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Les approches plurielles : Apprendre à apprendre dans et par la pluralité

CHAPITRE II : concepts pour une éducation au plurilinguisme en contexte scolaire

3. Les approches plurielles : Apprendre à apprendre dans et par la pluralité

Dans un entretien pour le français dans le Monde Beacco déclarait en 2008 que « le rôle de l’école consiste à développer le potentiel langagier dont chacun dispose […]. Son rôle est de faire aimer les langues, toutes les langues » (Beacco, 2008,40) et c’est ce même but que poursuivent les « approches didactiques qui mettent en œuvre des activités impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles » - les approches plurielles (Candelier, 2008, 68) ou approches plurilingues (Moore, 2006,223, Conseil de L’Europe, 2001, 11).

Loin de la conception négativiste des interférences entre les langues (Lado 1957) et d’une approche behavioriste de l’apprentissage, les approches plurielles des langues et

cultures s’opposent aux approches singulières « dans lesquelles le seul objet d’attention pris en compte dans la démarche didactique est une langue et une culture particulière prise isolément » (Candelier et de Pietro, 2011, 265). Elles intègrent les principes d’une didactique du plurilinguisme telle que nous l’avons définie et relèvent de certaines caractéristiques :

- elles mettent en œuvre des activités impliquant à la fois plusieurs diversités linguistes et culturelles (Candelier, 2008, 8) ;

- elles favorisent la transversalité des enseignements (Moore, 2006,9) ;

- elles supposent une « pratique réfléchie des langues » (Aymonod et al.2006, 33) qui nécessite que soient établies des relations entre les langues ;

64 - elles visent l’acquisition dans chacune des langues des compétences à des degrés de maîtrise divers (Coste et al.2007, 3). Il s’agit de compétences qui sont « des parties d’une compétence plurilingue qui les englobe […] et qui “encapacite” l’acteur [social] pour certaines activités langagières ou pour certains contextes d’usage plus que pour d’autres activités ou d’autres contextes d’usage » (Coste, Moore et Zarate, 2009, 12). Du point de vue de Michel Candelier, les approches qui peuvent prétendre au titre d’approches plurielles sont au nombre de quatre :

- l’approche interculturelle qui vise le développement de compétences communicationnelles basées sur l’acceptation, la compréhension de l’autre en tant que porteur d’une culture plus ou moins proche de sa propre culture ;

- la didactique intégrée des langues dans laquelle on cherche à ce que l’apprenant soit capable d’établir des liens entre les langues enseignées dans son cursus scolaire, en prenant appui sur sa langue maternelle pour l’acquisition d’une L2 (qui peut être la langue de l’école), puis sur ces deux langues pour l’acquisition d’une L3, etc. avec un degré de maîtrise qui pourra être variable d’un sujet à l’autre. « L’idée en est de prendre appui sur le connu pour aborder le moins connu la langue de scolarisation pour aborder la première langue étrangère [etc.] […] sans oublier non plus, lorsqu’elles font l’objet d’un apprentissage, les langues d’origine des enfants » (Lőrincz et de Pietro, 2011, 50) ; - l’intercompréhension entre les langues parentes qui tend à développer des compétences

spécifiques : compréhension écrite ou orale. Les connaissances que l’on a de sa langue servent de pivot à la découverte d’autres langues appartenant à la même famille. Il s’agit donc de comprendre la langue de l’autre, sans toutefois être en mesure de la parler, et donc, dans l’échange, de s’exprimer dans sa langue tout en comprenant l’autre ;

- l’éveil aux langues et aux cultures (EAL) s’appuie notamment sur des langues que l’école n’a pas vocation d’enseigner dans une optique d’ouverture à et de reconnaissance de la diversité langagière et culturelle. Cette approche didactique plurilingue est axée sur la logique du détour. Il s’agit, par la comparaison de différents systèmes linguistiques, d’écriture ou de fonctionnement, sources de conflits cognitifs, de permettre à l’enfant d’entretenir des rapports nouveaux avec les ressources langagières dont il dispose. L’apprenant se construit ainsi des habiletés métalinguistiques et métalangagières qui constituent autant de stratégies-passerelles entre les langues, qui permettront aux ressources linguistiques acquises de servir

