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Chapitre VII : La poétique d’une violence révolutionnaire

VII- 3 : Les martyrs

VII-3 : Les martyrs

Il est tout d’abord essentiel de se rappeler que le premier ouvrage publié par Chateaubriand, l’Essai sur les Révolutions dénonce la violence de la Révolution française. Même en écrivant

Les Martyrs en 1809, œuvre qui montre la correspondance entre les souffrances des chrétiens et celles des victimes de la terreur bien que les martyrs aient fini par vaincre leurs persécuteurs, il y a toujours chez Chateaubriand, cette idée de condamner la violence. Il est évident que lorsque les événements politiques prennent une tournure violente, il est inévitable d’arriver à des situations victimaires. Ceux qui s’opposent au régime en place, courent le risque d’être martyrisés pour leur témérité. C’est le cas de citer entre autres, Georges Cadoudal qui fut un brave martyr pour avoir refusé la grâce venant de Bonaparte dont il récusait la politique tyrannique : « La nuit qui précéda la sentence, et pendant laquelle le tribunal siégea, tout Paris fut sur pied. Des flots de peuple se portaient au palais de justice. Georges ne voulut point de grâce ; il répondit à ceux qui voulaient la demander : "Me promettez-vous une plus belle occasion de mourir ?".»312

Les horreurs qui se sont multipliées lors de la prise de la Bastille, déplurent à Chateaubriand et lui donnèrent une autre position politique. La mort horrible de Foulon et Berthier suscitait un sentiment contre-révolutionnaire chez Chateaubriand. Lorsque, du haut de sa fenêtre, il aperçut les têtes des victimes suspendues sur les piques, il n’hésita pas à manifester sa rage à l’encontre de ceux qu’il appelait assassins : « Les assassins s’arrêtèrent devant moi, me tendirent les piques en chantant… Brigands ! m’écriai-je, plein d’une indignation que je ne pus contenir, est-ce comme cela que vous entendez la liberté ? Si j’avais eu un fusil, j’aurais tiré sur ces misérables comme sur des loups […] Ces têtes et d’autres que je rencontrai bientôt après, changèrent mes dispositions politiques ; j’eus horreur des festins cannibales, et l’idée

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CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. II, p. 2250.

de quitter la France pour quelque pays lointain germa dans mon esprit.»313 Ces propos témoignent d’une satire dirigée contre les révolutionnaires qui répandaient les horreurs et faisaient accroître les martyrs.

Chateaubriand déploie dans ses Mémoires, une satire dont l’objectif porte sur la correction des mœurs de son temps. Les violences linguistiques qui sont le propre d’un discours satirique dénoncent certaines attitudes qu’affichent non seulement les Rois, mais aussi leurs entourages. Dans le cas de l’entourage de Bonaparte, Chateaubriand ne s’est pas défendu de montrer avec véhémence, les débordements et abus de pouvoir exercés par certains ministres ou proches du Roi. C’est le cas de Talleyrand qu’il rend coupable de l’arrestation et l’exécution du duc d’Enghien. Cette accusation qu’il dirige contre M de Talleyrand ne pourrait souffrir d’aucun doute pour la simple raison qu’une des lettres de ce ministre, donnant l’ordre au premier Consul M. de Caulaincourt en témoigne : « J’ai tenu dans mes mains et lu de mes yeux une lettre de M. Talleyrand ; elle est datée du 8 mars 1804 et relative à l’arrestation, non encore de l’exécution de M. le duc d’Enghien. Le ministre invite le premier Consul à servir contre ses ennemis. On ne me permit pas de garder cette lettre, j’en ai retenu seulement ces deux passages : Si la justice oblige de punir rigoureusement, la politique exige de punir sans exception… J’indiquerai au premier Consul M. Caulaincourt, auquel il pourrait donner ses ordres, et qui les exécuterait avec autant de discrétion que de fidélité. »314 Si chateaubriand pense que la seule culpabilité de M. de Caulaincourt est due au fait d’avoir exécuté l’ordre de l’arrestation, c’est parce qu’il tient rigueur à M. de Talleyrand, celui qu’il appelle le véritable meurtrier qui, par l’appui de ses rapports auprès de Bonaparte, alignait des martyrs. Pour rendre justice au meurtre du duc d’Enghien, Chateaubriand annonce sa version des faits sans détour, à la manière de ce juge qui rend le verdict au tribunal : « Quel homme eût osé prendre sur lui de faire exécuter de suite une sentence à mort sur le duc d’Enghien, s’il n’eût agit d’après un mandat impératif ? Quant à M. de Talleyrand, prêtre et gentilhomme, il inspira et prépara le meurtre en inquiétant Bonaparte avec insistance : il craignait le retour de la légitimité. »315 Cette mise à nu de la vérité postule la volonté de contester un régime meurtrier alimenté pour l’essentiel par l’entourage de Napoléon. Une autre figure influente de cet entourage fut Fouché que ne ménage guère Chateaubriand dans son discours satirique. M. Fouché, le duc d’Otrante, celui que Chateaubriand appelle le nouveau rédempteur de la monarchie faisait partie de ceux qui terrorisaient le peuple. Le fait de s’être opposé à sa

