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point  sur  les  différentes  méthodes  de  correction

CHAPITRE  3.   Variation  et  publics  adultes  FLM  et  FLE

3.   Aspects  didactiques  du  projet

3.3.   point  sur  les  différentes  méthodes  de  correction

Je décris ici les méthodes traditionnellement utilisées dans le cadre de la correction de confusions phonologiques et comment je m’y inscris par rapport à mon cadre de recherche lié à l’influence de la fréquence d’unités phonologiques sur la correction de la prononciation du français. Auparavant, je fais un point sur les notions de crible phonologique et d’interférences, notions cruciales pour comprendre les variations des sujets en acquisition d’une langue étrangère.

3.3.1. Crible  phonologique  et  interférences  

La notion de crible phonologique est liée au système d'écoute contrôlé par le système phonologique de la langue maternelle. Il pose problème concernant l'identification et l' articulation des sons d' une langue étrangère. Comme le rappelle Trubetzskoy (1986 : 54) :

« L’homme s’approprie le système de sa langue maternelle. Mais s’il entend parler une autre langue, il emploie involontairement pour l'analyse de ce qu'il entend le "crible phonologique" de sa langue maternelle qui lui est familier. Et comme ce crible ne convient pas pour la langue étrangère entendue, il se produit de nombreuses erreurs et incompréhensions. Les sons de la langue étrangère reçoivent une interprétation phonologiquement inexacte, puisqu'on les fait passer par le "crible phonologique" de sa propre langue ».

Cette faculté habituelle dans l’apprentissage à ramener de l’inconnu à du connu est à l’origine des variations que l’on rencontre lorsqu’un locuteur écoute et produit une autre langue. Je considère qu’écoute et production d’un son d’une langue étrangère sont liées : un locuteur percevant un son de manière inexacte le reproduira de manière fautive. C’est la raison pour laquelle je vais travailler sur un reconditionnement auditif, en amont, permettant en aval la production juste du son de la langue étrangère.

Dans le même ordre d’idées, Kuhl et Iverson, (1995) ont développé le concept de « l’effet aimant » (Native Language Magnet, NLM) de la langue maternelle sur l’apprentissage d’une langue étrangère. Selon cette théorie, notre capacité de discrimination pour différents sons est liée à notre environnement linguistique et ceci dès le plus jeune âge. Leur expérience, faite à partir d’enfants anglais et suédois âgés de six mois, consistait à faire entendre des variantes du phonème anglais [ɪ] puis des variantes du phonème suédois [y].

91 Les enfants devaient comparer chaque son entendu à partir d’un prototype du son (une variante du phonème la plus unanimement acceptée par des locuteurs natifs de chaque langue) et faire un signe de tête lorsqu'ils entendaient une différence entre la variante du son et son prototype. Les résultats sont les suivants : les enfants anglais perçoivent les variantes du son [ɪ] comme similaires au prototype et les enfants suédois entendent les différences.

De la même manière, les enfants anglais perçoivent les différences entre les variantes de [y] alors que les suédois perçoivent toutes les variantes comme identiques au son prototype [y]. La notion de crible phonologique est donc actualisée à travers cette expérience qui confirme notre tendance à assimiler les sons similaires aux sons que l'on connaît dans une même catégorie. Selon Kuhl et al (1995), ces erreurs de discrimination proviennent de notre « carte de perceptions » qui a du mal à intégrer les éléments distinctifs d’une langue étrangère. Ils ajoutent que notre fonctionnement neuronal constitué à partir des sons de la L1 va perturber l’identification des sons d’une L2. Par ailleurs, ils précisent que le travail en perception est possible grâce à un entraînement phonétique conséquent. Selon Flege (1992, 2003), la capacité d’apprendre une langue étrangère n’est pas altérée par la période critique, période au delà de laquelle, à partir d’un certain âge, notre apprentissage d’une langue étrangère serait rendue plus difficile par une fossilisation/ cristallisation de nos organes articulatoires. Il développe un modèle (Speech Learning Model) basé sur deux principes. Le premier reprend les arguments de Trubetskoy (1986) et Khul et al (1995) : les apprenants d'une L2 ne peuvent pas vraiment isoler les systèmes phonétiques de leur L1 et de leur L2. Cette notion est donc liée à celle d’interférence. Le second principe concerne notre capacité à discriminer les sons d’une langue étrangère durant toute notre vie et à produire les sons nouveaux de manière juste. Il admet que la proximité acoustique pour certains sons de L1 et de L2 rend la tâche plus difficile.

