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Les indicateurs : des outils incontournables

3.3 Critiques et questionnements

3.3.1 Limites : quelle lecture du Développement Durable ?

En eet, nous avons mis en évidence dans les chapitre 1 et 2 la diculté d'appré- hender ce concept ou. Cette diculté se répercute concrètement dans les question- nements relatifs à toute méthodologie de construction d'indicateurs de durabilité.

3.3.1.1 Durabilité forte, durabilité faible ?

Il convient ici de revenir sur les diérentes manières d'appréhender les objectifs de durabilité qui s'intègrent dans les politiques d'aménagement menées depuis plus de deux décennies. Car, nous l'avons vu, si le concept de développement durable est ultra-consensuel, sa déclinaison concrète contient de multiples variantes. Les acteurs ont ainsi tendance à orienter leur vision du développement durable en conformité avec leurs intérêts (Rumpala, 1999). De fait, la mise en place d'une méthodologie appropriée peut buter sur la conception initiale de la durabilité qui préside à son élaboration. Les diérentes parties prenantes d'un projet d'aménagement ayant des intérêts ou des positionnements idéologiques divergents vont ainsi s'approprier le concept de développement durable à l'aune de leurs objectifs, pouvant ainsi faire émerger des approches  concurrentes  du développement durable, avec la diculté pour le scientique de pouvoir accorder ces divergences d'approche dans l'élaboration de sa méthodologie (Boutaud, 2002 ; Lourdel, 2005). La compréhension, l'appréhen- sion du terme de durabilité peut donc apparaître comme une controverse politique (Bond, 2010), provoquée par des approches divergentes. De ces diérences d'ap- proche, il en est une mise en évidence dans le chapitre 1 sur laquelle il convient de revenir ici : le clivage entre tenants d'une durabilité forte et ceux partisans d'une durabilité faible. Ces deux visions ont tendance à s'opposer, se situant chacune aux extrémités de ce que l'on peut englober dans le concept de développement du- rable (voir gure 1.1).

Les partisans d'une durabilité faible tendent ainsi à privilégier une approche plaçant l'économie au centre des préoccupations, les biens naturels n'ayant de valeur qu'en fonction des services qu'ils rendent à l'homme, qui peut ainsi pleinement les utili- ser en les transformant en capital transmis aux générations futures (Brodhag et al., 2004, cité par Lourdel, 2005). Cette approche, pouvant être qualiée d'économiciste, a pour particularité d'accorder peu d'importance à l'irréversibilité des phénomènes bio-physiques et à la limitation des ressources (Godard et al., 1991). En ce sens, les partisans de cette durabilité forte interprètent le concept de développement durable comme l'expression d'un développement centré sur l'économie permettant d'assurer une croissance durable. Cette vision se retrouve principalement chez les acteurs de la vie économique. Il accorde donc à la sphère économique une place prépondérante dans la recherche de la durabilité (Figure 3.11), reétant une vison anthropocentrée et utilitariste (Lourdel, 2005).

Figure 3.11  Schématisation des approches de durabilité forte et de durabilité faible, d'après Lourdel, 2005

A l'inverse, les partisans de la durabilité forte considère que les ressources natu- relles disponibles ne peuvent se voir substituées et que leur exploitation irresponsable peut conduire à des situations d'irréversibilité graves. Le principe de précaution est ainsi la base de cette approche (Marechal, 1996). Il s'agit de protéger l'environ- nement en évaluant et en anticipant les eets d'une politique sur celui-ci, et d'en déduire les mesures eectives à prendre pour parer aux dommages éventuels (ONU, 1992, Charte de l'environnement, 2004). Il s'agit ici d'une approche éco-centrée qui accorde cette fois à la sphère environnementale la place prépondérante, en considé- rant que l'activité humaine ne peut se faire au détriment des ressources naturelles et de l'ensemble des êtres vivants (Figure 1).

Ces deux approches tendent donc à s'opposer dans le domaine qu'elles estiment fondamental et, de fait, au-dessus de tous les autres. Entre cette opposition de vi- sions économicistes et environnementalistes, la sphère sociale a longtemps peinée à être prise en compte, bien que le mot développement renvoie en principe aussi à une notion d'éthique sociale (Sachs, 1999). Ainsi, le développement durable peut égale- ment être envisagé selon une approche socio-centrée, couvrant un champ plus vaste que la simple réduction de la pauvreté et des inégalités (solidarité, participation, accès équitable aux ressources...). Cette approche socio-centrée qui mettrait cette fois-ci la sphère sociale en dimension prioritaire et englobante pourrait elle même s'envisager avec en deuxième clé d'entrée la dimension économique ou la dimension environnementale (Lourdel, 2005)... Bref, nous voyons qu'il existe de nombreuses

approches quant à la manière d'appréhender la durabilité à partir des trois sphères du développement durable.

3.3.1.2 Quels poids pour quelles sphères ?

Ces approches de durabilité forte ou de durabilité faible ont comme particu- larité de favoriser une, ou plusieurs sphères, auxquelles on accorde une dimension prioritaire. Le choix d'une ou l'autre approche étant inévitablement lié à des consi- dérations politiques, économiques, stratégiques, donc subjectives il apparaît dicile d'en hiérarchiser la pertinence ou la légitimité. Nous pouvons en illustrer la com- plexité sur les graphiques suivants : la gure 3.12 résume ce que nous avons dit plus haut, avec la priorité donnée à l'une des sphères,la seconde (gure 3.13) montrant elle une possible approche combinant deux des trois sphères.

Figure 3.12  Diversité des positionnement dans la manière d'appréhender le sphères (1) (d'après Lourdel, 2005)

Cela permet de mettre en évidence que, comme le souligne Lourdel,  les dif- férents acteurs du développement durable n'ont pas la même position sur l'axe socio-économico-environnemental, utilisant le même terme mais avec des avis dif- férents, d'où les dicultés à s'entendre (Lourdel, 2005). L'importance accordée à chacune des trois sphères varie selon l'approche envisagée. dans un essai de typologie

Figure 3.13  Diversité des positionnements dans la manière d'appréhender les sphères (2) (d'après Lourdel, 2005).

des diérentes approches du développement durable, Boutaud a pu ainsi identier trois principales approches : l'approche technico-économiste (durabilité faible), l'ap- proche écosystémique (durabilité forte) et, entre les deux, l'approche consensuelle visant à donner un poids égal aux trois sphères et rechercher l'équilibre (Boutaud, 2005)(Figure 3.14). Nous voyons bien ici quels problèmes peuvent poser ces dié- Figure 3.14  Essai de typologie des approches du développement durable : échelle de perception, d'après Boutaud, 2005

rences d'approches dans la production d'indicateurs synthétiques et dans la manière de penser l'évaluation et l'aménagement d'un territoire dans sa globalité. Laquelle

choisir, sur quelle base, quels arguments ? L'économique, le social et l'environne- mental sont étroitement liés et indissociables dans le cadre de l'évaluation de la durabilité. Il en découle une forte complexité et une diculté dans les choix qui doivent présider à l'élaboration d'une méthodologie d'évaluation, qui nous intéresse ici. Faut-il privilégier une approche particulière, faut-il s'orienter vers une solution de consensus en donnant le même poids aux trois sphères ?