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Concilier aménagement et développement durable

1.2 L'aménagement : des politiques au dé de la durabilité

1.2.1 La  consécration  du développement durable

Nous l'avons vu, il fut dans un premier temps dicile de mettre sur le devant de la scène les préoccupations environnementales, pour les raisons évoquées plus haut. Mais l'on nira par assister peu à peu à une prégnance de plus en plus armée de ces questions, notamment en raison de l'actualité et du changement de contexte international.

1.2.1.1 La prise de conscience

La multiplication des catastrophes environnementales dans les années 1970-1980 (Seveso 1976, Amoco Cadiz 1978, Three Miles island 1979, Bhopal 1984 et Tcher- nobyl 1986), ainsi que les premiers symptômes d'un changement climatique, dû notamment aux gaz à eet de serre produits en grande quantité par l'activité hu- maine (dégradation de la couche d'ozone, sécheresse, fonte des glaces) vont faire prendre conscience à l'opinion publique de la vulnérabilité de l'environnement face à l'activité humaine. Paralèllement, la n de la guerre froide et la chute du bloc communiste bouleversent la donne géopolitique : le  développement  érigé en idéo- logie après-guerre pour contenir la menace soviétique devient inutile et les aides au

développement distribuées par l'Occident s'eondrent, les régimes autoritaires dis- paraissent pour laisser la place à des systèmes multipartites où la contestation se développe et favorise l'émergence de la société civile tandis que le modèle de mon- dialisation libérale s'implante pratiquement partout sur la planète, favorisant le rôle des ONG et des grandes entreprises (Brunel, 2004).

C'est dans ce contexte de bouleversements mondiaux et de prise de conscience progressive du besoin de protéger l'environnement et les ressources que le déve- loppement durable va pouvoir s'armer sur la scène publique et internationale. A la suite de la publication du rapport Bruntland, l'ONU organise en 1992 un  som- met de la Terre  à Rio de Janeiro9. L'objectif est, cette fois, d'obtenir une prise de

conscience et ainsi un engagement ociel et important des Etats en faveur de la pro- tection de la planète et la transition vers un nouveau système d'organisation fondé sur les principes énoncés dans Notre avenir à tous. Ce sommet réunissant 178 pays, 110 chefs d'Etat et de gouvernement ainsi que près de 2500 représentants d'ONG est généralement considéré comme celui de la  consécration  du développement durable. Les principes de celui-ci vont en eet guider les résolutions prises à l'occa- sion de ce sommet, qui abouti à la  déclaration de Rio  sur l'environnement et le développement,  Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature. (...) Pour parvenir à un développement durable, la protection de l'envi- ronnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément.  (ONU, 1992). Nous voyons bien ici la volonté de compromis entre impératif de développement humain et nécessité de protéger l'environnement. Ce texte composé de 27 principes entérine notamment les principes de précaution et de pollueur payeur, ainsi que les objectifs de lutte contre la pauvreté et de chan- gement de modes de production et de consommation (Tsayem-Demaze, 2009). Un autre texte fondamental va émerger de ce sommet : celui de l'Agenda 21. Ambitieux document de 40 chapitres et quelques 2500 recommandations, il brosse un état des lieux des nombreuses problématiques humaines et environnementales et des actions à mener en conséquence pour satisfaire aux objectifs de  développement durable . Plusieurs niveaux d'actions sont identiés : national, régional et local, les pays si- gnataires s'engageant à entreprendre les politiques adéquates dans les décennies à

9. Il ne s'agit pas du premier sommet de ce type. Le premier, nous l'avons vu, était la conférence de Stockholm en 1972, suivi dix ans plus tard du sommet de Nairobi, celui-ci étant un profond échec notamment en raison du désintérêt des Etats-Unis pour la question, le Président Reagan se contentant de nommer sa lle comme représentante ocielle des Etats-Unis

venir. D'autres résolutions sont prises à travers diverses conventions, notamment sur le changement climatique, la diversité biologique, la protection des forêts...

