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Gestion linguistique

4.3 Le plurilinguisme en Europe et en Grèce

Dans le domaine des langues étrangères, il est fondamental de définir la notion de plurilinguisme, et ce qui la différencie du multilinguisme. D’après les encyclopédies359, le plurilinguisme peut caractériser un individu qui utilise dans un contexte précis plusieurs langues selon le type de communication (relations avec la famille, avec l’administration, rapports sociaux, etc.). Le terme plurilingue peut aussi caractériser une communauté qui permet l’utilisation de plusieurs langues pour des moyens de communication variés. Le plurilinguisme est semblable au bilinguisme, à la seule différence qu’il concerne plus de deux langues ; donc, il caractérise un individu qui inclut plusieurs langues dans son répertoire linguistique.Coste360 définit aussi le plurilinguisme comme le développement et l’usage par les acteurs sociaux d’une capacité à disposer des ressources d’expression de plusieurs langues. Quant à la première occurrence d’un terme signifiant une situation identique au multilinguisme mais dans le contexte grec, nous trouvons le mot « diglossie », et la problématique qu’elle lève parmi les cercles littéraires de la fin du XIXe siècle concernant l’utilisation d’une langue pure ou de la langue courante pour le discours grec de l’époque (voir la question linguistique en Grèce, section 4.2.1).

Parmi les premiers efforts visant à définir le plurilinguisme, nous considérons l’approche de Bloomfield361 qui découvre, en fait, le bilinguisme, et ses efforts pour préciser les frontières nationales afin de distribuer les langues officielles de chaque pays. En revanche, une des premières études permettant de définir le véritable concept du plurilinguisme est celle de Galisson et Coste en 1976. Le terme, au début flou, était souvent utilisé comme synonyme de multilingu isme. Cette synonymie parcourt sa signification jusqu’à aujourd’hui (surtout parmi les travaux des sociolinguistes anglophones). Le plurilinguisme est donc : « une situation qui caractérise les

communautés linguistiques et les individus installés dans des régions, des pays où deux langues (bilinguisme) et plus (multilinguisme = plurilinguisme) sont utilisées concurremment »362.

359 DUBOIS, Jean (dir.). Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris : Larousse, 1994, p. 368 ; MOUNIN, Georges (dir.). Dictionnaire de la linguistique. 4. éd. Paris : Presses universitaires de France, 2004, p. 264. (Quadrige).

360 COSTE, Daniel. Diversité des plurilinguismes et formes de l’éducation plurilingue et interculturelle. Recherches

en didactique des langues et des cultures. Les cahiers de l’Acedle [en ligne]. Avril 2010 [consulté le 13 novembre

2017], Vol. 7, n° 1. Disponible à : <URL : https://journals.openedition.org/rdlc/2031#quotation>. 361 BLOOMFIELD, Leonard. Le langage. Paris, France : Payot, 1970.

362 GALISSON, Robert et COSTE, Daniel. Dictionnaire de didactique des langues. Paris, France : Hachette, 1976, p. 69.

125 Au contraire, les institutions tentent d’utiliser le terme multilinguisme au lieu de plurilinguisme, car dans le cas de l’anglais, le multilingualism tend à occuper tout l’espace et à plus ou moins recouvrir les deux dimensions (individuelle et territoriale). En réalité, dans une Europe multilingue, la politique européenne vise au plurilinguisme des habitants ou, en d’autres termes, elle souhaite des individus passant sans heurt d’une langue à l’autre sur la base d’une utilisation d’au moins deux langues, selon les contextes, les situations et l’environnement international363.

4.3.1 Le plurilinguisme en Europe

4.3.1.1 Le plurilinguisme d’après le Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe, dans le Cadre européen commun de référence, voit le plurilinguisme comme une compétence. Il s’agit de la capacité d’un (inter)locuteur à employer et à apprendre, seul ou via un enseignement, plus d’une langue ; c’est la compétence à communiquer langagièrement et permettant d’interagir culturellement, d’un acteur social q ui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures. Cette compétence se matérialise dans un répertoire de langues que le locuteur peut utiliser. La finalité des enseignements est de développer cette compétence364.

Une personne plurilingue possède un répertoire de langues, des compétences de nature et de niveaux différents selon les langues. L’éducation plurilingue encourage divers aspects : la prise de conscience du pourquoi et du comment on apprend les langues choisies ; la prise de conscience de compétences transposables et la capacité à les réutiliser dans l’apprentissage des langues ; le respect du plurilinguisme d’autrui et la reconnaissance des langues et de leurs variétés, quelle que soit l’image qu’elles ont dans la société ; le respect des cultures inhérentes aux langues et de l’identité culturelle d’autrui ; la capacité à percevoir et à assurer le lien entre les langues et les cultures, ainsi qu’une approche globale intégrée de l’éducation linguistique dans les cursus365.

363 CONSEIL DE L’EUROPE. Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner,

évaluer. Paris : Didier, 2001, p. 9‑14.

364 Ibid., p. 129.

365 Politique linguistique éducative du Conseil de l’Europe. Dans : Conseil de l’Europe [en ligne]. juin 2017 [consulté le 11 juin 2017]. Disponible à : <URL : https://www.coe.int/fr/web/language-policy/language-policies>.

126 Beacco et Byram366 distinguent deux formes de plurilinguisme : le plurilinguisme perçu en tant que compétence et le plurilinguisme perçu en tant que valeur. La définition de la notion de plurilinguisme comme compétence est aussi proposée par le Conseil de l’Europe. Le plurilinguisme comme valeur correspond à une valeur éducative fondant la tolérance lingu istique :

« la prise de conscience par un locuteur du caractère plurilingue de ses compétences peut l’amener à accorder une valeur égale à chacune des variétés utilisées par lui-même et par les autres locuteurs, même si celles-ci n’ont pas les mêmes fonctions (communication privée, professionnelle, officielle, langue d’appartenance) »367. Le plurilinguisme est à considérer sous ce double aspect et il constitue soit une compétence du sujet parlant comme étant fondamentalement pluriel, soit une valeur en tant que fondement de la tolérance linguistique, élément capital de l’éducation interculturelle.

