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Appartenances collectives et catégorisations : Etat nation, citoyenneté et processus d’inclusions exclusions

CHAPITRE 2. Une sociologie des processus et une anthropologie politique utiles à la compréhension des dynamiques

2.2 Appartenances collectives et catégorisations : Etat nation, citoyenneté et processus d’inclusions exclusions

2.2.1 L’anthropologie politique comme champ d’étude du lien entre l’État-nation et les logiques collectives

Lorsqu’en 1999 A. Sayad écrit que celui qui a pour objet de recherche l’immigration doit avant tout s’intéresser à la « pensée d’État », il soutient que c’est en observant la manière dont l’État se pense et dont on pense l’État que nous pouvons saisir les catégories par lesquelles nous nous représentons et pensons le monde, catégories nationales que chacun porte en fait en lui-même. Selon Sayad en effet,

les structures de notre entendement politique le plus ordinaire, celui qui se retraduit spontanément dans notre vision du monde, qui en est constitutif pour une large part et qui en est en même temps le produit, sont au fond des structures « nationales » et agissent aussi comme telles. Structures structurées en ce sens qu’elles sont des produits socialement et historiquement déterminés, mais aussi structures structurantes en ce sens qu’elles prédéterminent et qu’elles organisent toute notre représentation du monde et, par suite, ce monde lui-même [Sayad, 1999 : 5 – 6].

Si l’on considère que l’État (qui incarne le pouvoir politique) joue un rôle majeur dans la fabrication de l’identitaire national et que celui-ci génère les catégorisations et les représentations collectives au travers desquelles se pensent les individus et voient le monde, mais que la conception même de l’État et de ses institutions sont issues de la façon dont les individus eux-mêmes les conçoivent, nous devons à présent nous intéresser aux liens étroits entre l’État-nation et ses produits, c’est-à-dire les « nationaux » (et, par extension, les « non-nationaux »).

A la fin du XIXe siècle déjà, les anthropologues dits « évolutionnistes » s’interrogent sur l’origine de l’État et des différents stades de progression des sociétés humaines, l’idée étant que toutes ces sociétés connaissent les mêmes étapes de développement, mais à des moments différents. Tandis que les travaux de B. Malinowski et d’A. R. Radcliffe-Brown donnent naissance à l’anthropologie fonctionnaliste dans la première moitié du XXe siècle – où chaque élément constitutif d’un système culturel s’expliquerait par son rôle dans cet ensemble – ceux de C. Lévi-Strauss ont généré

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l’anthropologie structuraliste – qui conçoit que la compréhension d’une société passe par l’étude de ses mécanismes généraux et de ses règles de transformations capables de rendre compte de tous les phénomènes observés. Or, bien que novatrice, il apparaît que l’anthropologie structurale n’a pas été en mesure de rendre compte des mutations sociales, politiques et culturelles que connaît le monde au courant des années 1960136, qui ont amené à un renouvellement des réflexions en anthropologie.

De nouveaux positionnements théoriques ont ainsi amené à la prise en compte du lien entre logiques « locales » et logiques « globales », entre unité et diversité, en s’appuyant notamment sur l’historicité des sociétés. L’accent est alors mis sur la compréhension et la comparaison des formes sociales et culturelles diverses des sociétés, en s’interrogeant sur les configurations entre modernité et traditions, sur la production et la reproduction des rapports de domination, sur les logiques et les pratiques sociales. De ces nouveaux champs d’études, dominés par l’anthropologie politique, ressort l’idée que l’État-nation et le marché ont contribué à l’uniformisation des sociétés [Kilani, 1989]. Les nations seraient en effet nées au courant des XVIIIe et XIXe siècles et auraient rendues possibles la conceptualisation de communautés nationales, l’uniformisation linguistique des États nouvellement créés et l’invention de nouvelles légitimités et hiérarchisations d’individus, élaborées à partir de l’appartenance, ou non, aux territoires nationaux.

