• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1. La Suisse : complexité de l’imaginaire identitaire

1.2 Politiques migratoires en Suisse

1.2.1 Étapes importantes de la migration en Suisse est des lois sur « l’intégration »

Nous l’avons vu, la Constitution de 1848 lègue aux cantons et aux communes la responsabilité d’attribuer le droit de cité à leurs résidents. Bien que la révision de la Constitution en 1874 ait apporté à la Confédération un droit limité sur la procédure, peu de mesures seront prises avant 1917 pour tenter de contrôler les conditions d’établissement et de séjour des personnes immigrantes. La Première Guerre mondiale aurait amené la « question des étrangers », faisant apparaître la notion d’« Überfremdung »81 – qui sera une constante durant tout le XXe siècle [Leanza et ali., 2003 : 23] – sur

le devant de la scène au pays, questions qui aboutiront à l’adoption d’une politique restrictive et protectionniste et la création d’un réel dispositif pour gérer les flux migratoires en 193182 [Arlettaz et

Burkart, op. cit. : 57 ; Studer, Arlettaz et Argast, 2013 : 43].

Aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, la Suisse a besoin de main-d’œuvre. Le pays recrutant auprès des pays limitrophes, les années 1950 à 1970 sont caractérisées par l’arrivée de nombreux travailleurs étrangers qui sont, pour la plupart, italiens, allemands, autrichiens, français et

81 E. Piguet définit le terme comme une « influence des étrangers sur la vie économique, intellectuelle et spirituelle du

pays », alors que Studer, Arlettaz et Argast parlent d’« emprise étrangère » [Piguet, op. cit. : 25 ; Studer, Arlettaz et Argast, op. cit. : 12].

82 Ce sera en effet la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) de 1931 qui donnera le pouvoir exécutif au

Conseil fédéral pour légiférer sur la politique d’admission des étrangers, les autorités subsidiaires étant de fixer elles- mêmes le nombre d’autorisations de séjour [Bolzman, 2002 : 67].

44

espagnols [Bolzman, 2002 : 66]. La politique migratoire de l’époque est alors surtout déterminée par les besoins du secteur économique et cette immigration, essentiellement stimulée par un besoin en travailleurs, est flexible aux besoins du marché intérieur et aux conjonctures économiques. Leur droit de séjour étant rattaché à la nécessité d’occuper un emploi, les étrangers doivent en effet quitter le sol helvétique si les autorités ne leur renouvellent pas leur permis de travail, procédé particulièrement employé lors de périodes de crises économiques [Piguet, 2004 : 37 – 38]. En la considérant comme une immigration de passage, on souhaite ainsi s’assurer du caractère temporaire et réversible de cette main-d’œuvre étrangère83 : ces individus, qui sont en fait des salariés passagers,

devront retourner dans leurs pays respectifs lorsque l’activité économique connaîtra un ralentissement [Holtzer, 1998 : 47 ; Piguet, op. cit. : 19]. Ainsi, le caractère précaire de cette main- d’œuvre étrangère est assuré par le fait que les permis de séjour sont directement liés au travail : selon C. Bolzman, la Suisse ne dispose pas de permis de travail en soit, puisque c’est son autorisation de séjour qui déterminera l’activité lucrative possible de l’étranger [Bolzman, op. cit. : 68].

Cet afflux de travailleurs étrangers aurait fait réapparaître la crainte d’une « surpopulation étrangère », qui aurait à son tour amené le Conseil fédéral (pouvoir exécutif) à adopter une politique en 1970 qui, en introduisant des quotas annuels, aurait cherché à limiter le nombre d’étrangers et à permettre leur insertion sur le marché du travail. L’administration fédérale aurait en outre estimé à cette époque que l’intégration est liée à la participation au marché du travail, tandis que les autres éléments relatifs à une intégration aurait été laissés à la discrétion des cantons, des communes et des personnes étrangères elles-mêmes [Bolzman, op. cit. : 67]. Par ailleurs, il faut souligner que, jusqu’en 1998, on aurait considéré que l’assimilation, plutôt que l’intégration, est « la seule voie possible pour conserver une certaine cohérence sociale » [Leanza, et ali., op. cit. : 24].

