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CHAPITRE II : concepts pour une éducation au plurilinguisme en contexte scolaire

2. Déconstruction, reconstruction : l’analyse des pratiques professionnelles, un processus compréhensif.

2.2 Axes conceptuels de référence pour l’analyse des pratiques

Marcel et al. (2002) proposent des outils judicieux pour explorer le champ de la formation sous l’angle des dispositifs d’analyse des pratiques. Ces instruments, qui sont d’abord des instruments de classification, s’organisent en quatre axes de traitement des dispositifs d’analyse (les finalités, les objets privilégiés par l’analyse, les paradigmes de

référence, les méthodologies). Nous en avons retenu trois en faisant le choix de développer l’axe méthodologique, empirique, de manière transversale aux différents axes théoriques. Ces axes conceptuels de référence serviront de ligne directrice à notre réflexion et permettront de baliser notre parcours de chercheur en quête d’ancrage épistémologique, en nous libérant de tout asservissement à une typologie de dispositifs. Nous nous emploierons ainsi, à dresser un panorama de la diversité des dispositifs liés à l’analyse des pratiques.

Axe des finalités

Ce premier axe questionne les logiques sous-jacentes à l’élaboration des dispositifs et méthodes d’analyse ainsi que leur usage ; tous deux intrinsèquement liés aux contextes sociaux, historiques et culturels dans lesquels ils apparaissent.

Les dispositifs sont appréhendés selon leur finalité, leur prédétermination à un usage, qui pourra s’avérer être différente en fonction des contingences des situations, tant il est vrai que « l’usage fait d’une méthode échappe à la raison pour laquelle elle est « intentionnellement construite. » (Marcel et al., 2002, 137)

En se référant à Marguerite Altet (1996), Marcel et al. confèrent à l’analyse des pratiques enseignantes, trois fonctions fondamentales qui sont celles que nous explorerons ici, à savoir : la production de savoirs, la professionnalisation et l’évolution des pratiques, sans qu’aucune de ces finalités ne soit exclusive des autres.

Finalité fondamentale : la production des savoirs.

Dans ce type d’analyse, il s’agit de « dépasser la lecture empirique des pratiques professionnelles » (Marcel et al., 2002, 139) en développant des savoirs procéduraux (savoirs d’action) ou théoriques débouchant sur l’élaboration de concepts tels que l’effet maître, le conflit socio-cognitif, le transfert, la remédiation, etc.

On cherche à construire des savoirs sur : les invariants qui permettent de caractériser l’action et l’activité enseignante, ou sur les variables de pratiques.

Finalité fondamentale : l’évolution des pratiques.

Ces dispositifs s’inscrivent dans une logique de performance. Elle se base sur un diagnostic de dysfonctionnement dont l’analyse conduit à des remises en cause des représentations et/ou théories qui soutiennent l’action, ainsi qu’à l’élaboration de

88 moyens permettant d’optimiser l’efficacité des pratiques en fonction d’un objectif donné.

Finalité fondamentale : la formation

L’intention dominante est la professionnalisation, qu’il s’agisse de l’auto-analyse de la situation de travail, de la prise de conscience par l’enseignant de ses propres stratégies d’action, ou encore, de son implication dans la relation didactique, le dispositif vise une construction de l’identité professionnelle par le biais de la réflexion. Du point de vue de Clot, ce qui est formateur pour le sujet, c’est-à-dire « ce qui accroît son rayon d’action et son pouvoir d’agir, c’est de parvenir à changer le statut de son vécu » (Clot 2000,155).

Axe des objets privilégiés

La pratique professionnelle a donc trait à la fois, au savoir-faire propre à chaque enseignant, et qui en fait sa singularité (sa personnalité, son style didactique et relationnel) et à la fois, aux moyens (style pédagogique) inhérents au genre professionnel tel que l’entend Yves Clot, c’est-à-dire à l’ensemble des gestes de métier.59

En tant qu’objets d’analyse, les pratiques se concentrent donc sur le sujet dans les relations qu’il entretient avec son environnement de travail. Elles s’intéressent alors à :

L’activité du sujet.

Ces analyses proposent une approche compréhensive du sujet subjectif, expérimenté et agissant, dans le cadre de son activité professionnelle.