2.2.2 De l'imagination des communautés aux nations

Concept abstrait, la nation137 n'existe en fait que parce que les hommes l'ont pensé et ont créé des

institutions afin de se la représenter, de l'incarner. Pour que la nation naisse, il faut en effet que des individus conçoivent sa potentialité et qu'ils imaginent des moyens pour lui donner une réalité; les

136 Parmi ces mutations nous pouvons souligner les mouvements de décolonisation, les luttes des peuples pour

l'indépendance et leur développement, les bouleversements géopolitiques, les crises économiques et sociales des pays capitalistes, les modifications des frontières nationales, les redéfinitions des concepts de nation et de citoyenneté, les nouvelles réflexions sur l’Etat-nation, les modifications du modèle industriel, les nouvelles logiques de marché, l’avènement de la consommation de masse et l’uniformisation graduelle des sociétés planétaires.

137 D'une manière générale, si l'on définit la nation en termes de communauté politique regroupant des citoyens

(masculins) considérés comme étant libres et égaux, c'est à l'Angleterre que revient le mérite d'avoir fait naître l'idée de nation lorsque, au XVIIe siècle, le Parlement anglais adopte l’Habeas Corpus Act (1679), qui à la fois limite les pouvoirs du roi et garantie les libertés individuelles [Schnapper, 2000 : 40].

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XVIIIe et XIXe siècles seront à cet égard des siècles de bouillonnements favorables à la fabrication des identités nationales138.

Pour B. Anderson, la création des imaginaires nationaux est le fruit d'une combinaison de différents facteurs. Il précise en effet que ce qui aurait permis l’émergence de nouvelles communautés imaginables, ce serait l'interdépendance entre un « système de production et de rapports de production (le capitalisme), une technique de communication (l'imprimé) et la fatalité de la diversité linguistique » [Anderson, 2002 ; 1983 : 54]. Il estime en outre que ce processus s'explique de trois façons. Tout d'abord, les langues d'imprimerie auraient créé ce qu'il appelle des « champs d'échange et de communication unifiés » : par l'intermédiaire de l'imprimé, les locuteurs d'une langue prennent conscience qu'ils sont des milliers (voire des millions) à appartenir à un champ linguistique particulier et donc, potentiellement, à une communauté nationale imaginée. Ensuite l'imprimé, parce qu'il aurait donné à la langue une fixité nouvelle, aurait introduit dans les esprits une image d'ancienneté, image fondamentale dans l'idée même de nation. Enfin, l'imprimé aurait permis la création de langues de pouvoir.

Le lien entre langues d'imprimerie, conscience nationale et États-nations apparaît encore plus particulièrement avec les mouvements d'indépendance américains et la Révolution française. A partir du moment où ils ont été décrits sur papier, Anderson considère que les mouvements d'indépendance américains se seraient transformés en « concepts », en « modèles » et en « projets ». De même, les événements que l'on qualifia, par la suite, de « Révolution française » n'étaient en effet ni le fruit d'un mouvement organisé ou d'un parti, ni même conduits sous un groupe d'hommes souhaitant mener à terme un programme politique précis. Mais, une fois réalisée, cette expérience

138 Puisqu’à tout processus de naissance précède une période de « gestation », il faut préciser que les nations ne voient le

jour à partir du XVIIIe que parce qu'il y aurait eu une lente mais progressive mise en place d'une « conscience nationale ». B. Anderson considère que ce sont le capitalisme et la diffusion de langues standardisées par l'imprimerie qui auraient permis aux diverses populations de se penser en termes de communautés. Sa thèse repose en effet sur l'idée que l'édition – l'une des premières formes d'institution capitaliste –, par sa recherche de nouveaux marchés, aurait amené des modifications dans le paysage linguistique de l'Europe. Les langues vernaculaires auraient peu à peu été « rassemblées », notamment sous l’impulsion de grammairiens et de lexicographes, qui auraient ainsi créé des langues d'imprimerie mécaniquement reproductibles pouvant être disséminées à travers les marchés. La Réforme aurait aussi joué un rôle dans l'élargissement de la masse de lecteurs puisqu’elle a profité de ce capitalisme de l'imprimé pour diffuser ses thèses traduites en langues vernaculaires. D'une manière lente mais irréductible, les langues d'imprimerie auraient ainsi une influence majeure sur l'émergence d'une conscience nationale, puisqu'elles auraient amené les populations à se percevoir en termes de communautés linguistiques, en plus d’inciter plusieurs grands monarques à officialiser, d'une manière aléatoire et pragmatique (c’est-à-dire pour des questions de commodité), une langue vernaculaire afin de centraliser et d'uniformiser leur propre appareil administratif. Pour plus de détails, voir B. Anderson (1983). Imagined Communities: reflections on the origin and spread of nationalism. London : Verso.

