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CHAPITRE 3. Positionnements conceptuels

3.1 Des concepts pour l’analyse des dynamiques de groupes à des concepts opératoires

3.1.1 Représentations binaires des groupes et des individus au prisme de la mobilité / migration Parmi les éléments pouvant entretenir les sentiments d’appartenance et aux travers desquels peut être lue la réalité sociale se trouve le concept d’« autochtonie ». L’autochtonie est en effet bel et bien un concept qui doit être appréhendé comme un rapport social construit et entretenu par un groupe spécifique, notamment par la création de dispositifs divers (institutions). Aussi cette notion se révèle-t-elle utile pour l’analyse des pratiques d’exclusion opérées par un groupe spécifique étant donné qu’elle fait le jeu de luttes entre groupes légitimés (et qui actualisent leur légitimité) et groupes n’ayant pas encore acquis ce statut.

Un des traits particuliers sur lesquels se construit la notion d’autochtonie est la revendication d’un ancrage sur le plan « local ». Bien que les propriétés définissant le « capital d’autochtonie » varient selon les époques et doivent être reconnues par les autorités détentrices du pouvoir pour être considérées comme pertinentes, l’invention de l’autochtonie – ou la mise en scène de l’appartenance – reposerait sur différents critères à partir desquels pourrait se constituer une « communauté de référence locale » symbolique. J.-N. Retière précise qu’au nombre de ces éléments figurent 3 caractéristiques principales : 1. La « contribution au procès de civilisation (locale) » ou, plus précisément, la participation à des engagements valorisés ; 2. La possession de ressources « propices à l’expression de tel style de vie » ; et 3. La désignation symbolique (c’est-à-dire, la possibilité, accordée par les pairs, de se revendiquer par exemple comme « fribourgeois » ou comme « québécois ») [Retière, 2003 : 132].

L’autochtonie, c’est d’abord et avant tout le symptôme d’un sentiment d’appartenance par rapport à

un lieu ; selon M. Bozon en effet, ce sont les lieux qui permettraient l’actualisation de pratiques dans

des situations particulières, la mise en scène de stratégies d’affirmation d’identités sociales [Bozon, 1984 : 70]. Toujours selon lui, il serait faux de croire que le rapprochement spatial (dans un lieu donné) crée le rapprochement social159 : la proximité susciterait plutôt un renforcement des

différences, un renforcement de la sensibilité à l’égard de traits distinctifs particuliers, les contacts entraînant la mise en scène d’une identité revendiquée. Les lieux deviennent ainsi des « signes sociaux » où les acteurs locaux s’inscrivent dans des rapports sociaux, des confrontations et des évaluations de « styles d’être qui définissent sociologiquement la situation des groupes sociaux »,

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pour reprendre les termes de Bozon [Ibid. : 13 et 74]. L’autochtonie est, de fait, un concept à lier avec le sentiment d’appartenance entretenu à l’égard du lieu d’habitation.

Pour cette raison, ceux qui se considéreront comme faisant partie des « autochtones » jugeront que l’un des critères fondamentaux à partir duquel ils établiront la légitimité de leur appartenance est leur engagement dans la localité. C’est cette implication dans la localité qui assurerait le bénéfice de profits socioéconomiques et symboliques spécifiques associés à cette appartenance : la participation à la structure locale permet, d’un côté, de contrôler les institutions-clés du fonctionnement de la collectivité, tout en permettant à certains individus (ou familles d’individus), accaparant ces fonctions – ceux qui possèdent donc les ressources160, de jouir d’un rayonnement social local qui, lui,

consolide l’idée de former une élite locale « incarnant » l’identité de la collectivité.

Dans des localités plus ou moins grandes, ce sentiment sera renforcé par la non-séparation des champs de pratiques. Plus précisément, Retière explique que l’interconnaissance des individus (par exemple, mon collègue est aussi mon voisin ou mon ami d’enfance) rend difficile la séparation entre les différentes sphères de la vie (vie professionnelle, vie politique et vie privée) et crée la confusion de statuts et ce, particulièrement lorsqu’une minorité de figures locales accaparera les fonctions-clés de la collectivité. Il ne sera pas surprenant, en ces circonstances, de développer le sentiment que la communauté de référence est en fait une « grande famille » [Retière, op. cit. : 127 – 130 ; Renahy, 2010 ; 2005 : 263 – 264]. Selon Bozon, cette confusion de rôles est aussi entretenue par le fait que les figures importantes d’une localité se rencontrent dans les mêmes lieux (que ce soit lors d’activités politiques, culturelles ou sportives) et font ensemble les manchettes des journaux de la collectivité161

[Bozon, op. cit. : 208].

