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Le défi d`une définition

Dans le document Les populismes en Bulgarie (Page 35-43)

Les définitions synthétiques du terme s’avèrent nombreuses. Nous essaierons d’en présenter un panorama. Par la suite, nous présenterons et justifierons les critères de traitement du populisme dans ce travail. Les grilles d’analyse du phénomène peuvent être ordonnées en deux groupes : l’un contextuel (centré sur un contexte concret) ; l’autre à vocation universelle (qui cherche à construire une abstraction unificatrice).

1). Les définitions contextuelles

D’un premier groupe relèvent les définitions données à partir des contextes particuliers. Une définition de ce phénomène issue d’une analyse des phénomènes qualifiés de « populistes » sur le terrain de l’Amérique Latine est proposée par Ruth et David Collier : « Un type de gouvernement et de mouvement politique qui

combine un appui massif de la classe ouvrière urbaine et/ou de la paysannerie ; un élément fort de mobilisation d’en haut ; un rôle central de direction joué par le couches moyennes ou leurs élites ; un programme et une idéologie nationaliste

anti- statu quo »81. Andrzej Walicki élabore une autre définition découlant d’un

contexte particulier, le populisme qualifiant un type de socialisme : « Un socialisme

qui (apparaît) dans des pays agricoles mal développés face au problème de la modernisation »82. Peter Worsley propose quant à lui une synthèse théorique à la

base d’un type de populisme généré par des conditions de changement : Il le décrit comme : « une idéologie du petit peuple rural menacé par l’envahissement du

capital industriel et financier »83. La définition formulée par Peter Calvert est du

même type : Elle se limite à des manifestations populistes qui résultent du clivage entre l’ordre traditionnel et la modernisation ; il s’agit d’ : « un mouvement rural

qui cherche à mettre en pratique des valeurs traditionnelles dans une société qui change »84.

Toutes ces définitions comportent des éléments importants. Pourtant elles ne permettent pas de saisir le phénomène de manière suffisamment générale : elles renvoient à un certain type de société durant une période concrète (ex. sociétés agricoles mal développées) ou bien décrivent un seul type de mobilisation populiste (par exemple, issue de la classe ouvrière). Une telle détermination contextuelle ne saurait constituer une approche opérationnelle car elle ne tient pas compte de la grande variété des manifestations au-delà des exemples qui sont à l’origine de leur élaboration. Notre approche partira de définitions à vocation universelle.

2). Définitions à vocation universelle

Dans un deuxième groupe on trouve les définitions visant à dépasser les contextes historiques et nationaux. Dans ce groupe, qui rassemble les définitions de type « universel », on rangera celles-ci selon la « porte d’entrée » retenue, l’accent

81Shaping the political Arena, Princeton, Princeton University Press, 1991, p. 778 cité par

Hermet, G., op.cit., 2001, p. 43.

82 Walicki, A., cité dans le rapport de la conférence « To Define Populism », qui a eu lieu à

London School of Economics, Mai 1967 : Government and Opposition, 3, Part 2 (Spring 1968), 158 cité par Canovan, M., Populism, Harcourt Brace Jovanovich, New York and London, 1981, p.4.

83 Worsley, P., The Third World, 2nd ed. (London Weidenfeld and Nicholson, 1967) p. 167, cité

par Canovan, M., Populism, op.cit., 1981, p. 4.

84 Calvert, P., cité dans le rapport de la conférence « To Define Populism », qui a eu lieu à

London School of Economics, May 1967 : Government and Opposition, 3, Part 2 (Spring 1968), p. 163, cité par Canovan, M., Populism, op.cit., 1981, p. 4.

mis sur une dimension ou une autre du phénomène populiste. Ce critère permet de circonscrire trois sous-groupes selon la dimension sur laquelle les auteurs en question se focalisent : 1) les définitions qui insistent sur le rôle du leader charismatique ; 2) les définitions centrées sur le corps abstrait du peuple ; 3) les synthèses opérées selon d’autres critères.

Le premier sous-groupe - les définitions centrées sur le rôle des leaders sont élaborées par des auteurs tels que Hêlio Jaguaribe, Yannis Papadopoulos et Silvia Kobi. Hêlio Jaguaribe définit le populisme de la manière suivante : « Le populisme

représente une relation non traditionnelle directe entre les masses et un leader, qui apporte à ce dernier l’allégeance des premières ainsi que leur soutien actif dans sa recherche du pouvoir, en fonction de sa capacité charismatique à mobiliser l’espoir et la confiance des masses pour la réalisation rapide de leurs attentes sociales dans le cas où il acquiert un pouvoir suffisant. »85 . Plus synthétiquement, « Ce qui est

typique du populisme est donc le caractère direct de la relation entre les masses et le leader, l’absence de médiation des échelons intermédiaires, et aussi le fait qu’il repose sur l’attente d’une réalisation rapide des objectifs promis »86. Yannis

Papadopoulos et Silvia Kobi le définissent pour leur part en s’appuyant sur l’accent spécifique qu’il met sur l’anti-élitisme et le rôle du leader : Ils décrivent le populisme comme « un antiélitisme couplé à un culte du chef »87.