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s'est inscrite dans la mémoire de l'imprimé et a été ultérieurement déterminée par un nom précis (« Révolution française ») : en la mettant par écrit, cette Révolution est devenue un concept, un modèle à imiter. Anderson précise à cet effet que

de la confusion américaine [ainsi que des événements révolutionnaires français] sortirent toutes sortes de réalités imaginées : États-nations, institutions républicaines, citoyennetés communes, souveraineté populaire, drapeaux et hymnes nationaux, etc., et la liquidation de leurs opposés conceptuels : empires dynastiques, institutions monarchiques, absolutismes, état de sujétion, noblesse héréditaires, servitude, ghettos, et ainsi de suite. […]. De surcroît, la pluralité des États indépendants confirma sans nul doute la validité du projet et la possibilité de le généraliser [Ibid. : 90].

Les nations sont intrinsèquement liées à la modernité sociale et économique. Les XVIIIe et XIXe siècles connaissant des bouleversements majeurs (institutions politiques, mouvements idéologiques et sociaux), il a fallu trouver des réponses à ces nouveaux courants. Aussi, selon E. Hobsbawm et T. Ranger, c’est en créant de nouvelles « traditions » (institutions, symboles), afin d’établir une continuité entre passé et présent, que l’on aurait tenté d’affronter ces bouleversements [Hobsbawm et Ranger, 1983 : 4 – 7].

Selon ces deux auteurs en effet, l'« invention de traditions » est un phénomène qui s'observe généralement lorsque des traditions « anciennes » ne correspondent plus aux nouvelles réalités apparues à la suite de changements qui se sont opérés dans une société. C'est en ces termes qu'ils définissent les « traditions inventées »:

“Invented tradition” is taken to mean a set of practices normally governed by overtly or tacitly accepted rules and of a ritual or symbolic nature, which seek to inculcate certain values and norms of behaviour by repetition, which automatically implies continuity with the past. In fact, where possible, they normally attempt to establish continuity with a suitable historic past139 [Ibid: 1].

Les « traditions inventées » - qui peuvent être créées à la fois par les voies officielles (États et mouvements politiques) et par les voies non-officielles (groupes sociaux non formellement organisés) – ne sont en fait que de nouvelles réponses à de nouveaux contextes en prenant appui dans d'anciennes situations.

L'affirmation de la légitimité des nouveaux États représentait un défi face aux mouvements populaires. Afin d'unir les populations et de s'assurer de leur loyauté, il devenait nécessaire de

139 Toujours selon ces auteurs, les « traditions inventées » peuvent être regroupées en 3 types: « a) those establishing or

symbolizing social cohesion or the membership of groups, real or artificial communities, b) those establishing or legitimizing institutions, status or relations of authority, and c) those whose main purpose was socialization, the inculcation of beliefs, values systems and conventions of behaviour » [Ibid. : 9].

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construire une nouvelle forme de « religion civile »: ce sera le républicanisme. Mais, afin de créer une nation et d’entretenir une loyauté populaire, il fallait encore trouver d’autres caractéristiques. Dans cette Europe des XVIIIe et XIXe siècles, intellectuels et lettrés se seraient alors mis en quête de « découvrir » l'héritage national140, patrimoine créé de toute pièce qui aurait permis de donner forme

à la nation et à en diffuser le culte auprès des populations, afin qu’elles s’approprient et adhèrent au concept. A.-M. Thiesse résume très bien cette idée lorsqu'elle écrit:

la nation naît d'un postulat et d'une invention. Mais elle ne vit que par l'adhésion collective à cette fiction. [...]. Les succès sont les fruits d'un prosélytisme soutenu qui enseigne aux individus ce qu'ils sont, leur fait devoir de s'y conformer et les incite à propager à leur tour ce savoir collectif. Le sentiment national n'est spontané que lorsqu'il a été parfaitement intériorisé; il faut préalablement l'avoir enseigné. La mise au point d'une pédagogie a été le résultat d'observations intéressées sur les expériences menées dans d'autres nations et transposées lorsqu'elles semblaient efficientes [Thiesse, 2001 ; 1999: 14].