Pour cet auteur, la participation aux fêtes locales sera par ailleurs souvent l’occasion, pour les « autochtones », de mettre en scène cet attachement particulier au lieu :

De même la participation à la grande fête traditionnelle, […], est très liée à l’ancienneté des individus dans la ville. […]. Comme le public du stade, les autochtones sont les plus nombreux. La presse, les habitants, les organisateurs insistent beaucoup sur le caractère strictement local et traditionnel de la fête. Les résidents anciens (en particulier, artisans, commerçants et membres des professions libérales, qui jouent un rôle important dans l’organisation de la fête) ont là une occasion d’affirmer avec éclat leur enracinement et les privilèges symboliques et sociaux qui en découlent, face aux nouveaux venus, aux résidents exogènes (en particulier, les membres des

160 Que ces ressources soient économiques, culturelles ou sociales, ou toutes à la fois, héritées ou acquises. 161 Ce qui n’est pas sans rappeler la formation des « communautés imaginées » de B. Anderson.

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fractions intellectuelles des classes supérieures) qui participent peu aux festivités. La participation aux associations locales est généralement considérée comme un des signes majeurs d’intégration [Ibid. : 53].

La revendication ou la manifestation de l’autochtonie, chez certains locaux, par rapport à de « nouveaux arrivants162 » traduit donc un rapport de force entre les groupes : les premiers pourront

ainsi décider des espaces, des lieux, de la place, des statuts ou encore des ressources qui seront accordés aux deuxièmes. Ce seront les autochtones, ou les « plus enracinés », qui décideront des modalités de participation locale des nouveaux arrivants, à tel point que Bozon précise que ceci amène une certaine forme de « parrainage implicite des nouveaux par les anciens » : ainsi, ces premiers ne pourront prendre part à une association ou y prendre une responsabilité que s’ils ont été contactés, choisis par les deuxièmes, ne pourront inviter les anciens à partager une activité que s’ils ont d’abord été conviés par ceux-ci [Ibid. : 56].

En ces circonstances, l’« enracinement » est en quelque sorte à évaluer selon l’implication des individus dans des réseaux : ce sera la proximité du réseau familial ou social qui permettra d’exprimer, ou non, l’appartenance locale [Ibid : 45 – 46]. Aussi, pour ceux qui ne peuvent se revendiquer de l’autochtonie (donc les nouveaux arrivants ou encore ceux n’ayant pas pu bénéficier de la reconnaissance d’un enracinement local), les liens sociaux seront tissés à l’extérieur de la localité et s’appuieront sur d’autres signes, que ce soit par choix163 ou par dépit.

Selon Retière, nous assistons ainsi à la confrontation de deux types de sociabilité. Il y aurait d’abord la sociabilité « de l’ancrage », qui relèverait de l’ancienneté résidentielle ou du capital d’autochtonie et qui « ne réserve[rait] pas d’égales chances d’accès » aux différents acteurs de la collectivité mais qui n’aurait cependant pas de réelle valeur à l’extérieur de la collectivité ; il y aurait ensuite la sociabilité « non localiste », qui privilégierait plutôt les réseaux indépendants de l’ancienneté résidentielle [Retière, op. cit. : 131 – 132]. Dans les deux cas, nous avons affaire à une stratégie d’affirmation sociale : tandis que d’un côté, l’appartenance sociale s’exprimera à travers l’appartenance géographique par la proximité des réseaux de solidarités locales, de l’autre, nous assisterons à une appartenance « a-locale ». Ces appartenances se manifesteront en termes de valeurs, qui seront

162 Nous mettons nouveaux arrivants entre guillemets, car selon la perception des membres du groupe des autochtones, les

individus qui sont exclus de ce groupe peuvent être maintenus dans ce statut de nouveaux arrivants durant une très longue période qui peut s’échelonner sur des années.

