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Jusqu’à la Révolution française, l’hôpital chrétien, administré par des religieux, est investi d’une mission sociale de protection des personnes dans la misère mais aussi de protection de la société contre ces personnes

En 1796, la création des hospices civils fonde l’hôpital moderne. Les hôpitaux sont municipaux et deviennent des lieux de soins, plus que de refuge

En 1941, l’hôpital cesse d’être un hospice et devient un lieu de soins pour tous.

La loi du 30 juin 1975 dite « loi sociale » relative aux institutions médico-sociales consacre l’existence du social et du médico-social comme un ensemble homogène soumis à des règles communes, et symbolise l’autonomisation du secteur vis-à-vis du champ hospitalier (cf. Item 60).

Sa dernière réforme du 2 janvier 2002 a principalement consisté à élargir le champ d’applica-tion du social et médico-social, reconnaissant que l’étanchéité entre le social et le sanitaire peut constituer un frein à l’innovation et l’accompagnement décloisonné de certaines catégories de populations

1.1.

La précarité

La précarité ne caractérise pas une catégorie sociale particulière mais un ensemble de situations dont les contours sont souvent difficiles à appréhender.

* La précarité peut être définie comme un état de fragilité et d’instabilité sociale caractérisé par

« l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux ».

* C’est un processus dynamique, réversible, multifactoriel. « Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible ».

* La notion de précarité est liée à celle d’insécurité.

* La précarité est le produit de dimensions structurelles (économiques, sociales), de menaces à court ou moyen terme, mais aussi de dimensions subjectives (perception de sa situation, structuration psychique, etc.).

* La crise économique de 2008 a accéléré les processus de précarisation d’une frange de la population qui n’était que peu connue des professionnels de l’emploi et de l’action sociale : les retraités, les jeunes qualifiés en difficulté sur le marché du travail, les travailleurs paupéri-sés de l’industrie ou de l’agriculture, les migrants.

* Le mot « précarité » se traduit en anglais par « precariousness », mais ce terme n’est générale-ment pas utilisé dans les pays anglo-saxons pour définir un état de fragilité sociale. Les termes de « poverty » (pauvreté) ou de « deprivation » (privation, perte) sont préférés aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni pour décrire la précarité socioéconomique.

1.2.

La pauvreté

La pauvreté est généralement définie comme l’état d’une personne ou d’un groupe qui dispose de peu de ressources. C’est un concept essentiellement économique.

105 égal à 50 % des ressources médianes des ménages d’une population. Le seuil de pauvreté

monétaire à 50 % du niveau de vie médian de la population s’établit, en 2011, à 814 euros mensuels pour une personne seule. 7,9 % de la population vit en dessous de ce seuil, soit 4,9 millions de personnes

* Un seuil de pauvreté monétaire à 60 % du niveau de vie médian de la population est égale-ment défini. Entre 50 et 60 %, le nombre de personnes pauvres est multiplié par deux. Dit autrement, près de 4 millions de personnes se situent entre ces deux seuils et disposent d’un niveau de vie compris entre 814 et 977 euros par mois.

* Au seuil de 40 % du niveau de vie médian (soit 640 euros par mois pour une personne seule en 2009), 3,3 % de la population, soit près de 2 millions de personnes, est en situation de grande pauvreté

L’INSEE calcule également la pauvreté en conditions de vie, mesurée par l’indicateur qui synthétise les réponses à vingt-sept questions relatives à quatre grands domaines (contraintes budgétaires, retards de paiement, restrictions de consommation et difficultés de logement). Cet indicateur cumule, pour chaque ménage, le nombre de difficultés sur les vingt-sept retenues. La proportion de ménages subissant au moins huit carences ou difficultés a été retenue pour définir le taux de pauvreté en conditions de vie, afin de retrouver le même ordre de grandeur que le taux de pauvreté monétaire

Toutefois, la pauvreté monétaire et la pauvreté en conditions de vie ne se recoupent que très partiellement, de sorte qu’une partie de la population est pauvre selon l’un ou l’autre de ces critères. Même si cet indicateur a diminué depuis 2004, un ménage sur cinq est touché par la pauvreté monétaire ou en conditions de vie

1.3.

L’exclusion

L’exclusion est une réalité dynamique caractérisée par l’absence, pendant une période plus ou moins longue, de la possibilité de bénéficier des droits dus à la situation sociale et à l’histoire de l’individu concerné. Au sens strictement légal du terme, seuls les « sans-papiers » seraient de véritables « exclus ».

* Cependant, la réalité est différente et plusieurs centaines de milliers de personnes restent aujourd’hui « exclues » et ne bénéficient pas de la solidarité nationale. L’exclusion peut être économique (chômage de très longue durée), sociale (mères célibataires sans soutien familial ni social, personnes âgées isolées, jeunes déscolarisés, etc.) ou même indirecte (immigrés ou handicapés qui ne peuvent profiter des mêmes droits ni participer aux mêmes activités que les autres). À l’extrême se trouvent les sans domicile fixe (SDF).