Le nationalisme est donc peu à peu devenu une référence fondamentale dans le quotidien des individus. Hobsbawm précise à cet effet que le nationalisme devient cette nouvelle religion civile favorisant la cohésion sociale, qui était jusqu’alors assurées par l’Église, la royauté ou encore d’autres formes de traditions ou d’appartenances collectives. Toujours selon Hobsbawm, la classe moyenne grandissante était d’autant plus disposée à adhérer aux principes du nationalisme qu’elle avait justement besoin de nouvelles formes de cohésions et d’appartenances [Hobsbawm et Ranger, op.

cit.: 303].

Ces créations nationales appuient donc nos propos précédents, à savoir que la réalité sociale est un fait construit par les acteurs sociaux, qu’il est le fruit d’un processus et qu’il s’entretient par l’intériorisation subjective de la réalité objectivée.

140 C'est ainsi qu’auraient peu à peu été « trouvés » des manuscrits « authentiques » (poèmes, épopées, etc.) qui auraient

favorisé l’émergence de l’idée d’une culture « originelle » propre à chacun des peuples, qu’auraient été créés des modèles narratifs (romans historiques) pouvant diffuser les idées et les sentiments nationaux, qu'aurait été répertorié un folklore « immuable » par la description de pratiques et de coutumes paysannes (habits, chants, usages, danses, fêtes, etc.), qu’auraient été choisis des paysages « typiques » illustrant et fixant, dans les mémoires, la représentation de la nation, qu’auraient été construits des musées afin de populariser et de propager ce patrimoine ou, encore, qu’auraient été créées des expositions internationales afin de magnifier, aux yeux du reste du monde, la grandeur de la nation ainsi « redécouverte ». Cette « fabrication de l’authenticité » serait le fruit d’une longue élaboration, d'essais et d'erreurs et correspondrait à un mouvement « transnational », puisqu’une « trouvaille identitaire » d'un groupe, si elle était viable et offrait des perspectives intéressantes, pouvait être adoptée et adaptée au goût des autres populations. Malgré la variété des adaptations nationales, les symboles des référents identitaires nationaux se résument à : une histoire en continuité avec les ancêtres, des héros « nationaux », une langue, des monuments culturels, un folklore, des paysages typiques, une mentalité particulière, des représentations officielles et des identifications pittoresques [Thiesse, 2001 ; 1999].

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Si les drapeaux, les cérémonies, les festivités ou les images symboliques matérialisent les nations et peuvent susciter des pratiques permettant aux acteurs sociaux de manifester leur appartenance à l’État, les langues font également partie des éléments sensés incarner les nations qui suscitent des positionnements identitaires individuels. Les langues sont en effet souvent perçues comme étant les emblèmes par excellence de la nation, comme peuvent l’être des symboles tels que les drapeaux ou des costumes « traditionnels ». Or, pour Anderson, c’est plutôt pour leur capacité à donner naissance à des « communautés imaginées », à créer des « solidarités particulières » que nous devons observer les langues [Anderson, op. cit. : 138].

2.2.3 Le rôle de la langue dans la création des nations

Les nations modernes ayant comme principale caractéristique de se penser comme authentiques, elles ont donc cherché à enraciner leur modernité dans des temps immémoriaux. Ne restait plus qu'à « trouver » les éléments ancestraux constituant « l'âme nationale ». Langue et nation étant associées, on cherche alors à faire coïncider l’histoire de la nation avec l’histoire de la langue par divers procédés, que ce soit par le retour sur ses origines « ancestrales », par la modernisation et la revitalisation d’une ancienne langue écrite ou encore par l’association de différents dialectes afin de créer une langue. Ne restait plus qu’à diffuser ces langues par l’intermédiaire de « salons littéraires », du théâtre, de livres [Thiesse, op. cit. : 72 – 73].

