inférieure à 5 ans jachères entre 5 et 6 ans jachères entre 6 et 7 ans jachères entre 8 et 10 ans jachères de plus de 10 ans

densité de ligneux égale à 0

densité de ligneux inférieure à 10 ind/ha densité de ligneux entre 10 et 25 ind/ha

densité de ligneux entre 25 et 50 ind/ha

densité de ligneux entre 50 et 75 ind/ha

densité de ligneux entre 75 et 100 ind/ha densité de ligneux supérieure à 100 ind/ha

(104 parcelles étudiées)

C’est en rapport avec la conservation des grands ligneux que la gestion des temps de jachères a une influence sur la dynamique de la diversité biologique. Ici, la réduction des temps de jachère, passant de 8 ans à 4 ou 5 ans, œuvre en défaveur des grands arbres, d’une part en augmentant leur fréquence d’exposition aux feux, d’autre part en limitant les possibilités de croissance et de développement en fûts plus massifs.

4.2.2. La mémoire et l’avenir de la forêt