* L’exclusion n’est pas une maladie, mais elle crée des sentiments d’inutilité sociale et de déva-lorisation de soi à l’origine d’une intense souffrance psychique et la difficulté à s’insérer dans un tissu relationnel. Elle représente en ce sens une situation pathogène.

* En utilisant une définition minimaliste et considérant qu’un exclu est une personne qui ne bénéficie pas des possibilités d’aide (revenu, logement, école, santé), parce qu’elle n’en a pas le droit, qu’elle ignore ses droits ou n’a plus la capacité à faire les démarches nécessaires, le nombre d’exclus peut être estimé à environ 0,4-0,5 % de la population française, soit au maximum 300 000 personnes résidant sur le territoire français.

Une précarité prolongée risque de faire glisser ceux qu’elle affecte vers l’exclusion, qui repré-sente la phase ultime de l’évolution de la précarité. Ainsi, un sujet en situation de précarité n’est pas forcément pauvre ni exclu. L’exclusion et la grande pauvreté sont les formes extrêmes de la précarité

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2.

Contexte épidémiologique de la précarité

2.1.

Épidémiologie

Il est particulièrement difficile de mesurer, quantifier, diagnostiquer la précarité.

Le phénomène de précarisation, au sens d’absence d’une ou plusieurs sécurités, toucherait 12 à 15 millions de personnes en France, soit 20 à 25 % de l’ensemble de la population.

La précarisation est devenue un processus massif, certes réversible, mais qui laisse des traces durables pouvant provoquer une vulnérabilité à très long terme, responsable d’une dégradation ultérieure de l’état de santé. Elle favorise ainsi la mortalité globale et spécifique (cardiovasculaire, par exemple).

2.2.

Facteurs de risque

2.2.1.

Facteurs de risque sociaux

* Bas niveau social : il est à l’origine d’inégalités sociales d’état de santé déterminées princi-palement par les habitudes de vie, les habitudes alimentaires et les conditions de travail. En France, l’écart d’espérance de vie entre les manœuvres et les cadres supérieurs est très impor-tant, de 8 ans à 35 ans et de 4,5 ans à 60 ans, il ne régresse pas malgré l’amélioration globale de l’état de santé.

* Difficultés dans l’accès aux soins de santé (réduction des dépenses touchant à la prévention de la santé et l’accès aux soins, par exemple suppression de la couverture complémentaire, impossibilité d’accéder à certains types de soins onéreux) aggravant les inégalités sociales d’état de santé.

* Nationalité étrangère : en particulier en raison du statut juridique (par exemple, absence de titre de séjour) et l’existence de pratiques discriminatoires.

2.2.2.

Facteurs de risque médico-psychologiques

Ces facteurs sont bien souvent tout à la fois causes et conséquences de la situation de précarité.

Il peut être difficile voire impossible de démêler le sens de ce lien.

La survenue d’un problème de santé peut favoriser une situation de précarité :

* C’est le cas des maladies chroniques, du handicap, de la dépendance (cf. Item 117).

* En particulier, tous les troubles psychiatriques et les addictions peuvent avoir un retentisse-ment fonctionnel à l’origine d’une précarisation du patient (difficulté d’insertion profession-nelle, isolement, etc.).

À l’inverse, la précarité favorise la survenue de problèmes de santé (ce point est développé dans la section 4 « précarité et santé »).

107 3.

Évaluation de la précarité

Selon la définition de la précarité donnée par le HCSP (Haut Comité de santé publique), elle peut se manifester dans plusieurs domaines tels que le revenu, le logement, l’emploi, les diplômes, la protection sociale, les loisirs et la culture, la santé

C’est pourquoi, afin de mieux identifier les diverses populations en situation de précarité, un score individuel d’évaluation du niveau de précarité a été développé par le Centre technique d’appui et de formation des centres d’examen de santé (CETAF) : il s’agit du score EPICES (Évaluation de la précarité et des inégalités de santé dans les centres d’examens de santé).

Il permet la mesure multidimensionnelle de la précarité ou de la fragilité sociale et repose sur 11 questions tenant compte des déterminants matériels et psychosociaux de la précarité qui permettent de calculer un score pouvant varier de 0 (absence de précarité) à 100 (précarité maximale). Le seuil de 30,17 est retenu par le CETAF pour discriminer non-précaires et précaires (tableau 1). Le score EPICES semble permettre d’identifier une population plus à risque de problèmes de santé.

