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Les alentours des villages se présentent parfois comme de véritables agro-forêts. L’espace domestique est un lieu de production où les villageois entretiennent les plantes utiles (médicinales et protectrices, fruitiers, cultures vivrières et ornementales). Cet espace villageois fait l’objet d’une appropriation stricte, où chaque famille se réserve le droit d’usage sur les espèces qu’elle plante et entretient. Les espèces spontanées, qui croissent dans l’enceinte des concessions, acquièrent également ce statut.

S’opère une véritable reconstitution de la diversité spécifique, choisie pour ses fonctions, au sein d’un .espace totalement remanié. La plantation, la culture, le transfert et la conservation d’espèces spontanées sont autant de pratiques qui génèrent et entretiennent un stock remarquable. Par exemple, à Kanoff (Kanfarandé), 40 espèces ont été recensées dans les seuls jardins, avec, parmi elles, 18 espèces d’arbres fruitiers.

Dans les jardins de case et les périmètres villageois, se rencontrent quatre catégories de végétaux :

- les vivrières annuelles : Aubergine amère (« Sougouli »), Aubergine (« Kobo kobuè »), Tarot (« Bârè »), Ananas (« Fougnè »), Gombo, Oseille ;

- les vivrières pérennes ou pluriannuelles : Piment (« Gbengbè »), Manioc (« Yoca »), Igname (« Khabi »), Dioscorea bulbifera (« Dannè »), Gingembre (« Niokhomè »), Bananier (« Banani »), Canne à sucre ;

- les arbres fruitiers : Oranger (« Lefourè »), Citronnier (« Mouloukhoungni »), Mandarinier, Spondias mombin (« Loukhourè »), Palmier à huile (« Tougui »), Ficus

muricata (« Sop Sop »), Artocarpus locuta (« Foot »), Artocarpus heterophyllus (« Jaka »), Cola acuminata (« Köla »), Pommier malenka, Terminalia catappa (« Fotè kansi »),

Avocatier (« Piya »), Baobab (« Kiri »), Eugenia sp. (« Raisin »), Cocotier, Anacardier (« Yagalè » ou « Koussou »), Tamarinier (« Tombigni ») ;

- les arbres pour d’autres usages (médecine, protection, construction, artisanat…) : Henné (« Lali »), Thevetia nerifolia, Calebassier (« Leenguè »), Fromager (« Kondè »),

Azadiracta indica (« Cassia khounkhoukhè »), Terminalia ivorensis (« Woli »), Cassia sieberiana, C. alata, Jatropha curcas (« Bakhanè »).

Les cultures vivrières (manioc, igname, banane, piment, aubergine) sont localisées derrière les maisons, à proximité des cuisines, dans l’espace féminin. Rarement clôturés, sauf dans certains villages où ovins et caprins divaguent en début de saison des pluies, les jardins de case sont généralement mal circonscrits. Désordre autour des abris où foyers et pilons chantent les femmes nourricières, les jardins de case sont les « Sounti », zones fertilisées par les déchets domestiques, aménagées pour les semis de légumes et condiments. Les arbres se dispersent autour des maisons, mais une organisation se lit dans l’usage et la valeur associée aux espèces. Les petits fruitiers, espèces à destination alimentaire, comme le goyavier, l’avocatier ou les agrumes, ainsi que les espèces à huile (Elaeis guineensis, Cocos nucifera) se trouvent derrière la concession, mettant à proximité des lieux de transformation la plupart des produits alimentaires. Les grands fruitiers, comme les Artocarpus ou les manguiers, développent leur dense feuillage devant les maisons pour créer l’ombrage hospitalier des espaces de repos et de conversations masculines. Leur vocation première étant l’ombrage et leur position dans un espace « ouvert », le fruit est presque une production secondaire. Ainsi les mangues sont accessibles à tous, les enfants profitant goulûment de cette généreuse production. Les ligneux ornementaux et médicinales, Azadiracta indica, Cassia spp., se tournent vers le centre du village. Souvent leurs vertus médicinales sont associées à des fonctions de protection.