Dans le deuxième sous-groupe figurent les définitions basées sur le rôle central du peuple. Cette approche est adoptée par un nombre important d’auteurs. Edward Shils en 1956 propose une synthèse centrée sur l’idée de la volonté populaire : le populisme « proclame que la volonté du peuple est supérieure à

n’importe quel autre standard »88. Il met en avant l’idée de la suprématie de la

volonté populaire en l’opposent aux deux autres sources potentielles d’autorité, à

85 Jaguaribe, H., Problemas do desenvolvimento latinoamericano, Rio de Janeiro, 1967, p. 168

cité par Hermet, G., op.cit., 2001, p. 40.

86 Ibid.

87 Papadopoulos, Y., Kobi, S., « L’ambiguïté du populisme », in Galissot, R. dir. Les

populismes du tiers-monde, Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 13-44 cité par

Hermet, G., op.cit, 2001, p. 41.

88 Shils, E., The Torement of Secrecy, William Heinemann London, 1956, p. 98, cité par Canovan, M., op.cit., 1981, p. 4.

savoir les « institutions traditionnelles » et d’autres « strates sociales » et accentue sur le fait que « le populisme identifie la volonté du peuple à la justice et à la

moralité »89. Une approche similaire est retenue par Lloyd Fallers qui caractérise le

populisme d’idéologie selon laquelle « la légitimité réside dans la volonté du

peuple »90.

Peter Wiles donne lui aussi une définition du populisme centrée sur l’idée du peuple : le populisme est « un credo ou mouvement basé sur l’acceptation

majeure suivante : la vertu réside dans le petit peuple qui est une majorité insurmontable, et dans ses traditions collectives »91. Une formule basée sur l’idée

de la supériorité des populations habituellement traitées comme soumises à travers une personnalisation de l’unité de base du peuple - l’homme ordinaire - est proposée également par Hans-Georg Betz en ces termes : « Un appel à l’homme

ordinaire et à son bon sens supposé supérieur »92.

Le populisme est également défini en 1967 par Harry Lazer à travers l’opposition entre l’opinion du peuple et celui des élites. Selon lui l’essence du populisme est « l’idée que l’opinion majoritaire du peuple est bloquée par une

minorité élitiste »93. La même opposition entre peuple et élites est évoquée par

Ernesto Lacalu, pour qui « le populisme commence là où les demandes populaires-

démocratiques sont présentées comme des options antagonistes de l’idéologie du bloc dominant »94.

Après avoir expliqué combien il s’avérait difficile d’emboîter l’ensemble des phénomènes classables en tant que populistes dans les contours d’un concept universel, Margaret Canovan, l’une des chercheuses les plus citées dans la vaste

89 Ibid.

90 Fallers, L., « Populism and Nationalism », Comparative Studies in Society and History (4), July

1964, p. 447, cité par Hermet, G., op.cit, 2001, p. 37.

91 Wiles, P., A syndrome, not a Doctrine, in Ionescu, G., Gellner, E., Populism, New York,

Harcourt-Brace Jovanovich, 1981, p.166 cité par Canovan, M., op.cit., 1981, p.4.

92 Betz H.-G., Radical Right-Wing Populism in Western Europe, New York, St. Martin’s Press,

1994, p. 4, cité par Meny, Y., Surel, Y., op.cit, 2000, p.12.

93 Lazer, H., British Populism : The Labour Party and the Common Market Parlamentary Debate,

Political Science Quarterly, 91, No 2 (1967), p. 259 cité par Canovan, M., op.cit., 1981, p. 4.

94 Lacalu, E., Politics and Ideology in Marxist Theory, London, Humanities Press, 1977, pp. 172-

littérature sur le sujet, propose la synthèse suivante à propos du populisme en ces termes : « forme d’action politique polémique aux contours vagues visant, à travers

une rhétorique centrée sur le peuple, à déclencher une réaction émotionnelle dans le public auquel elle s’adresse »95.

