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PARTIE I : Considérations théoriques

2.2 Les effets de la mobilité

Kehm80 souligne que « le fait de bénéficier d’expériences internationales en passant une période

d’études à l’étranger limitée au cours d’un programme d’études est devenu un événement plutôt normal et fréquent pour les étudiants européens »81. La mobilité est censée servir au moins deux objectifs fondamentaux de l’enseignement supérieur jugés importants. Dans un premier temps, les expériences internationales aident à développer la personnalité en élargissant l’horizon de chaque individu et lui fournissent une flexibilité suffisante ainsi que des connaissances culturelles et sociales pour être capable de s’adapter à des situations inconnues et d’agir de manière appropriée82. Dans un deuxième temps, les expériences internationales aident également à acquérir un certain nombre de qualifications – au-delà d’une meilleure connaissance d’une langue étrangère – qui contribuent à la capacité d’emploi ultérieure et éventuellement à une carrière dans un contexte international.

Pour un établissement d’enseignement supérieur, il est tout aussi important d’envoyer ses propres étudiants à l’étranger que d’en recevoir, selon deux autres objectifs fondamentaux83. Premièrement, les étudiants qui ne peuvent ou ne veulent pas aller à l’étranger ont la possibilité de connaître des cultures étrangères en rencontrant des étudiants étrangers dans leur université d’origine, et il s’agit donc d’une internationalisation « à la maison ». Deuxièmement, les étudiants étrangers peuvent développer des liens plus étroits avec le pays dans lequel ils ont passé une partie de leurs études et favoriseront ensuite les entreprises de ce pays en leur offrant des opportunités d’investissement dans leur pays d’origine après leur retour, puis au cours de leur carrière.

Toutefois, quels que soient les effets des programmes que nous examinons dans le présent travail, les programmes de mobilité organisée de type Erasmus offrent une expérience fructueuse dont les effets au niveau individuel sont multiples.

80 KEHM, Barbara M. The Contribution of International Student Mobility to Human Development and Global

Understanding. Janvier 2005, Vol. 2, n° 1, p. 18‑24.

81 Ibid., p. 18.

82 KEHM, Barbara M., art. cit. 83 Ibid.

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2.2.1 Les effets de la mobilité organisée de type Erasmus

Les programmes décrits supra (voir chapitre 1, section 1.3.2) ont été créés pour favoriser et optimiser les échanges entre les universités européennes et les étudiants en mobilité. Hartel84

souligne le fait que l’expérience directe des études et de la vie dans plusieurs États membres peut contribuer au développement politique de la Communauté et, par conséquent, conduire à l’identification des citoyens des États membres de l’Union européenne. Ainsi, le séjour Erasmus va influencer la perception que les étudiants ont d’eux-mêmes et de leur parcours académique.

Pour commencer, au niveau de la confiance en soi, le programme Erasmus contribue à s’évaluer soi-même : vivre seul pendant plusieurs mois dans un autre pays européen renforce cette confiance, et suivre des cours dans une langue étrangère donne aux étudiants la possibilité d’évoluer et de s’adapter à un autre champ académique. En ce qui concerne les connaissances acquises pendant la période de mobilité, on constate un renforcement aux niveaux linguistique et culturel. La mobilité à travers le programme Erasmus permet l’ouverture de l’individu à différentes cultures, lorsque l’étudiant habite dans un environnement allophone et les connaissances acquises le sont à travers des relations avec des étudiants issus de pays étrangers (pas nécessairement européens). De plus, l’éloignement du champ académique d’origine contribue à s’interroger aussi sur ses propres projets professionnels. La question de l’auto-habilitation des individus constitue alors un facteur prépondérant qui fait partie du programme d’Erasmus. Quant au sentiment d’appartenance à un groupe – en l’occurrence, au groupe des étudiants Erasmus (qui se définissent par rapport au nom du programme) –,il participe de la construction de la représentation de l’Europe85. Si cette appartenance simultanée à « deux mondes » peut rendre difficile l’intégration des « étudiants Erasmus » à la population estudiantine du pays d’accueil, le programme de mobilité Erasmus reste à son tour un moyen de socialisation au niveau européen qui rend possible la création d’un groupe social purement européen.

De surcroît, les recherches de Teichler86 ont montré des effets visibles et moins visibles sur les étudiants ayant bénéficié d’une expérience de mobilité internationale. Pour ce qui est des effets

84 HÄRTEL, Melissa. « Erasmus » ou la construction d’un espace culturel européen. Genève : Institut européen de l’Université de Genève, 2007, p. 41‑54.

85 Ibid., p. 41‑50.

86 TEICHLER, Ulrich. The impact of temporary study abroad. Dans : Social interaction, identity and language

learning during residence abroad. Amsterdam : European Second Language Association, 2015, p. 15‑30. (Eurosla

53 visibles, différentes enquêtes concluent que les étudiants anciennement mobiles montrent un intérêt à poursuivre des études. De l’autre côté, dans leur vie privée, ils ont probablement un conjoint ou partenaire étranger. Concernant la vie professionnelle, après l’obtention de leur diplôme, 15 à 20 % des anciens étudiants en mobilité sont employés dans un autre pays européen, contre seulement 3 % des étudiants anciennement non mobiles en Europe87.

