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Chapitre 4 : Premier article

2. Le jeu symbolique, un contexte propice au développement de la pensée sociale de l’enfant

2.1. L’étayage du jeu symbolique selon la perspective historico-culturelle

Voulant expliquer davantage certains aspects des propos de Vygotski sur la nature du jeu, Elkonin (2005a, 2005b) s’intéresse également à préciser son rôle pour le développement l’enfant. Il fut le premier à introduire le jeu qualifié de mature et à le présenter comme la forme la plus achevée du jeu symbolique. Il affirme que le jeu est primordial pour le développement de l’enfant, mais précise que c’est son caractère mature qui semble porteur de bénéfices (Bodrova & Leong, 2012a, 2012b, 2012c; Bodrova, 2008; Elkind, 2007; Diamond, 2009). Le jeu symbolique peut être simple ou très complexe selon le développement de l’enfant et ses expériences sociales. Vers 2 ans, les enfants peuvent déjà s’engager dans des jeux symboliques avec des jouets imitant les objets qu’ils utilisent dans leur quotidien. L’enfant peut alors faire-semblant de mettre la table ou pousser une poussette. Pour ce faire, un adulte aura préalablement mis en place des objets permettant à l’enfant d’exécuter des gestes voire, de mimer des actions observées quotidiennement. Ce n’est que vers 5 ou 6 ans que l’enfant parviendra à s’engager dans un jeu mature planifié avec plusieurs de ses pairs. Ainsi, le jeu mature représente la forme la plus achevée du jeu symbolique, un peu à l’image d’une pièce de théâtre précédée d’une longue période de planification, où les enfants effectuent plusieurs tâches : choix d’une thématique, distribution des rôles, discussion concernant les relations entre les personnages, création d’un scénario logique à l’image d’un récit, préparation du matériel requis, etc. Bref, pour qu’il y ait évolution du jeu symbolique, l’enfant doit avoir un certain développement cognitif en plus de bénéficier d’un environnement proposant des moments de jeu guidés et soutenus par un adulte.

L’idée d’étayer, c'est-à-dire d'accompagner l'enfant dans la complexification de son jeu, n’est pas nouvelle. Mais, cette stratégie est surtout utilisée dans les cas où un enfant en difficulté d’adaptation reçoit des services

d’éducation spécialisée (p.ex., thérapie pour trouble envahissant du développement, problème émotionnel, problème de langage) (voir Karpov, 2005). Aujourd’hui, les auteures de l’ouvrage Les outils de la pensée (Bodrova & Leong, 2012b) proposent plutôt de valoriser l’étayage du jeu, afin que tous les enfants puissent bénéficier du développement qu’il permet (Bodrova, 2008).

2.1.2. Le rôle de l’adulte dans l’atteinte d’un jeu mature en maternelle

Le jeu mature, représentant la forme la plus achevée du jeu symbolique, est une source de développement pour l’enfant et repose notamment sur les opportunités relationnelles misant sur le jeu de l’enfant planifiées et guidées par les agents sociaux, voire l’enseignante de maternelle. Considérant les liens entre le jeu mature et les compétences de la pensée sociale préalablement signalées, son étayage devient un contexte de développement pour favoriser une meilleure compréhension du monde social chez l’enfant, et par le fait même son adaptation socioscolaire. Il importe donc de se questionner sur les opportunités relationnelles misant sur l’étayage du jeu symbolique pouvant être valorisées en classe maternelle. Bodrova et Leong (2012b) proposent que l’enseignante, ou encore des pairs plus compétents, rendent accessibles les savoirs culturels nécessaires à la création d’un scénario complexe en utilisant l’étayage (Elkind, 2007).

L’étayage est une forme d’accompagnement de l’enfant en contexte éducatif. Il nous amène à porter un regard sur l’interaction entre l’enfant et l’enseignante (Bodrova, 2008). L’enseignante en situation d’étayage offre à l’enfant un soutien dans l’accomplissement de ses tâches. Par exemple, en situation de jeu symbolique, l’enseignante peut soutenir l’enfant tant dans le choix des rôles associés à des thématiques, la sélection des actions pouvant être effectuées par un personnage, la fabrication des objets des personnages, l’élaboration des péripéties de son scénario ou encore la résolution des conflits rencontrés avec les autres joueurs. Dans ce contexte éducatif, la tâche proposée demeure la même, mais les étapes pour y parvenir seront au départ facilitées grâce à l’assistance de l’adulte. L’aide et le soutien de l’adulte seront ensuite retirés graduellement jusqu’à ce que l’enfant soit autonome. Ainsi, selon les habiletés de jeu des joueurs, ou la maturité de son jeu, l’aide apportée par l’enseignante variera. Plus l’enfant assumera une responsabilité pour la réussite de la tâche, moins le soutien de l’adulte sera nécessaire.