163 Retière et Bozon affirment par ailleurs que les classes sociales aisées, ayant un capital financier, culturel ou éducatif,

auront tendance à créer et à entretenir leurs réseaux sociaux en-dehors de leur lieu d’habitation, contrairement aux classes ouvrières, modestes ou défavorisées.

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propres à chacun des groupes : si chez les uns, c’est l’implantation durable et l’ancienneté qui seront valorisées, ce sera la mobilité, l’extériorité et la capacité d’adaptation qui primeront aux yeux des autres. Nous avons donc affaire à deux rapports ou deux comportements vis-à-vis du lieu d’habitation : d’un côté, le localisme, qui se caractérise par la concentration des loisirs, des relations, des stratégies sociales dans la localité et les réseaux sociaux locaux, de l’autre, la multipolarité, qui peut être définie par la tendance, chez certains, à valoriser les lieux de sociabilité multiples et mouvants plutôt que les liens locaux [Bozon, op. cit. : 48].

La mise en scène de son appartenance à l’autochtonie, tout comme son extériorité, représente en fait une manière de jouir de profits (symboliques, statutaires, sociaux, économiques, etc.) qui sont liés à ces appartenances. En ces circonstances si, dans chaque lieu social, s’exprime une domination symbolique d’un groupe sur un autre, nous reprenons à notre compte deux questions que pose Bozon : dans quelles conditions ces dominations ponctuelles s’exercent-elles ? Dans ces situations de micro-domination, quelles sont les attitudes possibles des dominés ? [Ibid. : 220].

Parce qu’il est une autre catégorie d’individus auquel le groupe des autochtones se définit : celle des « étrangers ». L’« étranger » renvoie, dans un sens large, à l’image de celui qui ne fait pas partie du groupe, à celui qui « vient du dehors » [Rey, 2004 ; 2003 : 130]. En ce sens, il est possible de faire une distinction entre la situation et la condition de l’étranger. La situation de l’étranger fait référence aux questions juridiques en lien avec le séjour de la personne de nationalité étrangère (droits / devoirs / permis). Quant à la condition, celle-ci renvoie plutôt à la sphère intime de l’étranger (émotions, agissements, relations avec autrui, projets ou encore coupure avec le passé) [Ibid. : 130]. Mais d’une manière générale, « étranger » fait référence à trois conceptions différentes.

Premièrement, la notion d’étranger s’inscrit dans le rapport ontologique et philosophique et s’articule avec la notion d’autochtonie, c’est-à-dire avec les constructions de la réalité sociale relatives à l’idée de l’unité d’un groupe. Plus précisément, les réflexions philosophiques sur le sens de ce qu’est l’étranger sont d’abord orientées vers le rapport entre « le même » et « l’autre ». Pour construire son « soi », l’individu a besoin de l’« autre », afin de se sentir unique et différent. Mais la présence de cet autre engendre souvent avec elle la crainte de ce qui est différent. Plus précisément, l’individu éprouverait, dès son plus jeune âge, des sentiments ambigus envers l’étranger : il oscillerait en effet constamment entre le repli, pour protéger son identité, et le désir de s’ouvrir, la relation avec l’altérité étant une condition nécessaire pour son épanouissement individuel [Tripier, 1999 : 205].

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Deuxièmement, la conception de l’étranger est vue sous l’angle juridique : celui qui « vient du dehors » peut également être, pour reprendre les mots de J.-F. Rey, « celui qui n’a pas la citoyenneté du pays qu’il habite » [Rey, op. cit. : 130]. Aussi les conditions relatives au statut d’étranger détermineront-elles, du même coup, la nature et les prérogatives du citoyen autochtone (migrants, émigrés, immigrants, expatriés, réfugiés). La présence de personnes de nationalité étrangère sur leur sol oblige en effet les nations à préciser les formalités et les conditions à remplir pour leur intégration, formalités et conditions qui seront elles-mêmes déterminées par la manière dont les nationaux autochtones conçoivent, nous l’avons vu, leur rapport à la naissance et à la filiation [Ibid. : 129 - 130].

