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3 : Politique et vérité : une ambivalence qui s’énonce par l’écriture satirique

Chapitre VI : La politique extérieure et la désillusion

VI- 3 : Politique et vérité : une ambivalence qui s’énonce par l’écriture satirique

Dans les Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand fait étalage de toute sa carrière politique et rend surtout la liberté à son langage pour dire certaines vérités au mépris de toute prudence. Animé par la volonté de mettre à nu quelques dysfonctionnements et de justifier ses réquisitoires vertement prononcés, il se présente donc chez Chateaubriand, ce désir d’établir une ambivalence par le moyen de l’écriture ; mettant ainsi en relief la politique et la vérité. Cette écriture est résolument satirique en ceci que l’auteur tire de la politique une vérité cachée tout en dénonçant ce qui entrave la bonne marche de cette politique. C’est une écriture critique qui dépouille de la politique toutes sortes de mensonge, de médiocrité, d’ingratitude, d’injustice et de trahison. Il se formule en clair, un projet d’épuration où la voix de la liberté se déchaîne pour construire une vérité autour des événements politiques tout en fustigeant ce qui ne relève pas de l’intérêt de la nation. Pour illustrer cette ambivalence, nous nous servirons de plusieurs propos où Chateaubriand a voulu, au cours de sa carrière politique, dire la vérité au nom de la liberté dont il est le chantre. Dans un chapitre intitulé « Entrevue avec M. de Polignac. Je donne ma démission de mon ambassade de Rome », le mémorialiste prend sa décision en toute âme et conscience et dit la véritable raison de sa démission en ces termes : « Je répondis que je ne faisais pas une sottise ; que j’agissais dans la pleine conviction de ma raison ; que son ministère était très impopulaire ; que ces préventions pouvaient être injustes, mais qu’enfin elles existaient ; que la France entière était persuadée qu’il attaquait les libertés publiques, et que moi, défenseur de ces libertés, il m’était impossible de m’embarquer avec ceux qui passaient pour en être les ennemis. »266 M. de Polignac qui tentait de dissuader Chateaubriand se trouve malheureusement confronté à un homme obnubilé par la vérité ; laquelle vérité qu’il voulait échanger contre les honneurs politiques. Une vérité annoncée avec beaucoup d’acerbité qui désarçonne celui pour qui elle est destinée. Dans sa réponse adressée à M. de Polignac, Chateaubriand croit que M. de Polignac fait partie des ennemis des libertés publiques d’où l’impopularité de son ministère qui pouvait souffrir des préventions injustes. Il s’éclate ici une ambivalence où la vérité est épinglée de la réalité politique et le tout se dessine par une écriture qui se déploie dans une violence satirique. Il semble qu’en défendant la liberté par la voix de la vérité, Chateaubriand marque aussi son peu d’intérêt en politique. Il en attache une importance subsidiaire comme

cela se fait sentir dans ses propos suivants : « Je ne comprends pas qu’un homme qui a vécu seulement huit jours avec moi ne se soit pas aperçu de mon manque total de cette passion, au reste fort légitime, laquelle fait qu’on pousse jusqu’au bout la carrière politique. Je guettais toujours l’occasion de me retirer : si j’étais tant passionné pour l’ambassade de Rome, c’est précisément parce qu’elle ne menait à rien, et qu’elle était une retraite dans une impasse. »267

Chateaubriand expose son manque total de passion pour la politique ; une vérité qui peut se justifier par ses diverses démissions, ses oppositions et ses dénonciations. Philippe André-Vincent pense que « Pour Chateaubriand la vérité d’une idée c’est sa force ; la seule classification réaliste il la base sur l’observation du dynamisme : l’idée vraie pour une époque donnée c’est celle qui a de la prise sur les esprits ; ayant de la vigueur, de la jeunesse, elle possède l’avenir ; l’idée fausse est celle qui a épuisé sa force dans le passé ou qui n’est pas encore mûre : son appui dans le présent, elle est frappée d’impuissance. Peut-être en sondant la pensée de Chateaubriand on trouverait au fond de tout un immense relativisme ; le sentiment presque avoué qu’il n’y a pas de vérité mais que chaque chose est vraie à son heure, la nature de l’homme changeant en même temps que le contenu de l’esprit humain. »268

Le discours satirique qui résonne dans les Mémoires d’outre-tombe montre de part en part cette ambivalence entre politique et vérité. Les prises de position, les réquisitoires accablants adressés à certains hommes politiques, témoignent de la volonté manifeste de Chateaubriand de prendre le parti de la vérité et de la liberté au mépris d’un système politique qui cultive la corruption, l’hypocrisie et toute entreprise liberticide. La défense des libertés demeure d’ailleurs son cheval de bataille. On ne peut donc défendre la liberté sans dire la vérité, car cette vérité est en réalité le chemin de la liberté. C’est pourquoi, s’inspirant de son expérience politique, il décide de dire la vérité en des termes satiriques. Nous pouvons bien le remarquer dans ce qu’il en dit au chapitre V du livre XXXII ; chapitre intitulé « Les premiers collègues de M. de Polignac ». On se souvient de son refus à travailler avec M. de Polignac pour des raisons clairement annoncées, son opinion sur les collègues de M. de Polignac ne pourrait être qu’une opinion qui confirme sa démission. C’est une opinion chargée de vérités avec une distance critique. Pour s’en convaincre, les propos suivants en sont illustratifs : « Les premiers collègues de M. de Polignac furent MM. De Bourmont, de La Bourdonnaye… Le comte de Bourmont est un officier de mérite, habile à se tirer des pas difficiles ; mais un de ses hommes qui, mis en première ligne, voient les obstacles et ne les peuvent vaincre… Le comte de La

