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CHAPITRE 1. La Suisse : complexité de l’imaginaire identitaire

1.1 Conceptions d’une nation plurilingue : entre unité et diversité

1.1.1 Nation, nationalisme et système confédéral

L’un des éléments particuliers de la Suisse est que, avec ses quatre principaux groupes linguistiques que sont les germanophones, les francophones, les italophones et les romanches, la Suisse est constitutionnellement plurilingue. S’il est collectivement entendu aujourd’hui que la Suisse a toujours été composée de différents groupes linguistiques et culturels et qu’elle se targue souvent d’être « la plus vieille démocratie du monde », ce serait au XIXe siècle que la Suisse moderne serait née.

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Jusqu’au début du XIXe siècle en effet, il apparaît que la Suisse est principalement germanophone : les cantons qui forment alors l’« ancienne Confédération » sont exclusivement germanophones (exception faite de Fribourg, déjà bilingue35), les régions francophones et italophone étant alors soit

des territoires alliés, soit des baillages confédérés, mais dans tous les cas soumis aux régions germanophones. La seule institution commune est alors la Diète (le gouvernement), qui est essentiellement composée de représentants germanophones. Le droit de vote fédéral est un concept inexistant. La « question des langues » ne se pose guère. Alors que la structure étatique décentralisée permet aux modes d’organisations locales de se maintenir telles qu’elles le conçoivent, les habitants – souvent illettrés – ne sont pas impliqués dans les affaires gouvernementales36 : l’administration locale

est réglée dans la langue du lieu, langue parlée à la fois par les représentants et leurs sujets. Ensuite, la communication entre gens de langues différentes était peu fréquente à l’époque. Enfin, la langue ne représente tout simplement pas encore un critère d’identification – personnel ou collectif – pertinent [Froidevaux, 1997 : 3 ; Haas, 1989 : 59 – 60 ; Widmer, 2004 : 207].

C’est au cours de la brève République helvétique (1798 – 1803), imposée par Napoléon, que les langues et les cantons changent de statut en Suisse : non seulement les cantons obtiennent un statut identique37, mais la rédaction des textes législatifs en allemand, en français et en italien consacre

l’égalité de ces trois langues38. Ce plurilinguisme sera ensuite officialisé quelques années plus tard,

c’est-à-dire avec la première Constitution fédérale de 184839. Afin notamment de mettre un terme à

la guerre civile du Sonderbund (1847 – 1848) qui oppose alors les cantons catholiques aux cantons protestants au sujet de la séparation de l’Église et de l’État, cette Constitution aurait permis de créer, selon D. Froidevaux, un État fédéral qui aurait rendu possible l’unification nationale tout en

35 Le contexte du Canton de Fribourg sera mieux développé au point 1.3 de ce chapitre.

36 Anderson écrit pour sa part que la population était gouvernée par « une vague coalition d’oligarchies cantonales

aristocratiques », qui ont su se maintenir grâce à leurs interventions mutuelles lors de rares protestations de paysans, soit en tant qu’actrices répressives, soit en tant que médiatrices [Anderson, 2002 ; 1983 : 141].

37 C’est-à-dire que les baillages disparaissent et que les cantons deviennent des autorités autonomes. C’est par ailleurs

dans ce même élan que les habitants masculins de la Confédérations deviennent des citoyens égaux en droit [Haas, op. cit. : 62].

38 Selon Haas, ces pratiques plurilingues dorénavant instaurées au sein de l’exécutif posèrent peu de problèmes pour les

citoyens issus des classes « cultivées », étant donné qu’ils avaient les connaissances linguistiques adéquates. Les problèmes se seraient présentés dans les Conseils législatifs, du fait qu’ils auraient été composés d’hommes d’« origines modestes » ne maîtrisant pas d’autres langues que leur langue dite « maternelle ». Afin de respecter cet idéal égalitaire entre les citoyens, issu des idées de la Révolution française, les deux Conseils auraient été, dès le départ, dotés d’interprètes pour assurer les traductions des débats en allemand et en français et, plus tard, en italien [Haas, op. cit. : 63].

39 Les propos de notre travail ne nécessitant pas que nous nous attardions sur les conditions d’adhésion de chacun des

cantons suisses à la Confédération, nous estimons ici seulement nécessaire de souligner que le territoire italophone du Tessin ainsi que les territoires francophones de Neuchâtel, du Valais et de Genève entrèrent officiellement dans l’État suisse en tant que cantons, en 1803 pour le Tessin et en 1815 pour les autres [Anderson, op. cit. : 140].