Il entrevoit deux possibilités :

– les sons les plus proches peuvent être mal prononcés car les apprenants peuvent les associer facilement dans une catégorie de la L1,

– les sons les plus éloignés de la L1 sont bien prononcés car aucun indice ne permet de les ranger dans une même catégorie de la L1. Ainsi, il n’y a pas de risque d’interférence et une nouvelle catégorie phonologique peut se créer.

92 Une précédente étude menée par ses soins (Flege, 1987) démontre ce fait. Son expérience sur la production du /y/ et du /u/ par des étudiants anglophones de FLE établit que les anglophones ont plus de facilités à prononcer le /y/, spécifique au système phonologique du français que le phonème /u/. La raison en serait que le /y/ ayant des caractéristiques très différentes du /u/ aurait facilement pu être identifié comme une catégorie phonologique nouvelle. En revanche, le /u/ français ayant de nombreuses analogies avec le /u/ anglais serait mal prononcé car confondu avec ce dernier. Ces différents courants postulent que le crible phonologique perturbe l’identification des sons d’une langue étrangère. Ils indiquent qu’un travail de reconditionnement est possible à partir de séances de rééducation auditive. Je rejoins ce point de vue et j’ai orienté mes recherches sur ce travail de discrimination.

Cependant, d’autres courants suggèrent que le travail de correction ne doit pas seulement se contenter d’un travail sur la perception. Dans le cadre de la théorie motrice (Liberman et Mattingly, 1985), la perception phonologique d’un son/phonème dépend à la fois de son signal acoustique et de la représentation des gestes articulatoires qui le constitue. L’invariant phonémique naît donc de la relation entre le perceptif et le moteur. Selon Liberman et Mattingly (1985) l’auditeur interprète le signal de parole en référence aux mouvements articulatoires de ce dernier. Il y aurait un décodage du schéma articulatoire de la parole seulement envisageable au cours de la production. La perception correcte de sons d’une langue étrangère nécessiterait donc un travail d’abord sur la production (Ohala, 1996). La position de Guimbretière (2012) est en lien avec ces deux courants. Elle explique que la didactique de la prononciation doit envisager aussi bien un travail sur la perception des sons qu’une nouvelle façon d’utiliser les organes articulatoires et phonatoires. Ma position est la suivante : je fais l’hypothèse que le travail en perception améliore la discrimination et éventuellement la production.

Le protocole FLE-PHONE, utilisé avec les étudiants lusophones et sinophones, repose sur une réception intensive d’exemplaires de pseudo-mots contenant des paires minimales que l’apprenant de FLE a du mal à distinguer.

Ce dernier reçoit une grande fréquence d’exemplaires dans une période restreinte avec une correction immédiate par feedback auditif. Le choix de pseudo-mots est pour éviter un éventuel effet de la connaissance de certains mots français par les apprenants qui biaiseraient nos résultats. Ici, on est certain qu’aucun des étudiants ne connaît ces pseudo-mots.

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3.3.2. Méthode  structurale  

Comme je l’ai précisé, il existe principalement deux hypothèses pour la correction phonétique. La première privilégie la boucle : production-correction-reproduction. Elle hérite de la tradition structurale et ses exercices sont composés d’exercices structuraux et de répétition de modèles. Ces méthodes sont rébarbatives et pauvres en contexte. Le cadre proposé n’accorde pas assez d’importance à l’audition et on présuppose que tout porte sur un défaut articulatoire à corriger. Différents procédés sont utilisés comme la pratique du miroir pour les problèmes relatifs à la labialité (lèvres étirées /arrondies) ou la visualisation de coupes sagittales où l’on suit les gestes articulatoires à effectuer (placement de la langue…). Il va sans dire que ces procédés restent limités, le problème du voisement ou de la nasalité ne pouvant pas par exemple bénéficier de ces procédures. La deuxième hypothèse pose que la variation phonologique de l’apprenant de langue étrangère provient d’un défaut de perception perturbant la production du son. Un défaut de perception relatif au crible phonologique qui ramène les nouveaux phonèmes à ceux du système de la langue maternelle de l’apprenant. Différentes méthodes sont issues de ce courant.

3.3.3. La  méthode  Verbo-­‐‑Tonale    

Cette méthode est basée sur un travail de reconditionnement de l’audition par différents procédés issus de recherches en phonétique et en prosodie (Billières, 2005). La phonétique combinatoire est utilisée pour faciliter l’écoute d’un son. Par exemple, les alvéolaires [s] et [z] et dans une moindre mesure, les post-alvéolaires comme [ʃ] et [ʒ] rendent le son vocalique qui suit plus clair. Ainsi, comme l’écrit Renard ( 2002 : 17) : « on éduquera mieux l’audition d’un hispanophone produisant [u] au lieu de [y] en lui présentant ce son dans des mots tels que « suce », « chute » plutôt que dans « murmure » ou « jupe ».

