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CHAPITRE 2. Une sociologie des processus et une anthropologie politique utiles à la compréhension des dynamiques

2.1 L’individu et la construction sociale de la réalité

2.1.1 La sociologie compréhensive comme angle de théorisation des liens entre la collectivité et l’individu

La sociologie a pour tradition d’opposer deux grands courants, soit l’approche explicative, d’E. Durkheim, et l’approche compréhensive, de M. Weber. Globalement, l’école de pensée initiée par Durkheim conçoit la société comme un fait objectif, mû par des mécanismes particuliers dont il convient de trouver les règles de fonctionnement pour pouvoir expliquer les lois sociales. Dans cette conception, les individus ont peu d’influence sur les mouvements de société puisque les lois sociales sont des modèles désincarnés qui engendrent des évolutions en-dehors de la volonté des individus. De son côté, l’approche adoptée par Weber s’appuie plutôt sur l’expérience vécue des individus : ceux-ci sont façonnés par des valeurs, des intérêts, qui motivent les actions sociales. Pour Weber, les actions sociales sont chargées de sens puisque les individus prennent aussi en considération les comportements d’autrui dans leurs actions ; il s’agit alors de comprendre, en l’interprétant, l’action sociale en théorisant sur ses causalités et ses effets afin de tenter de saisir le sens qui motive ces actions spécifiques106.

C’est dans la continuité des travaux de Weber que N. Elias publie en 1969 un ouvrage qui porte sur le processus de civilisation107. Plus précisément, en nous montrant que cette intériorisation de

nouveaux comportements résulte du développement d’une prise de conscience, chez une frange de

106 Voir notamment Max Weber (1964 ; 1947). L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Paris : Plon / Pocket. Dans cet

ouvrage, Weber montre en effet le lien existant entre l’émergence graduelle de la rationalité du capitalisme occidental (et de ses instruments) et le façonnement des mentalités par la religion. Loin d’exclure la complexité d’un phénomène en arguant que la religion est le seul facteur pouvant expliquer l’avancée du capitalisme, Weber démontre au contraire que c’est l’orientation des mentalités (par la religion) qui influence la manière même d’appréhender le monde et, conséquemment, les pratiques économiques. Voir aussi Max Weber (1971 ; 1921). Économie et société. Paris : Plon.

107 Sa thèse consiste en effet à démontrer que c’est par le déplacement des sensibilités, des dispositions affectives, du

sentiment de gêne et de honte et du contrôle du corps en société, développés par la bourgeoisie montante des sociétés française et allemande, que les pratiques et les comportements se sont modifiés, menant à ce que l’on appelle la civilisation. Voir Norbert Elias (1973 ; 1969). La civilisation des mœurs. Paris : Calmann-Lévy / Agora.

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la population, de l’influence que peuvent avoir des attitudes et des comportements sur autrui, ainsi que de sa propagation dans toutes les couches de la société, Elias illustre à quel point les individus exercent une pression sociale sur les autres : nos pratiques, croyances, idéologies, valeurs, codifications sociales, résultent en fait de mécanismes sociaux. Il y a donc bel et bien un lien processuel entre individus et société, dans la mesure où la collectivité façonne les individus qui à leur tour exercent une influence sur la collectivité108.

C’est aussi à la suite des travaux de Weber qu’A. Schütz allie sociologie compréhensive et phénoménologie109. S’il s’intéresse au sens que l’individu donne à ses comportements sociaux,

Schütz estime pour sa part que la réalité est essentiellement sociale et intersubjective. Plus précisément, la sociologie phénoménologique pose le principe que la réalité sociale est le résultat de l’expérience de la pensée, issue d’un sens commun partagé par des individus qui vivent au sein d’un même monde social et qui mène à de nombreuses relations d’interactions. Autrement dit, la réalité existe parce que les individus partagent un sens commun qui oriente leurs actions et les relations d’interactions qui la crée. En ce sens, ce sont les « structures de consciences subjectives de l’expérience du monde » qui engendrent les relations d’interaction qui, elles-mêmes, créeront la réalité sociale. C’est pourquoi, selon T. Blin, cette approche sociologique cherche à décrire les « modes d’organisation de l’expérience quotidienne de la rencontre du monde et d’autrui » [Blin, 2010 : 12 – 13].