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respectant les particularismes locaux40 [Froidevaux, op. cit. : 3 ; Giugni et Passy, 2003 : 110]. Pour J.

Widmer, la création de cet État libéral basé sur le fédéralisme aurait justement été possible parce qu’adapté à une société « techniquement peu développée et cloisonnée » [Widmer, 2009 : 194]. Pour sa part, B. Anderson est d’avis que cette Constitution de 1848 modifie les places respectives accordées au religieux et à la langue dans les différents espaces sociaux : alors qu’avant 1848, les clivages religieux sont « politiquement saillants », la langue relève d’une « affaire de choix et de convenance personnels » ; après 1848, la langue prendra peu à peu la place de la religion, qui deviendra elle-même une affaire de choix personnel [Anderson, 2002 ; 1983 : 142].

Une des particularités de cette Constitution de 1848 est de contenir un article qui précise ceci : « Les trois principales langues parlées en Suisse, l'allemand, le français et l'italien, sont langues nationales de la Confédération » [art. 109, Const. 1848]. Selon Froidevaux, même si l’on accorde encore peu d’intérêt à l’aspect linguistique à l’époque, cette reconnaissance des trois langues aurait correspondu au souci de neutralité de la Confédération41, à une époque où les nations européennes connaissent

ces bouleversements idéologiques notamment liés à l’idée qu’à une nation doivent correspondre une langue et une culture : l’officialisation du plurilinguisme en Suisse aurait en quelque sorte permis d’éviter de potentiels conflits internes et externes, tout en favorisant l’intégration des populations de la Confédération, et ne serait donc pas née de la seule volonté de construire un État plurilingue [Froidevaux, op. cit. : 3 – 4]. Haas pour sa part précise que, dans sa formulation même, cet article constitutionnel laisserait entendre qu’on ne parle pas seulement trois langues en Suisse42, tout en

mettant un terme à la prédominance de l’allemand [Haas, op. cit. : 64].

Pour Widmer, la naissance de l’État moderne suisse issue de l’adoption d’une Constitution en 1848 traduirait la manière dont le peuple (ou plutôt les Constituants) se perçoit, en tant qu’espace de transactions et de décisions (entre différentes parties). Selon lui, le fait que les citoyens se seraient donné une Constitution en tant que Confédération et non pas en tant que nation, aurait engendré deux principes. Tout d’abord, les cantons auraient hérité de la médiation entre la citoyenneté nationale et

40 Toujours selon lui, il semblerait par ailleurs que cette souveraineté cantonale ait été fortement souhaitée par les élites

catholiques, afin de pouvoir garder leur pouvoir d’action et de résister ainsi à l’unification, voie plutôt privilégiée par les protestants radicaux [Froidevaux, op. cit. : 4].

41 Neutralité que Froidevaux fait remonter à 1515, avec la défaite de Marignan.

42 C’est également le point de vue de J. Widmer, qui précise qu’avec cet article, aucune de ces langues ne bénéficie d’une

primauté par rapport à l’autre, tout en reconnaissant, implicitement, qu’il existe aussi d’autres langues sur le territoire de la Confédération. Cette perception des langues, nous le verrons, changera au courant du XXe siècle [Widmer, 2005 ; 2004 : 17].

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l’État national puisque seuls les citoyens reconnus comme tels par les cantons constitueraient le peuple actif de la Confédération43 ; en ce sens, la Confédération ne peut que reconnaître

l’hétérogénéité linguistique des cantons. Ensuite, alors que cet article constitutionnel aurait seulement engagé la Confédération à défrayer les coûts de traduction des différents textes fédéraux (et les textes pour les votations dans les langues des cantons), les cantons auraient aussi hérité de la responsabilité « d’agencer un ordre des langues » – l’unification ne pouvant être conçue sur le plan national – déplaçant ainsi la « question des langues » sur le plan cantonal, évitant du même coup de poser la « question des langues » au niveau fédéral44 [Widmer, 2005; 2004 : 11, 12 et 15].