La prosodie vient aussi contribuer aux exercices mis en place, par exemple, on éclaircit le timbre d’un son vocalique quand il est placé en sommet mélodique. Aussi, « si un élève tend à assombrir en [e] le timbre du [i] dans « c’est le petit » [seləәpte↘] on aura intérêt à lui présenter le modèle sous sa forme interrogative : « c’est le petit ?» [seləәpti↗]. La méthode verbo-tonale propose un travail d’écoute sans réflexion méta-phonologique, c’est à dire sans qu’il soit présenté à l’apprenant des contenus explicites sur la manière dont fonctionne un système phonologique. C’est donc une approche implicite et inconsciente de correction phonétique/phonologique. Les supports sont variés et souvent ludiques : comptines, chants…

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3.3.4. Approche  directe  

La méthode consiste ici en un entraînement intensif (Bradlow, 1996a) d’écoute et de discrimination des phonèmes à acquérir. Cette méthode a l’avantage de pouvoir se réaliser en autonomie et de corriger rapidement l’étudiant sur des confusions phonologiques. Comme nous l’avons précisé, un conditionnement auditif permettrait de construire de nouvelles catégories phonologiques par l’écoute de grandes quantités d’inputs. Pour le cas des apprenants sinophones, nous présentons des termes avec /t/ et /d/. Ils doivent dire ce qu’ils entendent et sont informés immédiatement si leur jugement en discrimination est correct ou non. Je suppose que ces activités engendreront une production normée des phonèmes de la L2 à apprendre. Une expérience de ce type (Hazan et al, 2005) a été menée pour l’amélioration de la perception et de la production du contraste entre les phonèmes anglais /l/ et /r/ par des locuteurs japonais. Hazan (2002) évoque le protocole de ce test : « Lors d’une épreuve d’identification, les phonèmes sont présentés dans un grand nombre de mots différents, prononcés par plusieurs locuteurs. À la suite de chaque mot, l’étudiant doit décider quel phonème a été présenté et il est informé en retour si sa réponse est correcte ou non ». Le but de cet entraînement est donc de construire une nouvelle catégorie phonémique « robuste » en exposant le sujet à plusieurs sources de variabilité. Le protocole était le suivant : 1 séance de 30 minutes /semaine sur 10 semaines avec 60 mots par session. L’incidence de l’entraînement sur la perception de ces nouveaux phonèmes a été significative sur la production et a permis la généralisation à d’autres mots de L2. D’autre part, l’effet a persisté chez les sujets après plusieurs mois sans entraînement.

Cette méthode a été choisie pour notre projet car elle a selon moi différentes qualités :

- elle propose un travail sur un reconditionnement de l’audition. Je pense réellement que c’est à partir de ce dispositif que nous pourrons corriger les apprenants,

- elle repose sur la capacité du sujet à faire des analogies à partir d’un certain contact avec de nouvelles données. La notion de masse critique est au cœur de cette méthode d’inspiration connexionniste,

- elle est plus simple et plus rapide que la méthode verbo-tonale qui est une démarche lourde et s’inscrit dans la durée.

95 De plus, elle repose sur deux principes d’acquisition que nous défendons :

- l’influence de la fréquence sur la mémorisation. D’inspiration behaviouriste, la notion de conditionnement prônée par cette théorie a donné lieu à de nombreuses critiques. A notre sens, ces dernières étaient justifiées quand les méthodes inspirées par ce courant fondaient l’apprentissage de la langue et de la culture/ civilisation uniquement sur de la mémorisation hors contexte de communication. En revanche, les méthodes de cette approche envisagées pour la correction du niveau phonétique seulement apportent des résultats intéressants. Le principe de densité évoqué par Labov (2001), selon lequel « la tendance du locuteur à utiliser une forme linguistique découle mécaniquement de la densité de ses interactions avec des locuteurs qui l'emploient », résume bien la démarche de la méthode directe,

- la mémoire serait partiellement associative. Dans ce cadre, nous formulons l’hypothèse qu’il existe la possibilité de faire des liens, des analogies, des réflexions à partir d’un certain stock mémoriel. En clair, le contact prolongé avec des formes sonores devrait entraîner une meilleure capacité de discrimination du système phonologique.