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Section III : La peopolisation politique et les Cultural Studies Pour une critique

Paragraphe 3 Photographies de la presse people et esthétique

Roland Barthes disait : « La photographie de presse est un message »554.

Habituellement représentation de la construction d’un récit, la photographie de presse est le discours d’une réalité qui peut se traduire par un message dénoté ou par un message connoté. Barthes affirmait en effet que la photographie de presse se caractérise par ces deux aspects, un caractère « dénotant » et un statut également connoté555. Il pensait aussi que la photographie de presse est un objet travaillé, choisi, composé, construit, traité selon les normes professionnelles, esthétiques ou idéologiques556, cette photographie est

552 Bruno Ambroise, Ibid. 553 Ibid.

554

Roland Barthes, « Le message photographique », in Communications, numéro 1, 1961, p. 127.

555

Roland Barthes, op-cit. p. 129.

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ensuite « … lue, rattachée plus ou moins consciemment par le public qui la consomme, à

une réserve traditionnelle de signes ; or, tout signe suppose un code, et c’est ce code qu’il faudrait essayer d’établir »557

. La photographie de presse est au cœur de l’événement. Mais elle ne fait pas qu’attester la réalité de l’événement représenté, une fois reproduite en nombre, elle répercute l’événement auprès de milliers de lecteurs qui n’en ont pas été les témoins directs558

. La production de photographies sur un événement, implique la reconnaissance de cet événement comme étant important dans l’expérience collective d’une société donnée. Umberto Eco précisait que : « Premièrement les signes

iconiques ne possèdent pas les propriétés de l’objet représenté ; deuxièmement, ils reproduisent quelques conditions de la perception commune, sur la base des codes perceptifs normaux »559, autrement dit les signes iconiques présents dans la photographie de presse ébauchent des stratégies de compréhension du texte et renseignent sur l’objet « esthétique » représenté, sans pour autant baliser l’objet qui se définit par lui-même.

Barthes disait encore que la connotation s’élabore au niveau de la production de la photographie (choix, traitement technique, cadrage, mise en page). Cette connotation est produite par une modification du réel lui-même, c’est-à-dire du message dénoté560. La substance du contenu photographique apparaissant comme un objet réflexif, la structure même de ce contenu pose le problème du caractère historique de la photographie. Et de ce caractère historique transparaît la problématique de l’élaboration idéologique, car comme l’évoquait Barthes derrière le « c’est arrivé » ou le « ça a été », le réel est un signifiant informulé au fondement de la toute-puissance du référent561. L’interaction dialogique entre le lecteur de la presse people et le journal peut donc être marquée par une forme d’indétermination, en dépit des éléments de conventions ou de procédures. La destruction des éléments d’indétermination se fait par la lecture des articles qui accompagnent les images représentées. La relation entre l’image (et le texte) et le lecteur consiste en une interaction « bilatérale » qui met en lumière la « théorie émotive » telle que perçue chez Iser562.

557 Ibid. p. 130. 558

Sylvain Maresca, « Pré-voir l’actualité. La notion d’événement redéfinie par la photographie de presse », in Photo de presse sous la direction de Gianni Hayer, Editions Antipodes collection Médias et Histoire, 2009, p. 27.

559

Umberto Eco, La structure absente : Introduction à la recherche sémiotique, Mercure de France collection Essais, 1972, p. 176.

560

Ibid. pp. 130-131.

561

Roland Barthes, « Le discours de l’histoire », in Information sur les Sciences Sociales, 1967, PP 65-76.