Ce sommet aboutit ainsi à de grands engagements internationaux des diérents Etats et de leurs dirigeants, qui semblent intégrer l'impératif de développement durable dans leurs réexions. Il est intéressant de revenir ici sur les principes qui fondent ces engagements, et d'identier leurs limites et leurs paradoxes.

1.2.1.2 Principes, ambitions et fragilités

L'un des principes de base du développement durable étant la conciliation entre développement économique et impératifs environnementaux et sociaux, les engage- ments pris lors du sommet de Rio s'appuient sur ce principe pour tenter d'apporter une réponse globale et de trouver un équilibre entre diérents piliers. Mais, nous l'avons vu, le concept de développement durable s'appuie sur des bases concep- tuelles aussi vastes que oues. Ce ou  a conduit à l'élaboration de divers schémas, qui illustrent tout particulièrement la variabilité du concept, ces tentatives de sché- matisation reétant les incertitudes quant à son contenu  (Cans, 2009). A l'issue du sommet de Rio, la mise en oeuvre des politiques de développement durable semble ainsi s'appuyer sur le principe énoncé dans le rapport Bruntland de promouvoir  un développement ecace économiquement tout en étant socialement équitable et éco- logiquement supportable ou durable . Des interrelations existant entre les champs de l'économie, du social et de l'environnemental, la durabilité doit ainsi se situer à l'intersection des 3 champs. Ce principe sera rapidement formalisé sous la forme du célèbre schéma des trois sphères par Jacob et Sadler en 1990 (Figure 1.2).

Figure 1.2  Trois sphères du développement durable, d'après Jacob et Sadler (1990)

Néanmoins, il suscitera de nombreuses interrogations quant à sa pertinence et faisabilité, d'autant que le rapport Bruntland insiste sur la nécessité d'une crois- sance économique, certes pensée diéremment, mais indispensable tout de même à une meilleure répartition des richesses et autour de laquelle doivent s'articuler les politiques de préservation environnementale. Cette vision peut conduire à considérer que le pilier  économique  est à favoriser pour parvenir à l'équilibre souhaité. Elle est à rapprocher de celle des tenants de la du- rabilité faible. A l'inverse, des conceptions proches de la durabilité forte peuvent conduire à penser que la priorité est de protéger les ressources, préserver la planète, et donc assujettir les politiques économiques et so- ciales à l'impératif environnemental. C'est d'ailleurs l'orientation qui semble se dégager du sommet de Rio, où le domaine environnemental semble privilégié, no- tamment par les pays du  Nord face en particulier au problème du réchauement climatique. Une orientation discutée par les pays du  Sud , pour qui la lutte contre la pauvreté et pour le développement et l'amélioration des conditions de vie est la priorité. Cette divergence de vue recoupe ainsi en bonne partie le clivage entre Nord développé et Sud  en développement . Le principe d'équilibre entre les trois sphères montre dès lors ses fragilités face aux approches contradictoires qui le sous-tendent, en particulier celle pouvant conduire à hiérarchiser les sphères pour atteindre l'objectif de durabilité. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus en détails dans la deuxième partie.

Un autre principe fondateur du concept de développement durable est celui de re- penser la gouvernance et les jeux d'acteurs. La nouvelle donne géopolitique évoquée plus haut, l'essouement des modèles de démocratie libérale et des partis politiques, l'émergence de nouveaux acteurs issus de la société civile, du secteur associatif conduit à penser le développement durable en donnant la parole à ces nouvelles formes d'expression et de participation à la vie citoyenne. Ainsi, les documents issus du sommet de Rio insistent sur ces nouveaux jeux d'acteurs. Outre les décideurs traditionnels, institutionnels, l'accent est mis sur la nécessaire participation aux prises de décisions des populations lo- cales, des collectivités, syndicats, entreprises, scientiques, ONG etc. La notion de  démocratie participative  est ainsi promue comme corollaire d'une politique de développement durable réussie. Les résolutions des agendas 21 dénissent clairement l'objectif d'approches participatives et de dialogues avec les habitants, notamment au niveau des collectivités. Mais là aussi, ce principe se heurte à de nombreuses

