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Concilier aménagement et développement durable

1.2 L'aménagement : des politiques au dé de la durabilité

1.2.2 La place de la ville dans les politiques  durables 

Nous avons donc souligné l'importance de l'inscription territoriale des politiques visant à réaliser les objectifs du Rapport Bruntland. Dés lors, il s'agit de penser le dé- veloppement durable selon les caractéristiques de chaque territoire : réexion sur les modèles de production agricole dans les territoires ruraux, géographie du risque dans les territoires montagneux, reconversion des territoires industriels... Les territoires seront d'autant plus impactés par l'action humaine qu'ils seront source d'implanta- tion des activités économiques. En eet, bien qu'ayant été au départ dissociés, le développement durable et l'étude de la localisation des activités économiques sont en fait étroitement liés (Olszack, 2010).

1.2.2.1 La dimension urbaine du développement durable

Les territoires urbains sont à ce titre les premiers concernés par les évolutions dûes aux activités humaines. Outre qu'ils sont un pôle de concentration des activités économiques, ils sont en conséquence également le lieu privilégié du développement

résidentiel. Nous avons ainsi pu voir que, dès le XIXème siècle, les villes étaient le

théâtre d'une concentration des nouvelles populations  prolétarisées , se concen- trant autour des industries. Face aux dés de l'urbanisation apparus lors de la révo- lution industrielle et plus encore au XXème siècle, diverses théories relatives à l'amé-

nagement urbain avaient vu le jour, poussant à la naissance d'une nouvelle science : l'urbanisme. Il s'agissait alors d'imaginer un territoire urbain idéal, fonctionnel, re- productible, correspondant à des  types idéaux d'agglomération urbaine  (Choay, 1965), qualiés d'utopies. Nous avons déjà évoqué les utopies urbaines du XIXème

siècle, notamment celles élaborées autour de la ville industrielle et de l'hygiénisme. Au XXème siècle, le modèle de la ville fonctionnelle sera dominant, notamment au-

tour de Le Corbusier. Celui-ci, intégrant l'apparition de l'automobile utilisera une approche sectorielle pour diviser l'organisation urbaine en quatre fonctions :  Ha- biter, travailler, se recréer, circuler  (Le Corbusier, 1941). Les fonctions urbaines sont dissociées, la circulation étant optimisée pour assurer la meilleure accessibilité possible (Frémond, 2015). Ces conceptions seront popularisées par la signature de la Charte d'Athènes en 1933, et se concrétiseront en particulier dans le contexte de la reconstruction des villes après-guerre, ou dans la construction de villes nouvelles dans les pays en développement (Brasilia). Cette  ville fonctionnelle  trouve ainsi un écho très favorable dans le contexte du  tout-développement .

Par la suite, les politiques d'accession à la propriété et le désir des populations urbaines de vivre à proximité des espaces naturels conjugués à l'augmentation des prix du foncier verront se développer les habitats résidentiels faisant s'étendre les villes : c'est l'apparition du  périurbain , avec en corolaire le phénomène d'étale- ment urbain, d'articialisation des sols et d'augmentation du trac automobile. A la construction de grands ensembles et la tendance à l'habitat collectif a succédé l'âge d'or de la maison individuelle. La quête du bonheur individuel, tant du point de vue du statut social (accès à la propriété) que de celui du cadre de vie, amène les ménages à orienter leur choix de localisation résidentielle dans des espaces leur orant le meilleur compromis. Cette rationnalisation des comportements individuels se retrouve notamment dans les théories de la Nouvelle Economie Urbaine, issues des travaux d'Alonso (1964)10, marquant la découverte et la mesure par les écono-

mistes des forces d'agglomération et des richesses que celles-ci produisent. Cette école

10. se fondant comme la capacité des individus à acquérir des biens économiques, à partir de la notion de maximisation de l'utilité. On suppose qu'un individu rationnel va orienter ses choix de consommation, de localisation, de transport, à partir d'un arbitrage entre les coûts et les prots qui vont en découler (Fujita, 1989)

