• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II : concepts pour une éducation au plurilinguisme en contexte scolaire

1. Éléments conceptuels pour l’analyse de l’action conjointe

Selon Beaudoin et Friedrich (2001), on peut attribuer aux théories de l’action une filiation quadridimensionnelle avec les théories philosophiques de l’action élaborées dans la seconde moitié du XXe siècle.

Une première filiation conceptuelle : la sémantique de l’action qui distingue l’action du comportement, propre au behaviorisme, en lui donnant de l’épaisseur (voir Wright 1971) : « [on peut décrire l’action] comme évènement en tant que système clos de comportement, et comme intervention intentionnelle. » (Beaudoin et Friedrich, 2001, 8.) Du point de vue de cette filiation, s’intéresser à l’agir c’est considérer des intentions, des buts, des raisons d’agir des acteurs.

Une seconde filiation, théorique cette fois, se rapporte aux actes de langage définis par Austin (1970) selon lequel toute communication humaine repose sur l’accomplissement de certains types d’actes. Dans cette conception, le langage n’a pas un rôle uniquement descriptif (référentiel), mais participe à l’agir sur et dans le monde.

Un troisième concept issu des sciences économiques et sociales : l’agir communicationnel, développée par Habermas (1987), pose la compréhension réciproque

(Verstandigung, en allemand) comme le but ultime de l’acteur en tant que membre d’une communauté de communication dont les prétentions à la validité permettent de penser l’évaluation de l’action en termes d’agir téléologique, centré sur le but, d’agir régulé par des normes relatives au monde social (légitimité) et d’agir dramaturgique, lié à l’expression d’une pensée, d’un sentiment, propre au monde subjectif.

L’intentionnalité, dernière branche de la filiation, est une dimension essentielle de la

signification de l’action. Elle renvoie aux notions d’expérience personnelle et du monde vécu qui, si elles sont préexistantes à l’action dans théorie de l’action rationnelle, fondent le sens de l’action en tant que résultat d’une acculturation à une situation particulière dans la théorie de l’action conjointe de Sensevy (2001).

Dans ce cadre en effet, Sensevy n’envisage pas une explicitation de l’action se référant essentiellement à l’analyse causale que l’acteur pourrait en fournir, car le contexte – entendu comme l’ensemble des déterminants que sont les acteurs, le milieu particulier

dans lequel ils évoluent et leur adaptation à ce milieu selon la perception qu’ils en ont – en spécifiant les relations qu’entretiennent les sujets selon des règles préétablies (professeur/classe) contribue à proportion au moins égale à lui donner sa signification.

1.1 La disposition, un processus sur-jacent

Pour sa description de l’action, Sensevy s’appuie sur la conception de l’habitus telle que nous l’avons précédemment décrite, lorsqu’il reprend la notion de disposition66 (schème) qui désigne « l’usage en tant que résultat d’une acculturation » (Sensevy, 2001, 206). L’action relève alors d’une procédure adaptative (métaphore évolutionniste) qu’il oppose à l’explication de l’action par des déterminismes liés à la nature de l’individu. Selon lui, le sujet agissant ne peut être envisagé avec pertinence que dans la relation qu’il entretient avec le milieu. Agir revient à activer une matrice pragmatique particulière, en fonction d’indices perçus dans la situation hic et nunc.

L’action du sujet est ainsi régie par sa faculté à établir des rapprochements entre la situation dans laquelle il se trouve et une situation prototypique qui lui semble analogue à celle-ci. Tout l’art du praticien consiste, dès lors, par l’accommodation, à réduire l’écart entre la situation réelle et la situation prototypique. Nous partageons ce point de vue et faisons nôtre l’idée que rendre compte de l’action humaine consiste à expliquer une disposition, c’est-à-dire à décrire une adaptation du sujet au milieu en considérant, d’une part, la situation dans sa spécificité, d’autre part, la manière dont le processus d’adaptation s’instancie selon les exigences de l’institution, et enfin, le type de rapport analogique qui permet à l’individu d’actualiser telle ou telle disposition.

1.2 Le contrat didactique : un système d’attentes, un faux contrat

Au cœur de la théorie de l’action conjointe, la notion de contrat didactique permet de rendre compte du système relationnel maître, élèves, savoir, à travers la description et la compréhension d’un type de coopération basé sur l’interprétation mutuelle des intentions des acteurs en fonction de la situation didactique mise en œuvre.

