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Adaptations genevoises de la pédagogie de Winnetka

Le rôle des pédagogues genevois dans la réception contrastée en Europe francophone

4. Adaptations genevoises de la pédagogie de Winnetka

Dès son ouverture, des enseignants formés à Winnetka ont en effet

travaillé à l’École internationale8. Dottrens rappelait d’ailleurs, dans

un entretien accordé à Sabine  Aguilera, que Washburne avait participé à la mise en place de cet établissement (1983, p.  356-357). La  première enseignante formée à Winnetka ayant intégré cette structure s’appelait Florence Fake et était arrivée dès l’automne 1924. Ferrière consigne ainsi dans son Petit journal, le 15 septembre 1924, une réunion avec l’intéressée : « J’apprends que l’École internationale ne commencera pas le  15 mais

le 17. Mais j’ai bien fait de venir. Miss Fake, arrivée hier soir à Genève, vient dès 10 h ½, et dès lors jusqu’à midi, et de 3 à 7 h ½, on cause à la véranda du petit chalet. […] Le Journal de Genève contient […] p. 3 mon

communiqué sur Miss Fake. »

Dottrens avait en effet fait publier un entrefilet relatif à la réception organisée en l’honneur de Florence Fake, qui commençait en ces termes : « On annonce l’arrivée à Genève d’une des éducatrices les plus éminentes

des États-Unis, Miss  Fake, qui a collaboré à Winnetka (Illinois) avec M.  Carleton  Washburne. On sait que M.  Washburne est considéré en Amérique comme le plus habile praticien de l’éducation nouvelle » (Journal de Genève, 15 septembre 1925, p. 3).

8 La contribution de Rita  Hofstetter, Bernard  Schneuwly et Cécile  Boss, dans le présent ouvrage

Quelques semaines plus tard, Ferrière s’inquiète, toujours dans son

Petit journal, de ne pas voir livré le matériel en provenance de Winnetka9.

Nous pouvons remarquer que Washburne cite Marion Carswell comme la première enseignante de Winnetka à enseigner à l’École internationale : « L’École internationale de Genève, en Suisse, nous demanda un enseignant

pour aider à l’organisation de l’école selon certaines des pratiques en usage à Winnetka. […] Nous choisîmes Marion Carswell. Elle y travailla

pendant deux ans (1927-29) et quand nous la rappelâmes à nous […] lui

succédèrent à Genève une série d’enseignants, chacun pour un ou deux

ans »10 (Washburne, 1963, p. 153).

Un faisceau d’indices permet toutefois de confirmer la présence de Miss  Fake à l’École internationale avant l’arrivée de Carswell. Outre la mention faite par Ferrière dans son Petit journal, il se souvient en  1934 dans un article sur l’École internationale :

« C’est en septembre 1924 que l’École internationale a ouvert ses portes […] Miss Fake, disciple de M. Carleton Washburne – qui après quelques

années fécondes nous a quittés  –  a appliqué pour la première fois en Europe, croyons-nous, la méthode de Winnetka, fusion synthétique du Plan de Dalton de Miss Parkhurst et de la méthode de projets de John Dewey » (1934, p. 208).

Cette présence de Miss  Fake est aussi confirmée par les notes de sa main, datées de  1924 des années suivantes à propos de la classe des petits de l’École internationale et conservées dans les Archives de

l’Institut  Rousseau11. On en trouve enfin trace dans la presse américaine

où, dans un article nécrologique sur le décès de sa mère daté de  1927, Florence Fake est présentée comme « une ancienne enseignante des écoles

publiques de Winnetka, représentant à présent la méthode de Winnetka

9 AIJJR, AdF, D/2/6-8 : Petit journal, 6 octobre 1924.

10 « The International School in Geneva, Switzerland, asked for a Winnetka teacher to help reorganize

that school in accordance with some of the practices in Winnetka. […] we selected Marion Carswell. She

worked there for two years (1927-29) and when we called her back […] she was succeeded in Geneva

by a series of other Winnetka teachers, each for one or two years. »