connaît son âge d'or dans les années 1970, au moment où le phénomène de périurba- nisation s'arme. La prise en compte du souhait d'accès aux aménités vertes (rente d'externalité, Richardson, 1977) entérinera de fait le phénomène d'étalement urbain. En résumé, ces comportements de localisation des activités économiques et humaines dans les villes et les projets d'aménagement urbains qui en découlent aboutissent à des conséquences environnementales, économiques et sociales. Les trois sphères du développement durable. Par conséquent, la question de l'aménagement urbain revêt une dimension capitale pour satisfaire à ces objectifs. L'étude des interactions entre l'homme et le milieu urbain est ancienne. L'école de sociologie de Chicago, dont nous avons déjà parlé, a ainsi apporté un éclairage par l'utilisation de l'écologie humaine pour expliquer l'interdépendance des activités en milieu urbain. L'évolution de la composition des territoires urbains est marquée par les comportements collectifs, les compétitions entre groupes sociaux et l'évolution du statut social des individus. Enrichi dans les années 1960 par l'approche de l'écosystémique urbaine (Wolman, 1965 ; Stoddart, 1968 ; Forrester, 1969), cette approche systémique, promouvant par ailleurs un idéal d'autosusance géré par les acteurs locaux (Emeliano, 2010) peut être considérée comme un prémice de ce que l'on nommera plus tard la  ville du- rable . La systémique apporte par ailleurs un élément méthodologique et scientique qui paraît fondamental pour appréhender le concept de développement durable. Elle permet la compréhension et la modélisation des phénomènes d'aménagement urbains, sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir plus en détail dans le chapitre 2. Les travaux et la manière d'appréhender le territoire urbain fournissent ainsi un cadre conceptuel et méthodologique pro- pice à une application dans le cadre des objectifs établis par le rapport Bruntland. Il s'agit de repenser l'organisation locale des villes, face à l'impératif de sortir du tout-automobile et de l'étalement urbain, deux symptômes identiés comme parti- culièrement dommageables à l'environnement et à la viabilité du système. Repenser la forme urbaine et les modes de transport apparait ainsi comme le fondement d'une politique durable à l'échelle urbaine.

Paralèllement, il nous faut souligner que la ville tient également une place consi- dérable à l'échelle globale. A l'aube du XXIème siècle, près de la moitié de la popula-

tion mondiale vit dans un espace urbain. Dans le cadre de la mondialisation libérale et de l'internationalisation des relations, les territoires urbains, métropolitains sont plus que jamais les espaces charnières des échanges et des prises de décision, lieu

de  maximisation des interactions sociales  (Claval, 1981) où se développent les processus d'innovation et de diusion (Hagerstrand, 1953) à la base de véritables dynamiques faisant des villes des territoires en constante évolution (Pumain, 1982, 1997). Les lieux de pouvoirs y sont généralement concentrés, de même que souvent les mouvements de contestation, d'émulsion démocratiques, scientiques... De sorte que le volet du renouveau participatif, de la prise de décision et des relations in- ternationales devant accompagner le développement durable trouve aussi une place prépondérante en territoire urbain. De cette façon, la ville se révèle comme un ter- ritoire moteur dans la mise en oeuvre des objectifs de durabilité, par la double liation (Hamman, 2012), locale et globale, dans laquelle elle s'inscrit par rapport au développement durable.

1.2.2.2 Repenser l'aménagement urbain par un changement de para- digme : promotion de la ville durable

Au moment où apparaissent les problématiques relatives au développement du- rable, l'aménagement urbain est donc pensé à travers des théories relevant souvent des utopies urbaines, produisant des modèles urbains  passéistes  ou  progres- sistes , dont certains sont dominés par une logique fonctionnaliste (Choay, 1965). Celle-ci est souvent critiquée, par manque de prise en compte de l'histoire et du contexte (Choay, 1965 ; Héran, 2011). De plus, ces modèles, par le fait qu'ils soient pour la plupart basés sur la circulation automobile, les rend dicilement compa- tibles en l'état avec les impératifs de développement durable et de réduction des gaz à eet de serre. Il faut alors repenser la ville à l'aune des nouveaux impéra- tifs issus du rapport Bruntland et du sommet de Rio. Cela nécessite de rompre avec le tout-automobile et de stopper la périurbanisation galopante. La ville doit être auto-susante (Morris, 1982) et ne doit pas exporter à l'extérieur ses coûts de développement (Mitlin et Satterthwaite, 1994). De plus, l'approche sectorielle qui prévalait jusque là, notamment dans la vision fonctionnaliste, doit être remplacée par l'approche systémique, évoquée plus haut, qui seule sera en mesure d'envisager les problématiques urbaines dans leur globalité. C'est donc à un véritable change- ment de paradigme que l'on assiste dans la manière de penser la ville. Celle-ci a vocation à être pensée par une approche plus pragmatique, basée sur les principes de la démocratie participative chère aux promoteurs du développement durable (Hé- ran, 2015). La  durabilité  d'une ville est en eet forcément relative au contexte historique, géographique et culturel qui l'entoure (Emeliano, 2010). Nous retrou-

vons ainsi la triple dimension permettant de dénir le territoire, ici urbain.

