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Histoire de la psychiatrie

2. La position du médecin

2.1.

Les représentations du savoir médical

Les études de médecine conduisent à la construction d’une théorie savante des maladies.

Le médecin apprend un savoir :

* sémiologique,

* nosographique,

* et thérapeutique, afin :

* d’identifier des maladies,

* et de mettre en place des stratégies thérapeutiques pour modifier le pronostic de la maladie.

La définition de la maladie par l’Académie française de Médecine est « une entité clinique qui est parfaitement définie par son étiologie et sa physiopathologie ainsi que par sa présentation symptomatique et clinique ou par une combinaison bien identifiée de signes cliniques ». Une maladie est un ensemble de symptômes et de signes cliniques dû à une pathologie organique (psychiatrique ou non psychiatrique) sous-jacente (cf. Item 59). Cette théorie savante corres-pond au savoir biomédical.

Elle ne représente cependant qu’incomplètement ce que les patients vivent, pensent et ressentent quand ils ont une maladie. Le savoir médical se confronte donc à une théorie profane des mala-dies et de la santé qui influence le comportement des patients, ses actions possibles et leurs relations avec les médecins. Le médecin doit donc tenir compte à la fois :

* de ses propres représentations concernant la maladie (sa théorie savante),

* et des représentations et valeurs du patient (sa théorie profane) aux cours des entretiens.

Des techniques spécifiques permettent alors de mener l’entretien efficacement.

2.2.

Les techniques d’entretien

2.2.1.

Valider les ressentis

Valider les ressentis du patient est capital, l’annonce d’un diagnostic ou de la nécessité d’un trai-tement pouvant être vécu comme une situation de stress et avoir un très fort impact émotionnel.

En pratique, valider les ressentis du patient passe par la reformulation (qui renvoie en miroir au patient ses propres ressentis et lui signifie qu’il a été entendu et qu’il n’est pas seul). Elle implique du médecin de l’empathie.

« Si j’étais à votre place je penserais/ressentirais la même chose » est une phrase clé de l’empa-thie, elle permet de faire baisser le stress lors d’une situation difficile dans un entretien, et elle est en soi toujours vraie : si nous étions à la place de nos patients, par définition nous ressentirions la même chose car nous aurions également leurs vécus et leurs représentations (théorie profane).

41 2.2.2.

Dépister la résistance

Un élément important auquel le médecin sera attentif sera l’apparition d’une résistance qui peut naître au sein de la relation médecin-malade. Lorsque le médecin veut amener le patient à changer quelque chose dans son style de vie (son alimentation, sa consommation de tabac, son activité physique, la prise d’un traitement…) alors que le patient ne le considère pas encore comme néces-saire, la divergence des représentations et valeurs (en lien avec la confrontation des théories savantes et profanes de la maladie et de la santé) créé une divergence qui peut potentiellement aboutir à un échec thérapeutique. Le patient n’appliquera pas les recommandations du médecin, et éventuellement ne viendra plus le consulter, car il ne se sera pas senti compris

La résistance n’est pas un signe de mauvaise volonté du patient, mais une réaction naturelle à un changement qui s’impose dans sa vie : le trouble ou la maladie.

La première étape est donc d’explorer avec le patient ses représentations et ses valeurs, et de montrer que ce qui compte vraiment pour lui dans sa vie, est pris en compte par le médecin

2.2.3.

Insister sur le sentiment de liberté

Un élément important pour chaque interlocuteur est le sentiment de liberté. Le médecin peut donc à tout moment utiliser le « mais vous êtes libre de » (de prendre un traitement, de choisir d’arrêter de fumer…). Cette simple amorce augmente sensiblement la probabilité du changement, mais ne doit pas être un moyen pour le médecin d’abandonner toute possibilité de changement avec le patient. Donc, tout en insistant sur le sentiment de liberté, une des techniques issues des entre-tiens motivationnels pour permettre au patient d’argumenter librement en faveur du changement est de prendre le patient à contre-pied et de se faire le défenseur du « mauvais » comportement.

Le patient ne doit jamais sortir d’un entretien avec le sentiment d’avoir été vaincu ou abaissé.

Grâce à cette technique, également appelée technique de « l’avocat du diable » en thérapie cogni-tive, le patient se sentira validé dans ses ressentis et ses difficultés à quitter un « comportement problème », et sera mieux disposé à amorcer le changement.

Repérer et expliquer les 6 étapes du changement peut également s’avérer nécessaire (cf. Items 73, 74, 75, 76 et 77). Pour changer un comportement, les individus vont devoir modifier leurs compor-tements en passant par une série d’étapes décrites dans le modèle du changement développé par Prochaska et DiClemente. Les principaux stades de changement sont :

* La pré-contemplation : l’individu n’a pas encore envisagé de changer son comportement qui présente suivant son point de vue moins d’inconvénients que d’avantages.

