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Exemples de cas concrets

4.1.2.2 Plan Regulador de Curitiba

Curitiba, ville du sud du Brésil, est considérée comme une des villes les « plus intelligentes au

monde », grâce à une politique stricte de cohérence entre urbanisme et transports publics. Cette

stratégie de développement urbain a été d’autant plus efficace qu’elle a été mise en place au moment où la ville a été soumise à une très forte pression démographique28.

Les premières velléités d’aménagement remontent au 19e siècle et un premier plan moderne (le premier plan directeur au Brésil) est adopté en 1943, mais celui-ci est rapidement dépassé par la pression démographique. Tout comme Copenhague, Curitiba n’a pas attendu la fin du 20e siècle pour mettre en oeuvre les grands principes du TOD. En 1966, la ville adopte un Master Plan, le Plan Regulador de Curitiba, visant à régir le développement urbain selon quelques principes (Rabinovitch, 1996 ; Macedo, 2004) :

● Décongestion et protection du cœur de ville ;

● Amélioration et diminution du coût collectif des réseaux et infrastructures urbaines ; ● Gestion de la pression démographique ;

● Transparence à propos des projets d’urbanisme afin de limiter la spéculation.

27 Le financement d’un tel projet a été sous-évalué et la crise a diminué la demande attendue. Dès lors, le financement a dû être prolongé de plusieurs années.

En termes de mesures d’aménagement, cela s’est traduit par un développement urbain linéaire : les densités les plus fortes le long des axes principaux29au lieu d’une approche radiale à partir du centre-ville (ce qui était le cas dans le plan de 1943). Le centre-ville est alors piétonnisé et son patrimoine protégé et réservé à certaines fonctions précises (culture, habitat, horeca). En outre, est instaurée une règle d’affectation du sol qui réserve 35 % pour les routes, les espaces publics

et les espaces verts (Rabinovitch, 1996).

Ces principes d’aménagement ont mené à divers projets urbains (Wilmotte, 2016, p.17) :

● Choix de cinq axes de développement rayonnant à partir du centre-ville : installation d’un transport collectif en site propre (TCSP) sur un couloir central, construction de deux axes parallèles de pénétration urbaine (2 x 3 voies) et forte densification aux abords des axes et des arrêts30 ;

● Aménagement des espaces publics favorable aux modes doux : pistes cyclables, cheminements piétons convergeant vers les arrêts de TCSP et traversées piétonnes des voies automobiles facilitées ;

● Développement d’un vaste parc d’activités de 40 km2 au sud-ouest de la ville, bien connecté à la ville grâce aux TCSP ;

● Mise en place d’une politique foncière grâce à deux agences d’urbanisme dédiées aux abords des axes de TCSP : acquisition et valorisation foncières, construction de logements à bas coûts et projets à haute densité ;

● Préservation des abords du cours d’eau traversant la ville et développement des parcs publics, ce qui a permis de faire passer le taux d’espaces verts de 0,5 m2/hab. en 1970 à 50 m2/hab. en 1992.

29 Les plans normatifs définissent aussi la hiérarchie des voies de transports à travers l’ensemble de la ville. Les axes TCSP sont les plus importants de la ville.

30 La densification est garantie par des ratios prévus dans les plans normatifs d’aménagement : les densités sont décroissantes à partir des axes de TCSP.

Figure 12 : Le Plan Regulador de Curitiba (source : http://ecococos.blogspot.be/2011/02/curitiba-brasil-

planeamiento-urbano.html-).

Le TCSP choisi est le bus à haut niveau de service (BHNS)31 : il s’agit de bus articulés, en site propre, avec un cadencement élevé. Les systèmes d’arrêts innovants permettent de limiter au maximum le temps d’arrêt et un réseau de bus classiques permet le rabattement. Le BHNS a permis d’atteindre un niveau de service égal à celui du tramway ou d’un petit métro, pour un coût respectivement 10 fois et 100 fois inférieur. Exporté à travers le monde entier, ce système est devenu une vitrine mondiale pour la ville (Urbanités, 2014). Suivant l’extension urbaine, sa fréquentation est passée de 54.000 passagers par jour à plus de 2,4 millions aujourd’hui (Urbanités, 2014). Avec un indice de 3,59 passagers par km32, les bus de Curitiba ont un des indices de rentabilité le plus

élevés du monde. 75 % des déplacements pendulaires sont effectués en bus. Le réseau est à ce

point rentable qu’il est privatisé et ne bénéficie d’aucun financement public, et est entièrement financé par les usagers (Rabinovitch, 1996).