313 CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. I, p. 326.

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CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. I, pp. 932-933.

nomination à Roye, Gonesse et Arnouville, témoigne du manque de considération que Chateaubriand avait pour lui. Pour preuve, lors de leur rencontre chez Madame de Custine, il avait, nous explique-t-il, opposé à son bavardage une incurie méprisante : « Bavard, ainsi que tous les révolutionnaires, battant l’air de phrases vides, il débitait un ramas de lieux communs farcis de destin… mêlant à ce non-sens philosophique des non-sens sur le progrès et la marche de la société, d’imprudentes maximes au profit du fort contre le faible… affectant de parler des plus affreux avec légèreté et indifférence… je sortis en haussant l’épaule au crime. M. Fouché ne m’a jamais pardonné ma sécheresse et le peu d’effet qu’il produisit sur moi. »316 Les propos tenus par Chateaubriand participent d’une condamnation ferme des persécuteurs du peuple. Il importe de dire que le discours satirique dans le déploiement de sa violence linguistique face aux méfaits causés par certains dirigeants, vise à restaurer la justice, la liberté et la paix dans une société. C’est pourquoi, Jean V. Alter dans son œuvre intitulée Les origines de la satire anti-bourgeoise en France déclarait que « Dans la satire, mais aussi dans la littérature en général, il s’agit toujours de rétablir l’harmonie entre l’homme et son milieu, que ce soit en défendant un statu quo contre des infractions, ou en le critiquant à défaut de pouvoir le modifier. »317 Ce qui ressort de cette citation implique la fonction de la satire dans le rétablissement de l’ordre bouleversé par des tyrans du peuple. Ces tyrans sont à l’image des personnages comme M. Fouché qui n’ont dans leurs déclarations que des propos empreints de terreur : « Nous aurons le courage énergique de traverser les vastes tombeaux des conspirateurs […] Il faut que leurs cadavres ensanglantés, précipités dans le Rhône, offrent sur les deux rives et à son embouchure l’impression de l’épouvante… Nous enverrons ce soir deux cent cinquante rebelles sous le fer de foudre. »318 Celui que Chateaubriand appelle dans ses propos satiriques, le sans-culotte métamorphosé en duc, c’est-à-dire M. Fouché, fait partie des attachés de Bonaparte qui ont répandu la terreur dans la société française au nom de leur pouvoir sans borne et sans contrôle. L’étude portée sur les martyrs qui jonchent dans les

Mémoires d’outre-tombe trouve son intérêt dans l’analyse du discours satirique qui décrit les circonstances des faits macabres. En contant les affrontements des journées révolutionnaires, Chateaubriand ne se prive pas de condamner avec acuité des actes de terreur qui alignent de nombreux martyrs. C’est ce qui explique souvent la violence de ses propos quand il connaît la personne par qui arrive toute sorte de cruauté. L’exemple tiré de la journée du 27 juillet en est illustratif : « Un de ces détachements fut assailli dans la rue du Duc-de-Bordeaux d’une grêle