Malgré tout, il est reconnu que le plurilinguisme officiel de la Suisse revêt un caractère spécifique, particulièrement dans le contexte de ce XIXe siècle européen qui voit les nations se penser et vouloir se créer en espaces étatiques imaginés linguistiquement et culturellement homogènes. La Suisse n’aurait toutefois pas échappé aux mouvements de création des mythes nationaux, mouvements associés à ce vaste bouleversement de création des « identités nationales » en vogue à l’époque. Ce serait en effet en 1891 que l’on aurait fixé la date de 1291 comme acte de naissance de la Confédération helvétique45. Cette naissance mythologique remontant à 1291 aurait permis aux

43 Ce que précisent aussi Studer, Arlettaz et Argast, pour qui l’introduction de la notion « citoyen suisse » n’aurait pas

amené pour autant l’Etat fédéral à régir en la matière [Studer, Arlettaz et Argast, 2013 :19]. P. Centlivres et D. Schnapper affirment de leur côté que c’est l’Etat cantonal et non pas fédéral « qui possède les caractères de la nation au sens de communauté d’origine et de culture commune » [Centlivres et Schnapper, 1991 : 156]. Même si ces propos vont dans le même sens que Widmer, nous estimons que le positionnement de ces deux auteurs s’inscrit plutôt dans une conception déterministe et culturalisante des sociétés et non pas dans l’idée du jeu identitaire entre création des appartenances et identification à ces appartenances et qui engendre lui-même les fruits de ce qu’il décrit.

44 Pour R. Coray, la politique des langues de la Suisse est caractérisée par l’évitement de problèmes potentiels, par la

persistante « décision de ne pas décider » [Coray, 2004a, reprise par Späti, 2011 : 40].

45 Concernant ce choix de 1291, deux lectures sont possibles. D. Froidevaux écrit pour sa part que jusqu’en 1891, le

mythe fondateur de l’ancienne Suisse se référait au serment du Grütli et non pas au Pacte fédéral. Selon lui en effet, c’est au XVIe siècle que ce serment – issu d’une tradition orale – aurait été daté du 8 novembre 1307 et faisait office jusqu’alors d’acte de naissance de la Confédération. En 1891, le serment du Grütli aurait été remplacé par la « redécouverte » du fameux Pacte, document écrit qui aurait bien correspondu à l’esprit de l’époque où l’on découvrait des parchemins fondateurs dans les différentes nations européennes. F. Walter précise, quant à lui, que le Pacte de 1291 aurait été connu en Suisse depuis 1758 et proposé comme document fondateur de l’ancienne Confédération en 1760, même si le document n’aurait souligné ni lieux, ni noms, ni événements précis. En 1891, deux historiens auraient été mandatés pour recréer un récit historique remontant à 1291 la célèbre tradition orale du serment du Grütli – Rütli en allemand – de 1307 / 1308, accompagnée de l’épisode de G. Tell et de la légendaire insurrection des Suisses contre les Habsbourg, permettant ainsi de justifier le choix de 1891 pour célébrer pour la première fois la fête nationale. Walter précise par ailleurs que cette célèbre « prairie du Grütli » aurait été totalement réaménagée et remodelée vers 1860 déjà, afin de le « sublimer en lieu de mémoire » [Froidevaux, op. cit. : 6 ; Walter, 2010 ; 2002, Tome 4 : 73, 74 et 76]. Retenons simplement qu’en 1891, les lettrés auraient trouvé le moyen d’associer le Pacte de 1291 au célèbre serment du Grütli, mythiquement situé dans la « Suisse primitive », c’est-à-dire dans les cantons de Schwyz, d’Uri et d’Unterwald et que c’est cette théorie qui est collectivement convenue encore aujourd’hui, alors que le Pacte est considéré comme « le plus ancien texte constitutionnel suisse » [Site de la Confédération suisse : http://www.admin.ch/org/polit/00056/index.html?lang=fr].

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contemporains lettrés d’établir des liens entre le passé et la modernité, tout en idéalisant l’ancienne Suisse, – l’État fédératif incarnant en quelque sorte son épanouissement, voire son aboutissement, s’inscrivant ainsi dans une vision téléologique de la « nation » – le pays devenant, dans cette perspective, la « plus vieille démocratie du monde » ; ce dernier mythe sera par ailleurs passablement reproduit par la suite, selon F. Walter. Cet auteur précise aussi que cette conception idéalisée du pays aurait engendré l’idée que la Suisse connaîtrait une « existence exceptionnelle »46 (Historische

Sonderexistenz, en allemand), selon que le pays serait né d’une « pensée et d’une volonté » politiques

(Willensnation, en allemand) transcendant ses particularités linguistiques, culturelles et religieuses. Cette perception de former une nation « exceptionnelle » serait par ailleurs elle-même à l’origine de la conception encore fortement partagée aujourd’hui que l’histoire du pays constitue une sorte de

Sonderfall (un cas particulier, en français), que Walter décrit ainsi : « expression canonique de la

culture politique suisse [qui ne serait] rien d’autre que la version laïque d’une autre conviction, très ancienne mais qui reste bien vivace, selon laquelle la Suisse est un pays élu de Dieu » [Walter, 2010 ; 2002 : 75].

