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Le populisme contre la démocratie ?

Dans le document Les populismes en Bulgarie (Page 43-47)

Basé sur le mythe du peuple, le populisme entretient un rapport spécifique à la démocratie libérale. Paul Taggart qualifie le populisme de « pathologie des

démocraties représentatives »107 en mettant l’accent sur le fait qu’il s’agit d’une

pathologie de la médiation du pouvoir dans les régimes représentatifs. Christian Godin fait un pronostic beaucoup plus pessimiste à propos de l’évolution du rapport entre la démocratie et le populisme : « Alain Touraine a qualifié le populisme de

« maladie infantile de la démocratie », mais le populisme sous sa forme dominante actuelle en est plutôt la maladie sénile. »108. Yves Meny et Yves Surel adoptent une

approche plus nuancée et posent la question suivante : « le populisme est-il la

107 Taggart, P., « Populism and the pathology of representive politics », Workshop on Populism,

European University Institute, 14-15 janvier 2000, non publié, cité par Meny, Y., Surel, Y.,

op.cit., 2000, p. 18. 108 Godin, C., op.cit., p. 24

pathologie ou ne serait-il pas la manifestation d’une pathologie installée au cœur de la démocratie elle-même ? Ou, pour le dire autrement, en poursuivant le recours à la métaphore médicale – le populisme ne serait-il pas – « la fièvre » – de la maladie qui affecte la démocratie, c’est-à-dire la carence de la présence populaire dans ce qui devrait ou est censé être son habitat naturel ? »109. Ces auteurs parlent

même d’un type de régénération démocratique qui est revendiquée par les populistes : « Loin de prôner une autre forme de régime, les populistes s’engagent

le plus souvent dans une sorte de surenchère démocratique en utilisant les ambiguïtés et la polysémie qui caractérisent le terme de démocratie. Ils proposent donc de la « régénérer » en la nettoyant de toutes ses scories et en revenant aux « vrais » principes et valeurs »110.

Au vu de ces analyses divergentes, il semble que la relation du populisme avec la démocratie soit complexe. Plusieurs situations sont concevables. Il peut se manifester en tant que forme transitoire précédant les dérives autoritaires qui ruinent les check - and - balances démocratiques. Le populisme peut aussi être une négation de la démocratie, se manifester comme une « maladie infantile de la

démocratie » selon l’expression d’Alain Touraine ou bien agir « au nom » de la

démocratie. « Historiquement, le populisme a pu précéder la démocratie, lui

succéder ou l’accompagner. Il pourrait bien aussi en signaler la fin.»111; « Le

populisme se présente à la fois comme une critique de la démocratie, comme un rejet de la démocratie (sous sa forme représentative) et comme une exigence de démocratie. »112.

Guy Hermet propose la catégorisation suivante, en distinguent plusieurs types de populismes au regard de la démocratie: 1) « le populisme électoraliste » qui ne remet pas en cause l’ordre politique existant, mais s’inscrit dans le fonctionnement général des démocraties ; 2) « le populisme refondateur » qui entretient un rapport différent à l’égard de la démocratie et « vise à jeter les bases

109 Meny, Y., Surel, Y., op.cit., 2000, p. 21. 110 Ibid., p. 32.

111 Godin, C., op.cit., p. 24. 112 Ibid., p. 21.

d’une démocratie d’unanimité dans un pays sorti de l’autoritarisme, soit à reformuler dans cette perspective une démocratie déjà établie »113 3) le populisme

de rupture, qui vise à détruire ou déstabiliser les démocraties.