Pour Michel Wieviorka :« le populisme implique d’abord le sentiment, qui

peut ou non reposer sur la réalité, d’une distance considérable entre le peuple et le pouvoir politique et économique, auquel sont éventuellement associées les élites intellectuelles » 96 . Yves Meny et Yves Surel parlent d’une « structure

fondamentale » du populisme qui le différencie des autres traditions de pensée qui est centrée sur le corps du peuple et composée de trois éléments essentiels – un principe, un constant et une solution : « a) le peuple est le fondement des logiques

politiques, socioéconomiques et culturelles. b) cette légitimité est bafouée. c) il faut retrouver la « pureté » des origines par le moyen d’une régénération. »97. Koen

Abts et Stefan Rummens, formulent eux aussi une définition centrée sur le peuple :

« Nous proposons une définition plus modeste du populisme comme une idéologie faiblement centrée qui défend le droit du peuple souverain en tant qu’un corps homogène »98.

Pour Alain Touraine aussi, « Le populisme est l’appel d’un leader à un

peuple contre les politiques et les intellectuels qui le trahissent. Appel au peuple profond contre de mauvais représentants »99. Le peuple constitue également

l’élément essentiel de la définition proposée par Cas Mudde du populisme envisagé comme « une idéologie qui considère que la société est divisée en deux groupes

homogènes séparés, le « peuple pur » contre les « élites corrompues », et qui

95 Canovan M., Populism, Harcourt Brace Jovanovich, New York and London. Cité par: Guy

Hermet « Permanences et mutations du populisme », Critique 1/2012 (n° 776-777), p. 62-74. URL : www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-62.htm.

96 Wieviorka, M., La démocratie à l’épreuve, Paris, La Découverte, 1993, pp. 74-75 cité par

Hermet, G., op.cit. 2001, p. 44.

97 Meny, Y., Surel, Y., op.cit., 2000, p. 222.

98 Abts, K., Rummens, S., Populism versus Democracy, Political Studies vol. vol. 55 Issue 2,

2007, pp. 405-424, p. 409.

99 Tourraine, A, Le brun, le rouge et le Français, Le populisme ? In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°56, octobre-décembre 1997. pp. 239-242.

considère que la politique doit être une expression de la volonté générale du peuple”100. ». Dominique Reynié lui aussi décrit le phénomène de la manière

suivante : « Une vision politique sommaire et brutale opposant, d’un côté, un

peuple abandonné, voire spolié, et, de l’autre côté, des élites incompétentes, voire corrompues. Le populisme apparaît par temps de crise. »101 Danielle Albertrazzi et

Duncan McDonnell formulent pour leur part une approche centrée sur le peuple, mais déjà plus polymorphe concernant les ennemis avec lesquels le peuple entretient des relations d’opposition : « Nous définissons le populisme comme : une

idéologie qui pousse un peuple vertueux et homogène contre une série d’élites et d’”Autres” dangereux qui sont présentés comme des forces qui dépossèdent ou tentent de déposséder le peuple souverain de ses droits, de ses valeurs, de son identité ou de sa voix »102.La définition de Christian Godin réunit des éléments

similaires. Pour lui :« Le populisme a une structure de quadrilatère. Il croise

l’opposition ceux d’en haut/ceux d’en bas avec l’opposition ceux d’ici, ceux d’en face. Sur le plan du contenu, plusieurs traits caractérisent le populisme actuel, qu’il soit de gauche ou de droite : a) la condamnation sans appel des élites ; b) la défense d’une identité nationale menacée ; c) le rejet des forces étrangères menaçant cette identité. »103.

Parmi les définitions à vocation universelle, qui se différencient des deux premiers types - on peut citer celle de Guy Hermet qui définit le populisme par rapport au temps politique : « Que l’on considère aussi bien ses agents et

émetteurs, que son public, le populisme se définit de la sorte au premier chef par la temporalité antipolitique de sa réponse prétendue instantanée à des problèmes et des aspirations que nulle action gouvernementale n’a en réalité la faculté de résoudre ou de combler de cette manière soudaine. »104.

100 Mudde, C., op.cit., 2004, p. 543.

101 Reynié, D., Le Pen peut atteindre 30 % , entretien réalisé par Bruno Jeudy, Le Journal du Dimanche, 9 avril 2011.

102 « Introduction » in Albertazzi, D., et McDonnell, D. (eds), Twenty-first century populism. The spectre of Western European democracy, New York, Palgrave Macmillan, 2008, p. 3.

103 Godin, C., op. cit., 2012, p. 16. 104 Hermet, G., op.cit., 2001, p. 50.

Une définition centrée sur des critères qui divergent des deux premiers types est proposée également par Paul Taggart. Il le définit de cette façon : « Le

populisme est une célébration du heartland face à la crise de type épisodique, antipolitique, idéologiquement vide, comparable à un caméléon du heartland face à la crise » 105.