Face à l’insistance des pays environnants sur l’unité linguistique et culturelle de leur nation, la Suisse aurait pour sa part cherché d’autres marques et aurait au contraire valorisé assez tôt son hétérogénéité, notamment linguistique, chose qui aurait été particulièrement prégnante chez les Suisses allemands par la volonté de défendre la variété de leurs dialectes. A tel point que l’expression d’« unité dans la diversité » participe à cette construction nationale identitaire qui se veut particulière. C. Späti affirme par ailleurs que ces récits nationaux et ces mythes fondateurs (soit le Sonderfall et la « nation de volonté ») ainsi créés auraient permis aux différents groupes linguistiques de se rassembler sous une histoire commune [Späti, 2011 : 39 – 40]. Malgré tout, des conflits internes sur la question des langues se seraient déjà manifestés dès le XIXe siècle, conflits qui, nous le verrons, s’affirmeront d’une manière plus concrète au cours du XXe siècle47.

46 Toujours selon Walter, cette conception serait issue des écrits d’un professeur de droit passionné d’histoire nommé

Carl Hilty, conception qui aurait été reprise et diffusée jusqu’au milieu du XXe siècle, notamment par des « historiens historisants » [Walter, op. cit. : 75].

47 Widmer précise pour sa part que des débats étaient déjà présents lors de la rédaction de la première Constitution, tout

comme la « question des peuples », phénomène qu’il traduit par « la métaphorisation géographique de la division entre francophones et germanophones » créée par l’apparition - déjà au XIXe siècle – des notions de « ponts » et de « fossé », par l’hétéro-catégorisation des groupes linguistiques (notamment des Tessinois en tant qu’italophones) engendrant de l’auto-catégorisation selon les mêmes termes, par la « négociation identitaire » et par le développement de la conscience d’une appartenance linguistique en tant qu’appartenance « culturelle ». Cette « question des peuples » serait apparue

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En Suisse, la pluralité des langues et la quasi-absence, de la part de l’État fédéral, d’un « projet culturel » national, n’auraient donc pas favorisé « l’intégration nationale » par la langue : ce serait plutôt le système confédéral, en soi, qui permettrait cette intégration selon qu’il protégerait les « identités culturelles liées aux langues » [Widmer, 2009 : 192]. En fait, ce serait le « principe de territorialité », principe de base de la gestion linguistique du pays, qui permettrait cette protection. « Droit non écrit de longue date », pour reprendre les termes de Späti, ce principe, qui remonterait au début du XXe siècle, serait en effet perçu comme le précepte fondamental de la politique linguistique de la Suisse [Späti, op. cit. : 36]. Voici comment F. Schultheis définit la « règle de « territorialité » » :

Elle prend acte de l’enracinement géographique des langues respectives, leur accordant par une sorte de consensus tacite une légitimité prioritaire par rapport aux autres langues, même lorsque celles-ci tendent à devenir majoritaires. Ce facteur d’inertie de la politique linguistique en Suisse s’explique principalement par l’idée – et la volonté politique – que les groupes linguistiques minoritaires méritent un Sprachenschultz, une protection de leur particularité linguistique [Schultheis, 1995 : 3].

Étant donné que ce principe implique que les habitants d’autres langues (nationales ou autres) doivent se conformer, dans les échanges avec l’administration, à la (aux) langue(s) officialisée(s) par chaque canton, Späti nous informe qu’il est généralement compris comme un moyen pour protéger les minorités linguistiques nationales48 sur leur territoire mais aussi et surtout comme un instrument

d’assimilation linguistique des individus ; en ce sens, les régions linguistiques seraient perçues comme étant homogènes et leurs habitants, globalement monolingues [Späti, op. cit. : 36 – 37]. Exception faite des cantons plurilingues (Berne, Fribourg, Valais et Grisons49), chacun des territoires

n’a qu’une seule langue nationale comme langue officielle.

