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CHAPITRE II : concepts pour une éducation au plurilinguisme en contexte scolaire

1. Plurilinguismes et compétences

Candelier et Castellotti nous rappellent qu’on trouve à l’origine de la réflexion sur la notion de compétence plurilingue et pluriculturelle, véhiculée ces dernières années par le conseil de l’Europe, une série d’études préparatoires à l’élaboration de ce qui est aujourd’hui le Cadre Européen Commun de Référence (CECR) dont celle intitulée

Compétence plurilingue et pluriculturelle42 éditée en 1997.

J.L.M Trim, chargé de diriger le projet Apprentissage des langues et citoyenneté européenne dont l’étude est issue, y stipulait en introduction que : « le conseil a lutté contre une solution séduisante, mais simpliste au problème de la communication internationale qui serait que tous les Européens apprennent une même langue de communication internationale et consacrent tous leurs efforts à développer leurs compétences dans une seule langue » (Coste, Moore, Zarate 1997,7 cité par Candelier et Castellotti, 2013, 8).

Ce principe essentiel de l’éducation plurilingue et interculturelle comme valeur, défini plus tardivement comme « principe d’organisation des enseignements des langues […] constituantes d’un projet qui se déploie dans un cadre englobant aussi bien les langues maternelles que les langues nationales, régionales ou minoritaires, étrangères…, qu’il s’agit de ne pas dissocier dans les enseignements » (conseil de l’Europe, 2007,72), pose les fondements de la notion et scelle la rupture avec une conception structuralisme et monolingue de l’apprentissage des langues. Elle coïncide également avec une volonté affirmée de certains chercheurs comme John Gumperz, Dell Hymes ou Jim Cummins de s’affranchir des modèles de réflexion centrés sur des systèmes langagiers normés et considérés pour eux-mêmes, pour s’intéresser aux pratiques discursives plurilingues et mélangées de groupes marginalisés jusque-là tels que les migrants ou les locuteurs de langues minoritaires (Castellotti et Moore, 2011, 245-246).

Parallèlement, on a vu s’effondrer les thèses soutenant le handicap cognitif des enfants bilingues : « If it were possible for a child to live in two languages at once equally well, so much the worse. His intellectual and spiritual growth would not thereby be doubled, but halved. » (Laurie 1890, 15 dans Hoffman,1991). Thèses soutenues à l’époque par des expérimentations évaluant davantage un pan de l’intelligence que les compétences

58 langagières réelles des enfants, et dont la validité a été mise à mal, notamment grâce à l’étude historique de Peal et Lambert (1962).

Ces travaux ont permis d’affirmer que loin de conduire à un déficit cognitif, le bilinguisme développerait la flexibilité mentale ainsi qu’une faculté de raisonnement favorisant la construction de concepts (Lüdi 2001). Depuis, d’autres recherches ont montré que s’il existe des domaines dans lesquels les enfants bilingues excellent, telles les facultés métalinguistiques (Bialystok 1987), ou la sensibilité communicative (Be- Zeev, 1977, Baker 1996), il en existe d’autres qui ont mis en évidence des domaines dans lesquels ils semblent plus fragiles notamment en vocabulaire ou en grammaire (Skutnabb-kangas/Toukomaa 1976, Haugen 1977).

Selon Bialystok (2006), il semblerait en effet que le développement linguistique et cognitif de l’enfant soit affecté par le fait que la langue familiale soit minoritaire ou majoritaire, valorisée ou au contraire dépréciée. Elle souligne notamment que l’acquisition d’habiletés d’alphabétisation dépend de la relation entre les deux langues (Bialystok 2005a) et du niveau de maîtrise de la langue seconde (Bialystok 2005b), lui- même subordonné au niveau « seuil » de maîtrise de la langue premièrement acquise d’après le concept de linguistic interdepedendence (1979) défini par Cummins (1987). Selon ce concept, les compétences développées dans une langue donnée sont transférables à toute nouvelle langue du répertoire langagier d’un individu dans la mesure où il y a une motivation à l’acquisition et que le contact avec la seconde langue est suffisant. Il repose sur l’idée que toute langue permet le développement d’une même compétence linguistique et conceptuelle qui facilite toute acquisition d’une autre langue dans la mesure où la compétence acquise dans la première langue est suffisante (Coghlan, Thériault (2002)).