3). La définition retenue

Dans le cadre de ce travail, nous retiendrons une définition qui s’appuie sur le deuxième et le troisième sous - groupes de définitions de type universel : à savoir ceux qui mettent l’accent sur le rôle central de l’abstraction du peuple en combinaison avec des éléments de définition liés à l’interprétation du populisme par rapport à l’inscription de l’action politique dans le temps.

Les raisons de ce choix sont motivées par la recherche des indicateurs de définition qui présentent un caractère déterminant et non auxiliaire par rapport au phénomène étudié. Pour cette raison, les définitions contextuelles qui présentent le populisme sur la base d’un seul contexte sont considérées comme trop restreintes pour un usage en dehors de leur terrain de construction. Le premier type de définitions à vocation universelle (centrées sur le rôle du leader providentiel) n’ont qu’un caractère auxiliaire : cet élément peut être présent ou non dans un phénomène sans changer son caractère populiste ou non-populiste.

Le populisme sera traité en tant que type spécifique d’idéologie ascientifique construite à partir de mythes politiques sous-jacents. Cette idéologie ascientifique est transversale à tous les courants de pensée : elle n’est explicitement ni de gauche, ni de droite. Elle se régénère en permanence à travers un type spécifique de discours politique qui peut être explicitement rattaché à un acteur ou une structure politique (leader et/ou parti et/ou régime) dans un système politique ou bien être mobilisé d’une manière non permanente par des acteurs variés. Au niveau idéologique, aussi bien qu’au niveau institutionnel, il adopte une posture spécifique par rapport à la démocratie qui ressemble à une approche

« révolutionnaire » alors que pourtant elle fonctionne dans le cadre du régime en place.

Dans notre définition du populisme nous nous appuierons sur la théorisation multidimensionnelle concernant les limites, les mécanismes et les effets de la construction de l’abstraction du peuple proposée par Danielle Albertrazzi et Duncan McDonnell, mais en l’enrichissant de la dimension temporelle proposée par Guy Hermet. Nous considérons que peuvent être traités comme « populistes » des appels au peuple « vertueux » et « homogène » contre les élites et « autres » dangereux qui sont présentés comme des forces qui dépossèdent, ou tentent de déposséder, le peuple souverain de ses droits, de ses valeurs, de son identité ou de sa voix et laissent entendre qu’une réponse pourrait être donnée dans une temporalité antipolitique que l’action gouvernementale n’a pas réellement la capacité de résoudre d’une manière instantanée.

La structure des mythes politiques qui est identifiable à l’intérieur de cette logique générale du populisme construit « une grille de décodage d'inspiration

manichéenne »106 fonctionnant dans des combinaisons originales dont le contenu varie selon le contexte. La syntaxe interne du populisme est basée sur une interaction entre des constellations mythologiques qui sont organisées selon la logique suivante :

1. Mécanisme de construction du groupe politique : le mythe du peuple se

combine avec différentes sortes de théories du complot, selon une logique de construction d’un rapport du sujet (ennemi concret) vers l’objet (peuple), en vue de la construction d’un groupe sur la base de l’exclusion d’un ennemi identifié : le peuple présenté sous la forme d’une majorité désignée comme vertueuse et homogène est opposé à une minorité sur la base de critères qui peuvent être aussi bien politiques, qu’économiques, ethniques, culturels, biologiques. La frontière entre la majorité et la minorité établit des identités négatives sur la base d’un seul critère ou bien de plusieurs types de critères à

la fois (ex. politique et/ou économique et/ou ethnique et/ou culturel et/ou biologique).

2. Diagnostic de la situation : Le mythe de la décadence se combine avec le

mythe de l’égalité et de l’unité perdue et des fragments des théories du complot : La (les) minorité(s) hétérogène(s) par rapport à la majorité cherche (nt) à déposséder ou a/ont déjà dépossédé le peuple de ses droits, de ses valeurs, de son identité ou de sa voix.

3. Proposition d’action : Le mythe de la restauration de l’ordre immédiat et

l’utopie futuriste : la proposition d’action s’effectue dans une temporalité qui ne correspond pas à la réalité objective d’inscription de l’action dans le temps.

De cette structure générale du populisme dérivent des types essentiels qui vont structurer notre analyse. Ils sont basés sur les typologies des populismes élaborées par Pierre-André Taguieff qui distingue deux types de populismes selon le type de peuple auquel il fait appel : le peuple défini en tant que dèmos et classe qui détermine le populisme protestataire ; le peuple défini en tant que ethnos ou nation qui détermine le populisme identitaire.

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