11 AIJJR, AdF/A/32/3 : Notes sur les petits par Florence  L.  Fake (1924) ; AdF/A/32/2 : Rapport de

Miss Fake sur l’École internationale (14 mai 1926), Rapport de Miss Fake (12 mars 1926), Rapport de Miss Fake (20 janvier 1926), Rapport de Miss Fake sur son travail de janvier (?) à juin 1927 à l’École internationale (s.d.).

pour l’instruction individuelle à l’École internationale de Genève, en Suisse »12.

Marion  Carswell, l’une des premières enseignantes employées par Washburne en  1919 (Washburne, 1963, p.  152) a donc succédé à Florence  Fake et passé deux années à l’école internationale (de  1927

12 S.n., Wilmette Life, 21 janvier 1927 : « Miss Florence L. Fake, a former teacher in the Winnetka public

schools, is at present representing the Winnetka plan of individual instruction at the International school at Geneva, Switzerland » (p. 38).

Portrait de Marion  Carswell publié dans le journal The

à  1929). À Genève, elle a contribué à faire connaître la méthode de Winnetka. Le 26  janvier  1928, elle donna par exemple, sous les auspices du Bureau international d’éducation (BIE), une conférence

sur « l’enseignement individualisé dans les écoles de Winnetka »13. Le

30 janvier, le Journal de Genève en fait paraître le compte rendu :

« Miss Carswell, professeur à l’École internationale, a vivement intéressé […] en décrivant les écoles publiques de Winnetka […], où elle a été

pendant plusieurs années la collaboratrice du Dr Washburne. Deux parts sont faites dans l’horaire : l’une aux connaissances jugées indispensables, que l’enfant apprend individuellement en se contrôlant lui-même à chaque étape par un système d’épreuves graduées, très minutieusement établies ; l’autre à l’activité créatrice et sociale, où l’enfant suit ses intérêts sans souci d’examen ni de programme. Cette heureuse combinaison de la liberté et du drill fait du système de Winnetka une des réalisations les plus intéressantes de “l’école sur mesure” » (p. 4).

On avait donc utilisé la méthode de Winnetka dès les débuts de l’École internationale, et la question de la traduction des fichiers de travail individualisé employés par Washburne s’était rapidement posée. Dottrens participa au travail collectif mais, bien qu’il poursuivît le travail avec cette équipe, il n’y souscrivait pas totalement :

« Il apparut bientôt que ce travail serait difficile. L’École internationale

semblait vouloir se contenter d’une traduction pure et simple des manuels de Winnetka dont elle acceptait la conception de l’enseignement des mathématiques. De notre côté, sur quatre points importants nous étions en opposition avec Washburne » (1936/1967, p. 33).

C’est en cherchant, notamment, à trouver des solutions aux lacunes et aux imperfections qu’il relevait dans le travail de Washburne que Dottrens élabora la pédagogie mise en œuvre ensuite à l’école du Mail. Il y fit du travail individualisé « un adjuvant de l’enseignement collectif » (1936/1967, p. 38). Dans ce contexte, à titre d’exemple, il supprima la possibilité pour les élèves d’avoir toujours, à portée de main, la correction des fiches d’exercice sur lesquelles ils s’entraînaient, trouvant l’épreuve moralement trop difficile pour de jeunes enfants.

13 La conférence est annoncée dans le Journal de Genève le 25 janvier 1928 (P. 5) et dans Pour l’ère

Ferrière et Dottrens sont les deux figures genevoises qui ont sans doute le plus contribué à faire connaître les travaux de Parkhurst et de Washburne en Europe francophone en dépit du manque de traductions de leurs travaux, mais nous pouvons aussi relever un intérêt particulier pour le Plan Dalton cette fois, dans les travaux de Pierre Bovet et Marie Butts.