Pour notre part, nous ne nous intéressons pas tant aux actes posés par les acteurs sociaux qu’à l’expérience subjective de la vie quotidienne : à l’instar de Schütz, mais aussi de P. Berger et T. Luckmann qui, à sa suite, développeront sur la manière dont l’expérience de la compréhension réciproque est constituée, nous partageons en effet l’idée que c’est le sens commun qui structure les perceptions et les interprétations que les individus ont de leur contexte environnant110. C’est cet

entendement du monde qui aurait des effets réels dans la structuration ou l’institutionnalisation du contexte environnant, engendrant lui-même ensuite, des effets sur l’appréhension individuelle du monde ou du milieu dans lequel l’acteur social se trouve.

108 Dans ce « déroulement du processus historico-social » [Elias, 1973 ; 1969 : 343], l’auteur adopte cependant une

perspective positiviste que nous ne partageons pas : nous entendons plutôt la société comme un fait processuel pouvant engendrer des transformations, qui peuvent être progressives ou régressives, voire les deux à la fois selon les sphères étudiées (droits humains, politiques sociales, considérations religieuses, économie, etc.).

109 Schütz puise aussi ses réflexions dans la philosophie.

110 Nous préférons parler de « contexte environnant » plutôt que de « réalité » car, dans cette perspective, la question se

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Considérant qu’aucun individu n’interprète le monde social de manière rationnelle et que chacun organise son univers social et sa quotidienneté de façon à se trouver au centre de ce monde, Schütz observe que c’est justement le « cosmos organisé » dans lequel il naît que l’acteur social peut concevoir son quotidien (ainsi que le quotidien de ses semblables) comme une routine, constitué, d’une part, d’institutions diverses, de machines ou d’outils et, d’autre part, de traditions, d’habitudes, de règles et d’expériences déjà disponibles [Schütz, 2010 ; 2007 : 40]. Mais justement, comment se construit ce monde social environnant, permettant aux individus qui vivent dans une même collectivité de partager sens et références communs ?

Selon Berger et Luckmann, la réalité111 de la vie quotidienne se présente comme un monde que je

partage avec les autres, soit un monde « intersubjectif », entendu au sens où les membres d’une collectivité donnée partagent un sens commun de la réalité au monde112. Plus généralement, la vie

quotidienne est caractérisée par des « schémas de typification » qui permettront à chacun d’appréhender, voire de traiter les rencontres quotidiennes et qui modèleront nos interactions. La réalité de la vie quotidienne sera ainsi rythmée par la dynamique de la distance et de la proximité entre les acteurs sociaux, puisque ce sera le degré de proximité entretenu avec un autre individu qui déterminera la typification de l’interaction sociale. Autrement dit, l’évaluation et la typification des comportements d’autrui seront tributaires du degré de singularité liant deux acteurs sociaux dans une relation113. Ce sera la « somme totale des typifications et modèles récurrents d’interactions », ou la

structure sociale, qui constituera un stock commun de connaissances à partir duquel chacun

« localisera » les individus et adoptera des comportements jugés appropriés.

C’est ce que Schütz appelle « le système du savoir acquis » propre aux modèles culturels des sociétés, qui présente sa propre cohérence pour les individus qui en ont hérité. Selon cet auteur en effet, le savoir culturel acquis permet d’interpréter le monde social mais aussi de générer des recettes guidant

111 Dans cette partie, nous utilisons le terme de « réalité », puisque c’est celui-ci qui est utilisé dans la traduction de

l’ouvrage de Peter Berger et Thomas Luckmann (2008 ; 1966). La construction sociale de la réalité. Paris : Armand Colin / Individus et Société.

112 T. Blin définit ainsi l’« intersubjectivité » : « Rapportée à la vie quotidienne, elle désigne le fait qu’une personne prend

l’existence des autres pour allant de soi. Chacun raisonne et s’oriente dans le monde, en étant guidé par l’hypothèse selon laquelle, […], dans les situations « ordinaires », les personnes se rencontrant se « comprendront » suffisamment pour que l’action se déroule « normalement ». » [Blin, op. cit. : 192].