Suivant cette idée, l’adulte doit mettre en place des situations d’apprentissage et de développement (opportunités relationnelles) pour guider l’enfant vers une forme la plus achevée possible du jeu symbolique, de façon à soutenir sa pensée sociale et de ce fait, son adaptation socioscolaire. L’étayage avant et pendant le jeu devrait permettre à l’enfant de jouer en utilisant des jouets ou des objets de façon symbolique, en

inventant des scénarios de jeu, en envisageant différents rôles dans les situations symboliques, de même qu’en établissant des liens entre ces rôles, et en les maintenant tout au long du jeu. Puisque l’enfant qui joue est susceptible de vivre des conflits, ce sera aussi l’occasion d’étayer des stratégies pour négocier ses idées, partager les rôles entre les joueurs, apprendre à collaborer et à respecter des règles sociales. C’est donc par ses jeux symboliques partagés avec ses pairs que l’enfant met en scène des compétences conceptuelles, éthiques et procédurales de la pensée sociale. L’ouvrage Les outils de la pensée (Bodrova & Leong, 2012b) insiste sur le rôle de l’enseignante et propose plusieurs stratégies pouvant être utilisées pour étayer les principales composantes du jeu (Bodrova, 2008; Bodrova & Leong, 2012b; Leong, 2009). Le soutien ponctuel que l’enseignante fournit à l’enfant, dans une tâche de jeux qu’il ne saurait faire seul, diminuera progressivement avec son développement cognitif et les occasions de jeu qui lui sont offertes. Une fois le soutien offert diminué, l’enfant pourra exprimer son autonomie par l’engagement dans un jeu de plus en plus mature.

L’étayage du jeu par l’enseignante demande une présence importante de sa part avant l’amorce de celui-ci de façon à observer la maturité du jeu de l’enfant de même que ses champs d’intérêt. Puis, sa présence sera requise tant durant la planification du jeu (support pour les enfants durant le choix de la thématique, les rôles et les comportements qui y sont associés, les objets nécessaires, etc.) que durant l’exécution de celui-ci (p. ex. : jouer le rôle d’un personnage de passage). Durant les moments de planification, l’enseignante devient le transmetteur de savoirs culturels concernant autant le scénario choisi (p. ex. : fournir davantage d’informations sur les actions associées aux rôles choisis), mais également d’habiletés sociocognitives requises pour maintenir des relations positives avec les autres (p. ex. : proposer des moments de réflexion sur les stratégies prosociales de résolution de problèmes). Durant le jeu, il peut prendre temporairement un rôle pour préciser l’utilisation d’objet ou encore suggérer des idées pour enrichir le scénario. Bodrova et Leong (2012b) proposent le recours aux stratégies suivantes pour favoriser un jeu symbolique plus mature : offrir du temps quotidiennement, enrichir les scénarios de jeu de même que les rôles abordés, choisir des objets adaptés aux capacités de l’enfant (p. ex. : des jouets représentants des objets réels ou encore des objets symboliques), proposer plusieurs scénarios pouvant être reproduits par les enfants et enfin offrir des stratégies de résolution de conflits.

Enfin, il est connu que les apprentissages de l’enfant passent par ses jeux, notamment ses jeux symboliques. Parmi les apprentissages à réaliser en maternelle se trouve la capacité de comprendre le monde social. En effet, la pensée sociale, qui permettra à l’enfant de s’engager dans des relations harmonieuses avec les autres et de résoudre efficacement ses conflits s’avère aussi un élément primordial de l’adaptation socioscolaire de l’enfant.

Rappelons que ce n’est pas seulement le jeu, mais plutôt la capacité de s’engager dans un jeu symbolique pouvant être qualifié de mature qui favorise la maîtrise des compétences conceptuelles, éthiques et procédurales de la pensée sociale. C’est donc par la mise en scène d’un jeu planifié et organisé avec des pairs que l’enfant retire des bénéfices importants de cette situation d’apprentissage et de développement (opportunités relationnelles) de sa pensée sociale. Comme les enfants qui entrent à l’école ne maîtrisent pas totalement les compétences conceptuelles, éthiques et procédurales de la pensée sociale, le jeu symbolique peut-il être utilisé comme un contexte de développement? C’est précisément ce sur quoi les futures recherches devraient se questionner de façon à éclairer le rôle du jeu en contexte éducatif.

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