Les années 1980 sont témoins d’un changement dans le paysage migratoire suisse. D’abord, les quotas annuels décidés par les autorités ne touchent que les étrangers souhaitant exercer une activité économique. Aussi les individus issus des regroupements familiaux, de même que des naissances, échappent-ils à ces restrictions et font alors augmenter le nombre de personnes étrangères. En outre, de nombreux travailleurs venus en Suisse lors de la vague migratoire précédente bénéficient dorénavant de permis d’établissement : il n’est donc plus possible de les renvoyer à l’étranger.

83 A titre d’exemple, un travailleur étranger obtiendra un permis d’établissement après 10 ans de permis annuel, alors que

45

Ensuite, cette période est caractérisée par un afflux important de demandeurs d’asile. La Suisse a en effet signé divers accords internationaux qui l’obligent à assouplir ses lois d’asile et à accueillir une population d’origines de plus en plus diversifiées. Enfin, l’économie suisse ayant de nouveau besoin d’une main-d’œuvre étrangère, le pays recrute alors auprès de la Yougoslavie84, de la Turquie et du

Portugal [Piguet, op. cit. : 43 – 45], modifiant également le paysage migratoire « classique ». L’immigration qui était jusqu’alors de type « économique » cède ainsi peu à peu sa place à une « immigration de peuplement », caractérisée par des origines nationales et des motifs d’immigration multiples, mais souvent considérée comme étant moins assimilable à la société d’accueil [Sayad, 1999 : 111], parce que « culturellement » différente.

Devant la perception grandissante d’un « problème d’intégration dû à une distance culturelle trop grande », et afin de tenter d’avoir un contrôle sur ce nouvel afflux, le Conseil fédéral adopte une nouvelle politique dite des « trois cercles » en 1991. Le pays d’origine constitue le nouveau critère pour limiter l’entrée des étrangers. Alors que le « cercle intérieur » inclut les pays de la Communauté européenne (CE) ainsi que ceux membres de l’Association économique de libre échange (AELE), le « cercle médian » comprend des pays industrialisés (tels que le Canada et les États-Unis), subordonnés à une politique de recrutement restrictive. Enfin le « cercle extérieur » s’étend à tous les autres pays du monde auprès desquels le recrutement est pratiquement impossible, exception faite de travailleurs hautement qualifiés [Leanza et ali., op. cit. : 25 ; Piguet, op. cit. : 59]. Cette politique traduit alors l’idée qu’il n’est possible d’intégrer que certaines catégories d’étrangers, catégories en fait « déterminées par l’appartenance nationale, ethnique, voire raciale du migrant », toujours selon Leanza et ali. [Leanza et ali., op. cit. : 26].

Fortement critiqué par la Commission fédérale suisse contre le racisme, ce modèle des « trois cercles » est abandonné en 1998 au profit d’un modèle calqué sur celui du système canadien de points. Notamment basé sur le niveau de qualification des candidats potentiels, ce modèle, dit « des deux cercles », a finalement regroupé les deuxième et troisième cercles en un seul. Au cours de cette même année, les autorités modifient la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) de 1931 et donnent une assise juridique pour encourager l’intégration d’étrangers85.

84 Il s’agissait bien encore à cette époque de la Yougoslavie.

85 L’article 25a souligne en effet que : « La Confédération peut verser des subventions pour l’intégration sociale des

étrangers ; en règle générale, ces subventions ne sont accordées que si les cantons, les communes ou des tiers participent de manière adéquate à la couverture des frais ».

46

Une nouvelle Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) est entrée en vigueur depuis le premier janvier 2008. Cette loi, qui « règle […] l’encouragement de l’intégration des étrangers » [art.1 de la LEtr], correspond en fait au modèle des « deux cercles », puisqu’elle concerne les ressortissants des États membres de la CE et ceux membres de l’AELE [art. 2, al. 2 et 3]. L’immigration étant essentiellement motivée par l’exercice d’une activité économique86 [art. 3, al. 1], l’intégration vise

alors « à favoriser la coexistence des populations suisse et étrangère » et passerait notamment par l’apprentissage d’une langue nationale [art. 4, al. 4]. Ces recommandations, bien que fédérales, sont mises en application par les autorités cantonales qui seules décideront, et selon leurs propres termes et logiques, d’une politique d’intégration.