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L’intérêt de la photographie people, comme son développement qualitatif, accompagne le mouvement amorcé par l’image en général dans la société occidentale, dirigée vers le principe d’une égalité démocratique563. La photographie de presse people fonctionne dans un « marché des sentiments humains »564. L’apparition des scoops sur les vies privées des célébrités et des responsables politiques explique le succès marketing des photographies people et de la presse échotière, d’autant plus que « La photographie des

paparazzis a abouti à l’émergence d’un Genre nouveau en photographie, avec ses codes pratiques, éthiques et esthétiques »565. Cette esthétique people est essentielle dans la photographie people. Nous voulons évoquer son aspect genré ici à travers cette citation de Marco Costantini qui écrivait : « L’un des attraits des célébrités (de la presse people)

est celui du « fabuleux destin ». Tout comme les héroïnes de romans à l’eau de rose, les femmes célèbres, bien plus que les hommes, véhiculent cet intérêt de la part du public pour leurs amours, leurs déboires, leurs succès ou leur chute »566. Pourquoi cette représentation de la féminité people entendue comme un ensemble de pratiques représentationnelles orchestrées par les femmes dans la presse échotière rencontrerait davantage de succès que la masculinité people ? Probablement que les représentations archétypales constituent un élément de réponse à cette interrogation. Nous essayerons à travers l’analyse sémiologique et l’analyse de discours, de découvrir s’il existe une différence de traitement entre les hommes et les femmes politiques, ensuite nos entretiens de groupes focalisés pourront apporter des éléments de réponse à cet aspect différentiel entre l’intérêt du public pour l’image des femmes politiques davantage que pour celle des hommes politiques, en ce qui concerne la peopolisation politique.

Les photographies people (et peopolitiques) comme les valeurs qu’elles véhiculent, sont transfigurées dans un monde fantasmagorique567. La force symbolique de la presse

people réside dans la fabrique du rêve. La question de l’esthétique est indissociable de la

réflexion sur le rapport à l’image du lecteur (de l’internaute, du téléspectateur) dans la peopolisation. Christian Ruby pense qu’il y a un rapport entre la culture et l’esthétique568. La photographie par exemple est le produit d’une intention artistique affirmant le « primat » du mode de « représentation » sur l’objet représenté. L’articulation entre

563 Marco Costantini, « Arts plastiques et presse people. D’Andy Warhol à Paris Hilton », in Photo de presse sous la

direction de Gianni Hayer, Editions Antipodes collection Médias et Histoire, 2009, p. 153.

564

Chris Rojek, Cette soif de célébrité !, Autrement, 2005, p. 5.

565

Marco Costantini, op-cit. p. 167.

566

Ibid. p. 162.

567

Ibid. p. 166.

568

Christian Ruby, Schiller ou l’esthétique culturelle. Apostille aux nouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, Exhibitions International Collection Essais, 2007.

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dimension esthétique et dimension sociologique dans la presse people s’opère par la consommation d’informations people sur la vie des personnes célèbres. La photographie de presse contribue à refaçonner le déroulement de la vie publique et à faire en sorte que celle-ci passe désormais par la presse et ses multiples techniques d’enregistrement569. La dimension esthétique de l’œuvre people, autrement dit la structure de la production de la photographie et de l’article sur l’intimité d’une personne célèbre, fonctionne avec ses distorsions comme un pouvoir déterminant sur la représentation de l’actualité ; d’autant plus que « La photographie n’est en aucun cas une duplication d’un réel transparent,

mais bien une construction fragmentaire, voire délibérée, d’une réalité perçue »570

. Les nouveaux besoins des médias sont liés au paradigme productif qui détermine leur survie ou leur succès, notamment face aux réseaux sociaux numériques devenus de redoutables concurrents par la rapidité des informations qui y circulent. Mais également le caractère de plus en plus gratuit d’une certaine presse, des chaînes de la TNT571 et des sites de partage qui obligent les grands médias (journaux et télévisions) à trouver des sujets intéressants voire sensationnels. Ainsi, l’usage du people comme sujet participe de la promotion des nouveaux médias, de la télévision et des magazines populaires particulièrement au rang d’instruments de travail artistique. Cette récupération artistique ne fait que souligner la dépendance des publics face à des modèles accrédités de bon goût, de réussite, de dépassement572. La présence quasi obsédante voire compulsive de certaines personnalités féminines comme masculines dans les magazines, nourrit et entretient le besoin de projection des sentiments propres des publics sur elles.