No Questions Oui Non

1 Rencontrez-vous parfois un travailleur social ? 10,06 0

2 Bénéficiez-vous d’une assurance maladie complémentaire ? -11,83 0

3 Vivez-vous en couple ? -8,28 0

4 Êtes-vous propriétaire de votre logement ? -8,28 0

5 Y a-t-il des périodes dans le mois où vous rencontrez de réelles difficultés financières à faire face à vos besoins (alimentation, loyer, EDF…) ?

14,80 0

6 Vous est-il arrivé de faire du sport au cours des 12 derniers mois ? -6,51 0 7 Êtes-vous allé au spectacle au cours des 12 derniers mois ? -7,10 0 8 Êtes-vous parti en vacances au cours des 12 derniers mois ? -7,10 0 9 Au cours des 6 derniers mois, avez-vous eu des contacts avec des

membres de votre famille autres que vos parents ou vos enfants ?

-9,47 0

10 En cas de difficultés, y a-t-il dans votre entourage des personnes sur qui vous puissiez compter pour vous héberger quelques jours en cas de besoin ?

-9,47 0

11 En cas de difficultés, y a-t-il dans votre entourage des personnes sur qui vous puissiez compter pour vous apporter une aide matérielle ?

-7,10 0

Calcul du score : chaque coefficient est ajouté à la constante si la réponse à la question est oui.

Constante 75,14

Tableau 1. Les 11 questions du score EPICES.

Un autre indicateur de précarité repose sur la définition socioadministrative de la précarité, et regroupe les catégories suivantes : les chômeurs, les bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) ou de la Couverture maladie universelle (CMU) ou d’un Contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE), les personnes sans domicile fixe et les jeunes de 16-25 ans exclus du milieu scolaire et engagés dans un processus d’insertion professionnelle. La précarité définie selon ces critères semble toutefois moins fortement liée aux indicateurs d’accès aux soins et de santé, que la précarité définie selon le score EPICES.

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4.

Précarité et santé

La morbidité médicale non psychiatrique est augmentée en raison d’un retard fréquent dans le recours aux soins, ainsi qu’une prévalence accrue de pathologies plus sévères, principalement du fait des conditions de vie :

* pathologies infectieuses : pulmonaires (en particulier tuberculose, pneumopathies), ORL (sinusites, rhinites, otites, trachéo-bronchites), IST (Infections Sexuellement Transmissibles : VHC, VIH), surinfections de pathologies dermatologiques ;

* problèmes dentaires pouvant se compliquer d’infections ;

* problèmes dermatologiques : gale, pédiculose, plaies, ulcères, etc.

Les conduites addictives sont fréquentes (alcool, tabac, substances) (cf. Items 73, 74, 75, 76 et 77), avec en corollaire les complications médicales non psychiatriques engendrées par ces addic-tions qui doivent être recherchées (en particulier pulmonaires et hépato-gastro-entérologiques).

La morbidité psychiatrique est également fréquente, elle est plus importante qu’en population générale. Elle peut pré-exister à la situation de précarité (cf. section 2 de l’item) ou en être la conséquence. Les principaux troubles psychiatriques précédant la situation de précarité sont :

* les troubles psychotiques (schizophrénie principalement) (cf. Item 61) ;

* les troubles de la personnalité (personnalité antisociale, par exemple) (cf. Item 64) ;

* les états de stress post-traumatiques (cf. Item 64).

Les principaux troubles psychiatriques secondaires à la situation de précarité sont :

* les troubles de l’humeur, en particulier le trouble dépressif caractérisé (on estime par exemple que les symptômes évoquant une épisode dépressif caractérisé sévère surviennent avec une fréquence de près de 20 % chez des hommes bénéficiant à l’époque du RMI contre moins de 3 % en population générale) (cf. Item 62) ;

* les conduites suicidaires (cf. Item 348) ;

* les troubles anxieux (cf. Item 64) ;

* les troubles liés aux facteurs de stress, en particulier troubles de l’adaptation (cf. Item 64) ;

* les troubles somatoformes (cf. Item 70) ;

* les troubles psychotiques sont plutôt rares dans ce contexte.

Ces troubles sont certes favorisés par la précarité, mais ils contribuent également à son maintien en aggravant la désinsertion

De nombreux observateurs et acteurs de terrain soulignent que la précarité provoque des sentiments individuels comme la mauvaise image de soi, la dévalorisation, le sentiment d’inutilité voire même de honte, qui sont à l’origine d’une souffrance psychique aujourd’hui largement répandue. Dans son rapport publié en 1998 sur la progression de la précarité en France, le HCSP estime que la souffrance psychique est le symptôme majeur de la précarité dans le domaine de la santé. Elle est susceptible de conduire à une véritable dégradation de la santé et son ampleur ne peut être ignorée dans la mise en place de dispositifs de prise en charge médico-sociale.

109 5.

Évaluation d’un sujet