Les dispositifs qui mettent l’accent sur la subjectivité du sujet se focalisent sur la compréhension qu’il a de sa propre activité. Il s’agit à travers son discours de révéler ce qui fait sens pour lui, la nature des savoirs qu’il mobilise dans l’action (savoirs théoriques, savoirs d’action60, savoirs d’expérience) et ce qui dans son action échappe à

59 « [Les genres d’activité] sont les antécédents ou les présupposés sociaux de l’activité en cours, une

mémoire impersonnelle et collective qui donne sa contenance à l’activité personnelle en situation : manières

de se tenir, manières de s’adresser, manières de commencer une activité et de la finir, manières de la conduire

efficacement à son objet. Ces manières de prendre les choses et les gens dans un milieu de travail donné

forment un répertoire des actes convenus ou déplacés que l’histoire de ce milieu a retenus.» (Clot et Faïta,

2000, 12)

un contrôle conscient qui entrave ou soutient l’action. Ainsi, la clinique de l’activité, développée par Clot, s’intéresse au développement du pouvoir d’agir du sujet dans la complexité de l’activité, non réductible à l’activité réalisée, mais englobant les « activités suspendues, contrariées ou empêchées […], contre-activités qui éventuellement l’empoisonnent » (Clot, 2000, 11). Ce qui motive ce type d’analyse, c’est son inscription dans une dynamique dont le but est la modification du sens de l’activité pour le sujet.

Au plan méthodologique les travaux de l’italien Oddonne ont inspiré des démarches qui s’organisent autour de l’échange d’expérience. L’instruction au sosie consiste, pour le professionnel expérimenté, à dire ou écrire une série d’instructions à un débutant fictif, ignorant tout de l’activité en question, de manière à ce qu’il puisse être en mesure de se comporter dans l’activité de façon similaire au sujet : « s’il s’agissait d’une personne parfaitement identique à toi-même du point de vue physique, comment lui dirais-tu de se comporter […] par rapport à sa tâche, à ses camarades de travail, à la hiérarchie […] de façon à ce qu’il ne s’aperçoive pas qu’il s’agit d’un autre que toi. » (Oddonne, 1981, 56-57)

La technique de l’auto-confrontation (simple et/ou croisée61

) complète ces outils méthodologiques. Elle permet de recueillir de manière explicite la part de son historicité mobilisée par l’acteur : « La signification explicitée a posteriori est une réduction de ce que « l’acteur a besoin de mobiliser de son histoire» compte tenu de ses intérêts pratiques et des contingences de la situation présente. Cette réduction aux phénomènes situationnels peut s’enrichir de la description d’éléments historiques dont l’acteur ne dit rien à l’instant t d’une situation, mais dont le pouvoir explicatif n’est pas pour autant négligeable. » (Ria, Rayou, 2008, 107)

L’entretien d’explicitation en cours ou après l’action sert de point d’appui à l’analyse de l’expérience vécue.

D’autres cadres d’analyse tels celui de l’ergonomie se sont plus récemment mis au service de la compréhension de l’action de l’enseignant.

L’ergonomie, du grec “ergon’ (travail) et “nomos” (loi, connaissance, savoir, règle) a trait à la connaissance du travail. Elle se situe dans une double perspective, celle de

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l’amélioration de l’efficacité de l’acteur et de ses conditions de travail. Issue du champ de l’étude du « facteur humain », elle a donné naissance à deux grands courants :

- le premier, anglo-saxon (Human Factors) entend expliquer les processus impliqués par l’interrelation d’un sujet avec un système (machine, objets du travail) en s’appuyant sur diverses disciplines (psychologie cognitive, psychosociologie, physiologie, biomécanique, etc.).

- Le second, l’ergonomie de l’activité, appelée aussi ergonomie de la langue française en raison de ses racines dans des pays francophones (France, Belgique, Canada), est plus récent et envisage la situation de travail dans sa globalité en y intégrant l’analyse des rapports sociaux au travail.

Inscrite dans la lignée de la théorie Vygotskienne, l’activité dont il est question est à mettre en lien avec la théorie de l’activité de Leontiev, issue de la division du travail. Prenant l’exemple de la chasse, Leontiev (1979) explique en quoi l’activité du rabatteur qui consiste à faire fuir le gibier peut apparaître contradictoire avec le but qui consiste à l’attraper, si elle n’est pas considérée en lien avec ce qui la motive ; en l’occurrence le fait que l’activité de rabattage permet aux autres chasseurs d’attraper la proie.