La notion de plurilinguisme, en tant que capacité d’un individu à maîtriser plusieurs langues, fait l’objet de la politique linguistique au niveau européen et comporte des dimensions linguistiques, sociolinguistiques, psycholinguistiques368. Pour le Conseil de l’Europe (CoE), le plurilinguisme est ainsi au centre de l’apprentissage des langues. Le CoE définit le plurilinguisme comme l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel qui s’étend de la langue familiale à celle du groupe social, puis à celle d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le tas)369. Puis, cet individu ne classe pas ces langues et ces cultures dans des compartiments séparés, mais construit plutôt une compétence communicative à laquelle contribuent toutes ses connaissances et toute son expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent. De ce fait, dans des situations différentes, un locuteur peut faire appel avec souplesse aux différentes parties de cette compétence pour entrer efficacement en communication avec un interlocuteur donné370.

366 BEACCO, Jean-Claude et BYRAM, Michael. De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue : guide pour

l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. Strasbourg : Conseil de l’Europe, 2003, p. 15‑16.

367 Ibid., p. 73.

368 VERDELHAN-BOURGADE, Michèle. Plurilinguisme : pluralité des problèmes, pluralité des approches. Tréma. Septembre 2007, n° 28, p. 5‑16.

369 BEACCO, Jean-Claude et BYRAM, Michael, op. cit., p. 74‑75.

370 CONSEIL DE L’EUROPE. Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner,

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4.3.1.2 Le plurilinguisme d’après l’UE

L’UE constitue la plus vaste institution plurilingue avec ses 24 langues officielles, il s’agit d’une tour de Babel. Pour l’UE, le plurilinguisme est un principe et un objectif important. Il constitue un élément essentiel du projet européen et un symbole puissant de la devise de l’UE : l’unité dans la

diversité. Maîtriser des langues étrangères est un moteur parmi les compétences qui permettent

aux citoyens d’être mieux préparés pour le marché du travail et de profiter au mieux des possibilités qui leur sont offertes. À partir de cette perception, l’UE s’est donné pour objectif que chaque citoyen ait la possibilité d’acquérir au moins deux langues étrangères dès le plus jeune âge371. Il est également essentiel de souligner le fait que l’UE insiste à la fois sur la politique de multilinguisme et sur la protection de la diversité linguistique : chaque citoyen a le droit de s’exprimer dans sa langue maternelle.

Comme le montre la Figure 9, l’Europe communautaire s’est largement développée depuis sa création en 1958. En effet, elle n’a commencé qu’avec 6 États membres (Belgique, France, Allemagne, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) et 4 langues officielles (allemand, français, italien, néerlandais). Ensuite, elle s’est élargie lentement. En 1995, il y avait 15 États (Belgique, France, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Portugal, Espagne, Autriche, Finlande, Suède) et 12 langues officielles (allemand, français, italien, néerlandais, danois, irlandais, anglais, grec, portugais, espagnol, finnois, suédois). Avec son dernier élargissement en 2013 (adhésion de la Croatie), on voit appa raître une famille de 28 États membres (Belgique, France, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Portugal, Espagne, Autriche, Finlande, Suède, Chypre, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Roumanie, Croatie) et de 24 langues officielles (allemand, anglais, bulgare, croate, danois, espagnol, estonien, finnois, français, grec, hongrois, irlandais, italien, letton, lituanien, maltais, néerlandais, polonais, portugais, roumain, slovaque, slovène, suédois, tchèque).

371 COMMISSION EUROPÉENNE. Erasmus+ Guide du programme. Bruxelles : Commission européenne, décembre 2015, p. 12.

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Figure 9 : Le régime linguistique de l'UE et l'élargissement

Néanmoins, l’élargissement des pays a impliqué la croissance des services de traduction et d’interprétation. Aujourd’hui, pour l’interprétation des discours politiques (que les membres du Parlement européen réalisent en 24 langues), on atteint 552 combinaisons différentes. Par conséquent, on pourrait caractériser l’UE comme un paradis de la diversité linguistique.

Comme on l’a vu dans la section précédente, le Conseil de l’Europe différencie les notions de

plurilinguisme et de multilinguisme. Cette dernière renvoie à la présence, dans une zone

géographique déterminée – quelle que soit sa taille – de plus d’une « variété de langues », c’est-à-dire les façons de parler d’un groupe social, que celles-ci soient officiellement reconnues en tant que langues ou non372. À l’intérieur d’une telle zone géographique, chaque individu peut être monolingue et ne parler que sa propre variété de langue, tandis que le « plurilinguisme » se rapporte au répertoire de langues utilisées par un individu, un répertoire englobant la variété des langues considérées comme langue(s) maternelle(s) ou première(s) langue(s), ainsi que toute autre langue ou variété de langue, dont le nombre peut être illimité373. Ainsi, certaines zones géographiques multilingues peuvent être peuplées à la fois de personnes monolingues et de personnes plurilingues374.

372 BEACCO, Jean-Claude et BYRAM, Michael, op. cit., p. 18. 373 Ibid., p. 128.

374 Politique linguistique éducative du Conseil de l’Europe. Dans : Conseil de l’Europe [en ligne]. juin 2017 [consulté le 11 juin 2017]. Disponible à : <URL : https://www.coe.int/fr/web/language-policy/language-policies>.

1958

6 États