316 CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. I, p. 1455.

317 ALTER (Jean V.), « L’esprit anti-bourgeois sous l’ancien régime », in Les origines de la satire antibourgeoise en France, Genève, Librairie Droz, 1970, p. 196.

de pierre. Le chef de détachement évitait de tirer, lorsqu’un coup parti de l’hôtel royal, rue des pyramides, décida la question : il se trouva qu’un M. Fox, habitant de cet hôtel s’était armé de son fusil de chasse, et avait fait feu sur la garde à travers la fenêtre. Les soldats répondirent par une décharge sur la maison, et M. Fox tomba mort avec deux domestiques. Ainsi ces Anglais qui vivent dans l’abri dans leur île, vont porter les révolutions chez les autres ; vous les trouvez mêlés dans les quatre parties du monde à des querelles qui ne les regardent pas ; pour vendre une pièce de calicot, peu leur importe de plonger une nation dans toutes les calamités. Quel droit ce M. Fox avait-il de tirer sur des soldats Français ? Était-ce la constitution de la Grande-Bretagne que Charles X avait violée ? Si quelque chose pouvait flétrir les combats de juillet, ce serait d’avoir été engagé par la balle d’un Anglais. »319

Chateaubriand exprime ici, sa colère contre un étranger, M. Fox, qui n’avait aucun droit de s’immiscer dans un conflit et pour en sortir responsable d’une fusillade meurtrière. En parlant d'une « pièce de calicot », un bout de phrase qui porte l'ironie, Chateaubriand montre à quel point une société peut subir les affres d'un bain de sang pour si peu. Il veut aussi réprouver l'attitude des opportunistes qui mettent à profit certaines occasions pour étaler leur malveillance. Dans une certaine mesure, Chateaubriand par ces propos, veut dénoncer l'ingérence qui est un acte susceptible de généraliser un conflit interne. La véhémence des propos de Chateaubriand, propos dirigés contre M. Fox bien que mort, ne sont pas xéno phobiques, mais la critique raisonnable d’un fait condamnable. La mise en scène voire le nom du chasseur Fox qui signifie renard en anglais et sans oublier la précision d'un fusil de chasse en pleine révolution, sont des éléments très drôles et qui participent de la dérision. C'est cet aspect dérisoire, mais sans doute important de l'épisode qui porte la satire dans les propos de Chateaubriand. Au fur et à mesure que nous évoquerons des actes de cruauté qui produisent des martyrs, nous nous appuierons sur le langage caustique de Chateaubriand. Ce qui permettrait une lisibilité sur la partie satirique qui nous intéresse ; au regard de ce vaste champ d’investigation que sont les Mémoires d’outre-tombe. L’intrépidité de Chateaubriand qui le pousse à nommer les coupables des méfaits qui martyrisent, laisse les traces d’un arrière-plan satirique. C’est une espèce de dénonciation qui semble traîner les coupables en correctionnelle. Il incarne aussi une témérité qui n’épargne personne, car même s’il témoigne sa fidélité au Roi, son arme qu’est la liberté d’expression l’emmène à compter Charles X au nombre de ceux qui génèrent les martyrs. Pour s’en convaincre, l’extrait de ce récit nous en dit plus : « Dans la rue de la Seine, en face de mon libraire, M. Le Normant, un tapissier offrit un fauteuil pour me porter ; je le refusai et j’arrivai au milieu de mon triomphe dans la cour

