• Aucun résultat trouvé

Définir la maturité des jachères

En langue Soussou, la jachère est désignée comme le « Fötonyi », ce qui correspond à la formation forestière en général. Mais elle se différencie de la « grande forêt » que l’on nommera « Wondy ». Le terme jachère, le « Fötonyi », est ensuite décliné suivant les stades.

La régénération des jachères est perçue par les cultivateurs comme la maturation d’un fruit ou la croissance d’une personne. Les expressions employées pour la description des jachères décrivent deux stades de développement : le premier, pour des jachères de 1 à 5 ans est le « Föton yörè », le terme « yörè » signifiant littéralement « nourrisson » ou par extension « jeune » ; le second stade à partir de 6 ou 8 ans selon les sites est le « Föton khökhi », où « khökhi » signifie « âgé », « mûr », « à maturité ».

Le principal indicateur local pour définir la maturité d’une jachère est le couvert végétal, incluant la hauteur du peuplement et sa densité. Il doit largement dépasser une hauteur d’homme et rester impénétrable. D’autres indicateurs peuvent être utilisés, par exemple la disparition totale des traces de la défriche précédente (souches, traces de feu…), la disparition totale des herbacées, ou l’épaisseur de la litière. Les espèces, prises individuellement, ne sont pas des indicateurs, seule la biomasse totale du peuplement est considérée par les agriculteurs.

Dans les situations optimales et pour la culture du riz, la jachère n’est interrompue qu’au stade du « Föton khökhi », soit à un minimum de 6 à 8 ans de repos. Mais pour d’autres cultures, pour des questions de disponibilité, ou selon la vigueur du recrus ligneux, d’autres temps de jachère sont pratiqués. Il ressort néanmoins que le temps minimum de repos que nous avons observé sur les zones d’étude est de 4 ans. La majorité des parcelles sont défrichées après 5 et 7 ans d’abandon.

Figure 5 : Répartition des temps de jachère pratiqués

0 20 40 60 80 100 120 140 jachères moins de 5 ans jachères entre 5 et 7 ans jachères entre 8 et 10 ans jachères de plus de 10 ans n o m b re d e p a rc e ll e s (227 parcelles enquêtées)

L’âge d’exploitation d’une jachère dépend de nombreux facteurs, écologiques et sociaux. Ecologiques, car la « maturité » d’une jachère, au-delà du fait qu’elle est le résultat d’un certain nombre d’années de mise en repos, dépend de la nature et de la richesse du sol qui la supporte.

Pour des temps de jachère équivalents, des différences entre les formations s’observent. La comparaison des densités dans des jachères de même âge est parfois significative.

En comparant trois cas, observés dans la même localité, mais sur des types de sol différents, trois jachères de 5 ans vont présenter les caractères suivants :

Jachère de 5 ans (94) Jachère de 5 ans (HT4b) Jachère de 5 ans (O37) Type de sol SF2 (sol ferralitique profond) SF1 (sol ferralitique gravillonnaire) SQ3 (sol ferralitique gravillonnaire peu profond) Densité de recrus 269 / 100 m² 140 / 100 m² 48 / 100 m² Surface terrière29 2,9 m² / ha 5 m² / ha 4 m² / ha

Ces quelques chiffres soulèvent un point important dans la gestion de la jachère. La « maturité » s’exprime difficilement en termes d’années. En témoigne, par ailleurs, la difficulté de certains cultivateurs à donner un nombre d’années pour leur jachère. La valeur des années de mise en repos est donc issue d’une certaine perception, variable selon les exploitants et capable de se modifier au cours des générations. Elle doit s’appréhender face à chaque situation.

Lutter contre les adventices des cultures

Le problème de l’envahissement par les herbacées (« niogué ») est récurrent dans les discours. Nos relevés confirment que, pour des jachères inférieures à 5 ans, deux sarclages sont effectués durant la saison culturale, en août et en septembre, alors que pour les jachères longues, un seul sarclage est pratiqué, au mois de septembre.

29

La différence entre les valeurs de surfaces terrières s’explique ici par la présence résiduelle de quelques ligneux hauts dans les relevés HT4b et O37. Ces valeurs indiquent des peuplements mixtes où se mêlent cortèges mésophiles et cortèges des savanes.

