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Une pionnière et un « pédagogue génial »

Le rôle des pédagogues genevois dans la réception contrastée en Europe francophone

3. Une pionnière et un « pédagogue génial »

Robert  Dottrens s’est beaucoup intéressé à l’individualisation de l’enseignement-apprentissage, jusqu’à y consacrer un ouvrage (L’Enseignement individualisé, 1936/1967), et, ce faisant, s’est penché

5 « Les Écoles rénovées de Winnetka aux États Unis », no 14, janvier 1925, p. 3-5 ; « I. Le Problème de la

liberté en Éducation : L’Expérience des États-Unis - La liberté par la maîtrise de soi », n° 31, septembre- octobre 1927, p. 197-198 ; « Ce qu’il y a de bon et ce qu’il y a de mauvais dans l’éducation en Russie », n° 35, février 1928, p. 27-31, ; « Les Écoles de Winnetka », no 72, novembre 193p. 237-245, 1 ; « Science

et libre personnalité », no 123, p. 301-302, décembre 1936.

6 « Une enquête sur les fins de l’éducation », Pour l’ère nouvelle, no 67, p. 100-101, avril-mai 1931. 7 « I always cherish your friendship and our various contacts with each other during the last thirty-

five years. I hope circumstances will bring us together again in the not to distant future. With warm greetings to you and Mme Ferrière, greetings in which my wife heartily joins me, I am always your

friend, Carleton Washburne. » AIJJR, AdF/C/1/79-80, Archives de la correspondance entre Ferrière et Washburne.

avec attention sur les travaux et les propositions pédagogiques de Parkhurst et de Washburne, qu’il discute dans plusieurs de ses écrits.

On trouve la première mention de ces travaux par Dottrens en  1930 dans un article sur l’individualisation du travail à l’école primaire. Dans ce texte qui n’en présente pas une analyse approfondie, il associe les deux démarches pour formuler un premier avis :

« Le succès du plan de Dalton [et celui] de la méthode de Winnetka

prouvent surabondamment les résultats heureux que l’on peut attendre d’un changement des procédés didactiques. J’ai été vivement frappé et convaincu de la nécessité de ce changement en voyant l’application du plan de Dalton dans la West Green School à Londres. […] Cependant, je

ne pense pas que la méthode de Dalton ou celle de Winnetka soient le nec plus ultra d’une pédagogie normale. Les échanges d’idées entre maîtres et élèves, le travail en collectivité des uns et des autres ne sauraient être supprimés » (p. 50).

Cette impression fut par la suite nuancée à la faveur d’une lecture plus fine de la place du collectif dans chacune de ces propositions. Les mettant en perspective, il écrivit ainsi :« Il s’agit de la mise au point

remarquablement réussie d’un mode d’enseignement faisant une part équitable à l’enseignement individualisé et aux activités collectives. […]

En conclusion, le système de Winnetka est infiniment plus satisfaisant que celui de Dalton. » Dottrens souligne « en particulier [que] l’organisation

systématique des activités collectives » fait partie « des améliorations

considérables » permises par ce système (1949a, p. 362-363).

Sans que Dottrens renie l’intérêt de cette première expérience, son opinion sur le Plan Dalton semble évoluer à rebours de celle de Ferrière. Dans Le Progrès à l’école (1936), il consacre une partie de son propos aux « techniques fondamentales du travail libre et du travail individualisé » : les techniques de Freinet, le plan de Dalton et le système de Winnetka, dont il considère que « nos pays de langue française n’[avaient] pas

encore tiré tout le parti qu’il [fallait] » (p. 140). Il fait part de ses réserves quant au Plan Dalton tout en admettant que « les idées de Miss Parkhurst

sont celles de l’école active » (p.  112). Il se range finalement à l’avis de Henri  Bouchet, qu’il cite, qui concluait après avoir expérimenté le Plan Dalton pour comprendre les réserves de Ferrière, que le Plan Dalton était un outil précieux pour ceux qui ne jouissaient que d’une liberté relative pour faire évoluer leur enseignement. Le Plan  Dalton s’inscrit

en effet dans le respect de programmes imposés, ce qui limite de fait les options de réforme. Dottrens en vient à conclure que « Miss  Parkhurst

restera […] un pionnier dont l’effort personnel et l’œuvre si attirante par

certains côtés méritent la reconnaissance de tous les éducateurs » (1936, p. 138). Il prend ainsi avec le Plan Dalton des distances qui se trouveront encore plus affirmées par la suite, comme en  1949 où il écrivait dans un article consacré au Plan Dalton : « À la demande de notre rédacteur,

je donnerai dans quelques articles les renseignements essentiels sur les nouvelles techniques d’enseignement […] Je commencerai par parler des

