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Chapitre 5 : Deuxième article

4. Discussion

4.1. Portrait de la pensée sociale à la maternelle cinq ans

Les instruments mesurant la pensée sociale furent sélectionnés en prenant appui sur le modèle sociogénétique des pensées et des émotions sociales (Pagé et al., 2001). Ils dépeignent en nuance les compétences interreliées de la pensée sociale (conceptuelles, éthiques et procédurales) que l’enfant acquiert suivant son développement cognitif et les opportunités relationnelles qu’il vit dans son environnement social et scolaire. Les résultats de cette recherche signalent que ces trois compétences s’avèrent essentielles à considérer dans l’étude de la pensée sociale de manière à en tracer un portrait juste et fin. En effet, les calculs de corrélations entre les mesures de la pensée sociale traduisent l’absence de lien entre les compétences conceptuelles (prise de perspective d’autrui), éthiques (attitude prosociale) et procédurales (capacité de résoudre des problèmes sociaux) confirmant, de ce fait, le caractère multidimensionnel de la pensée sociale préalablement postulé dans cet article.

Les compétences conceptuelles ont été mesurées à l’aide d’une tâche de prise de perspective d’autrui (fausses croyances). Ce type d’épreuve est habituellement réussie entre 3 et 5 ans; à quatre ans, la plupart des enfants parviennent à y répondre correctement (Wellman et al., 2001). Conformément à ces constats, les résultats démontrent que les enfants de cet échantillon obtiennent un score moyen élevé. Précisons que l’écart-type élevé relève du caractère dichotomique de la mesure où l’enfant pouvait obtenir un score de 0 ou de 100. Ainsi, les données démontrent que les résultats des sujets plafonnent pour cette mesure. Des trois mesures de la pensée sociale, celle associée aux compétences conceptuelles (prise de perspective d’autrui) semble acquise plus tôt comparativement aux autres. Ce constat est cohérent avec l’étude de Strayer, Noël, Tessier et Puentes-Neuman (1989) qui incluait également des mesures liées aux compétences éthiques et procédurales. Spécifions aussi que la prise de perspective d’autrui identifie la maturité cognitive à l’aide d’une mise en situation. Dans ce cas-ci, l’enfant doit inférer où un personnage ira chercher pour retrouver un chocolat qui a été déplacé. Cette mesure n’implique pas une relation avec un pair contrairement aux deux autres qui ont été utilisées pour mesurer les compétences éthiques et procédurales qui elles, impliquent des interactions sociales entre pairs.

Contrairement aux résultats associés aux compétences conceptuelles, les résultats moyens à la mesure des compétences éthiques s’avèrent inférieurs. En effet, pour la mesure de l’attitude prosociale, les sujets obtiennent des résultats plus faibles avec un écart-type moins élevé. À première vue, ces résultats peuvent traduire une faiblesse à agir de façon prosociale, à privilégier des solutions prosociales ou encore à percevoir adéquatement les besoins d’autrui. Cependant, la capacité à se mettre à la place d’autrui semble être un prérequis pour l’expression de comportements prosociaux (Eisenberg & Mussen, 1989). Suivant cette idée, l’enfant qui obtient un score élevé à une mesure de prise de perspective d’autrui devient plus susceptible d’agir de façon prosociale (Lalonde & Chandler, 1995; Slaughter, Dennis, Pritchard, 2002; Strayer, 1980). Toutefois, le lien entre la capacité de prendre la perspective d’autrui et les comportements prosociaux augmentent avec l’âge (Slauhgter et al., 2002). Ainsi, Caputi, Lecce, Pagnin & Banerjee (2012) rapportent que la prise de perspective d’autrui à 5 ans et à 6 ans prédirait les comportements prosociaux un an plus tard. Dans la recherche actuelle, une série de mesures prise un an plus tard aurait pu permettre de démontrer un lien plus grand et significatif entre les scores actuels de la prise de perspective d’autrui et l’attitude prosociale des enfants.

Tout comme pour les résultats à la mesure des compétences éthiques, les résultats associés aux compétences procédurales présentent des scores moins élevés que ceux des compétences conceptuelles. La mesure PIPS-pairs (Spivack & Shure, 1974) utilisée permet d’identifier la capacité de résoudre des problèmes sociaux en termes de capacité d’énoncer des stratégies de résolution de problèmes différentes (entre 0 et 5)

lors de mises en situation illustrant des relations entre pairs. Turcotte (2003), avec un échantillon d’enfants âgés entre 5 et 6,2 ans (N=138), a obtenu des scores moyens légèrement supérieurs tant chez les garçons que chez les filles. Toutefois, cette étude a été réalisée en fin d’année scolaire alors que les données de cet article furent amassées en milieu d’année. Bien que la trajectoire développementale menant à la capacité de résoudre des conflits sociaux soit encore complexe à décrire, les chercheurs reconnaissent habituellement l’importance des expériences relationnelles vécues au quotidien, et ce, tant en termes qualitatif que quantitatif ou encore intra-individuel et inter-individuel (Baumgardner & Strayer, 2008). Ainsi, un enfant bénéficiant de plus d’occasions d’échanger avec ses pairs risque d’intérioriser un répertoire de stratégies de résolution de problèmes plus imposant. Enfin, les études utilisant le PIPS sont généralement longitudinales et se centrent sur les changements quant au nombre de stratégies énoncées ou encore à la nature de celles-ci (pourcentage de stratégies prosociales versus agonistiques) (p. ex., Shure & Spivack, 1980; Spivack & Shure, 1974, 1978; Strayer, Noël, Tessier, Puentes-Neuman, 1989;Youngstrom,Wolpaw, Kogos, Schoff, Ackerman, & Izard, 2000). Cette recherche fournit donc un éclairage différent qui offre le portrait du répertoire de l’enfant en classe maternelle en milieu d’année scolaire.

Contrairement à la mesure des compétences conceptuelles, qui a une base cognitive, celles des compétences éthiques et procédurales apparaissent plutôt rattachées à l’apprentissage et l’intériorisation de connaissances sociales acquises lors d’échanges sociaux. Rappelons que les épreuves mesurant les compétences éthiques (attitude prosociale) et procédurales (capacité de résoudre des problèmes sociaux) reposent sur des mises en situation impliquant des enfants en détresse. Elles permettent de recueillir des données sur les choix sociaux de l’enfant (aider ou ne pas aider), sa capacité de comprendre une situation sociale (percevoir les besoins d’autrui et y adapter ses actions), choisir une stratégie dans son répertoire, comprendre le coût personnel qui y est attaché et ainsi de suite. Les épreuves des compétences éthiques et procédurales mesurent des habiletés sociocognitives en plaçant les enfants dans un contexte relationnel où ils doivent généraliser des connaissances sociales (valeurs, stratégies) acquises préalablement dans leur environnement. Ainsi, il est possible de penser que ces compétences demandent, au-delà d’une capacité à envisager le point de vue d’autrui, une diversité d’expériences sociales permettant de connaître et d’expérimenter une variété de comportements sociaux.

Ces résultats laissent ainsi sous-entendre le rôle notable revenant aux interactions sociales dans le développement sociocognitif de l’enfant. Même si à l’entrée à la maternelle, vers l’âge de cinq ans, l’enfant sait utiliser des comportements prosociaux, son répertoire se raffine grâce à ses expériences sociales. D’où l’importance de valoriser les contextes d’apprentissage et de développement ouvrant la voie à une multitude

d’opportunités relationnelles dès l’éducation préscolaire et ainsi permettre à l’enfant d’enrichir son niveau de pensée sociale et ultimement son adaptation socioscolaire.

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