267 CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. II, p. 2187.

Bourdonnaye, jadis mon ami, est bien le plus mauvais coucheur qui fut oncques : il vous lâche des ruades sitôt que vous approchez de lui… Le patron du National, M. le prince de Talleyrand, n’apportait pas un sou à la caisse ; il souillait seulement l’esprit du journal en versant au fond commun son contingent de trahison et de pourriture. »269 A ce qui paraît, Chateaubriand connaît bien tous ces personnages politiques dans lesquels, il tire un défaut pour en faire une part de vérité. Une vérité qu’il affuble de mots extrêmement durs et violents, pour ne citer que le cas de M. le prince de Talleyrand. Ce personnage a été toujours pour Chateaubriand une cible à broyer dans son discours satirique. Le traitant avec beaucoup de sévérité et d’acerbité, il transpose sa vérité politique en rapport avec les acteurs politiques. C’est une vérité issue d’un système politique où les partisans sont, s’il faut s’en tenir à la satire de Chateaubriand, gangrenés par la trahison, l’incompétence… Au fur et à mesure que se déploie la plume satirique de Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe, il s’inscrit de page en page, cette ambivalence politique-vérité. Cette ambivalence prend corps dans un discours où les choses ne sont pas dites au moyen d’un euphémisme édulcorant, mais plutôt dans une violence linguistique digne de la satire. A en croire la véhémence des propos de Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe, nous avons envie de donner raison à Victor Hugo qui estimait qu’« Il est certain que les livres sont bien souvent un poison subversif de l’ordre social. »270

Des vérités parfois blessantes qui jonchent dans cette œuvre, des attaques directes et même quelques propos qui frisent l’invective, relèvent tout de même de la subversion. Sa lutte pour des libertés publiques l’oblige à plonger dans ces vastes champs politiques où lui-même fit partie des acteurs, pour en ressortir des vérités qui choquent ses adversaires politiques et qui édifient le lecteur sur certaines réalités de l’époque ou sur tel ou tel dirigeant politique. Les récits que l’on tire des Mémoires d’outre-tombe semblent se construire en majorité sur l’ambivalence politique-vérité avec pour mode de transmission, le discours satirique. Chateaubriand a voulu se forger une image différente de celle des autres en politique bien évidemment. Cette différence tient lieu de sa propension à défendre les libertés et à extraire des enjeux politiques, tout ce qui participe de la justice et de la vérité. Cette démarcation s’observe à travers des révélations au ton satirique. Outré par la félonie des ministres de Charles X, tenu par son rôle de défenseur des libertés, Chateaubriand exprime sa déconvenue dans un réquisitoire déconcertant : « Si Charles X eût été renversé par une conspiration du dehors, j’aurais pris la plume, et, m’eût-on laissé l’indépendance de la pensée, je me serais fait fort de rallier un immense parti autour des débris du trône ; mais l’attaque

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CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. II, pp. 2192-2193.

était descendue de la couronne ; les ministres avaient violé les deux principales libertés ; ils avaient rendu la royauté parjure, non d’intention sans doute, mais de fait ; par cela même ils m’avaient enlevé ma force. »271

Ces propos véridiques semblent-ils, exposent l’origine de la trahison, une trahison interne à la cour et dont les responsables sont indexés par Chateaubriand. En rendant imputable le renversement de Charles X aux ministres, le mémorialiste met en lumière une vérité qui est de nature à condamner la trahison et l’infidélité. C’est en d’autres mots, une vérité politique qui s’exprime par la voix de la satire. Le viole « des deux principales libertés » et le parjure de la royauté ; tels sont les mots qui condamnent à jamais l’attitude des ministres rendus coupables de la chute royale. Il s’agit ici d’une dénonciation qui s’énonce par la vérité des faits politiques.

Au-delà de sa volonté d’être le fervent défenseur des libertés publiques, Chateaubriand avait pris le parti de la vérité contre toutes sortes d’hypocrisie sur le champ politique. C’est cette deuxième postulation qu’il confirme par ses propres mots quand il parle des sollicitations du comte Anatole de Montesquiou, acquis à la cause de la nouvelle royauté : « Ces ouvertures de M. de Montesquiou me surprirent. Je ne les repoussai cependant pas ; car, sans me flatter d’un nouveau succès, je pensais que je pouvais faire entendre des vérités utiles. »272 Les positions politiques de Chateaubriand semblaient être cimentées par des vérités qui embarrassaient ses interlocuteurs ; lesquels interlocuteurs, qui n’étaient pas les copartageants de ses opinions politiques. C’est peut-être ce qui faisait sa force et sa liberté. Fidèle à l’ancien régime, il ne pouvait faire violence à cette allégeance d’où sa rage contre l’infidélité, la trahison et voire des mesures liberticides. En examinant l’ambivalence entre politique et vérité dans les

Mémoires d’outre-tombe, une ambivalence qui se construit au rythme d’un discours satirique, il est tentant de conclure que Chateaubriand figure au nombre des personnalités éprises de liberté. Cette liberté constitue pour lui, une arme par excellence, susceptible d’extraire de la politique, la vérité cachée. Cette vérité mise à nu n’est pas sans conséquence, car sa violence verbale éveille l’hostilité qui repose souvent sur l’anthropoémie.

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CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. II, p. 2297.