Troisièmement, la conception de l’étranger fait référence à la place qu’il occupe dans le social. Le fait que l’étranger ait hérité d’une socialisation « autre », parfois incompatible avec la nouvelle réalité, « brise » la connivence jusqu’alors construite et partagée par les membres du groupe initial et rend sa position suspecte à leurs yeux, qui le marginalisera socialement [Murphy-Lejeune, 2003 : 26]. Dans cette relation entre l’autochtone et l’étranger, la relation distance – proximité sera caractérisée par l’ajustement réciproque entre les deux parties, où celui qui « accueille » sera invité à se métamorphoser pour s’ouvrir à l’autre, et où l’étranger se verra contraint d’acquérir les attitudes et sentiments appropriés pour pouvoir être accepté. Aussi E. Murphy-Lejeune pose-t-elle la question du lien entre, d’une part, l’axe distance – proximité (qui inclut diverses dimensions spatiale, sociale, culturelle et symbolique) et, d’autre part, le désir d’appartenance (qui fait référence aux motivations et dispositions mutuelles organisant les relations), afin de définir les conditions d’appartenance et d’exclusion de l’étranger [Ibid. : 36].

Reprenant à leur compte les notions d’insiders et d’outsiders développées par A. Schütz, N. Elias et J.- L. Scotson portent leurs réflexions sur l’idée que l’étranger est celui qui ne fait pas partie du groupe dominant. Au-delà des questions de distances culturelles et de particularités individuelles, c’est en fait la position subjective et construite des groupes qui fabrique de l’étranger : le groupe dominant se démarquera systématiquement du groupe étranger (voire exclura le groupe étranger) pour renforcer l’image positive qu’il a de lui-même et affirmer sa propre cohésion sociale [Elias et Scotson, 1997 ; 1965 : 14 - 15].

La présence de l’étranger dans une collectivité provoque des rééquilibrages, des redéfinitions collectives et surtout, des positionnements continuels sur le plan du paradigme du proche et du

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lointain. De fait, pour M. Tripier, si l’étranger est celui qui « vient du dehors », il ne pourra toutefois jamais faire partie « de dedans » : la relation à l’étranger constitue le fondement même de la construction de l’identité du groupe social, construction qui résulte d’une tension entre distance et proximité [Tripier, op. cit. : 205].

Pour G. Simmel, toute relation humaine est caractérisée par ce paradigme du proche et du lointain : « la distance à l’intérieur de la relation signifie que le proche est lointain, mais le fait même de l’altérité signifie que le lointain est proche » [Simmel, 2004 ; 1979 : 54 – 55]. Mais la position de l’étranger dans le groupe a ceci de particulier qu’elle est d’abord déterminée par sa non-appartenance initiale au groupe et donc, par le fait qu’il n’a pas intériorisé les caractéristiques de ce groupe. De son côté, Schütz écrit que le seul fait que l’étranger puisse remette en question l’univers symbolique d’une société (par le fait que cet univers ne présente pas de pertinence pour lui, tant et aussi longtemps qu’il ne l’aura pas intégré dans sa propre structure d’appréhension du monde) démontre les limites fonctionnelles d’un modèle culturel et indique que son applicabilité n’est propre qu’à un contexte historique particulier [Schütz, 2010 ; 1944 : 19]. Tant et aussi longtemps qu’il reste un « étranger » aux yeux des autres, celui qui « vient du dehors » sera celui qui n’aura pas de racines (entendues au sens où il n’est pas métaphoriquement enraciné dans un lieu géographique local) et sera mobile ; ce sera cette mobilité qui suscitera la dialectique de la proximité et de la distance. Celui qui se trouve au-delà de la distance et de la proximité ne peut pas être étranger puisqu’il n’existe tout simplement pas. C’est pourquoi Simmel estime que le fait d’être étranger est positif puisque ceci amène « une forme particulière d’interaction » : l’étranger fait donc partie du groupe, mais sa position interne, ainsi que son appartenance au groupe, produisent l’extériorité et l’opposition.

L’extériorité de l’étranger lui permettrait toutefois d’établir des relations « objectives » avec les autres : ils lui feraient plus volontiers des confidences justement parce qu’il n’est pas impliqué dans le groupe. L’objectivité peut aussi signifier liberté, indépendance d’esprit vis-à-vis du groupe, car l’étranger dispose de son propre univers symbolique, de sa propre manière de penser et de comprendre ce qui l’entoure. Toutefois cette liberté peut être dangereuse, notamment en période de troubles : l’étranger peut alors être perçu par le groupe comme un agent de l’extérieur, un représentant de l’ennemi [Ibid. : 54 – 56].