La culture people est une praxis esthétique dont la dimension discursive s’éprouve dans la réception des publics. Cela peut se voir dans les résultats d’une enquête qualitative à l’instar des focus groups, par le traitement d’informations recueillis lors des entretiens. Nous avons décidé, à la suite de l’analyse des images et de l’analyse de discours, de mettre en place puis d’analyser trois entretiens de groupes focalisés, car la dimension esthétique d’une œuvre photographique ou d’une photographie de presse s’achève dans la réception. Pour Pierre Bourdieu, la sphère culturelle est un lieu de lutte de classements où l’enjeu majeur tient dans les catégories et les formes de

569

Sylvain Maresca, op-cit. p. 35.

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Valérie Gorin, « La photographie de la presse au service de l’humanitaire : rhétorique compassionnelle et iconographie de la pitié », in Photo de presse. Usages et pratiques. Sous la direction de Gianni Haver, Editions Antipodes Collection Médias et Histoire, 2009, p. 143.

571

Télévision Numérique Terrestre en France dispose de plusieurs dizaines de chaînes qui ne nécessitent aucun abonnement.

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représentation573. Si Gramsci s’attache à décrire le pouvoir de la culture dans la « société civile », Bourdieu quant à lui préfère observer le pouvoir de la culture dans un « champ de pouvoir ». Le sociologue ne pense guère en termes de classes, mais de groupes et d’individus. En effet, l’approche bourdieusienne est axée dans une dimension de gender

mainstreaming, alors que la démarche gramscienne se focalise sur la lutte des classes.

Cependant, les deux auteurs sont complémentaires dans le champ des Cultural Studies, parce qu’ils permettent de désamorcer les représentations préconstruites qui maintiennent la perpétuation d’une domination culturelle. La praxis dialogique chez l’un et chez l’autre porte sur « la capacité » ou « l’incapacité » des dominés à comprendre le monde, à percevoir l’idéologie dominante, à mener une « guerre de position »574

, pour une lutte culturelle contre les reproductions symboliques. Au niveau épistémologique, la praxis dialogique interroge l’esthétique culturelle. Cette esthétique culturelle est liée à un habitus social catégoriel et fonctionne avec un mécanisme communicationnel dont les valeurs et les significations sont prédéfinies. L’esthétique culturelle est donc un outil de l’ « hégémonie ». Les lecteurs, les spectateurs, les téléspectateurs, les internautes, les cinéphiles, confrontés aux superstructures médiatiques depuis plusieurs décennies, ont conscience de l’ « hégémonie », mais pas toujours de la performativité, parce qu’ils sont inconsciemment agis par les normes de Genre, que nous entreprenons de déconstruire ici par l’analyse de notre corpus sélectionné, à la lumière de l’analyse sociale de la performativité du Genre telle qu’élaborée par Judith Butler.

573

Greg Marc Nielsen, « Communication et esthétique culturelle dans deux sociologies critiques : J. Habermas et M. Rioux », in Sociologie et sociétés, Vol. 17, n°2, 1985, pp. 13-26.

574

Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, La Fabrique Editions, 2012.

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Deuxième partie :

Méthodologie

Corpus, terrain et analyses

« Les stars de l’époque ont une double nature, humaine et surhumaine. Ce ne sont plus les déesses inaccessibles du muet ; par mille aspects familiers, elles ressemblent au commun des mortels et se proposent comme héros-modèles de la civilisation individualiste-hédoniste ; mais elles vivent en même temps à un niveau supérieur d’intensité et de qualité, elles sont une substance divine qui appelle l’adoration, elles incarnent une liberté fabuleuse que les mortels ne peuvent atteindre. Elles se trouvent au carrefour entre la vie idéale et la vie réelle et constituent la grande plaque tournante entre le réel et l’imaginaire ».

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