Si les transformations du paysage migratoire helvétique sont liées aux contextes national et international, les enjeux liés à la présence d’étrangers sur le sol suisse relèvent aussi de la manière dont on conçoit « l’autre étranger ». Wicker considère en effet que ces mesures diverses montrent en fait qu’il y a une opposition entre étranger « désiré » et étranger « non désiré », qui sous-entend, pour reprendre les termes de Hans-Rudolf Wicker, que « les personnes qui disposent de suffisamment de capital social, économique et symbolique pour que la question de l’intégration ne se pose plus sont encouragées à immigrer, tandis que sont refusés les individus dont l’intégration semble difficile » [Wicker, 2003 : 32]. Jetons justement un coup d’œil sur les perceptions de l’étranger en Suisse.

1.2.2 Évolution des Conceptions de l’« étranger » en Suisse

Selon Bolzman, cette nouvelle Loi a pour effet de favoriser les étrangers hautement qualifiés et de fermer la porte aux étrangers peu ou pas qualifiés provenant de pays autres que ceux de l’UE et de l’AELE, voire de précariser leur statut ou leurs conditions de séjour [Bolzman, op. cit. : 69 – 70]. Car si au premier abord cette LEtr pourrait permettre une amélioration du statut socio-économique des étrangers, elle peut accroître, d’un autre côté, la difficulté des conditions de séjour ou d’établissement pour les personnes de nationalité étrangère.

86 Il est expliqué, à l’article 3, alinéa 1, que « L’admission d’étrangers en vue de l’exercice d’une activité lucrative doit

servir les intérêts de l’économie suisse ; les chances d’une intégration durable sur le marché du travail suisse et dans l’environnement social sont déterminantes. Les besoins culturels et scientifiques de la Suisse sont pris en considération de manière appropriée ».

47

Auparavant en effet, les compétences linguistiques dans l’une des langues nationales n’étaient exigées que lors des demandes de naturalisation [Späti, op. cit. : 43] ; dorénavant, ces compétences pourront être évaluées tous les ans, soit à l’occasion de la demande de prolongation du permis de séjour87.

L’autorisation d’établissement, quant à lui, peut être octroyée « lorsque l’étranger s’est bien intégré en Suisse, en particulier lorsqu’il a de bonnes connaissances d’une langue nationale » [LEtr, art. 34, al. 4]. Ces nouvelles dispositions peuvent ainsi augmenter la difficulté d’accès à la nationalité suisse puisque, selon Bolzman, non seulement l’« intégration par la langue » est encouragée, mais elle devient un critère de sélection pour l’obtention de permis d’établissement [Bolzman, op. cit. : 70]. Nous l’avons souligné, le processus de naturalisation est complexe en Suisse puisque différents paliers administratifs interviennent dans la procédure. Mais le processus est également long du fait des conditions requises pour être candidat à la naturalisation. Selon l’Office fédéral des migrations en effet, « quiconque est en Suisse depuis douze ans (les années passées en Suisse entre la dixième et la vingtième année comptent double) peut déposer une demande d’autorisation fédérale de naturalisation88 » [ODM, http://www.bfm.admin.ch/bfm/fr/home.html]. Si, avec ses 23.3%

d’étrangers [Chiffres de 2012, OFS, http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index.html] la Suisse semble connaître un fort taux d’immigration, il faut non seulement tenir compte de la loi en matière de naturalisation mais aussi du fait que les enfants nés sur le sol helvétiques de parents étrangers n’héritent pas d’emblée de la nationalité suisse et que les enfants des deuxième et troisième générations ne bénéficient pas d’une naturalisation facilitée. Selon Leanza et ali., ces lois rendent plus visible la présence d’étrangers, car si les conditions de naturalisation ressemblaient à celles qui prévalent dans la plupart des pays de l’UE, le taux d’étrangers serait inférieur et comparable aux taux des pays européens [Leanza et ali, op. cit. : 19 – 20].

Diverses études ont traité des liens entre la conceptualisation de « l’étranger » et la cohésion de collectivité helvétique. J.-P. Tabin estime ainsi qu’en Suisse, la permanence du non-national dans son statut d’étranger contribue à la cohésion de la collectivité nationale ; plus précisément, il considère que la non-intégration des étrangers dans l’imaginaire collectif, ainsi que la spécificité de leurs droits

87 L’article 54, alinéa 1 de la LEtr précise ceci : « L’octroi d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation de courte

durée peut être lié à la participation à un cours de langue ou à un cours d’intégration. Ce principe s’applique également à l’octroi d’une autorisation dans le cadre du regroupement familial (art. 43 à 45). L’obligation de participer à un cours peut être fixée par une convention d’intégration ».