Il n’existe donc pas d’analogie entre le motif et le but de l’activité. Le sens de l’activité, pour l’acteur, comme pour l’observateur, ne peut se construire que dans la prise en considération des ressorts sociaux, des valeurs partagées, d’une histoire ou d’une tradition d’un groupe social : « Dans quelque condition et sous quelque forme que se déroule l’activité de l’homme, quelle que soit la structure qu’elle revête, on ne peut jamais la considérer hors des rapports sociaux de la vie de la société. » (Leontiev, 1979,91)

Ainsi, dans le domaine de l’agir professoral, l’ergonomie cognitive, sous-tendue par le courant psychologique, offre un cadre pour décrire la dynamique de l’activité professionnelle dans sa complexité (entre le prescrit et le réel62), soumise à de fortes pressions temporelles dans des contextes instables (Theureau 2006). Elle permet d’éviter l’écueil qui consiste, dans la recherche en didactique, à considérer l’apprentissage des élèves comme ultime finalité de l’action enseignante. Ainsi, la

62 Selon Leplat (1997), le travail réel est toujours plus riche que le travail prescrit et c’est par l’analyse de cet

préparation de la classe, sa prise en main et l’acte d’enseigner sont appréhendés comme différentes facettes d’une même activité.

L’action

Tout observateur extérieur est aveugle aux motifs de l’action que seule une analyse de l’activité permet de révéler.

Action et activité se complètent, mais ne se confondent pas, car le motif stimule l’activité du sujet, le but l’oriente et la guide (Saussez et Yvon, 2010, 168). Dans le domaine de l’éducation, l’action renvoie, de ce fait, au fonctionnement du professeur hic et nunc.

Cette unité d’analyse, lorsqu’elle est au cœur des dispositifs, s’appuie sur différents types d’observables tels que :

- les interactions verbales. Elles sont l’objet de travaux concernant les comportements verbaux. Souvent descriptives, elles peuvent cibler plus particulièrement : le contenu des interventions, leurs tonalités, le jeu des destinataires ou, plus globalement la communication didactique dans sa complexité (Sensevy, 2001) ;

- le comportement des acteurs : ces dispositifs se focalisent principalement sur celui de l’enseignant. Ses postures, ses gestes, ses déplacements, les matériaux utilisés, font l’objet d’observations qui peuvent être associées aux comportements des élèves ;

- les modalités pédagogiques : l’entrée choisie ici pour l’étude de l’action porte sur le type de support d’apprentissage, les modalités de travail, les tâches données aux élèves, etc. Les traces de l’action (affichages, production d’élèves) peuvent, à titre d’exemple, faire l’objet d’études spécifiques.

Les situations

En didactique, Brousseau63 considère qu’une étude des « situations » - environnements à visée didactique dans lesquels le sujet évolue et interagit - peut se limiter à la sphère d’activité de l’élève, le milieu désigne alors les objets du savoir relatifs à une tâche (exercice, jeu, problème, etc.) mise en œuvre et manipulée par l’enseignant qui la

63Brousseau,G : Cours donné lors de l’attribution à Guy Brousseau du titre de Docteur Honoris Causa de

92 considère comme un outil pour « enseigner une connaissance ou contrôler son acquisition » (Brousseau, à paraître,).

Les travaux portant sur cet objet envisagent :

- la co-construction de la situation par les acteurs : ces études analysent les dynamiques de groupes engagés dans une action commune, à travers les formes d’engagement des individus en fonction des caractéristiques de l’activité ;

- la situation comme génératrice de savoirs : dans cette perspective, activité et apprentissage sont étroitement liés.

Pastré et al. (2006), se placent dans une optique professionnalisante et appréhendent l’idée de développement de l’individu, en référence aux travaux de Vergnaud, comme s’inscrivant dans une continuité entre « agir et apprendre de et dans son activité » (Pastré et al.2006, 146).

Ces travaux se fixent comme objectifs l’identification des invariants opératoires représentatifs d’une classe de situations et nécessaires pour conduire une action efficace (Pastré, 2002). Mais également la conception d’interfaces à visée pédagogique ou l’élaboration de concepts pour la connaissance (pragmatique ou épistémique) de l’action.