113 Par exemple, les comportements de mon amie X originaire d’Ukraine seront évalués en partie par la typification

sociale de ce qu’est supposé être « une Ukrainienne » dans ma conception de la réalité, mais cette personne sera aussi mon amie X en tant qu’individu unique, ayant sa propre personnalité. Cette singularisation ne sera toutefois plus possible si je n’ai pas de contacts directs avec d’autres Ukrainiens, qui deviendront anonymes puisque non impliqués dans une relation de face-à-face.

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l’action dans des situations données et ce, afin d’obtenir le meilleur résultat avec le minimum d’effort. Il explique ainsi qu’une action posée sera le fruit d’une « recette » prévue à cet effet : non seulement cette recette d’action permet d’obtenir un certain résultat escompté, mais elle sert aussi de schéma d’interprétation des interactions sociales qui facilite la vie quotidienne puisqu’elle offre des conduites déjà « prêtes à l’emploi ». Aussi les actions et les attitudes deviennent « anonymes », voire « objectives » car l’individu n’est plus subjectivement impliqué dans la situation mais agit bien de manière « typique » dans une situation « typique » [Schütz, 2010 ; 1944 : 16, 17 et 32]. Or, ceci pourra poser problème pour un individu qui est étranger à ce stock commun de connaissances partagé dans une société donnée, puisqu’il pourra avoir de la difficulté à localiser les autres dans cette société dans la mesure où lui-même aura hérité d’un autre stock commun de connaissances lui ayant jusqu’alors permis de typifier les interactions [Ibid. : 88 – 100].

Or, comment se construit le stock commun de connaissances qui, par ailleurs, a sa propre structure de pertinence pour chacune des sociétés ? Pour Berger et Luckmann, ce stock commun est le fruit de deux phénomènes : la création de la société comme réalité objective et la création de la société comme réalité subjective.

2.1.2 Objectivation de l’institutionnalisation de la société et intériorisation subjective de la réalité objectivée

Berger et Luckmann nous expliquent que l’ordre culturel et social dans lequel l’individu grandit et évolue existe en tant que produit de l’être humain, puisque celui-ci a besoin de créer un monde ordonné. Ce monde sera ordonné par l’habituation, qui deviendra par la suite un modèle, puisque l’habituation se crée par la répétition. Il n’existerait donc pas de nature humaine entendue au sens d’une nature biologiquement donnée qui prédestinerait les formations socioculturelles des collectivités : il n’y aurait de nature humaine que celle qui consiste à construire sa propre nature, anthropologiquement variable selon les sociétés114 [Berger et Luckmann, 2008 ; 1966 : 109 – 117].

114 S’il est lui-même le créateur de sa réalité, l’être humain a cette capacité de concevoir la production de son monde

comme étant extérieur à lui-même, comme étant le fruit d’un processus non-humain. Cette capacité de l’être humain de produire une réalité comme si elle était le résultat de la « nature des choses » est désignée par Berger et Luckmann par le concept de réification [Berger et Luckmann, Ibid. : 167].

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Les modèles typifiés d’actions habituelles seront à leur tour institutionnalisés. Les institutions contrôlent la conduite des individus en leur fournissant des modèles. Cette fonction de contrôle se fait cependant en-dehors de tout mécanisme de sanction ou encore, pour reprendre les termes de P. Bourdieu, sans « l’action organisatrice d’un chef d’orchestre », ceci parce que les acteurs sociaux ont à ce point intégré les normes de conduites qu’elles en deviennent « naturelles » [Bourdieu, 2000 ; 1972 : 256]. Alors que Berger et Luckmann ont recours aux institutions pour expliquer la manière dont les acteurs sociaux sont modélisés et contrôlés par la collectivité, Bourdieu explique plutôt ce phénomène par la présence de structures qui, parce qu’elles sont intériorisées, créent des habitus115

