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Le choix épistémologique de la grille de lecture butlérienne fonde notre analyse de la peopolisation sous le prisme du Genre. Judith Butler a montré à travers la question de la « performativité » combien la mise en scène du sujet relève d’une performance genrée. Elle se rapproche ainsi quelque peu de l’approche sartrienne de l’existentialisme. Pour Sartre, l’Homme construit son existence par la somme des actions qu’il déploie dans le monde. A travers sa célèbre assertion : « l’existence précède l’essence »266, Sartre réalise qu’il y a un rapport complexe qui s’établit entre « existence » et « essence ». L’historicité de l’Homme se fonde sur l’ensemble des actions qui caractérise son rapport au monde. L’activité subjective, bien qu’elle soit influencée par son environnement, surgit à la suite de l’existence de l’être humain dans le monde. L’existence n’est pas un « état », c’est un « acte » ; un « acte » qui se choisit, car l’Homme agit perpétuellement. L’existentialisme est performatif parce qu’il installe l’action comme un fait déterminant de l’existence. Cette priorité de l’existence actualise l’essence. L’être humain est ce qu’il fait, autrement dit la performativité centralise l’action et la mesure de cette action. Etre ne saurait être une expression de constance, être désignerait une dynamique qui demande à être réalisée « dans chaque moment ». La performativité de Genre est un existentialisme dialogique, dans ce sens que cet existentialisme instaure la relation du sujet avec les autres et fonde l’humanisme. L’humanisme existentialiste chez Butler est donc un humanisme genré qui répond à une performativité de Genre. De plus, le cadre d’analyse de Butler offre une façon de résoudre quelques-unes des difficultés épistémologiques et politiques qui dérivent de la conception des corps.

La philosophie d’effectivité sartrienne à travers ce postulat de l’existence qui précéderait l’essence, signifie que « l’être humain n’a pas d’essence prédéfinie », et qu’il choisit lui-même ce qu’il devient. On s’éloigne alors de l’essentialisme et des théories biologisantes qui font de la nature féminine une prédisposition inaliénable. D’autant plus que Simone de Beauvoir écrivait : « on ne naît pas femme : on le devient »267. Effectivement, Judith Butler signale que le féminin chez Beauvoir est l’instrument de la liberté des femmes et non une propriété réductrice. Elle rappelle ainsi la distinction cartésienne entre la liberté et le corps. Cette liberté se rapproche de la liberté sartrienne.

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Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996, p. 26.

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Mais les personnes ne deviennent intelligibles que si elles ont pris un Genre selon les critères de l’intelligibilité du Genre268

. En outre, Judith Butler rappelle que Simone de Beauvoir voulait dire à travers la catégorie « femme », que le Genre est un accomplissement culturel perpétuel susceptible de variations, et que personne ne naît avec un Genre parce que le Genre est toujours acquis269.

Si le sujet sartrien se fait lui-même, il est donc tout entier action. Ce sujet se rapproche du sujet butlérien qui se construit dans et par la performance. Pour Sartre, l’Homme est créateur de ses propres valeurs ; pour Butler, l’Homme établit des normes d’intelligibilité genrées socialement instituées. La question de l’émergence culturelle est marquée par le Genre de manière continue. Ces normes de Genre établissent des rapports de cause à effet entre le sexe biologique, les genres socialement construits et leur expression ou effet dans le désir sexuel. Ces normes de Genre posent le problème de la matrice d’intelligibilité qu’interroge Judith Butler dans Trouble dans le genre. En effet, le Genre institue un rapport binaire dans lequel le terme masculin se différencie du terme féminin, et cette différenciation fonde le désir hétérosexuel comme une raison politique qui stabilise les rapports entre individus270.

L’humanisme de Butler postule l’existence d’un sujet derrière l’action performative qu’il réalise dans les pratiques matérielles de la culture. Pour Sartre et Butler, la notion de « nature humaine » est totalement « absurde », car cela confère à l’Homme (au sujet) une essence à laquelle il ne peut s’extirper. La liberté consiste pour l’existentialisme à néantiser le monde, autrement dit elle consiste à créer des possibles au sein du monde figé où agira le sujet pour exprimer son intelligibilité. Cependant, l’Homme en inventant « la mauvaise foi » va chercher à nier sa liberté totale. A travers la factivité, il renoncera à assumer sa liberté même si l’intersubjectivité participe de l’univers de la subjectivité humaine. Pourtant, le sujet doit construire son existence dans l’assemblage d’une totalité qui répond à une multitude de convergences et de divergences à finalité souvent normative, qui fait de la personne, un acteur ou une actrice en capacité d’agir à travers différents rôles et fonctions par lesquels il gagnera une visibilité sociale et prendra ainsi un sens dans le monde.

C’est par l’intermédiaire du corps que le Genre est exposé aux autres, qu’il se trouve impliqué dans les processus sociaux marqués par des normes culturelles et

268268 Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Editions La Découverte, pp. 83-84. 269 Judith Butler, Op-cit, p. 223.

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appréhendées dans ses significations sociales comme l’a exposée Judith Butler. Le Genre est une activité incessamment performée, c’est une pratique d’improvisation qui se déploie à l’intérieur d’une scène de contraintes, d’autant plus qu’on ne fait pas Genre tout seul. On le fait toujours avec ou pour quelqu’un d’autre, même si cet autre est imaginaire271.