Le modèle de Curitiba repose donc sur la mise en place d’une régulation du développement urbain au bon moment, juste avant la croissance fulgurante de la ville. La politique urbaine est intégrée entre les questions d’urbanisme, de transport, d’environnement et de patrimoine et a permis un réel

report modal de la voiture vers le bus dans un contexte urbain multifonctionnel.

Toutefois, le système de bus a atteint ses limites en termes d’efficacité et de capacité, bien qu’il ait fait l’objet de nombreuses améliorations : bus bi-articulés, priorité aux feux, lignes « express », fréquence augmentée pouvant aller jusqu’à un bus par minute et pouvant transporter 20.000 passagers par heure pour les plus performants. Le paradoxe est que l’on constate depuis plusieurs années que ce système de transport en commun perd un grand nombre d’usagers au profit de

31 “Le Bus à Haut niveau de Service ou BHNS est un véhicule sur pneu, guidé ou non, aménagé comme un système global lui permettant d’obtenir un niveau de service proche d’une ligne de métro. Ce niveau de service comprend donc des temps de trajet performants et garantis, une forte fréquence, une information de qualité et bien souvent, un accès de plain-pied”. Source : http://www.revue-urbanites.fr/chroniques-curitiba-

la-chute-dun-modele/

l’automobile. Curitiba enregistre d’ailleurs 2,5 fois plus de licences de voitures que de nouvelles naissances, soit plus qu’à Brasília, ville conçue pour la voiture (Urbanités, 2014).

De plus, le modèle de Curitiba est mis à mal par l’absence de gouvernance intégrée à l’échelle

métropolitaine car la croissance urbaine rend nécessaire une concertation supracommunale.

Curitiba attire une population pauvre, ce qui provoque le développement de favelas, créant des problèmes sociaux et environnementaux. La ville était parvenue à limiter ce projet par un développement urbain inclusif (Macedo, 2004) mais le challenge se situe désormais à l’échelle métropolitaine.

En conclusion, malgré le fait qu’il soit aujourd’hui en perte de vitesse, l’exemple de Curitiba est intéressant pour son approche intégrée urbanisme-transport-patrimoine, la performance de

son réseau de BHNS dont le fonctionnement est entièrement assuré par les usagers, ainsi que

pour sa politique foncière et sa planification territoriale basée sur les infrastructures de

transport.

Les particularités de l’aménagement de Curitiba qui pourraient inspirer en Wallonie sont résumées dans le tableau ci-après (Rabinovitch, 1996 ; Macedo, 2004) :

● Approche intégrée urbanisme-transport-patrimoine ;

● Plans d’aménagement découlant des infrastructures de transport ; ● Urbanisation linéaire selon une approche par axe ;

● Création d’un parc d’activités bien desservi en TCSP ;

● Règle limitant la surdensité : 35 % de l’espace doit être réservé aux espaces publics, ce qui a permis de créer suffisamment d’espaces verts et publics ;

● Infrastructures lourdes (voies réservées, quais spécifiques) pour un matériel léger (BHNS), permettant de diminuer le coût pour un confort maximal avec des innovations légères en coût ;

● Réseau de transport collectif rentable et privatisé.

● Transparence de l’information limitant la spéculation foncière et immobilière ; ● Politique foncière avec anticipation et valorisation du foncier public ;

Tableau 5 : Mesures innovantes du Plan Regulador de Curitiba (Wilmotte, 2016).

4.1.2.3 Les PACA de l’agglomération franco-valdo-genevoise

Ville de 200.000 habitants, Genève compte une aire urbaine de plus de 900.000 habitants, à cheval sur la Suisse et la France. Les pôles secondaires de l’agglomération sont situés en France : Thonon- les-Bains, Annemasse, Saint-Julien-en-Genevois ou Bellegarde-sur-Valserine. Seul Gex est situé en Suisse.

Marqué par une doctrine ruraliste et une volonté nationale de protection des paysages, une loi fédérale de 1952 réclame que les cantons atteignent, si possible, l’autosuffisance alimentaire. À Genève, un petit canton urbain, les terres agricoles ont été largement préservées et la périurbanisation s’est effectuée en France essentiellement. Dans le même temps, le centre-ville a fait l’objet d’une attention particulière avec des schémas directeurs dès 1950. Toutefois, la congestion menace l’attractivité urbaine par les mouvements pendulaires des frontaliers français. Parallèlement, une prise de conscience environnementale remonte aux années 1980 par l’adoption de plusieurs lois fédérales visant à limiter l’étalement urbain et à l’investissement massif dans les infrastructures ferroviaires (Wilmotte, 2016 ; Gallez & Kaufmann, 2010).