La construction des clôtures ou des « Kandè » (enclos pour la toilette) mobilise des ligneux prélevés en brousse choisis pour leur aptitude au bouturage (principe de la haie vive). Le groupe d’espèces domestiques présent dans les villages s’enrichit dès lors

d’espèces sauvages ou acclimatées : Spondias mombin, Sterculia tragacantha,

Anisophyllea laurina, Diospyros heudelotii, Dialium guineense.

Les plus grands arbres, bois d’œuvre pour la confection des pirogues (Terminalia

ivorensis, Ceiba pentandra), sont plantés dans l’espace qui ceinture le village. Ils

s’associent alors aux colatiers, manguiers et palmiers des plantations plus anciennes. Ces arbres content l’histoire de l’installation, comptent comme marqueur des premières familles en place. A Kanoff par exemple, ou à Tambadendo, deux villages où se développent les plus belles formations, chacune des familles fondatrices possède une vaste parcelle dans ces forêts apparemment d’un seul tenant. Chaque parcelle, que tous les membres de la famille délimitent sans hésitation, porte un nom qui lui est propre, celui de l’ancêtre, celui du lieu d’origine du premier arrivant, insistant ainsi sur la fonction mémoire de ces espaces. Ici se dressent parfois de grands fromagers, résidences principales des génies tutélaires, de tortueux manguiers à l’abri desquels reposent les ancêtres et les arbres producteurs. Au cœur de ces éléments chargés de sens social mature la cola, le fruit de la représentation. Utilisée dans la majorité des tractations importantes de la vie au village (mariage, association, demande de terre), la cola est le symbole du respect maintenu entre l’offrant et le demandeur. La hiérarchie s’exprime dans ces pratiques et l’échange de la cola affiche des catégories sociales en place. Les anciens, les sages, les aînés de lignage sont, par conséquent, les gestionnaires privilégiés de ce fruit trop politique pour être communément marchandé. Alors, les aînés décident des périodes de récolte et en organisent le commerce.

La gestion des autres espèces est plus souple, mais l’usufruit est néanmoins strictement limité au cercle familial. Les palmiers sont exploités pour leur régime, les mangues parfois récoltées, ainsi que les médicinales. Mais tout prélèvement doit faire l’objet d’une autorisation. A l’exception des colatiers plantés de longue date, la plupart des espèces se régénèrent spontanément, et à l’occasion, des jeunes plants de fromager trouvés en brousse sont transplantés.

Les manguiers et les palmiers forment la strate haute et peuvent atteindre une trentaine de mètres. Ils assurent l’ambiance forestière par leur ombrage et conservent l’humidité.

Sous leur couvert, entre 2 et 10 mètres de hauteur, s’alignent les colatiers et quelques calebassiers. Le sous-bois est dense, formé d’un tissu de lianes, d’arbustes et de jeunes palmiers qui constituent une strate intermédiaire entre 2 et 5 mètres. Il est régulièrement dynamisé par un nettoyage manuel permettant l’accès aux fruits.

Figure 15 : Croquis des ceintures villageoises

Un regard distrait, et dans la seule considération de la strate arborescente, conclurait au peu d’intérêt écologique que présentent ces forêts. Constituées de trois ou quatre espèces, communément répandues dans la région, elles seraient vulgaires plantations de manguiers ou colateraies vieillissantes.

Mais l’approche botanique nous en dit beaucoup plus et éclaire d’un tout autre jour cette ordinaire mangueraie. La diversité spécifique du sous-bois est tout à fait remarquable. Pour l’illustrer, un relevé floristique préliminaire d’environ 50 m² a permis de dénombrer 52 espèces ligneuses à Kanoff, un autre comptage, à Madya, révèle, sur 100 m², 33 espèces de ligneux pour la seule strate arbustive, entre 1 et 2 mètres de hauteur. Mais au-delà de la diversité spécifique, c’est l’originalité du cortège qui nous interpelle ici. En reconstituant cette rare ambiance forestière, les forêts villageoises abritent les espèces ombrophiles, des espèces relativement rares sur l’ensemble de la région.