Outre ce principe, la politique linguistique de la Suisse est également fondée sur d’autres éléments qui s’ajouteront au courant du XXe siècle : l’égalité des langues (celle-ci étant dans l’esprit de la première Constitution de 1848), la liberté des langues et la protection des langues minoritaires50. Or,

notamment par la mise en pratique du principe d’égalité des citoyens qui aurait engendré des « sensibilités » visibles entre les régions linguistiques [Widmer, 2005 ; 2004 : 15 et Widmer, 2004 : 207].

48 Le concept et la conception de « minorité » sera discuté au point 1.1.2 de ce chapitre. Nous entendons, pour l’instant,

les francophones, les italophones et les romanchophones.

49 Tandis que les trois premiers sont bilingues allemand – français, le canton des Grisons est pour sa part trilingue, soit le

romanche, l’allemand et l’italien.

50 Toujours selon Späti, ces deux derniers principes auraient eux aussi été des principes non écrits durant tout le XXe

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selon P. Cichon et G. Kremnitz, les principes de liberté des langues51 et de territorialité seraient

contradictoires, mais étant donné que les Suisses habiteraient, dans leur grande majorité, sur le territoire de leur « langue maternelle », il y aurait peu de conflits issus de cette contradiction52. Ces

auteurs considèrent par ailleurs que, malgré ces principes, la proportion inégalitaire des quatre principaux groupes linguistiques53 mènerait à des « pratiques linguistiques asymétriques » et

favoriserait, en bout de ligne, les langues parlées en majorité, particulièrement l’allemand54 [Cichon et

Kremnitz, 1996 : 134]. Enfin, il convient de souligner que la Suisse fonctionne également selon le « principe de subsidiarité », selon lequel les pouvoirs de décision sont confiés le plus possible aux échelons inférieurs. Ainsi, des cantons d’une même région linguistique pourront avoir des politiques linguistiques différentes, alors que les communes d’un même canton pourront également appliquer des politiques linguistiques et scolaires qui leur sont propres [Windisch, 1998 : 8].

Selon M. Meune, la « réussite du modèle suisse » pourrait s’expliquer par la non-coïncidence entre les divisions religieuses, politiques et linguistiques, ce que Widmer nomme pour sa part des « coalitions objectives »55 : ce serait la conception de l’unité dans la diversité qui permettrait, justement, que les

membres des groupes linguistiques ne se percevraient pas comme étant issus d’une nation autre que la nation suisse elle-même et ce, grâce à ce « discours méta-identitaire » qui mettrait en avant l’originalité du pays et qui marquerait cette volonté de vivre ensemble [Meune, 2011 : 18]. Il n’en demeure pas moins que le terme de « Confédération helvétique » est préféré à celui de « nation », et

51 Ce principe, aussi appelé « principe de la personnalité » est définit par E. Weibel comme une règle qui « permet à

chaque citoyen de s’adresser dans sa langue maternelle aux autorités fédérales pourvu que cet idiome soit officiel » [Weibel, 1988 : 353].

52Au contraire de Cichon et Kremnitz, Weibel écrit que le principe de territorialité et le principe de personnalité sont

« complémentaires », expliquant que « dans les cantons multilingues, par exemple, le principe de la personnalité s’applique dans les relations du citoyen avec les autorités cantonales centrales, qui sont tenues, d’autre part, de sauvegarder leur [sic] aires linguistiques » [Weibel, op.cit. : 354].

53 Selon l’Office fédéral de la statistique, la « population résidante selon la langue principale » se divisait ainsi en 2010 :

65.6% de germanophones, 22.8% de francophones, 8.4% d’italophones et 0.6% de romanchophones. A titre d’exemple, les langues respectives se chiffraient de la manière suivante en 1910 : 69.1% de germanophones, 21.1% de francophones, 8.1% d’italophones et 1.1% de romanchophones [Site officiel de l’Office fédéral de la statistique : http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index.html].

54 Voir à ce propos l’étude de G. Lüdi et B. Py publiée en 1995, qui traite de la migration interne en Suisse, des

changements de langues et des rapports aux langues des acteurs sociaux, notamment à travers les contacts et des pratiques : G. Lüdi et B. Py (1995). Changement de langage et langage du changement. Aspects linguistiques de la migration interne en Suisse. Lausanne : L’Age d’Homme.

55 Ainsi, les subdivisions politiques du pays ne sont pas reliées aux « communautés linguistiques », aucun parti politique

n’étant associé à une langue : les conflits en Suisse ne sont pas organisés selon les régions linguistiques. Particulièrement