d’honneur du Luxembourg. Ma généreuse escorte me quitta alors après avoir poussé de nouveaux cris de Vive la charte ! vive Chateaubriand ! J’étais touché des sentiments de cette noble jeunesse : j’avais crié vive le Roi au milieu d’elle, tout aussi en sûreté que si j’eusse été seul enfermé dans ma maison ; elle connaissait mes opinions ; elle m’amenait elle-même à la Chambre des pairs où elle savait que j’allais parler et rester fidèle à mon Roi ; et pourtant c’était le 30 juillet, et nous venions de passer près de la fosse dans laquelle on ensevelissait les citoyens tués par les balles des soldats de Charles X ».320 La dernière phrase de ce récit fait étalage de tout un champ lexical de la mort causée par les « soldats de Charles X. » Derrière ce passage informatif, se cache une réelle volonté de dénoncer cette politique meurtrière qui se distingue par une extermination des masses. En invoquant l’ensevelissement dans la fosse commune des citoyens, victimes de la terreur du pouvoir, Chateaubriand, nous le pensons, semble critiquer les pratiques du Roi qui, au nom de son pouvoir, commandite des massacres populaires. Or, étant défenseur des libertés populaires, la cruauté des soldats du Roi ne pouvait le laisser indifférent. C’est assurément ce qui justifie l’annonce de ces détails macabres en des termes crus et directs. Les propos suivants, confortent l’idée des abominables crimes perpétrés par le pouvoir : « La commission municipale fit une proclamation dans laquelle elle déclarait que les crimes de son pouvoir (de Charles X) étaient finis et que le peuple aurait un gouvernement qui lui devrait (au peuple) son origine. »321 Il se présente ici, la thématique des martyrs, victimes de la politique criminelle d’un pouvoir peu soucieux de la vie humaine. L’ensevelissement des citoyens (martyrs) dans des fosses peut traduire une espèce d’animalisation, voire une absence des sentiments humains de la part des bourreaux. Chateaubriand s’en prend aussi à la modernité quand il dénonce la nouvelle technologie d’extermination des masses qui enlise toutes les générations : « Les enfants, intrépides parce qu’ils ignorent le danger, ont joué un triste rôle dans les trois journées : à l’abri de leur faiblesse, ils tiraient à bout portant sur les officiers qui se seraient crus déshonorés en les repoussant. Les armes modernes mettent la mort à la disposition de la main la plus débile. Singes laids et étiolés, libertins avant d’avoir le pouvoir de l’être, cruels et pervers, ces petits héros des trois journées se livraient à des assassinats avec tout l’abandon de l’innocence. »322

Marc Fumaroli approuve cette anti-modernité en disant que « Le Chateaubriand posthume des Mémoires était à même de patronner une anti-modernité encore à venir et de rester aujourd’hui la souche-mère latente de toute renaissance littéraire française… Autant que la

320 CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. II, p. 2247.

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CHATEAUBRIAND (François-René de), op.cit., t. II, p. 2254.

vie de leur auteur dans le siècle des révolutions, les Mémoires racontent leur propre genèse avant et après un tremblement de terre qui en annonce d’autres : la terreur. Cette œuvre-mère de l’anti-modernité est ultramoderne par la critique de la modernité qui lui est consubstantielle.»323 Il faut certainement rappeler que Chateaubriand condamnait la terreur et ceux par qui elle arrivait. Ce vocabulaire agressif « Cruels et pervers », dénote de cette aversion qu’il avait pour les individus qui n’avaient aucun respect pour la condition humaine ; de la vie tout court. Ses luttes acharnées pour la défense des libertés n’excluent pas sa conscience aiguë pour la vie humaine. Lorsque cette vie est mise en péril par la cruauté de la bêtise humaine, Chateaubriand ne concède pas au silence sa lâcheté ; n’en déplaise à Alfred de Vigny qui prône le silence dans la douleur. Marc Fumaroli qui a mené une étude approfondie sur le regard poétique de Chateaubriand face à la terreur affirmait que « Chateaubriand ne serait jamais devenu l’écrivain que nous croyons connaître s’il n’avait pas relevé le défi de vie ou de mort que la terreur lui a lancé… Chateaubriand, que la terreur a condamné à l’exil et à la prose, est l’un des premiers interprètes majeurs en 1797 de cette désillusion et de ce désarroi. »324 Toute la violence linguistique se déchaîne chez Chateaubriand quand la vie de son semblable est ôtée à la suite d’un acte criminel. Point d’étonnement à cette attitude altruiste si l’on se réfère à son œuvre apologétique, Le Génie du christianisme qui encense les vertus du christianisme dont les commandements sont entre autres, « Tu ne commettras pas de meurtre […] Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »325 A la vue des martyrs, la voix de sa colère fait écho à travers des propos satiriques qui ne ménagent personne. D’ailleurs, Marc Fumaroli confirme ici que « Nul n’a eu une passion plus intransigeante pour la liberté que le mémorialiste d’outre-tombe, un goût plus spontané et prononcé pour l’égalité, une disposition plus naturelle à la fraternité, et une adhésion plus désintéressée aux droits de l’homme, pour peu qu’ils soient assortis à une morale des devoirs dont la religion chrétienne est à ses yeux la meilleure éducatrice. »326 Les valeurs dans lesquelles le mémorialiste s’était enraciné, ne pouvaient qu’interpeller sa conscience et lui faire dire par des propos satiriques, sa douleur face aux martyrs. Les