Ce changement de paradigme va ainsi porter la  ville durable  sur les fonds bap- tismaux, fruit d'une double exigence : critique quant à l'organisation des villes au regard des enjeux environnementaux, pragmatique quant à la mise en application, l'expérimentation et la consultation étant préférées à l'application arbitraire d'un modèle théorique (Emeliano, 2007). L'approche globale, les interrelations entre diérents territoires et à diérentes échelles propres à l'application des objectifs du sommet de Rio sont évidemment une problématique incontournable. Ainsi, en 1994, G. Haughton et C. Hunter donneront cette dénition :  Une ville durable est une ville dans laquelle les habitants et les activités économiques s'eorcent continuelle- ment d'améliorer leur environnement naturel, bâti et culturel au niveau du voisinage et au niveau régional, tout en travaillant de manière à défendre toujours l'objectif d'un développement durable global . Dés lors, des actions concrètes, notamment dans le cadre des agendas 21, sont lancées pour promouvoir la ville durable. En Europe, avec le soutien de la Commission Européenne, un Livre vert sur l'aména- gement urbain (Commission des Communautés europpéennes, 1990) est lancé an d'encourager une réexion approfondie sur la durabilité dans les agglomérations européennes : les villes européennes sont invitées à partager leurs expériences et à identier les meilleures pistes possibles pour l'implémentation des politiques du- rables. La promotion des collectivités locales par le sommet de Rio incite d'autant plus ce type d'échange. Dans cet esprit, 67 collectivités locales vont se réunir en mai 1994 dans la ville danoise d'Aalborg, aboutissant à la signature d'une charte où les villes reconnaissent leur rôle et leur responsabilité historique à assurer des politiques durables, au plus près des citoyens, en s'appuyant sur leur dimension locale (Charte d'Aalborg, 1994). Elles s'engagent à la mise en place d'un programme stratégique d'actions à mener pour le XXIèmesiècle, redénissant les politiques urbaines dans une

optique durable de préservation des ressources et de respect de l'environnement, en s'appuyant sur les acteurs et les citoyens. Cette charte est souvent présentée comme l'opposé de la charte d'Athènes, fonctionnaliste et autoritaire. Elle sera ratiée par plus de 2500 collectivités européennes dans les années qui suivent, mettant en place un véritable réseau des villes durables. Le mouvement s'internationalise, avec en 1996 la conférence de Lisbonne, s'ouvrant aux pays de la rive sud de la Méditerrannée. A l'issue de cette conférence, le rapport Villes durables européennes recommande une approche écosystémique dans la manière d'envisager l'aménagement urbain.

En parallèle, de nouveaux courants de réexion apparaissent an de promouvoir un nouveau modèle de développement urbain : nous pouvons citer la promotion du Transit Oriented Devlopment (TOD) par Peter Calthorpe (1993), qui intègre l'objec- tif de lutte contre l'étalement urbain, la promotion des modes de déplacements doux et des transports en commun, par exemple par le développement du rail (L'Hostis et al., 2009 ; L'Hostis et al., 2013), dans le cadre d'une ville plus compacte appuyée sur le principe de mixité fonctionnelle. De même, nous voyons apparaître dans les années 1990 les courants nord-américains de la smart growth et du new urbanism favorisant, par une approche multi-échelle, une ville plus compacte, plus  huma- nisée , mêlant esthétique urbaine et mixité fonctionnelle (Talen, 2000 ; Al-Hindi et Till, 2013 ; Frémond, 2015). Enn, l'apparition des éco-quartiers dans les villes européennes est l'un des symboles les plus visibles de ce changement d'orientation des politiques d'aménagement urbain. Soulignons toutefois que l'éco-quartier, conçu et présenté comme le nouveau type d'urbanisme  idéal , ressemble en cela aux utopies urbaines, prenant parfois mal en compte les réalités du terrain (et donc les impératifs locaux de durabilité), ce paradoxe montrant ainsi que la persistance de l'ancien paradigme n'a pas disparu, y compris au sein de l'élaboration de la ville durable (Héran, 2015).

Au tournant des années 1990, le  développement durable  est donc l'option retenue pour appréhender les nouveaux dés économiques, sociaux et environnementaux qui se posent à l'humanité. Compromis entre préservation environnementale et nécessité de croissance économique destinée à favoriser le progrès humain et social, ses fonde- ments en sont ainsi ous et fragiles. Il n'en demeure pas moins que la  durabilité  va s'imposer dans l'agenda international, à partir du Sommet de Rio en 1992. Ce tournant sera l'occasion de repenser la prise de décision, l'aménagement des terri- toires, aux premiers rangs desquels les territoires urbains. En butte à ses limites et à ses crises, le  système  ville est amené à se repenser sur la base de la durabi- lité. La  ville durable  deviendra ainsi un des piliers des actions de transformation du territoire. Si cette décennie des années 1990 est celle des grands espoirs d'une transition  durable , cet élan va rapidement montrer des signaux de faiblesse et d'essouement.