• Aucun résultat trouvé

La diversité structurelle des peuplements ligneux

L’instabilité des substrats sur lesquels s’établissent les peuplements ligneux s’exprime dans « l’architecture » des formations (Halle, 1970 cité par Bertrand, 1991). La structure, la physionomie des peuplements (densité du couvert, morphologie et taille des arbres), ont une signification écologique pertinente. Elles expriment les niveaux d’inondation et donc les toposéquences. Néanmoins, un modèle des successions végétales en fonction de la topographie est forcement simplifié, et les seuils séparant les différents types de peuplement sont spécifiques à l’espace étudié. Les types que nous décrirons appartiennent aux zones de Kanfarandé et de Boffa. De la répartition par les niveaux d’inondation, en d’autres termes, les submersions quotidiennes et les submersions lors des marées de vives eaux, se distinguent d’abord les formations à Rhizophora spp. et les

formations à Avicennia germinans. Cette distinction n’est pas sans exception mais elle

permet, pour l’exposé, d’établir une organisation schématique44.

Les formations à Rhizophora spp., marqueurs de la « respiration des

mangroves » (Rue, 1998)

Les rives des estuaires et des multiples chenaux de marée qui forment la côte à rias des sous-préfectures à l’étude, sont toutes bordées d’une formation à Rhizophora racemosa

et R. harrisonii. Ces peuplements sont stratifiés, mais à la différence des forêts

continentales où la stratification concerne la même station, ici la stratification des Rhizophora suit le gradient d’éloignement à la voie d’eau : depuis la rive où se développent les peuplements bas et moyens, de 2 à 8 mètres, qu’on assimilerait à des « fourrés » de mangrove, et en s’éloignant de quelques mètres du chenal où se rencontrent les peuplements hauts (15 m). Ce gradient semble suivre la dynamique des dépôts sédimentaires, les peuplements hauts étant des formations plus anciennes, donc ici plus éloignés du chenal. Les Rhizophora se développent dans les secteurs soumis à une submersion quotidienne.

Cette distribution est un bon indicateur de la dynamique hydro-sédimentaire. Les secteurs où se déposent les sédiments fins sont colonisés par les Rhizophora, et les stades juvéniles formeront une bande riveraine. Ces formations, attestant d’une vive régénération, s’accompagnent parfois de bouquets de Languncularia racemosa. Ce schéma est observé

pour la majorité des chenaux de la zone de Kanfarandé, il est particulièrement actif autour des îles de Kanoff et Kankouf et pour toute la zone sud-ouest de la sous-préfecture. A Boffa, les formations hautes, dégénérescentes, longent la partie aval de l’estuaire et attestent des processus d’érosion en cours. Pour la zone amont, et l’intérieur des chenaux, les peuplements sont vigoureux.

Suivant la pénétration des marées, les Rhizophora intègrent la partie amont des chenaux, rejoignant souvent la flore humide des forêts galeries. La zone de contact est progressive, et à quelques mètres des palétuviers apparaîtront Terminalia scutifera, Afzelia africana, Jasminum sp... Cette limite de pénétration des marées à l’intérieur des marigots

crée, pour certains sites, des lieux où se mêlent flore spécifique des milieux halophiles,

Rhizophora spp., Acrostychum aureum (Pteridophyte, rare sur la zone) avec des

hydrophytes, cypéracées et Nymphaea durant la saison des pluies (observations sur le site de Kambilam).

La vigueur des peuplements à Avicennia germinans

Si le palétuvier rouge, le Rhizophora, s’impose par son étrange physionomie comme l’arbre des mangroves par excellence, les surfaces qu’il couvre ne sont pas majoritaires. L’espace halophile est principalement occupé par les formations à Avicennia germinans.

Un certain nombre de caractères autoécologiques de cette espèce permettent de comprendre sa répartition. Elle possède avant tout un optimum de salinité légèrement plus élevé que le Rhizophora, et se trouve ainsi plus compétitive pour coloniser les vasières plus salées qui se trouvent en arrière du chenal. Ensuite, une reproduction sexuée particulièrement efficace (nombre de graines important, pouvoir de germination élevé et bonne résistance des plantules) et une multiplication végétative intense, conduisent à de véritables fronts de colonisation.

On rencontre les Avicennia en arrière de la formation à Rhizophora, d’abord au sein de peuplements mixtes puis en peuplements monospécifiques, dont la densité et la hauteur s’amenuisent à mesure que diminue l’influence des marées. Avicennia ponctue les espaces de tannes, les hautes slikkes, en somme, les terres les plus salées.

6.2.2. Des usages et des transformations

localisées

La mangrove est si vaste, si prégnante dans les paysages de Guinée Maritime que l’on pourrait vraiment s’attendre à ce qu’elle joue un rôle majeur pour les populations littorales. A l’image « des civilisations du riz » décrites par Denise Paulme chez les Baga (Paulme, 1956), ou des structures de production décrites par Olga Linares chez les Jola de Casamance (Linares, 1992), ou des célèbres Balante de Guinée Bissau, la mangrove serait-elle, en Guinée Maritime, le cœur du système ? Pour ces cas décrits dans la littérature scientifique, le social et l’économique se déploient autour de la production rizicole. Cette culture inondée en mangrove, par l’ampleur des aménagements, a beaucoup des caractères liés à une exploitation intensive : fort investissement en travail et temps, stabilisation des parcelles (pas de jachère, pas de déplacement d’une année sur l’autre), fixation foncière, propriété. La riziculture structure ainsi tout un système de relations sociales et la mangrove est le principal espace-ressource.

Dans les villages de nos périmètres d’étude, si la riziculture inondée est pratiquée, elle n’est pourtant pas au centre des activités productives, sociales et symboliques. Un seul groupe linguistique, les Baga45, pourrait faire exception. Chez les Nalou, les Landouma et les Soussou, elle s’inscrit dans un système d’activités reposant sur plusieurs productions (culture sur jachère, arboriculture, production d’huile de palme, petit maraîchage), jouant de toutes les opportunités offertes par l’espace villageois. Ainsi la mangrove est, au même titre que les autres facettes éco-paysagères, un élément de la combinaison. Ce milieu est

45 Lors de nos travaux nous n’avons pas étudié ce groupe particulier. Le site de Bigori, plaine rizicole de

l’estuaire du Kapachez est un site pilote de l’OGM mais il a été exclu des périmètres d’investigations du volet Biodiversité à cause de particularités géographiques, et surtout écologiques peu représentatives de l’ensemble des zones d’étude. Pour les travaux sur ce groupe ethnique et l’étude de ce secteur, voir R. Sarro

(1999 : Baga identity: religious movements and political transformation in the republic of Guinea. PHD

parfois converti pour la riziculture mais il est aussi un site de prélèvements, un espace à multiples usages dans un territoire à multiples facettes.

L’usage de la mangrove (entendue ici au sens large, incluant les prairies halophiles) se décline suivant la zonation écologique. Suivant le gradient de salinité, sous l’influence des marées, deux modalités de valorisation du littoral existent : celle de la transformation et celle des prélèvements.