limites. En particulier, le manque de précision dans la dénition du rôle et de la place des diérents acteurs dans les processus de décision. Quelle gouvernance pour le développement durable (Tsayem-demaze, 2009) ? Quelle cohérence, quels eets concrets d'une approche participative (Van den Hove, 2001) ? Encore une fois, le manque de précision rend l'application de ce principe aléatoire. Nous avons égale- ment déjà cité le problème de la vision libérale s'accordant mal avec une politique interventionniste qui semble pourtant nécessaire à la réalisation des objectifs du sommet de la Terre. Ainsi, le bilan des grands engagements, ambitieux, des Etats lors du sommet de Rio ( la décennie des bons sentiments , comme l'appelle Syl- vie Brunel, reposant sur des documents juridiquement non contraignants...(Brunel, 2004)) sera très mitigé, beaucoup de promesses n'ayant été tenues, faute en parti- culier de moyens.

Enn, il convient d'aborder la question relative à l'échelle d'intervention et d'ap- plication des politiques de développement durable. Ce dernier implique en eet d'adopter une vision globale,  planétaire , tout en favorisant la prise de décision et la participation des acteurs au niveau local : nous avons vu que les Agendas 21 déclinaient trois niveaux d'intervention : national, régional et local.  Penser global, agir local  devient ainsi le slogan phare, porteur en lui même d'un paradoxe. Il faut ainsi concilier une dénition d'objectifs et de politiques à l'échelle planétaire et leur déclinaison au plus près des acteurs de terrain, c'est à dire dans un espace restreint. Cet impératif conditionne d'ailleurs la réalisation des objectifs évoqués précédem- ment : équilibre et harmonie entre diérentes sphères et implication des acteurs. Là aussi, il s'agit d'éviter les écueils d'un trop grand ou dans les dénitions. A quoi doit correspondre cet  espace , ce  territoire  ? Ce dernier ne peut être réduit à une simple distance, source de coûts de déplacements et de transports, à quoi l'ont trop souvent réduit nombre d'économistes (Pecqueur et Zuindeau, 2010). La vision des géographes, lui donnant une triple dimension identitaire/existentielle, matérielle et organisationnelle (Le Berre, 1992 ; Laganier et al., 2002) prend ici tout son sens. C'est par leurs inscriptions dans les diérents échelons territoriaux, avec leurs spécicités, leurs acteurs et leurs organisations propres (Graillot et Waaub, 2006 ; Antoni et al., 2014) que les politiques  durables  semblent pouvoir être me- nées. L'enjeu est ensuite de pouvoir coordonner les politiques entre les territoires, en prenant en compte les interdépendances spatiales (Nijkamp et al., 1992) et l'impé- ratif d'équité, la durabilité interne d'un territoire ne devant pas nuire à la durabilité externe d'un ensemble supra-territorial ( Ne fait pas à autrui ce que tu ne vou-

drais pas qu'il te fasse  : principe de réciprocité, Zuindeau, 1994). Le territoire peut ainsi être pensé comme  une brique de base du développement du- rable (Theys, 2002), l'analyse de l'imbrication des diérents territoires de manière horizontale et verticale (diérents niveaux d'échelles) devant permettre une meilleure optimisation des jeux d'acteurs et des mesures destinées à favoriser la mise en oeuvre des principes du rapport Brunt- land. Vaste programme... sur lequel repose une partie de notre travail, comme nous aurons l'occasion de le voir plus loin.

La décennie 1990 apparaît comme celle de la  consécration  du développement durable, de sa mise en avant sur la scène internationale et auprès des  décideurs , grâce au travail de l'ONU et de l'évolution du contexte international. Si le sommet de Rio en 1992 permet de poser les principes de base des politiques de développe- ment durable et la xation d'objectifs ambitieux, les limites de ces principes et de ces volontés n'en apparaissent pas moins dès cette époque. Il met aussi en lumière la problématique de l'inscription territoriale des politiques durables, préalable à toute politique d'aménagement, qui nous concerne ici au premier chef. Nous allons notam- ment nous attarder sur un territoire central dans ces problématiques, objet de notre étude : la ville.