qui, eux-mêmes, engendreront des pratiques favorables au maintien de l’ordre social. Il parlera par ailleurs de « l’intériorisation de l’extériorité et de l’extériorisation de l’intériorité » pour définir la manière dont les normes sociales sont appropriées par les individus qui les retraduiront à leur tour. Bourdieu explique en outre que l’habitus est en fait le produit de l’histoire. L’habitus serait en effet le fruit de pratiques (individuelles et collectives) engendrées par l’histoire qui, elles-mêmes, produiraient de l’histoire selon les mêmes schèmes conçus par l’histoire : l’habitus garantirait l’actualité des expériences passées, puisqu’elles seraient contenues dans les schèmes de perception, de pensée et d’action, qui assureraient le respect des pratiques et leur pérennité[Bourdieu, 1980a : 88 et 91]. Le partage de l’habitus créerait le partage d’un monde de sens commun, qui lui-même aurait pour effet de produire un consensus sur le sens des pratiques et d’harmoniser les expériences, mais aussi et surtout de permettre la reproduction de conditions de concertation des pratiques et des pratiques de concertation. Les modifications ou les ajustements apportés dans les pratiques par les agents sociaux impliqueraient de reconnaître et de partager des règles communes : il doit en effet y avoir une concordance entre les habitus des « agents mobilisateurs » (des meneurs ou des prophètes) et les tendances des individus qui s’identifient à ces pratiques [Ibid. : 99].

Si les pratiques individuelles sont le fruit d’habitus, nous pouvons nous poser la question sur la marge de manœuvre dont disposent les agents sociaux dans le choix de leurs comportements. Bourdieu estime sur ce point que l’homogénéité des pratiques autorise une certaine forme de diversité, mais qui sera circonscrite à l’intérieur des habitus issus des conditions sociales de

115 Bourdieu définit ainsi les habitus : « systèmes de dispositions durables, structures structurées prédisposées à fonctionner

comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principe de génération et de structuration de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement « réglées » et « régulières » sans être en rien le produit de l’obéissance à des règles, objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente des fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre » [Bourdieu, op. cit. : 256].

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production d’une même classe : « chaque système de dispositions individuel est une variante structurale des autres, où s’exprime la singularité de la position à l’intérieur de la classe et de la trajectoire ». Aussi, ce que l’on considère comme étant le « style personnel », soit les attitudes ou comportements propres à un individu, n’est en fait qu’une variante par rapport à une norme particulière à une époque ou à un groupe social; cette variante sera un indicateur de ce qui fait la norme non seulement par rapport au degré de conformité adopté mais aussi par rapport au degré de déviance autorisé [Ibid. : 101].

Les institutions conditionneraient donc les comportements individuels. Or, si une institution peut se mettre en place à partir du moment où deux individus interagissent et prennent en charge la réciprocité de la typification de leurs actions et interactions116, il devient nécessaire de transmettre le

monde institutionnel mis en place aux générations suivantes : c’est cette transmission d’un monde institutionnalisé qui historicisent les habituations et les typifications, qui deviennent de cette manière

objectivées. Plus précisément, les institutions sont dorénavant considérées comme ayant une réalité

propre, incarnées par les individus qui les considèreront comme des faits extérieurs à eux-mêmes. A ceci s’ajoutera ensuite la nécessité de légitimer l’ordre institutionnel existant, afin de permettre aux institutions de continuer d’exister en l’état. Les interprétations sur la signification des institutions seront alors apprises et intériorisées par les générations suivantes par le processus de socialisation qui se fera à l’intérieur de l’ordre institutionnel117 [Berger et Luckmann, op. cit. : 121 – 124].

Parce que les rôles représentent l’institution, ils permettent aux individus de participer au monde social et d’intérioriser l’institution dans leur propre expérience personnelle118. Aussi toute conduite

116 Les typifications seront peu à peu instaurées en modèles de conduites qui, devenus habituels, se transformeront

ensuite en des rôles adaptés aux contextes d’interactions [Berger et Luckmann, op. cit. : 121 – 122].