Les enjeux de la congestion et des problèmes environnementaux ont forcé les collectivités locales de la métropole à développer une vision métropolitaine du développement urbain. Si des problèmes subsistent quant à la répartition de la charge financière des projets prévus et la coordination des réseaux de transports, un accord intervient sur un projet d’agglomération « Franco-Valdo-

Genevois », basé sur une politique intégrée urbanisme – transport – paysage. L’agglomération

dont il est question intègre deux cantons suisses (Genève et Vaud) et deux départements français (Ain et Haute-Savoie).

Le principal projet est le CEVA, projet de liaison ferroviaire entre l’ouest et l’est de la ville en passant par Cornavin (gare centrale) – Eaux Vives – Annemasse. Il envisage de connecter les deux axes ferroviaires de part et d’autre du Lac Léman et de développer un RER à l’échelle de la métropole (Guller Architecture & MRS Partner, 2012).

Afin de permettre aux acteurs locaux de se saisir d’un grand projet métropolitain, des Périmètres

d’Aménagement Coordonnés d’Agglomération (PACA)33 ont été initiés. Il s’agit d’un échelon de

gouvernance intermédiaire entre l'agglomération et les communes. Les PACA correspondent

à des axes de développement qui doivent faire l’objet d’un schéma d’aménagement permettant de « veiller au suivi et à la coordination de la mise en œuvre du Projet d'agglomération, de conduire des démarches test et d'approfondissements sur des sujets à enjeux (ex : économie, logement, mobilité, paysage, etc.) et d'être une plateforme d'échanges et de discussions pour les démarches et projets menés à l'échelle locale. » (Grand Genève, 2012). Les PACA possèdent un comité de pilotage politique et un comité technique pour les aspects opérationnels et l’organisation de la participation citoyenne à une échelle pertinente (Meunier-Chabert, 2015). Certains PACA sont moins efficaces, il s’agit de ceux couvrant les plus grandes superficies, ce qui souligne la difficulté pour les collectivités locales de s’approprier le projet de territoire (Wilmotte, 2016).

Figure 13 : Les PACA de l’agglomération franco-valdo-genevoise (Grand Genève, 2012). Relevons que des contrats d’axe ont été mis en œuvre pour respecter les engagements des

PACA (pour rappel, eux-mêmes issus du projet de territoire Franco-Valdo-Genevois). Le projet de

BHNS entre Ferney et Gex est progressivement mis en place en échange de la création de logements pour 6.400 habitants à moins de 500 mètres des arrêts du BHNS. Le quartier de la gare d’Annemasse (2ème ville de la métropole, mais située en France) fait l’objet d’un projet d’envergure métropolitain avec la liaison CEVA, la mise en place d’un BHNS au cœur de ville et le prolongement du tram genevois jusqu’à la gare. Dans le même temps, le quartier de gare doit accueillir une cité de la solidarité avec des ONG à la recherche d’une localisation proche de Genève et de la Suisse (Meunier-Chabert, 2015).

Le cas genevois met en évidence les tensions transnationales entre les populations du centre-ville, les Suisses, et les périurbains, les Français, notamment sur les moyens de financement. La difficulté de l’émergence d’une vision commune repose sur les visions opposées, exacerbées par des collectivités représentant des États différents.

En conclusion, l’exemple de Genève est intéressant notamment pour son volontarisme dans un

contexte transfrontalier où l’usage de la voiture par les frontaliers est important. La mise en cohérence urbanisme-transport-paysage et le système de gouvernance sont à prendre en

exemple.

Les particularités de l’aménagement genevois qui pourraient inspirer en Wallonie sont résumées dans le tableau ci-après (Gallez & Kaufmann, 2010 ; Grand Genève, 2012 ; Guller Architecture & MRS Partner, 2012) :

● Approche intégrée urbanisme-transport-paysage ;

● Loi fédérale de protection des terres agricoles dans le but de favoriser l’autosuffisance alimentaire limitant l’étalement urbain ;

● Investissements massifs dans les infrastructures ferroviaires par le gouvernement fédéral : nouvelles liaisons à créer dans le milieu urbain (projet CEVA) ;

● Développement polycentrique avec des quartiers de gare accueillant des fonctions métropolitaines ;

● Développement urbain linéaire (les PACA) dans le cadre du projet de territoire ;

● Participation citoyenne la plus proche possible de la population, organisée par axe de développement vers la ville ;

● Souplesse du système de gouvernance avec la mobilisation de divers leviers/outils. Tableau 6 : Mesures innovantes des PACA de l’agglomération franco-valdo-genevoise (Wilmotte,

2016).