méthodes qui sont le plus opposées à nos conceptions de travail » (1949b, p. 75). Après la description du plan et des exemples de fiches de travail, Dottrens conclut en présentant les avantages et les limites du Plan Dalton. La  longue liste des avantages cités (favorise l’activité à la mesure des possibilités individuelles, responsabilise les élèves, leur permet d’apprendre par eux-mêmes et d’apprendre à se servir des outils et des ressources à disposition, contrôle qui implique la présence de l’enfant à la correction et les explications du maître, atmosphère et disciplines transformées, gain de temps, suppression des devoirs, mutualisation du matériel au sein du laboratoire qui permet un meilleur équipement) ne semble pas lui permettre de relativiser les critiques qu’il formule ensuite. D’une part, « le

plan de Dalton […] procède d’une conception intellectualiste qui donne

l’importance principale à l’acquisition des notions », ce qu’il convient de mettre en perspective avec la nécessité de respecter les programmes ; d’autre part, « le travail daltonisé empêche de fonder l’enseignement sur

les intérêts et sur les besoins. Tout dépend des travaux qui sont imprimés. Ils sont les mêmes pendant des années. Il n’y a donc aucune adaptation possible, aucun recours à l’actualité, aucune variété, aucun changement » (p.  79) ; enfin, il « supprime le commerce entre le maître et les élèves et

donne au travail écrit une importance démesurée » (p.  79). Là encore, Dottrens prend le soin de souligner que « ces critiques ne doivent cependant

pas diminuer la valeur de l’œuvre de Miss Parkhurst. C’est un essai fort original […] le premier essai généralisé d’“école sur mesure” » (p.  79), qualification qui constitue en soi une reconnaissance significative.

Les écrits de Dottrens le révèlent, à l’instar de Ferrière, mieux disposé à l’endroit des propositions pédagogiques de Washburne, qu’il considère comme « l’un des grands éducateurs que les États-Unis s’honorent de

posséder », qui « a magistralement résolu » la question de ce que « peut apprendre l’élève » (1943, p.  112-113). Dans le chapitre qu’il consacre à Washburne et à Winnetka dans Le Progrès à l’école, il présente même

l’Américain comme « l’auteur d’un système nouveau d’enseignement

qui [lui] apparaît être celui qui correspond le mieux à [sa] conception

de l’éducation publique » (p.  138). Il fait référence à des critiques qu’il attribue à Ferrière et écrit :

« Ferrière reproche à Washburne d’assigner à l’enseignement un but trop

utilitaire, d’avoir refondu les plans d’étude en prenant comme critère du choix des connaissances la diffusion la plus grande, ce qui, dit-il, est pédagogiquement faux, enfin d’avoir échelonné les difficultés en se basant sur des observations psychologiques insuffisamment nombreuses. Nous le trouvons trop sévère. Tous les praticiens sont tenus à un réalisme qui peut froisser mais qui est pour eux la condition d’un travail fécond. Nous ne nions pas que l’on puisse faire encore mieux ! Washburne, lui-même

[…] dit qu’il évolue sans cesse. Nous considérons pour notre compte que,

le jour où nos écoles pourront disposer d’un matériel d’enseignement individualisé préparé de manière aussi objective qu’à Winnetka, un immense progrès aura été réalisé. […] Avec Buyse, nous saluons

Washburne comme un pédagogue génial. »

En 1936, dans L’Enseignement individualisé, on retrouve cette distinction entre les deux pédagogues lorsque Dottrens donne à voir la mesure de leurs apports dans l’évolution de sa propre réflexion pédagogique. Il confirme ainsi sa distance avec les travaux de Parkhurst :

« Le Plan de Dalton nous plaisait, par cette liberté relative qu’il laisse

aux enfants d’organiser leur travail, il ne nous semblait pas possible d’admettre cette suppression radicale des relations entre le maître et la classe, cette domination accablante du livre avec sa suite immuable de travaux écrits et d’exercices jamais changés ou complétés, cette extension prodigieuse du travail écrit qui transforme les élèves en machines à noircir du papier et les maîtres en appareils pour corrections illimitées »

(Dottrens, 1936/1967, p. 31).

Au contraire, dans ce même ouvrage, Dottrens explique comment il a, pour partie, construit sa réflexion pédagogique à partir des travaux de Washburne :

« […] nous avons pris connaissances des idées de Washburne […] Nos

essais ont commencé avant l’ouverture de l’École du Mail [dans laquelle il enseigna et au nom de laquelle il est associé]. En automne  1927, nous

répondions à une demande de M.  Paul  Meyhoffer, directeur de l’École internationale de Genève, de constituer une commission d’éducateurs chargée d’étudier l’adaptation française des manuels d’auto-éducation édictés par Washburne, à Winnetka. La présence à l’École internationale d’une collaboratrice de Washburne, Miss  Marion  Carswell, devait faciliter ce travail. Cette commission se constitua sous la présidence de M. Meyhoffer » (Dottrens, 1936/1967, p. 31-32).

Dottrens eut ainsi l’occasion de se familiariser très tôt avec le travail de Washburne, auprès d’enseignantes ayant travaillé à ses côtés.

4. Adaptations genevoises de la pédagogie