Figure 6 : Densité des plantes adventices en fonction des stades de jachères cultivées 0 100 200 300 400 500 600 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22

Age de la jachère défrichée

D en si d 'a d v en ti ce s p o u r 1 m ²

sur parcelles d'arachide sur parcelles de fonio sur parcelles de riz

(d’après Bah Oumar, septembre 2004)

Pour les cultivateurs, la gêne est provoquée par l’envahissement qui « empêche la croissance des espèces cultivées »*. Le dégagement de la surface du sol pour la mise en culture favorise l’installation d’espèces pionnières et, tout au long de la période culturale, s’amorce la reprise des individus ligneux coupés lors de la défriche. Dès les premiers mois de culture, l’importance des pluies provoque un boom végétal, évidemment mis à profit par les agriculteurs mais valable pour les espèces sauvages. Une véritable course à la croissance se déclenche alors pour la majorité des espèces végétales qui ne disposent que de ces quelques mois d’hivernage pour réaliser leur cycle végétatif. Le cultivateur se trouve mêlé à cette concurrence acharnée entre les espèces, les siennes, les « sansi » (« espèces plantées de la main de l’homme ») et les plantes spontanées. Il est le gestionnaire de ce conflit pour l’espace, dont l’issue conditionne la qualité de sa récolte. Il doit couper, arracher ces plantes « envahissantes » et rentre ainsi dans une relation particulièrement physique avec elles. Les termes botaniques locaux, témoignent, avec un certain humour, du caractère contraignant des plantes, jouant de métaphores qui expriment la gêne par attachement, entravement, accrochage, par exemple une liane de la famille des capparidacées aux épines recourbées est appelée Nienguè rakhörö « la fiancée qui irrite »

(Capparis erythrocarpos), un petit arbuste Rubiacée Temedi balé « la petite fille qui

s’attache à quelqu’un et le suit ».

Le sarclage des parcelles cultivées en riz ou en arachide débute au milieu du mois d’août, un mois environ après le semis. Ce travail de nettoyage se déroule pendant toute la période culturale, à raison de un ou deux passages, en fonction des moyens en temps et en main d’œuvre. Le sarclage est essentiellement manuel, les herbacées sont arrachées à la main ou à l’aide d’une « daba » (petite houe à manche court), les lianes et ligneux élagués au coupe-coupe.

Beaucoup d’espèces apparaissant lors de cette phase de colonisation sont des espèces déjà présentes. Elles proviennent de la « banque du sol » (le stock de graines en dormance), ou possèdent des organes de réserves (tubercules et rhizomes), ou sont présentes sur pieds (les troncs coupés lors de la défriche). La reprise après la coupe concerne les lianes ligneuses, arbres et arbustes rencontrés dans les jachères. La vigueur de certaines espèces est tout à fait remarquable : Salacia senegalensis, Nauclea latifolia,

Sorindeia juglandifolia pour les lianes ou arbustes sarmenteux, Sterculia tragacantha, Malacantha alnifolia, Dichrostachys glomerata pour les espèces arborées par exemple.

S’ajoutent à ces espèces des plantes disséminées de l’extérieur soit par le vent soit par les animaux et les hommes, des colonisatrices comme Harungana madagascariensis ou

Trema guineensis.

Dans les cultures, les adventices sont essentiellement des lianes et des plantes herbacées. Les lianes ligneuses, comme les Apocynacées, certaines Connaracées et Dioscoréacées (Dioscorea hirtiflora, D. preusii), et lianes herbacées, Convolvulacées (Ipomoea spp.) ou Fabacées, non seulement entrent en concurrence directe avec les espèces cultivées pour les ressources nutritives et pour l’espace mais affectent aussi physiquement les cultures en s’enroulant sur les espèces cultivées, causant des blessures ou cassant les pieds. Les adventices herbacées peuvent envahir rapidement les champs, développant des stratégies d’extension ou de dissémination très compétitives (racines traçantes, drageons…). Parmi elles, de nombreuses dicotylédones comme Ageratum conizoïdes,

Triumfetta pentandra, Desmodium spp., Corchorus tridens, Sida stipulata, Borreria compressa, B. scabra, mais aussi des graminées et cypéracées de petite taille qui rentrent

Paspalum spp., Mollugo spp., Eleusine indica, Pennisetum spp., Olyra latifolia, Bidens pilosa), ou des poacées de haute taille comme les Rottboellia, les Panicum qui étouffent les

plants et entravent la croissance des semis.

La fonction de la jachère dans la régénération des sols est connue (Peller, 1993) et reconnue par les cultivateurs locaux, (« les cendres sont la vitamine du sol »*), mais de toute évidence, le rôle principal que l’on accorde à la jachère est bel et bien le contrôle de la flore adventice.