100

Pour autant, « Aucun contrat didactique entre l’enseignant et l’enseigné n’est

possible67. […] Les clauses, où la spécificité du savoir à enseigner interviendrait, ne

peuvent être l’objet d’un accord entre les deux protagonistes, car seule l’aventure de l’acquisition du savoir permet d’en connaître le sens et les conditions. Elles ne sont même pas explicitables. Il n’y a pas non plus de clauses de rupture ni de sanctions. L’élève ignore donc nécessairement où et comment on veut le conduire. Et il doit accepter de l’ignorer. Prétendre passer de véritables contrats est une illusion. » (Brousseau à paraître, 32)

Il s’agit donc, d’après la définition de Brousseau, d’un contrat imposé, fondé sur les exigences de l’institution, accepté ou subi momentanément par l’enseigné ; contrat qui toutefois, repose sur un système d’attentes à propos du savoir chez l’un et l’autre des protagonistes (enseignant/élève), qui s’il s’avère non-conforme peut conduire à la rupture et donc à l’échec (d’acquisition pour l’élève, pédagogique pour l’enseignant).

Le contrat didactique, au sein duquel agir pour le professeur ou l’élève va toujours consister à s’inscrire d’une manière déterminée, fournit alors un cadre interprétatif à l’action puisque c’est elle qui traduit la volonté de l’enseignant à « modifier » l’élève.

Cette reconstruction continuelle du milieu pour l’élève est la mésogenèse.

Dans le processus didactique, le savoir est un savoir qui s’inscrit dans le temps. L’activité d’enseignement consiste ainsi en un parcours orienté par une suite d’objets d’apprentissage (Sensevy 2006).

Aussi, le contrat didactique peut ainsi être envisagé comme déterminé par ce savoir- temps, la chronogenèse, qui s’articule avec le topos. Sensevy désigne ainsi le locus (lieu en latin), c’est-à-dire la place psychologiquement investie par l’élève ou le professeur à un instant t de l’accomplissement de la tâche.

Ainsi, à l’école « lire un album à la classe » est une tâche qui appartient au topos du professeur quand celle de « résumer l’histoire», à l’oral, elle, relève du topos de l’élève.

Le topos est donc un élément instable qui se dessine à travers une préoccupation perpétuelle de l’enseignant concernant la place à donner aux élèves. Il s’agit pour le praticien de créer un topos approprié à chacun pour qu’il se sente investi d’un rôle à jouer dans la tâche qui lui est proposée.

Cet ensemble de genèses empruntées à Chevallard (1991, 1992) permet d’appréhender la microstructure des jeux d’apprentissage en les spécifiant. Les modalités d’action pourront alors être qualifiées de chronogéniques, topogéniques ou mésogéniques selon qu’elles produisent un effet sur le temps d’enseignement/apprentissage, les rôles adoptés par les sujets ou les objets du savoir.

1.3 Le milieu

Toute explication par la disposition consiste à dépeindre une adaptation de l’individu au milieu. Alors, de quel milieu parle-t-on ? Que renferme cette notion dans le cadre spécifique des situations d’apprentissage ?

En didactique, Brousseau68 considère qu’une étude des « situations » - environnements à visée didactique dans lesquels le sujet évolue et interagit - peut se limiter à la sphère d’activité de l’élève, le milieu désigne alors les objets du savoir relatifs à une tâche (exercice, jeu, problème, etc.) mise en œuvre et manipulée par l’enseignant qui la considère comme un outil pour enseigner une connaissance ou contrôler son acquisition.

Cependant, il n’exclut pas la possibilité d’étudier les situations didactiques en tant qu’environnement composite incluant l’élève, l’enseignant et le système éducatif, même si selon lui les deux acceptions de la situation que nous venons d’expliciter s’opposent.

Selon cette seconde conception de la situation didactique, enseigner devient « le projet et l’action sociale de faire approprier par un élève un savoir constitué ou en

68Brousseau,G : Cours donné lors de l’attribution à Guy Brousseau du titre de Docteur Honoris Causa de

102

voie de constitution » (Brousseau p 20), l’enseignant endosse un rôle de médiateur entre l’élève, ses processus d’acquisition et le milieu, en tant que situation d’apprentissage cette fois-ci, sur lequel l’apprenant va exercer ses capacités de construction de connaissances et d’apprentissage (voir figure ci-dessous).

Légende

Enseignant médiateur Agit sur Elève Détermine Objet de l’apprentissage Tâche Figure 3. La notion de milieu d’après Brousseau.

Le concept de milieu ainsi envisagé présente l’avantage d’offrir une double lecture d’une situation de classe donnée en axant l’analyse soit sur le milieu et la manière dont l’élève réagit aux caractéristiques de ce milieu, soit sur l’action professorale. C’est cette dernière qui fera l’objet de notre attention.

Dans la théorie que propose Sensevy, c’est également la seconde conception du milieu de Brousseau qui est retenue. Dans ce cadre, l’action du professeur consistera à concevoir comment il organise pour l’élève les conditions de l’adaptation.

Milieu (situation d’apprentissage) Processus d’acquisition Système éducatif Milieu (situation didactique)