117 Des « conflits de génération » ne sont toutefois pas exclus lors de la transmission de l’ordre institutionnel. Alors que

l’on a plutôt tendance à expliquer les conflits intergénérationnels en termes d’opposition entre des classes d’âges qui seraient « naturellement » opposées, Bourdieu explique que ces conflits résultent des modes de génération dissemblables qui, parce que les générations connaissent des conditions d’existence singulières, ont engendré des habitus différents. Ces conflits reposent alors sur la négociation de conceptions divergentes du possible et de l’impossible, ou encore de la délimitation des modes d’actions et de définitions de la réalité. Toutefois, la continuité entre les générations serait possible par l’intériorisation des schèmes collectifs (c’est-à-dire de l’objectivation de l’intériorité des générations précédentes), l’extériorisation de la subjectivité structurée par cette intériorisation et par l’intégration au groupe [Bourdieu, op. cit. : 260 – 262].

118 Par exemple, s’engager dans une situation de jugement impliquera le fait de s’instituer en tant que juge, en même temps

que le rôle de juge engagera et supposera toute une institution globale en lien avec celui-ci (soit la loi) ; le juge agira alors en tant que représentant de cette institution. C’est cette exécution de rôles qui permet aux individus d’intérioriser l’institution et de la traduire en tant qu’expérience réelle personnelle [Berger et Luckmann, op. cit. : 146]. Pour J.-C. Kaufmann, la prise en compte des rôles permet de mettre « en évidence les articulations entre l’intériorité de l’individu et les extériorités sociales qu’il rencontre ». Toujours selon lui, la plupart des interactions quotidiennes seraient articulées

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en marge de la réalité organisée par les « connaissance-recettes », c’est-à-dire les règles de conduite institutionnellement appropriées, apparaîtra comme une déviation par rapport à cette réalité. Selon les époques et les enjeux sociaux, les légitimations peuvent par ailleurs se succéder et donner de nouvelles significations à la réalité ou encore réinterpréter l’histoire de la collectivité sans que cela n’affecte nécessairement l’ordre institutionnel, puisque de nouvelles institutions pourront voir le jour, mais toujours en cohérence avec la réalité préexistante [Ibid. : 128 – 139].

Pour que la transmission sociale des connaissances soit effective, il est nécessaire de désigner des « transmetteurs » (ou des « clercs », selon Bourdieu), et des « destinataires ». En ce sens, une collectivité connaîtra une distribution sociale de la connaissance, qui fera que l’on « sait » ou l’on ne « sait pas » en fonction de ce qui est socialement fixé comme réalité valide pour les individus hiérarchiquement distribués dans la société119. Des spécialistes deviennent alors peu à peu des

administrateurs de leur secteur de stock de connaissances, créant du même coup des sous-univers socialement compartimentés de significations qui peuvent entrer en compétition entre eux afin de faire valoir leur école de pensée, que ce soit en discréditant l’autre ou en liquidant tout simplement le corps de connaissance rival.

Une fois qu’un sous-univers de significations atteint un certain degré d’autonomie, le corps de connaissance créé a la faculté d’agir sur la collectivité qui l’a engendré. Aussi peut-on affirmer que la connaissance est à la fois un produit social et un facteur de changement social. Et ce d’autant plus que les schèmes d’appréhension de la réalité vont eux-mêmes engendrer des catégorisations qui, une fois incorporées par certains groupes d’acteurs sociaux (tant pour des questions d’intérêts du groupe lui-même que pour des raisons d’incorporation des effets de la stigmatisation par un groupe dominant), auront un effet sur cette réalité, en produisant ce qu’elles étaient censées décrire120. Les

par la reconnaissance, l’évaluation et la prise de rôles. C’est-à-dire que l’individu reconnaîtrait l’existence de rôles sociaux, qui lui permettraient d’évaluer la façon dont autrui occupe son ou ses rôles et d’adapter son propre comportement, selon la marge de manœuvre disponible et selon la gamme de rôles possibles disponibles dans un contexte : selon cette évaluation et ce contexte, l’individu procéderait à une « négociation identitaire » puisqu’il aurait choisi une « identité », un rôle qui donnera sens à son action. Mais ce choix ne se ferait pas seul : celui-ci serait en effet accepté ou sanctionné par