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Des « bienfaits problématiques du Plan de Dalton » Le Plan Dalton tire son nom de la localité du Massachusetts qu

Le rôle des pédagogues genevois dans la réception contrastée en Europe francophone

1. Des « bienfaits problématiques du Plan de Dalton » Le Plan Dalton tire son nom de la localité du Massachusetts qu

accueillit une première version aboutie des expériences pédagogiques d’Helen  Parkhurst. Celle-ci avait élaboré les principes et les pratiques fondant cette méthode quelques années auparavant dans le cadre de l’un des premiers postes qu’elle avait occupés, dans une école rurale accueillant une quarantaine d’enfants de niveaux académiques très variés. C’est en cherchant des modalités d’organisation de cette classe unique au plus grand bénéfice de chacun qu’elle développa progressivement ce que l’on appelle aussi la méthode des laboratoires.

Le Plan  Dalton consiste en une individualisation des temporalités du travail à partir d’une réorganisation de l’école  –  de la classe à un

1 S’agissant de ces figures genevoises, voir la contribution de Rita Hofstetter, Bernard Schneuwly et

Cécile Boss, dans le présent ouvrage (chapitre 7). Les rapports plus spécifiques que Ferrière entretient avec d’autres tenants de l’éducation nouvelle sont traités par Henri Louis Go (chapitre 3) et Carmen Letz (chapitre  4), tandis que les connivences intellectuelles entre Piaget et Cousinet sont analysées par

moindre niveau  –  en laboratoires. Chaque laboratoire est consacré à une matière d’enseignement, aménagé en conséquence pour proposer aux élèves des ressources dédiées, avec un enseignant référent pour la matière, qui devient lui aussi ressource. Les élèves organisent leur temps de travail et circulent comme ils l’entendent entre les laboratoires, sollicitent l’enseignant ou travaillent à plusieurs quand ils le souhaitent, sous réserve de remplir le contrat de travail préalablement établi pour le mois (ou pour une période plus courte selon les déclinaisons du plan). Cette organisation permet à chacun de travailler à son rythme, de consacrer à chaque tâche ou apprentissage le temps qui lui est nécessaire sans être astreint à un rythme imposé à l’ensemble d’un groupe classe, de choisir à quel moment se dédier à une tâche donnée, tout en fixant des objectifs de savoirs et de savoir-faire dans le respect des programmes.

En 1922, Helen Parkhurst fait publier son premier ouvrage, Education

on the Dalton Plan, où elle présente cette expérience originale et la pédagogie qu’elle défend, assortie de nombreux exemples de mise en

œuvre et de témoignages d’enseignants2. Dès cette même année, on peut

repérer une première réaction de Ferrière dans son ouvrage L’École

active. Il  se montre particulièrement critique à propos des « bienfaits

problématiques du Plan de Dalton » (1922/2003, p. 47). Nous n’avons pu déterminer si ses analyses se fondaient uniquement sur des observations d’adaptations du plan ou également sur la lecture de l’ouvrage de Parkhurst, mais il écrit en effet :

« Il y a un autre danger qu’il me faut dénoncer ici. C’est celui des

“méthodes actives” prônées dans les revues pédagogiques comme le nec plus ultra du modernisme.

Au premier rang, je signalerai le trop fameux Plan de Dalton des pays anglo-saxons, lorsqu’il consiste en une simple transformation des devoirs à domicile – devoirs qu’on fait désormais à l’école même et dans un délai de quinze jours ou d’un mois  –  mais en conservant les vieux manuels, les vieilles méthodes verbales et mémorisatrices, les vieux programmes, bref, tous les vieux errements, auxquels vient s’ajouter  –  circonstance aggravante – la carence de tout enseignement collectif.

2 Cet ouvrage, traduit dans plusieurs dizaines de langues, ne l’a jamais été en français, et la première

J’ai visité des écoles qui appliquent ainsi le Plan de Dalton ; j’en connais d’autres où, après essai, on a heureusement renoncé à l’appliquer. Je considère cette pratique comme un danger public. » (Ferrière, 1922/2003, p. 45)

Ferrière ne semble que peu s’intéresser au Plan  Dalton durant les années suivantes, bien que l’on repère une invitation à aller voir l’éducation, entre autres, « en Angleterre où le Plan  Dalton est à

l’honneur » (p.  2) dans un de ses articles intitulé « L’école active à l’école primaire » (1924, p.  2), qui pourrait indiquer une première inflexion dans son analyse. Il  rencontre ensuite Helen  Parkhurst à l’occasion du congrès de la Ligue à Elseneur et note laconiquement

dans son Petit journal3 en date du 10  août : « Vu dans la journée […]

Miss  Parkhurst ». Peut-être cette rencontre a-t-elle aussi contribué à faire évoluer sa compréhension, ses représentations de la pédagogie selon le Plan Dalton. Quelques années plus tard, en tout cas, les propos de Ferrière se font plus nuancés. Ainsi dans un article de 1932 intitulé « L’adolescence et l’école active » écrit-il que « des États-Unis est venu

le Plan de Dalton, par lequel Miss  Parkhurst prétend réduire toute étude à l’effort individuel. À condition de ne pas exagérer, le principe a du bon » (1932a, p. 154). La même année, dans une « Note présentée à la Conférence internationale pour l’enseignement de l’histoire » à La Haye, il indiquait : « Sous la forme atténuée dite “Plan de Dalton”

(lancée par Miss  Parkhurst aux États-Unis) la méthode de l’École active jouit déjà d’une large diffusion dans les pays anglo-saxons et scandinaves… » (1932b, p.  209). Citant ici le Plan  Dalton au rang des méthodes actives, il semble mieux accueillir ses propositions et restaurer sa légitimité au sein du mouvement. De la même manière, dans l’article intitulé « Comment tenir compte des aptitudes du maître à l’école », il associe le nom de Parkhurst à ceux de Decroly, de Dewey et de Washburne comme représentants du « courant des méthodes

actuelles » auquel les professeurs psychologues doivent être préparés (1932c, p. 272).

Malgré les critiques adressées au Plan Dalton, Helen Parkhurst s’est en effet fait une place parmi les pédagogues de l’Éducation nouvelle ; elle a intégré le comité exécutif de la section américaine de la LIEN et est régulièrement intervenue lors des congrès de la Ligue. La revue Pour l’ère

3 Le Petit Journal d’Adolphe Ferrière est un ensemble inédit de 43 volumes rédigés entre 1918 et 1960.

Ferrière consignait ainsi dans de petits carnets des notes sur sa vie quotidienne. (Archives Institut Jean-Jacques Rousseau (AIJJR), fonds Adolphe Ferrière (AdF), D/2/3/6-8.)

nouvelle ne publiera toutefois jamais de texte d’Helen  Parkhurst, ce qui peut être regardé comme un indice des réserves de Ferrière, directeur de la publication. On y lit toutefois quelques références au Plan Dalton sous la plume de Ferrière lui-même, ou encore la synthèse de la présentation faite au congrès de Montreux par un enseignant britannique s’inspirant de cette

pédagogie4.

2. La technique de travail individuel « la plus complète »