En ce qui concerne les effets moins visibles, Teichler88 souligne l’acquisition des compétences, étant donné que l’expérience de mobilité a un impact sur les compétences des participants. Teichler divise aussi les compétences en trois catégories : compétences internationales (maîtrise des langues étrangères, connaissance et/ou compréhension des différences internationales dans la culture et la société, modes de comportement, modes de vie, etc., capacité à trava iller avec des personnes de différentes cultures, connaissances professionnelles d’autres pays, etc.), connaissances et méthodes (compétences informatiques, connaissance de méthodes spécifiques à un domaine, connaissances théoriques spécifiques à un domain e, etc.) et compétences générales (adaptabilité, initiative, détermination, compétences analytiques, capacité à résoudre des problèmes, planification, coordination, organisation, etc.).

Un autre effet largement exploité est le possible impact de la mobilité au niveau professionnel. Janson, Schomburg et Teichler89 se sont intéressés à la valeur professionnelle de la mobilité dans différentes disciplines (ingénierie, sociologie, administration, chimie), et Erasmus semble jouer un rôle similaire dans plusieurs domaines d’études. De façon unanime, l’impact principal d’un séjour Erasmus se manifeste dans le développement personnel des étudiants. La valeur des études Erasmus à l’étranger est appréciée de manière beaucoup plus positive en ce qui concerne le développement de la personnalité, les connaissances, la réflexion, etc., que par rapport à la carrière et aux revenus. Les anciens étudiants Erasmus de ces disciplines affirment que cette période a été intéressante pour la maturité et le développement personnel90. Les participants évaluent systématiquement la période d’étude Erasmus à l’étranger comme positive. En ce qui concerne

87 TEICHLER, Ulrich. The impact of temporary study abroad. Dans : Social interaction, identity and language

learning during residence abroad. European Second Language Association. Amsterdam : [s. n.], 2015, p. 22.

(Eurosla Monographs). 88 Ibid., p. 15‑30.

89 JANSON, Kerstin, SCHOMBURG, Harald et TEICHLER, Ulrich. The professional value of ERASMUS mobility: the

impact of international experience on former students’ and on teachers’ careers. Bonn : Lemmens, 2009,

p. 87‑119. (ACA papers on international cooperation in education). 90 Ibid.

54 l’impact académique, les anciens participants insistent sur l’effet d’apprentissage des méthodes différentes d’enseignement et d’examen. Quant à l’amélioration des compétences, l’impact d’Erasmus s’observe principalement dans le domaine des compétences dites non techniques et du développement de la personnalité. Ils déclarent que les études à l’étranger ont été utiles en ce qui concerne la connaissance et la compréhension du pays d’accueil, les compétences interculturelles, la maîtrise des langues étrangères, les nouvelles façons de penser, l’amélioration des connaissances académiques et professionnelles, les perspectives de carrière91.

Le développement personnel se manifeste dans des domaines comme les compétences en matière de communication, conscience interculturelle, adaptabilité, flexibilité, capacité d’innovation, productivité, motivation, endurance, capacité de résolution de problèmes et capacité de travailler de manière productive en équipe92. Une telle période d’étude temporaire semble ainsi être un atout pour les étudiants, car ils sont susceptibles de construire une personnalité plus mature, d’acquérir des compétences sociales et communicatives plus solides et d’améliorer leur maîtrise de la langue étrangère. Selon plusieurs chercheurs (comme Brissot93 et Federico de la Rúa94), l’hypothèse soulignant plusieurs gains et bénéfices acquis après une période temporaire de mobilité est validée, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une réalité qui englobe un maximum des cas de mobilité, et non les seuls étudiants qui ont eu l’opportunité de rencontrer des conditions particulièrement bonnes et appropriées. De cette façon, Erasmus études n’est pas considéré comme le point de départ d’une carrière de haut vol, mais plutôt comme « un sésame » sur le marché du travail. Dans les domaines d’études plus professionnels – études commerciales et ingénierie mécanique – le processus de mondialisation et les structures commerciales internationales semblent aujourd’hui rendre les compétences internationales nécessaires, même pour occuper un poste dans une entreprise nationale95. En sociologie et en chimie, les anciens étudiants Erasmus son t considérés par les employeurs comme ayant une expérience internationale, car ils sont censés être meilleurs en ce

91 Ibid. 92 Ibid.

93 BRISSOT, Sandrine. L’analyse de la mobilité comme espace de transition biographique et de reconfiguration

identitaire : le cas des post apprentis dans un dispositif du programme Erasmus +. Thèse de doctorat. Lille :

Université Charles de Gaulle - Lille III, 2019, p. 382‑389.

94 FEDERICO DE LA RÚA, Ainhoa de. Réseaux d’identification à l’Europe: amitiés et identités d’étudiants

européens. Université Lille 1, 2013, p. 283‑306.

95 TRUCHOT, Claude et HUCK, Dominique. Le traitement des langues dans les entreprises. Sociolinguistica. Décembre 2009, Vol. 23, n° 1, p. 2.

55 qui concerne les compétences dites non techniques96. La référence à un séjour Erasmus dans un CV est ainsi considérée comme un indicateur de ces compétences, et peut augmenter les chances dans le processus de candidature.

Les différents effets présentés dans cette section soulignent la grande importance de ces programmes dans le parcours académique, professionnel et personnel des participants. Les effets, visibles ou moins visibles, vont déterminer le parcours académique et/ou professionnel, et en même temps permettront le développement personnel de l’individu. Toutefois, pour entrer dans le vif de notre propre analyse, il serait intéressant de noter encore trois notions importantes pour notre cadre théorique et méthodologique ; ce sont les notions de stéréotypes (section 2.3), de préjugés et de discrimination (section 2.4), et d’altérité (section 2.5).

96 TRUCHOT, Claude. L’anglais en Europe: Repères. Strasbourg : Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques Direction de l’éducation scolaire, extrascolaire et de l’enseignement supérieur, 2002, p. 21.

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