Ce rapport contradictoire entre la démocratie et le populisme réside dans un fait essentiel. Alors que la démocratie libérale s’appuie sur deux piliers : la volonté générale et l’Etat de droit, le populisme privilégie la volonté générale. Pour cette raison, il se déclare favorable à une certaine « démocratie directe », soit à travers des procédures tels que le référendum, soit à travers l’incarnation du peuple dans un leader providentiel en tant qu’alternative de la « technicisation » du pouvoir. C’est dans cette amputation du pilier libéral que réside le côté menaçant du populisme. Comme le souligne Cas Mudde : « Le populisme est hostile à l’idée et aux

institutions de la démocratie libérale ou de la démocratie constitutionnelle. Le populisme est une forme de ce que Fareed Zakaria a récemment qualifié de « démocratie illibérale », mais qui peut être nommé aussi extrémisme démocratique. »114. Le populisme remet en cause les limites envers l’expression de

la volonté populaire qui en même temps sont les garants des libertés du peuple il :

« rejette tous les limitations de l’expression de la volonté générale, et surtout la protection constitutionnelle des minorités et l’indépendance (de l’influence politique et en conséquence du contrôle démocratique) des institutions clés (ex. le pouvoir judiciaire, la Banque Centrale) »115.

Le rejet de la médiation des institutions est directement lié au rapport que le populisme entretient avec les élites qui sont d’habitude chargées de cette médiation. Dans le discours populiste, la « représentation » devient synonyme de

« trahison »116. Pour le populisme « les moyens institutionnels d’expression sont

des écrans ou des rideaux de fumée. »117. Un point central du populisme réside dans

l’idée de distance des représentants par rapport aux représentés qui est illustrée par nombre de critères: il propose de refonder et de simplifier la démocratie et d’éviter

113 Hermet, G., op.cit., 2001, p. 93. 114 Mudde, C., op. cit., p.561. 115 Ibid., p.561.

116 Voir Meny, Y., Surel, Y., op.cit., 2000, p. 69. 117 Godin, C., op.cit., 2012, p. 22.

la transmission de la volonté populaire par la machinerie institutionnelle. Sa vision peut être qualifié d’ « inégalitarisme inversé » par rapport aux élites selon l’expression proposée par Jack Hayward : il est basé sur « l’estime de soi de la masse (…) encouragée par un « inégalitarisme inversé » au sein duquel le peuple

n’est pas seulement l’égal des dirigeants ; il est en fait meilleur que ses dirigeants »118. Dans la même logique, le populisme néglige tout « réalisme

démocratique », ou le rôle naturel des élites et la nécessité de la médiation dans un régime représentatif.

En résumé, il semble que le populisme est un phénomène de nature particulière, car il prétend refonder ou réanimer le régime politique, tandis que les autres forces politiques s’inscrivent dans le cadre d’un jeu aux règles déterminées. Il peut être qualifié de « révolution symbolique », d’une prétention de rupture sans changement réel du régime. Comme le souligne Christian Godin, « L’opposition

droite/gauche est concurrentielle, elle rend possible l’alternance politique. L’opposition peuple/élites, gouvernés/gouvernants est beaucoup plus conflictuelle, dotée d’une forte charge de violence symbolique. »119.

En nous appuyant sur les propos de Francisco Panizza, il convient de souligner que le populisme n’est pas uniquement lié à une crise de la représentation - il marque le début d’un processus de représentation à travers la construction de nouvelles identités. Comme il l’explique, « Les leaders populistes adressent un

appel à la fois à ceux qui n’ont pas jamais été représentés, et à ceux qui viennent de perdre leurs canaux de représentation, mais il n’y a pas un leadership populiste, s’il n’y a pas une construction avec succès des nouvelles identités, et d’un lien représentatif de ces identités. Dans les deux cas on a affaire aux relations de représentation qui sont possibles grâce à la transformation de l’ordre politique existant. »120.

118 Hayward, J., « Populist Challenge to Elitist Democracy in Europe », in Hayward J. (ed.),

Elitsm, Populism and European Politics, Oxford, Oxford University Press, 1996, pp. 10-32 cité par

Meny, Y., Surel, Y., op.cit., 2000, p. 74. 119 Godin, C., op.cit., 2012, p. 25.

120 Panizza, F., Introduction: Populism and the Mirror of democracy in Panizza, F. (Ed.) (2005). Populism and the Mirror of Democracy (pp.1-32). London: Verso, p. 11.

Le populisme ne revendique pas un changement de régime mais il ne se limite pas à un changement de gouvernement : il pose la question de la représentation et des règles de fonctionnement du régime politique.

III. Etat de l’art et présentation de la thèse

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