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Approche  directe  et  approche  par  exemplaire

CHAPITRE  3.   Variation  et  publics  adultes  FLM  et  FLE

4.   Les  aspects  recherche  du  projet

4.1.   Approche  directe  et  approche  par  exemplaire

L’idée défendue par l’approche par exemplaire est que la production du choix de la forme phonologique d’un item dépend de sa fréquence et de sa récence dans le lexique mental. Le système linguistique se construirait d’abord à partir d’éléments concrets qui permettraient de créer par la suite, progressivement, des représentations plus générales (abstraites) – comme les phonèmes, les morphèmes, les patrons syntaxiques – à partir de la mémorisation d’instances similaires. Selon ce point de vue, aucune représentation abstraite sans contenu lexical ou phonétique n’existe.

En revanche, pour les modèles standards génératifs les niveaux phonologique et phonétique sont deux niveaux indépendants. Dans ce cadre, la production d’un mot se baserait sur :

- une recherche du mot dans le lexique,

- un passage dans la structure générale phonologique avec des règles phonologiques et prosodiques abstraites,

- une réalisation phonétique indifférente aux types de mots et à leur fréquence. Elle serait seulement liée aux règles abstraites établies.

Dans le cadre de l’approche exemplariste, la réalisation phonétique d’un item est variable et graduelle car les principes phonologiques sont eux mêmes variables, prenant en compte la fréquence de prononciation de certains mots ainsi que les informations phonétiques présentes dans le mot (lénition, resyllabation, schwa...). Pour la grammaire générative les allophones ([evɘʀi] versus [evri]...) sont des aléas de la performance, seule la forme [evɘʀi] est dans la compétence. A l’opposé, Connine et Pinow (2006) suggèrent que les locuteurs encodent des détails acoustiques fins. Selon eux les locuteurs incluent des informations sub-phonémiques dans les représentations phonologiques.

Pour Pierrhumbert (2001) les connaissances phonétiques sur ces formes variables sont importantes et emmagasinées dans le lexique à partir des exemplaires concrets stockés depuis l’input. Les règles phonologiques restent dynamiques et peuvent s'assouplir en fonction de ces connaissances inscrites dans la mémoire lexicale.

100 Par exemple, la suppression de /t/ et /d/ en finale de mots en anglais est plus forte pour les mots fréquents que pour les mots moins fréquents (Conine et Pinow, 2006). Selon la théorie des exemplaires, les mots anglais fréquents en /t/, /d/ finaux seraient mémorisés avec l'information phonétique : lénition (Pierrhumbert, 2001).

Donc le lexique a pour l’entrée de chacun de ces mots, deux variantes possibles attachées au mot selon la fréquence. Par la suite, des processus phonologiques, se basant sur l’exemplaire le plus fréquent (contenant le trait lénition) engage la réalisation de la chaîne sonore en prenant en compte l’exemplaire le plus typique de la catégorie des mots fréquents contenant /t/ ou /d/ en final, à savoir l’exemplaire sans /t/ ou /d/. Ces processus prennent en charge le principe selon lequel les mots fréquents contenant /t/ ou /d/ en général sont produits avec l’exemplaire lexical sans le /t/ ou le /d/, principe déduit du lexique entendu. Il n’y a donc ici plus de séparation entre phonologie et lexique mais la présence de deux degrés de généralisation :

1) une généralisation des indices phonétiques à une classe de mots basée sur la fréquence des informations phonétiques identiques (généralisation de type : lénition, amuissement…) 2) une généralisation phonologique établit en termes de contraintes ou de règles, du type

« tout mot se terminant en /t/ ou en /d/ en finale » est produit sans le dernier phonème. Pour un étudiant chinois, les mots contenant /t/ et /d/ possèdent deux représentations lexicales : une avec l’occlusive sonore, l’autre avec l’occlusive sourde. Le mot « tard » a deux représentations phonétiques [tar] et [dar], de la même manière qu’un locuteur francophone pourra avoir entre autres pour « balle » [balɘ] et [bal]. Le système phonologique de la langue maternelle des étudiants chinois contient des informations selon lesquelles ces sons sont deux variantes d’un même phonème. Comme Pierrehumbert, nous pensons que cela vient logiquement de la fréquence d’écoute : ces deux variantes sont perçues de manière équivalente dans l’input, leur fréquence est identique et elles sont rangées pour le coup sous une même catégorie.

Le travail auditif dans lequel on s’inscrit a pour but via la fréquence d’écoute, de modifier la représentation phonologique de ces deux sons, à savoir d’en faire non plus deux variantes d’un même phonème mais deux phonèmes.

Comme le rappelle Nardy (2008 : 71) : « les auteurs qui défendent l’idée de représentations lexicales basées sur le stockage d’exemplaires, soutiennent qu’elles sont liées à un apprentissage statistique .

101 En effet, ce dispositif, basé sur la récupération et la mémorisation de séquences concrètes, favorise la sensibilité aux propriétés statistiques de l’input puisque c’est sur la base de la similarité entre les différents exemplaires que vont être isolées des catégories plus abstraites ». En clair ici, le lexique et les compétences phonétiques viennent appuyer la compétence phonologique. Le phonème ne serait plus uniquement caractérisé par un ensemble de traits distinctifs, sans lien avec les mots auxquels il appartient. L’inverse serait plus probable : le lexique contiendrait des informations sur la représentation phonologique du mot et ses possibles variantes lexicales accompagnées de leurs informations phonétiques. L’exemplaire choisi serait donc réalisé avec les caractéristiques phonétiques les plus fréquentes de sa catégorie. Le cas du locuteur sinophone est ici emblématique de cette différence entre systèmes phonologiques de différentes langues. Ce dernier assimile dans une même catégorie phonologique, même s’il entend des différences phonétiques, les réalisations des voisées et des non-voisées.