88 Ces conditions ont trait à la naturalisation « ordinaire » et non pas « facilitée » qui concernent les « conjoints étrangers

de ressortissants suisses ainsi que les enfants d'un parent suisse qui ne possèdent pas encore la nationalité suisse » [ODM, http://www.bfm.admin.ch/bfm/fr/home.html].

48

pour l’accessibilité aux prestations sociales du pays ont pour effet de permettre l’intégration de la collectivité nationale89. De son côté, M. Pecoraro observe que les étrangers sont des acteurs majeurs

de l’économie suisse et qu’ils permettent globalement d’entretenir les revenus de l’État, notamment par leurs contributions ou leurs cotisations [Pecoraro, 2005], tandis que U. Windisch fait valoir la démocratie référendaire en Suisse et les débats politiques et publics relatifs à l’immigration, pendant plus de 40 ans, ont fait que l’immigration n’est plus un problème politique aussi prégnant que dans les autres pays européens [Windisch, 2002].

Qui dit acquisition de la nationalité dit également processus d'incorporation dans la collectivité de résidence pour celui qui vient de l'extérieur. Globalement, si le concept d’« assimilation » est compris comme la nécessité de se fondre dans la société, celui d’« intégration » est perçu comme une forme de participation aux structures de cette société [Ibid.: 12]. En Suisse, c'est la notion d'assimilation qui sera employée jusque dans les années 1960. Or, jusqu'à la Première Guerre mondiale, Studer, Arlettaz et Argast précisent que l'assimilation faisait plutôt référence à la signification citoyenne de la naturalisation: l'intégration juridique aurait permis à l'étranger de faire partie de la collectivité. Ce serait au cours de la guerre que le terme aurait changé de sens, puisque l’on se serait mis à évaluer les conditions d'assimilation des étrangers à l’aube du degré de « l'emprise étrangère » sur le pays, les discours politiques insistant dorénavant sur la menace que représenteraient les étrangers pour la communauté nationale. Pour reprendre les termes de ces auteurs, « l'assimilation [sera] dès lors définie en fonction d'une communauté nationale fondée sur des caractères moraux et culturels ainsi que sur des critères ethniques, voire racistes » [Ibid.: 12].

Même si la notion d’« intégration » remplacera celle d’« assimilation » au courant des années 1960, il faudra attendre les années 1990 pour que le sens du terme soit modifié. Ce serait en effet à partir de cette époque que l’« intégration » aurait commencé à faire référence à l’idée que les étrangers doivent s’adapter aux natifs (notamment sur le plan socioéconomique), mais qu’ils n’ont pas à renoncer totalement à leurs valeurs et ni à leurs normes culturelles90. Studer, Arlettaz et Argast observent

89 Son étude repose en effet sur les liens entre les droits liés à la sécurité sociale créée par l’État-providence, les

possibilités des étrangers d’accéder, ou non, à ces droits et les effets de cette non-intégration des étrangers sur la société nationale. Pour plus de détails, voir J.-P. Tabin, (1999). Les paradoxes de l’intégration. Essai sur le rôle de la non-intégration des étrangers pour l’intégration de la société nationale. Lausanne : EESP.

90 Sur cette question, les auteurs soulignent que pour M. Gianni, la notion d’intégration englobe à la fois la conception

différentialiste et la conception assimilationniste [voir Gianni, M. (2003). « Retour de l’assimilation ou affirmation de l’intégration ? Commentaires autour de Rogers Brubaker », Forum (Revue du FSM), 1, 1 (pp. 18 – 24), et repris par Studer, Arlettaz et Argast, op. cit. : 13].

49

qu’intégration et assimilation sont en fait des concepts similaires, puisque tous deux sont conçus dans l’idée que les étrangers doivent s’adapter aux natifs, peu importe le type de critères établis pour évaluer ce niveau d’adaptation. Globalement, la notion d’« intégration » est connotée de deux façons : elle est qualifiée de « positive » lorsque la société permet la participation et le développement des étrangers dans les sphères économiques, sociales et culturelles, alors qu’elle est nommée « négative » quand la société souhaite leur assimilation, qui elle-même pose la question des capacités d’accueil de la société. En Suisse, cette « capacité d’accueil » aurait été posée de manière négative depuis les années 1920 [Ibid. : 12 – 14].