Le paradigme proche – lointain se révèle également dans les interrelations et la capacité, pour l’étranger, à mesurer le caractère anonyme et typique des actes sociaux. Schütz écrit à ce propos :

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[aux yeux de l’étranger], les acteurs qu’il observe dans le nouveau groupe ne sont pas – […] – les simples exécutants de fonctions typiques accomplies dans un certain anonymat, mais des individus. L’étranger [tend] à prendre les caractères individuels pour des caractères typiques. Il édifie alors un monde social, fait d’un pseudo-anonymat, d’une pseudo-intimité et d’une pseudo-typicalité. Il lui est ainsi impossible d’intégrer les types personnels qu’il construit dans un portrait de groupe cohérent et de se reposer sur les réponses que ce dernier donne à ses attentes. Encore moins d’adopter ces attitudes typiques et anonymes qu’un membre du groupe est supposé attendre de la part d’un partenaire dans une situation type. Ce qui fait défaut à l’étranger, c’est qu’il ne sait pas instinctivement trouver la bonne distance avec les autres [Schütz, op. cit. : 34 – 35].

Dans sa recherche pour la compréhension du nouvel univers, l’étranger se trouve en quelque sorte dans la peau d’un enquêteur, son chemin étant caractérisé par une série d’essais-erreurs pouvant lui permettre de s’adapter à la réalité qui l’entoure [Ibid. : 39].

A la fois proche et distant parce qu’il fait partie du groupe, l’étranger fait aussi ressortir notre propre étrangeté. Mais l’étranger n’est pas reconnu dans sa singularité en raison de ce double rapport de proximité et de distance. Parce qu’il fait partie du groupe sans pour autant être du groupe, seule son origine étrangère est prise en compte. Parce qu’il ne partage pas les connaissances recettes du groupe qui l’entoure et qu’il ne partage pas non plus les références faisant appel aux expériences du passé, l’étranger reste celui qui n’a pas d’histoire [Ibid. : 20]. Aussi les étrangers seront-ils considérés et catégorisés à partir de cette caractéristique et formeront, aux yeux des autres, un seul et même ensemble [Simmel, op. cit. : 58 – 59].

La cohésion d’un groupe sera donc notamment maintenue par le lien (de distance et de proximité) qu’il entretient avec l’étranger : la notion d’étranger constitue en ce sens un outil de représentations et de construction du rapport à l’autre. Ce sera la façon dont un groupe particulier se perçoit, de même que le sens qu’il donne à sa citoyenneté ou à sa nationalité, qui définiront ce qu’est l’étranger [Rey, op. cit. : 131]. La définition de l’étranger est toutefois tributaire du contexte historique et socio- économique dans lequel il se trouve. Les changements qui interviennent dans la catégorie « étranger » pourront de fait être de bons indicateurs des métamorphoses qui s’opèrent dans les valeurs d’une société, dans la perception qu’elle a d’elle-même et dans le regard qu’elle portera sur l’autre.

A la notion d’étranger est aussi étroitement associée celle de la mobilité. Si ce phénomène a toujours existé et ce, sous des angles variés (mobilités individuelles, collectives, contraintes, choisies, etc.), il

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est d’usage de catégoriser les acteurs de la mobilité164 sous trois grands angles, c’est-à-dire ceux qui

expérimentent la mobilité pour des motifs éducatifs, pour des motifs professionnels et pour des motifs migratoires [Gohard-Radenkovic et Murphy-Lejeune, 2008 : 127]. De même, la mobilité était essentiellement conçue dans une logique juridique (le lieu de résidence et la nationalité sont pris en compte afin de déterminer les conditions d’accès aux droits et devoirs propres aux États concernés) ou encore dans une perspective économique (l’idée étant que les nécessités économiques incitent à la mobilité soumise ainsi à la loi du marché de l’offre et de la demande). Or, non seulement la mondialisation des déplacements et l’accentuation de l’individuation des parcours font que les types de mobilités ne se résument pas à ces simples classifications mais ces assignations confinent les individus à des identifications uniques et limitées qui ne correspondent pas du tout à leurs réalités [Ibid. : 127].

Aussi les recherches actuelles portant sur la mobilité ont élaboré de nouvelles typologies qui englobent la variété des situations qu’elle peut induire. Il est ainsi dorénavant question de mobilités