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La première partie de l’ouvrage s’attarde à la question de l’étendue temporelle de la justice : avons-nous des obligations envers les générations futures éloignées? Si oui, pourquoi? Le premier chapitre sera consacré au problème incommode de l’absence de réciprocité entre les générations éloignées. Nous tâcherons de montrer que ce problème doit être pris au sérieux dans nos réflexions sur la justice intergénérationnelle. Et malheureusement, les solutions les plus intuitives pour résoudre ce problème – soit la réciprocité indirecte descendante et la réciprocité indirecte ascendante – s’avèrent insatisfaisantes. La réciprocité descendante souffre d’un problème motivationnel, tandis que la réciprocité ascendante est inopérante pour nous orienter face au défi intergénérationnel le plus important de notre époque, soit celui de la lutte aux CC et de la résorption de la crise environnementale.

Tout n’est pas perdu. Le second chapitre s’attellera à la tâche de défricher une voie plus prometteuse pour surmonter le problème de la non-réciprocité intergénérationnelle. Il sera montré qu’au-delà des apparences, les générations futures éloignées nous apportent bel et bien quelque chose : elles nous procurent un horizon de sens, notamment en respectant un certain devoir de mémoire. Bref, il y a réciprocité. Cette idée d’un horizon de sens futur n’est pas complètement originale : d’autres ont exploré cette voie avant nous (Partridge 1981b). Par contre, ces pionniers ont exploré cette avenue d’une façon différente de la nôtre, sans l’inscrire dans une conception de la réciprocité intergénérationnelle. De plus, ils n’ont pas toujours pris le temps d’examiner les objections que l’on peut dresser devant cette approche, corvée que nous assumerons en imaginant et en repoussant cinq objections possibles. La seconde partie s’attarde à la métrique de la justice intergénérationnelle. Le troisième chapitre est en grande partie voué à un travail de clarification (bien que nous y prenions

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positions sur divers enjeux). Nous passerons les débats récents opposant la durabilité écologique « forte » et « faible » au crible de l’analyse philosophique et normative. Nous parviendrons à élucider l’enjeu réel de la durabilité, qui n’est pas – comme le prétendent la plupart des participants à ce débat – celui de la substituabilité, mais plutôt celui de la compensation. Cette clarification nous permettra de mettre en relief ce que nous appellerons la « question difficile de la durabilité ». En voici une version simplifiée : quelle est l’importance normative du patrimoine naturel comparée à celle du patrimoine technique?

Les deux chapitres suivants tentent deux réponses à cette « questions difficile » pour tenter de fonder la durabilité forte. Le chapitre 4 explique en quoi le patrimoine naturel a une valeur culturelle mnémonique, surtout considérant la « fin de la nature » annoncée par Bill Mckibben (1989) : la nature n’est plus vue comme sauvage, extérieure, immaculée, mais comme intriquée à l’humain et à son histoire. Or, la valeur culturelle et mnémonique du patrimoine naturel s’avère plus importante que la valeur productive du capital technique. Nous verrons toutefois que cet argument culturel et mnémonique souffre de certaines faiblesses, et qu’il ne peut avoir une portée politique.

Au chapitre 5 est développée la seconde réponse à la question difficile, qui met l’accent sur la valeur coopérative du patrimoine naturel, liant social qui offre un ultime rempart aux personnes défavorisées. Amenuiser ce liant social à coup de DECC aggrave les inégalités économiques, politiques et écologiques, amenuisant ainsi la sécurité, la stabilité et la confiance sociale au sein des sociétés d’aujourd’hui et de demain. Hériter de conditions sociales et environnementales favorables à la coopération sociale est plus important qu’une hausse du potentiel productif. Autrement dit, si l’on doit préserver le patrimoine naturel, c’est notamment pour pouvoir (aujourd’hui et demain) préserver les conditions de la coopération durable.

La troisième partie sera consacrée au design institutionnel de la justice intergénérationnelle. Le chapitre 6 sera essentiellement dédié au marché du carbone, mécanisme climato- économique favori de nombreux gouvernements du monde. Plusieurs prétendent que le marché du carbone est à la fois efficient pour lutter contre les CC (pour le bien des générations futures) et qu’il peut être équitable entre les vivants. Nous critiquons cette position, en montrant que plusieurs caractéristiques du marché du carbone font en sorte qu’il

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sera toujours hautement probable que les entreprises régies par ce marché auront à la fois le pouvoir et la volonté de manipuler le marché du carbone à leur avantage. Autrement dit, ce marché risque de continuellement reconduire les inégalités préexistantes, et s’avérer inapte à lutter efficacement contre les CC. Nous clôturons ce chapitre en proposant comme alternative une forme particulière de taxation du carbone, dont le rôle serait plus limité.

Le marché du carbone n’est qu’une mesure parmi d’autres. Or, le dernier chapitre vise à défendre une réforme politique qui pourrait s’appliquer à différentes échelles (provinciale, fédérale, ou régionale) et qui aurait pour avantage d’accélérer l’introduction des mesures menant à la transition écologique, nous rapprochant ainsi des exigences de la durabilité forte. Il s’agit de rénover les démocraties par l’introduction d’une chambre tirée au sort et délibérative. Cela permettrait d’avoir une plus grande égalité politique entre les vivants, et aurait quatre avantages du point de vue de la durabilité : vertus éco-épistémiques; horizon temporel ouvert; rééquilibrage des intérêts générationnels; protection contre les intérêts court-termistes des entreprises privées. Sans tenir les rênes du pouvoir législatifs, nous plaiderons qu’une telle chambre aurait tout de même une incidence politique, sociale et économique considérable.

Une dernière mise en garde avant de nous lancer dans le cœur du sujet. Cette thèse souffre de plusieurs angles morts. Les questions d’éthique intergénérationnelle sont interconnectées à une multitude d’enjeux connexes, et les filons que l’on peut tirer et ausculter sont peut-être sans fin. Par exemple, l’on pourrait reprocher à cette thèse d’éclipser le point d’intersection entre la préservation de l’environnement et l’éthique animale; d’éclipser le problème de la non-identité qui a tant (trop!) fasciné les philosophes jusqu’ici; d’éclipser un géant comme Hans Jonas; d’éclipser l’enjeu de la surpopulation, des déchets nucléaires; etc. Nous avons voulu éviter le risque de trop nous éparpiller dans ces divers enjeux. Ce sont effectivement des enjeux prégnants, qui ne recevront pas ici le traitement qu’ils méritent. Nous osons tout de même croire que le lecteur aura amplement de quoi se mettre sous la dent dans les pages qui suivent.

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PARTIE I – L’ÉTENDUE GÉNÉRATIONNELLE DE LA