La procédure de naturalisation aurait dorénavant une conception plus juridique, selon que le Tribunal fédéral aurait interdit en 2003 toute discrimination et exigerait de motiver les décisions prises dans le domaine. Toutefois, les forces politiques de droite auraient politisé le côté émotionnel du débat, tout en mettant l’accent sur le caractère ethnique de la nationalité suisse [Ibid. : 8]. Or, pour Meune, si en Europe le terme « ethnique » fait surtout référence aux populations d’Afrique ou des Balkans et aux guerres qui y sont associées, il permet dans un premier temps aux nationaux suisses de hiérarchiser et d’exclure les étrangers – souvent en leur prêtant une solidarité fictive – tout en légitimant le « nous » autochtone. Mais l’ethnicisation des groupes autochtones permettrait aussi aux Suisses de se construire une ancestralité symbolique – et non pas biologique – qui nourrirait et entretiendrait le « nous » [Meune, op. cit. : 21]. Pour Späti, les appels en faveur d’une assimilation linguistique des étrangers, ainsi que la non prise en compte des langues allochtones, sous prétexte qu’ils menaceraient la cohésion nationale, feraient en sorte que les politiques linguistiques pour les autochtones et pour les allochtones ne se croiseraient pratiquement jamais ; ceci aurait notamment pour effet de fragiliser les langues des étrangers et renforcerait, selon les termes de Späti, « l’approche assimilationniste qui colore le débat sur les rapports entre Suisses et migrants étrangers depuis des décennies » [Späti, op. cit. : 43 – 44].

La Suisse rassemblant des groupes linguistiques variés, il paraît nécessaire ici d'apporter une précision sur la circulation de conceptualisations différentes concernant les termes de « nationalité » et de « citoyenneté » en allemand et en français91. Voici les précisions de Studer, Arlettaz et Argast

sur ces variations:

91 Tel que précisé plus haut, nous nous attardons ici que sur les variations germanophones et francophones de ces

50

La complexité sémantique du terme allemand de Staatsangehörigkeit ne provient pas seulement de ses contingences historiques et spatiales, mais aussi de ce qu'il est, selon les cas, plus ou moins étroitement lié à la notion de Staatsbürgerschaft, et donc aux termes anglais de citizenship et français de citoyenneté. Alors que Staatsangehörigkeit, nationality ou nationalité renvoient à un principe juridique d'appartenance ou de non-appartenance, la Staatsbürgerschaft ou citoyenneté est en général dotée d'une dimension sociale, de droits (mais aussi de devoirs) qui découlent de cette appartenance. Par conséquent, il ne s'agit pas seulement de l'accès à un pays, mais aussi à des droits et devoirs civiques. A la différence du concept anglais de citizenship, l'un ne va pas sans l'autre, ces droits de participation se limitant en général aux personnes qui possèdent la nationalité. […]. Le terme suisse de Bürgerrecht, droit de cité, résume sémantiquement ces différentes considérations [Studer, Arlettaz et Argast, op. cit. : 10 – 11].

Du côté suisse allemand, le terme de Bürgerrecht rassemble à la fois le « droit de cité communal », le « droit de cité cantonal » et le « droit de cité fédéral » et inclut les droits et devoirs civiques et de nationalité. En ce sens, Bürgerrecht comprend la dimension sociale des droits et devoirs liés à cette triple appartenance. Ce terme serait employé depuis la République helvétique puisque la Constitution fait référence aux « citoyens suisses ». Ce droit de cité du citoyen aurait dès le départ eu un contenu politique, puisque « l'exercice des droits de citoyens » aurait été compris comme « l'exercice des droits civiques », faisant ici référence à la collectivité politique nationale. Du côté suisse romand, ce serait aussi la notion de Bürgerrecht qui serait utilisée pour signifier le lien entre le pouvoir civique et le « citoyen », car la notion de « droit de cité » désignerait la relation au canton et à la commune. Alors que durant la République helvétique, on aurait parlé de « citoyen » et de « droit de citoyen », ce serait le terme de « nationalité » qui aurait été officialisé avec la Constitution de 1874: celui-ci aurait fait référence au statut juridique du citoyen [Ibid.: 18 – 21]. Ces acceptions suisses romandes divergeraient de la terminologie traditionnelle française, qui distinguerait la « nationalité de fait » (ou « de principe »), c'est-à-dire l'appartenance à la nation, et la « nationalité de droit », qui désignerait la