Le choix de la langue comme élément galvanisant le sentiment identitaire national est, selon J. Widmer, d'une efficace mais élégante simplicité. Selon lui, l'imaginaire social produisant l'identité collective se construit grâce à ce qu'il nomme une « dyade », c'est-à-dire grâce à la circularité des discours qui, pour reprendre l'auteur, « pose l'identité en même temps qu'elle s'institue comme pouvoir sur la collectivité identifiée ». Toujours selon lui, c'est « la circularité, et non seulement la réflexivité, [qui est] le trait fondamental des processus d'identité collective de tout ordre social » [Widmer, 2009: 180]. En faisant de la langue le principe même du véhicule identitaire, en associant la langue au « génie des peuples », elle s'insinue dans toutes les sphères de la vie quotidienne, devient l'enjeu d'une mythification et entretient un rapport spécifique au territoire puisque, devenant une ressource pour l'État, celui-ci peut définir territorialement l'exclusivité d'une identité [Ibid.; 190]. A.- M. Thiesse abonde par ailleurs dans le même sens lorsqu'elle écrit qu’une langue nationale permet de

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remplacer la variété d’usages linguistiques [langues orales de populations analphabètes, langues de cour, langues littéraires, langues de l'enseignement religieux et liturgiques, langues philosophiques, etc.] et d’assurer la communication entre les membres d’une nation, communication à la fois sur le plan horizontal et sur le plan vertical puisque tous doivent la comprendre et s’en servir ; la langue doit se confondre avec la nation, voire « s'enraciner dans ses profondeurs historiques, porter l'empreinte du peuple » [Thiesse, op. cit.: 70 -71].

Le XIXe siècle correspondrait à ce qu'Anderson appelle « l'âge d'or de la vernacularisation » pour les spécialistes des langues141 qui, en s’adressant à des publics réceptifs composés pour la majorité des

classes alphabétisées (anciennes classes dirigeantes telles que la noblesse, la petite aristocratie foncière, les courtisans et les membres du clergé, individus des couches moyennes telles que les fonctionnaires de l'État, les professions libérales, la bourgeoisie industrielle et commerciale), auraient développé des solidarités de classes basées sur l'appartenance à un imaginaire linguistique [Anderson,

op. cit. : 80 – 87]. Aurait ainsi émergé l'idée que la langue est la propriété de groupes spécifiques

(locuteurs et lecteurs) et, qu'en tant que communautés imaginées, ces groupes auraient eu le droit d'avoir, pour reprendre Anderson, une « place autonome au sein d'une confrérie d'égaux » [Ibid.: 94]. Si la langue devient la possession ou le patrimoine d’une communauté se pose alors la question à savoir ce qu’est une « communauté linguistique ». Pour Calvet, c’est W. Labov qui, le premier, tente une définition sociolinguistique de la « communauté linguistique » qui va au-delà du lien entre un ensemble de locuteurs et l’usage des mêmes formes linguistiques : ce serait plutôt le partage des mêmes attitudes sociales d’un groupe à l’égard d’une langue qui la définirait. Si d’autres courants amènent la distinction entre une communauté linguistique (qui serait définie par des locuteurs ayant une même langue première) et une communauté de communication (qui réunirait des locuteurs participant à un même système régulé de communication), se pose tout de même la question, pour Calvet, de savoir où commence et où finit une langue ? Car une communauté peut aussi être plurilingue ; en ce sens, une communauté ne serait pas définie linguistiquement mais bien sociologiquement. Or, toujours pour cet auteur, il faudrait « sortir de la langue » et partir de la réalité sociale. Il précise en effet que le fait de considérer la langue comme un fait social permet de cesser d’interroger quels sont les effets de la société de la langue ou de la langue sur la société et de considérer une communauté sociale sous son aspect linguistique. Il y a en effet non seulement des

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codes, des variétés de codes, les rapports des locuteurs à ces codes, mais aussi des situations de communication ; il faut ainsi passer de la « communauté linguistique » à la « communauté sociale », qu’il s’agit certes de définir, mais qui doit toujours être liée à son aspect linguistique [Calvet, 2011 ; 1994, op. cit. : 92 – 125]. Pour notre part, nous considérons que la « communauté linguistique » prend forme par une identification (individuelle ou groupale) à un ensemble de locuteurs partageant un aspect linguistique, peu importe le critère retenu ; en ce sens, elle n’existe (dans les esprits) que parce que les gens reconnaissent sa validité au travers de leur propre sentiment d’appartenance à cette communauté. Si la « communauté linguistique » est une création, nous partageons le point de vue de Bourdieu qui précise qu’elle est l’élément par lequel se fondent les rapports de domination