Dans son système phonologique, les deux réalisations sont des variantes d’un même phonème /t/ ou /d/ là où un locuteur francophone discriminera deux phonèmes car elles sont fondées sur une différence de sens. Par un travail de reconditionnement auditif basé sur une grande fréquence d’items, la sensibilité statistique des apprenants devraient leur faire construire deux catégories phonologiques là où il n’y en avait qu’une.

Un exemple de Lhote (1995 : 31) illustre le problème rencontré par un apprenant sinophone : « pendant un cours de phonétique, Mai, étudiante chinoise, propose la phrase : le [kato] est très beau, parmi ces camarades, de nationalités différentes, certains entendent « gâteau », d’autres « cadeau ». Il n’était pas facile de trancher ». Un peu plus loin dans son ouvrage, Lhote (1995 : 31) relève ce que Mai dit avoir entendu à la radio : « [pordo] (Bordeaux) sera opposé au club soviétique et [mɔ᷈bølje] (Montpellier) affrontera les portugais, ou encore « les coureurs ont pris le [debaR] (départ) de la dixième étape ».

Ces différentes erreurs de perception sont dues au fait que la langue chinoise (tout au moins le mandarin, langue officielle) ne comporte pas d’opposition par le voisement. En clair, dans son système phonologique l’apprenant chinois perçoit ces réalisations comme des allophones d’un même élément phonologique.

102 L’aspiration serait par contre un facteur pertinent pour opposer /p/ à /pʰ/ t à /tʰ/. Comme l’écrit Lhote (1995) : « étant donné que les chinois gardent longtemps la trace de ce substrat de la langue maternelle, on peut dire, dans ce cas, qu’un comportement perceptuel acquis (dans la langue maternelle) peut figer des formes phonétiques au point de perturber la perception et la compréhension ». Mon projet, en rapport avec le public FLE est de confronter le modèle exemplariste (en lien avec l’approche directe) à l’acquisition de nouvelles catégories phonologiques. Puisque les exemplaires les plus fréquents constituent des modèles ou des prototypes servant de base pour la perception et la production des mots, la fréquence intensive d’exemplaires avec laquelle je soumets les apprenants du protocole FLE-PHONE devraient les faire modifier leur représentation phonologique.

L’apprenant sinophone qui confond dard et tard, va recevoir un grand nombre de termes commençant par /t/ et /d/. L’apprenant va entendre sur le modèle de dard et tard, un ensemble de non mots avec /t/ et /d/ en initiale devant voyelle (d’autres contextes avec /t/ et /d/ sont présents). Lorsqu’il est amené à choisir la forme entendue ([taRy] ou [daRy] par exemple), s’il entend le bon son, le système lui indique par un signal que c’est une bonne réponse, s’il entend le son de manière incorrect, le système le lui indique par un autre signal.

Le fait de corriger l’apprenant lui permet d’affiner sa saillance perceptive, de modifier l’information selon laquelle ces deux sons seraient des variantes et de créer à terme deux catégories phonologiques là où il n’ y en avait qu’une. Ainsi, un étudiant qui aura pour le /t/ en initiale vocalique comme exemplaire le plus fréquent le mot « taru » ou « tafu », sera en mesure de reconnaître par analogie le /t/ dans « tard », « tire »…Le même processus sera effectif pour le /d/ avec « difu » et « diru » par exemple.

103 Cela est rendu possible car le locuteur est à même :

• de percevoir des informations phonétiques fines. Selon Foulkes et al (2005 : 426) : “Each exemplar simultaneously encodes non-linguistic as well as linguistic information since the acoustic record contains reflexes of who was speaking and what the speaker’s voice sounded like (in terms of segmental features, pitch range, voice quality, etc.)”. • de créer un exemplaire prototypique ou une variante typique d’une catégorie

phonologique, par analogie, selon la proximité acoustique de ces informations. Le locuteur agit ici selon les mêmes capacités qu’il a à classer par sensibilité statistique l’ordre des phrases correctes suivant la fréquence des verbes entendus dans l’input. Comme la théorie des exemplaires, je pense que lexique et grammaire tout comme lexique et phonologie sont liés. L’émergence de catégories grammaticales et phonologiques proviendrait de l’accumulation d’exemplaires lexicaux classés selon leur fréquence et leur similitude. Dans la partie qui suit, j’observe, comment expérimentalement, j’ai souhaité vérifier les hypothèses suivantes :

• le locuteur d’une L2 qui confond deux phonèmes et les assimile à deux variantes d’un même phonème peut, par effet de fréquence, parvenir à discriminer correctement les deux variantes, sur la base de nouvelles informations phonétiques via le lexique. Cette discrimination serait construite à partir de la hiérarchisation des exemplaires entendus durant le test, une hiérarchisation conditionnée par la fréquence,

• La perception correcte des phonèmes serait étendue à l’ensemble des positions où peut se trouver le phonème dans le mot,

• La perception de nouvelles catégories phonologiques (voisement/non voisement ; labiale/non labiale) engendrerait une meilleure production de ces phonèmes.

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5. Protocole du test pour étudiants brésiliens