Les communications

Lorsque les formes de communication sont le point de mire de l’analyse des pratiques, on cherche à expliciter :

- les processus cognitifs à l’œuvre dans les interactions homme-machine pour aboutir, par exemple, à la construction de didacticiels d’enseignement ;

- les discours produits dans et sur l’activité. Les objets de recherches sont alors les interactions, les actes de langages ainsi que les formes linguistiques qui laissent transparaître la subjectivité du sujet ;

- les interactions et les conversations. Avec Goffman (1973) les interactions deviennent des activités sociales dont il s’agit d’élucider le sens pour les acteurs, ainsi que d’en

décrypter le fonctionnent. Ce qui est mis en jeux dans une interaction c’est l’image de soi64.

Axe des paradigmes de référence

En tant que constructions intellectuelles, les méthodes et dispositifs d’analyse s’inscrivent dans des paradigmes. Nous entendons par paradigme un ensemble de principes théoriques et méthodologiques reconnus et partagés par une communauté scientifique donnée. Ils sont selon Gage (1986) le point de ralliement à une communauté de chercheurs.

Marcel et al (2002) définissent six grands courants de référence qui constituent l’ancrage théorique des recherches sur l’analyse des pratiques.

Le paradigme historico-culturel

Au sein de ce paradigme, les pratiques sont envisagées dans le lien qu’elles entretiennent avec des visions du monde, déterminismes économiques, des conceptions philosophiques qui la gouvernent et que l’analyse permet de dévoiler.

Le paradigme psychanalytique

Il induit une approche clinique des pratiques. Il s’intéresse au sujet pensant, et fait une place à l’inconscient, présent dans la classe et qui « parle » à travers les actes manqués de la pratique. L’approche psychanalytique considère ces failles comme autant de révélateurs du sujet et leur accorde donc une attention toute particulière. Dans cette lignée, l’ergologie s’intéresse aux drames (au sens étymologique du mot : action scénique) qui se jouent au sein des situations professionnelles, lieux de tensions entre travail prescrit et travail réel, créant un « espace des possibles toujours à négocier » (Schwartz, 1987, 194) où l’acteur devra « user de soi pour construire aussi infinitésimalement qu’on voudra un monde à sa convenance. » (Schwartz, 1987, 195)

64 Cf. le concept de face dans Goffman, E., Façons de parler, traduction d’A.Kihm, Paris, Editions de

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Elle permet d’appréhender l’individu dans son historicité65, de la comprendre pour

analyser les usages et mésusages de soi

Le paradigme expérimental

Il s’inscrit dans une logique positiviste, il suppose un observateur neutre, objectif, désimpliqué. L’analyse porte exclusivement sur les faits observés et repose sur le rapport de causalité entre une variable dépendante et une variable indépendante. Cette logique se retrouve dans des travaux de type analyse comportementaliste ou dans des travaux qui privilégient le traitement statistique des données (De Ketele 1992, par exemple)

Le paradigme cognitiviste

Ce paradigme regroupe deux paradigmes antagonistes.

Le premier modèle, rationaliste, situe l’intention comme préalable nécessaire à l’action. L’action est subordonnée à un ensemble de décisions que l’acteur a calculées, réfléchies. Les analyses s’intéressent à la planification de l’action et au discours du sujet sur son action.

Le second est celui de la cognition située. L’activité de l’acteur est analysée du point de vue de la dynamique interne de l’individu, où se combinent perception, émotion, communication, interprétation, action dans un mouvement perpétuel de redéfinition de cette activité, qui est fonction de l’expérience acquise par les acteurs, engagés dans une situation significative pour eux (Theureau 2000). L’entretien d’auto-confrontation fait partie des méthodes utilisées pour documenter l’expérience des acteurs ou leur réflexion en cours d’action.

Le paradigme socio-constructiviste

Il repose sur l’un des principes fondateurs de la théorie développée par Piaget et qui consiste à considérer tout apprentissage comme une adaptation à un environnement donné et aux objets qui le composent. Face à une situation nouvelle, le sujet développe des schèmes, des procédures, schémas intellectuels qui soutiennent l’action.