* La contemplation : le patient pense que les inconvénients sont aussi importants que les avantages

* La détermination : le patient pense que les inconvénients sont plus importants que les avan -tages et envisage la nécessité du changement

* L’action : le patient est activement engagé dans le changement, il pense qu’il peut avoir une efficacité personnelle dans le changement, il met en place librement un changement de comportement

* Le maintien : le patient maintient son changement et trouve une confiance en lui dans la cette possibilité.

* La rechute : le patient abandonne le changement réalisé, mais peut recommencer le cycle des 6 étapes

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Figure 1. Les six étapes pour changer un « comportement problème ».

En pratique

Autres techniques pour éviter la résistance

Une autre façon d’éviter l’apparition d’une résistance est d’utiliser la communication assertive en appliquant la tech-nique du « je/me sentiment sincérité ». Les phrases commençant par « vous » (« vous ne prenez pas correctement votre traitement, madame… ») sont des phrases projectives qui induisent une tension chez le patient qui va devoir se justifier. Toutes les phrases devront commencer par « je » ou « me » et énoncer une émotion sincère, de sorte à ne pas générer de résistance et de sentiment d’agression chez l’interlocuteur. De la même façon, les mots « toujours » et

« Jamais » sont à proscrire du langage courant car ils renforcent le sentiment d’impuissance et sont la marque d’une distorsion cognitive, souvent associée à des pensées automatiques négatives.

En pratique

Autres techniques pour renforcer le sentiment de liberté

Le sentiment de liberté peut être renforcé par d’autres techniques d’entretien annexes, comme la technique de l’amor-çage ou pied-dans-la-porte, qui consiste à demander un petit changement pouvant ensuite conduire à un changement plus important. De la même façon, le médecin pourra proposer à un patient réticent à l’idée de prendre un traitement d’essayer le traitement pendant quelques jours, et de l’arrêter en cas d’effet indésirable. La plupart des patients obser-veront ainsi leur traitement après en avoir testé les effets bénéfiques ou en tout cas l’absence d’effets indésirables.

Le pendant du pied-dans-la-porte est la porte au nez, ou proposer quelque chose d’intenable pour le patient (une psycho-thérapie basée sur la méditation deux heures par jour par exemple) pour ensuite proposer une prise en charge deman-dant moins d’investissement en temps ou en énergie.

Rechute

Contemplation

Décision Action

Maintien

Pré-contemplation

Sortie définitive de la problématique

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En pratique

Comprendre pourquoi un patient peut persévérer dans une stratégie d’échec apparent

L’effet de gel décrit la persévération d’un individu dans une stratégie d’échec, en se disant qu’il a trop investi, ou qu’il a ce comportement depuis trop longtemps pour l’arrêter car « c’est trop tard ». « Ce n’est pas à quarante ans que je vais changer ! » Ainsi un individu peut persister plusieurs années dans un comportement le conduisant manifeste-ment à l’échec. C’est ce phénomène qui peut s’illustrer chez certains patients restant avec un conjoint maltraitant par exemple. Il s’agit d’un phénomène d’« auto-manipulation » selon les théories de la psychologie sociale développée dans les années 1970 en France.

En pratique

Les schémas précoces inadaptés

La résistance entre le malade et le médecin peut provenir également de schémas précoces inadaptés (en référence à la thérapie des schémas de Jeffrey E. Young) qui peuvent concerner aussi bien le médecin que le patient. Un schéma précoce est un apprentissage fait tôt dans l’enfance, qui s’est rigidifié au cours de la vie de l’individu en particulier s’il a été soumis de façon prolongée à l’adversité et que le schéma appris a été renforcé.

Certains schémas peuvent être bénéfiques. De nombreux étudiants en médecine ont appris le schéma « exigence élevée » dans leur enfance et leur adolescence, qui leur a également permis de réussir le concours de médecine. Mais alors qu’un individu développe généralement une panoplie de schémas souples lui permettant de s’adapter aux diffé-rentes situations (sociales, affectives, professionnelles, etc.), certains individus peuvent être prisonniers de schémas acquis précocement dans l’enfance et qui vont mener à des conduites dysfonctionnelles à l’âge adulte. L’annonce d’une maladie est une source importante de stress qui va pousser le patient dans le retranchement de mécanismes dits « archaïques », qui peuvent démasquer un schéma précoce inadapté. L’un des schémas fréquemment rencontrés est le schéma abandonnique [la peur d’être abandonné(e) ou rejeté(e)] que l’on retrouve poussé à son extrême dans le trouble borderline. Le schéma « méfiance/abus » (stipulant que tout étranger est a priori un ennemi) pourra conduire à son extrême à des traits de personnalité paranoïaque, etc. Le médecin peut donc explorer la biographie du sujet, et en particulier son enfance et son adolescence, pour se représenter les schémas de son patient, et l’inviter à en prendre conscience pour les assouplir et lui permettre d’avancer sereinement dans le changement.