En psycholinguistique cette hypothèse renvoie à la notion de « holistic multicompetence » proposée par Cook (1992) selon laquelle les compétences linguistiques d’un individu plurilingue sont un tout indissociable mobilisé par l’individu pour communiquer. Elle fait écho à une conception du plurilinguisme, dont le bilinguisme est la forme minimale, qui rompt avec de l’idée que les personnes plurilingues ont nécessairement une maîtrise parfaite des deux ou plusieurs langues qui constituent leur répertoire, vision irréaliste incarnée en son temps par les positions de Bloomfield, qui survalorise les compétences linguistiques de l’individu dans chacune des langues et occulte, nous dit Grosjean (1982, 2003), sa compétence à communiquer

selon ses besoins au quotidien. Ce principe s’appuie sur une conception dynamique du système linguistique de l’individu plurilingue43

, un Dynamic Model of Multilingualism (Herdina et Jessner, 2002) à l’intérieur duquel les langues sont diversement reliées selon un système de connexions multiples, dépendantes notamment des compétences langagières, de l’âge, du contexte d’acquisition des langues, de leur fréquence d’utilisation ou encore de la distance linguistique entre ces langues (cf., Jessner 2003). Selon Grosjean, l’individu plurilingue peut donc développer un niveau de compétence différent dans chacune des langues ou variétés de langues, de son répertoire qui lui servent au quotidien, maîtrisant l’une à l’écrit, une autre à l’orale, voir, cas plus rare, maîtrisant toutes les compétences linguistiques (lire, écrire, parler) dans toutes les langues de son répertoire.

Ce principe qui réprouve une considération additive des savoirs langagiers et qui abandonne le modèle de locuteur natif en tant que communicant idéal, est constitutif de la compétence plurilingue et pluriculturelle. Selon Castellotti et Moore (2011), elle repose également sur d’autres considérations :

- l’affirmation d’une identité fondée sur l’expérience de l’altérité par l’entremêlement de trajectoires familiales culturelles et sociales ;

- la considération l’existence d’un lien intrinsèque entre les dimensions linguistique et culturelle ;

Des principes sur la base desquels une première définition de la compétence plurilingue et pluriculturelle sera construite puis reprise par le Cadre Européen commun de référence pour les langues (CECR) en 2001 :

« On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel. On considérera qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d’une compétence complexe, voire

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« The multiple language speaker and her/ his language system is not merely the result of adding the two or more language systems but a complex dynamic system with its own parameters, which are not to be found in a monolingual speaker” (Herdina et Jessner 2002, 19)

60 composite, dans laquelle l’acteur peut puiser. » (Cadre européen commun de référence pour les langues, 2001, 129)

Depuis la notion se précise sous la plume de D.Coste, cité par Castellotti et Moore (2011), par une centration sur l’acteur social dans sa « capacité […] à opérer à des degrés variables dans plusieurs langues et à gérer ce patrimoine hétérogène de manière intégrée » (2001, 192) et à mobiliser diversement et « de manière plus ou moins volontaire ou réfléchie » (2001, 198) des langues qui lui servent d’ « appui, de référence » (2001, 196). « Elle se caractérise par un processus complexe d’interprétation d’expériences et organise “un modèle tout à la fois holistique et singulier, où s’ajustent des formes, de déséquilibres entre les langues et les cultures” (Castellotti, Cavalli, Coste, Moore, 2009, 98) qui dessinent le profil unique de l’acteur plurilingue. » (Castellotti et Moore, 2011, 251)

Dans ces développements didactiques et curriculaires, le concept de compétence plurilingue et pluriculturelle bouscule les conceptions de l’enseignement/apprentissage de langues jusque dans les fondements des disciplines.

Des bousculements qui ont incité nombreuses voix dont celles de Michel Candelier, de Christian Puren de Robert Galisson ou de Claude Germain à s’élever depuis quelques dizaines d’années en faveur d’une didactique fondée sur les convergences épistémologiques des domaines que sont le français langue maternelle (FLM), français langue seconde (FLS) et français langue étrangère (FLE) à travers une recherche des conditions de leur articulation. La didactique des langues dans son évolution vers une didactique du plurilinguisme nous semble pouvoir être la bannière fédératrice d’une Didactica Magna à laquelle nous aspirons.