d’assise au développement d’autres langues. Cette capacité d’abstraction, ainsi développée, favorisera, en retour « une meilleure compréhension de certains phénomènes qui posent problème en L1 et/ou en L2 (L3). » (Candelier, 2003 p.45). L’EAL se veut une « matière pont », au sens que lui donne E.Hawkins (1987), c’est-à- dire une matière qui « permette de relier l’ensemble des apprentissages en cours dans les autres disciplines » (Candelier 2003,40). En conséquence, cette approche offre aux apprenants « la possibilité de reconstruire une cohérence, de donner du sens à des apprentissages en langues qui restent souvent isolés, compartimentés. » (Ibid., 40) Les approches plurielles reposent sur l’idée-force, exprimée par Danièle Moore, selon laquelle « le développement de concepts est favorisé lorsque celui-ci se fait par le biais de deux langues, qui en facilitent l’abstraction et la généralisation » (Moore, 2006, 214). À l’issue de ce tour d’horizon définitoire, on peut s’étonner que nul sort n’ait été fait à l’enseignement bilingue dans la classification proposée par Candelier. D’abord parce qu’il estime que « l’enseignement bilingue ne peut s’inscrire dans la didactique du plurilinguisme que s’il y a un travail comparatif entre les langues », travail qui nécessite de penser l’articulation des apprentissages langagiers dans leurs différences et dans leurs complémentarités et qui implique l’élève dans une véritable réflexion sur les langues (Candelier et Castellotti sous presse) Candelier, 1986). Ensuite, parce qu’il réfute la proposition du Conseil de L’Europe d’introduire parmi ces approches

l’intégration entre les langues et les disciplines dans un enseignement bilingue qui revendiquent une interconnexion entre langues et disciplines, arguant que ce type d’approche entre dans le cadre de la didactique intégrée qui ne « préjuge pas de la manière dont les langues en question sont enseignées : il peut s’agir d’enseignement de la langue ou d’enseignement dans une langue » (Candelier et Castellotti, sous presse, 7). Du point de vue acquisitionnel, les approches plurielles concourent à la construction d’une compétence plurilingue et pluriculturelle en ciblant des objectifs d’appropriation qui ne relèvent pas nécessairement de la maîtrise d’une variété linguistique et culturelle particulière (objectifs définis par le CECR), mais sont inhérents à la nature complexe, dynamique, évolutive et instable de la compétence.

Conçues pour favoriser la reconnaissance et l’interconnexion entre les compétences langagières de l’individu qu’elles soient d’origine scolaire ou non, elles constituent des outils indispensables pour « doter les apprenants de compétences linguistiques

66 culturelles diversifiées (et de la faculté de les étendre) dont chacun a besoin pour vivre, travailler, participer à la vie culturelle et démocratique » dans un monde de mobilité et d’échanges (Candelier et De Pietro, 2012, 265). Elles sont la source et le cœur du projet CARAP44 qui fournit un référentiel, un outil « recensant, organisant et explicitant des ressources et compétences45 qui relèvent de la compétence plurilingue et pluriculturelle (telle que définie par le Conseil de l’Europe) » (Lőrincz et de Pietro, 2011, 49).

Elles souffrent cependant de trois faiblesses qui sont d’une part leur non-reconnaissance institutionnelle qui les cantonne au stade d’expérimentation, alors que des formes d’enseignement bilingue trouvent plus facilement leur place dans les curricula ; d’autre part, « leurs modalités de combinaison/articulation en vue d’une intégration dans des choix curriculaires contextualisés restent à définir. » (Coste, 2010, 16) ; et pour finir l’effort intégratif aux autres domaines d’enseignement qu’elles demandent dans leur mise en œuvre, de manière notamment à offrir à la langue de scolarisation une place centrale.

44 Cf. http://ww.coe.int/t/dg4/linguistic/CADRE_FR.asp (05/05/10)

45 « Les compétences représentent les unités d’une certaine complexité, liée à des tâches socialement

pertinentes dans le contexte desquels elles sont activées elles consistent, dans ces situations, en la mobilisation de ressources diverses (relevant des savoirs, de savoir-faire et de savoir-être) qui peuvent être internes ( de nature psychosociale) ou externes (usage d’un dictionnaire, recours à un médiateur […] ce sont bien les compétences qui sont en jeu lorsque l’on est engagé dans une tâche […] ce sont finalement les ressources qui peuvent être travaillées concrètement en classe, entre autres en plaçant les élèves face à diverses tâches didactiques, l’enseignement contribuant ainsi à la mise en place des compétences via les ressources que celles-ci mobilisent. » (Lőrincz et de Pietro, 2011, 51)