Mémoires que Cypres Linda Penny qualifie d’ « espèce de tombeau » deviennent le lieu où Chateaubriand peint les actes funestes qui ont mis en péril de nombreuses vies humaines. L’intérêt de notre travail se mesure par la volonté de déceler dans les Mémoires d’outre-tombe, les propos qui sont susceptibles de dénoncer les pratiques qui génèrent les martyrs. Ce

323 FUMAROLI (Marc), ibidem, pp. 41- 42.

324 FUMAROLI (Marc), ibidem, pp. 15-16.

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MATTHIEU 19 :18. (Référence biblique).

sont des propos d’un langage tout autre qu’un langage ordinaire, car il fait de l’histoire un champ d’investigation et ses talents littéraires, un atout pour mettre en lumière le fond de sa pensée. Reconnaissant le langage particulier de Chateaubriand, un langage qui jette un regard critique sur son siècle appelé « siècle des révolutions », Marc Fumaroli déclare que « Le langage des Mémoires est un principe au service d’une histoire panoramique du siècle des révolutions prophétisé par Rousseau, contexte indispensable pour faire comprendre la vie hors normes et le caractère bizarre de son historien. Celui-ci s’accorde d’incroyables libertés avec un projet purement historique, descriptif, narratif et méditatif… »327 Chateaubriand s’est offert cette liberté, au moyen d’un langage direct, pour décrire non sans véhémence, les tragédies de son siècle. L’outre-tombe qu’est la littérature, pour le dire avec Cypres Linda Penny, constitue cet espace où, entre autres, les martyrs sont nommés non par le plaisir descriptif ou narratif, mais par souci, semble-t-il, de dénoncer la terreur du siècle révolutionnaire. Si Chateaubriand a écrit Les Martyrs, c’est assurément parce qu’il nourrissait le projet de condamner ou de dénoncer les auteurs des actes criminels ; lesquels actes qui ont donné lieu aux martyrs. En rédigeant les Mémoires, cette « espèce de tombeau », Chateaubriand ne passe pas sous silence la situation des martyrs. L’écriture des martyrs constitue pour lui, une voie satirique qui consiste à dire les souvenirs douloureux pour établir les responsabilités et condamner l’instinct criminel et barbare. Les Mémoires sont d’ailleurs, pour paraphraser Cyprès Linda Penny, « Une bibliothèque de souvenirs et une voix qui parle aux générations futures. »328 L’exhumation de ces souvenirs vise certainement à témoigner sa déconvenue pour ces tragédies liées à la cruauté du pouvoir. Ce n’est pas par goût du cynisme qu’il s’est attelé à remettre sur le tapis les horreurs de l’histoire par le biais de cette réminiscence, mais c’est probablement par volonté de fustiger et de dire qu’il n’a jamais cautionné toutes les pratiques visant à mettre en péril les vies humaines. L’idée d’écrire Les Martyrs pouvait, chez Chateaubriand, venir de la situation dramatique de son siècle. La réception de cette œuvre par la société politique témoigne de son caractère satirique à en croire les propos de Marc Fumaroli : « La plus dramatique, mais aussi la plus ambiguë, fut la genèse, la publication et la