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Section II : Les Gender Studies : avènement et définition

Paragraphe 1 Cultural Studies et Gender Studies

En plus de déconstruire les principes majeurs du milieu scientifique, les Cultural

Studies envisagent les frontières disciplinaires de façon inédite. « Les Cultural Studies se doivent d’être interdisciplinaires parce que la culture ne peut être analysée en termes purement culturels ; comprendre les formations culturelles spécifiques requièrent de regarder les relations qu’entretient la culture avec tout ce qui n’est pas la culture. »113

Les Cultural Studies vont donc puiser au sein des disciplines très diverses des concepts et théories tout autant que des méthodes pour répondre à leur problématique. Les Cultural Studies, par ce qu’elles permettent en termes d’études scientifiques, sont particulièrement créatifs et sont au cœur d’un engouement sans précédent au moins dans les pays anglo-saxons.

A partir des années 1960 et en lien direct avec le mouvement féministe, les Cultural

Studies vont se pencher sur les questions relatives au sexe, au Genre et au féminisme. Ce

type d’études va se développer aux États-Unis sous le terme de Women Studies, qui va focaliser son attention principalement sur le sexe féminin, le but étant de mettre en relief le rôle des femmes dans la société occidentale. Parallèlement se développent les Feminist

Studies qui vont tenter de comprendre et d’expliquer les divers aspects des

discriminations existantes entre les sexes féminins et masculins. Les Women Studies et

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Marlène Coulomb-Gully, « Mâle ou normal ? ». Incarnation et masculinité(s) du couple Hollande-Sarkozy dans la campagne présidentielle de 2012 », in Genre, sexualité et société, Hors-série n°2, 2013.

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Feminist Studies en tant que deux approches des problématiques toujours différentes mais

appartenant à une même logique, s’intègrent parfaitement dans le même champ disciplinaire, au point où dans les années 1980, ces deux champs de recherche vont progressivement devenir les Gender Studies. Cette fusion et le changement d’intitulé de ce courant de recherche sont loin d’être anecdotiques. Lorena Parini114

explique que l’adoption du terme « Genre » marque une réflexion épistémologique remaniée.

Les Gender Studies vont poser de nouvelles questions et amener une série d’interrogations sur les représentations et la hiérarchisation du masculin et du féminin. Le choix du terme « Gender » a deux avantages majeurs, épistémologiquement d’abord puisque les Gender Studies vont considérer les questions de sexe comme centrale et constitutive de nos pratiques et de nos représentations sociales, tout en s’interrogeant sur la place qu’occupe le concept de nature au sein de nos sociétés. Stratégiquement ensuite, le choix de l’expression « Gender Studies » éloigne ce courant de recherche des enjeux politiques et militants et garde ainsi une légitimité scientifique totale. Marie-Joseph Bertini115 explique que le passage des Women et Feminist Studies au Gender Studies va permettre d’étudier conjointement la situation féminine et masculine, et de déconstruire la neutralité et l’universalité du statut masculin ; ceci afin de le considérer comme un particulier au même titre que le statut féminin. L’apport épistémologique des Cultural

Studies dans les Gender Studies, pose de nouvelles questions et remet en cause de

nombreux éléments jusque-là absents des études et des recherches scientifiques : notamment les questions relatives aux rapports sociaux de sexe. De plus, leur position transdisciplinaire permet d’opérer progressivement au sein des disciplines un métalangage et d’investir un renouvellement des problématiques. D’ailleurs, Nicole Albert parle du Genre comme d’un «concept mouvant propre à diviser comme à fédérer,

mais dont les grilles de lecture fécondent, ouvrent de nouvelles perspectives qui sont davantage des points de départ que des points d’arrivée. »116

Marie-Joseph Bertini explique que « le Genre relève d’un métadiscours au sens où il commande et organise l’ensemble des productions et des réceptions du sens ».117

Pour Judith Butler, le Genre apparaît même comme une condition préalable de la production et

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Lorena Parini, Le concept de Genre, introduction aux concepts et théorie, Seismo, collection « Question de Genre », 2006.

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Marie-Joseph Bertini, Ni d’Eve ni d’Adam. Défaire la différence des sexes, Max Milo, 2009.

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Nicole Albert « Genre et Gender, un outil épistémologique transdisciplinaire », in Diogène, Revue, numéro 200 25 janvier mars, 2009, p. 4.

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du « maintien d’une humanité lisible »118. Nous partageons la vision de la philosophe américaine, parce reconnaître que le Genre est un faire, c’est bien prolonger ce qui est déjà acquis dans les sciences sociales. Le Genre est une activité qui s’accomplit sans cesse en nous et nous dépasse119. Judith Butler rejoint Michel Foucault dans cette vision de l’incorporation du Genre et même des normes. Les Gender Studies s’attachent donc à mettre à jour les stratégies diverses, nourrissant l’imaginaire social, nos représentations sociales, et faisant du Genre un élément si sensible que toute remise en cause de son statut engendrerait le chaos, et mettrait l’espèce humaine en péril. Or, ce qui pose problème, ce ne sont pas les sexualités, l’homosexualité, la bisexualité, la transsexualité, qui n’apparaissent pas comme des dangers pour la société. Ce qui pose problème, c’est la dictature de l’hétérosexualisme et plus encore ce que Michel Foucault qualifie d’orthopédie sociale.

Pourquoi les normes sociales de l’hétérosexualité, nous condamnent donc à une peur de la différence que les responsables politiques ont du mal à afficher ? En France, peu d’hommes politiques déclarent leur homosexualité, de même les femmes politiques n’évoquent que rarement ces questions. Est-ce à dire que la France serait frileuse de ces questions ? Nous constatons que dans les pays anglo-saxons et ceux de culture protestante en Europe du nord, ces questions sont débattues et perçues comme essentielles pour une cohésion du corps social. Ainsi, on comprend aisément pourquoi le courant scientifique des Gender Studies est bien développé dans les pays anglo-saxons, et s’est heurté à de nombreuses résistances en France. L’influence marxiste d’abord, va largement freinée l’intérêt pour les Cultural et les Gender Studies. Il faut dire que ce courant considère que l’abolition de la domination des classes supérieures suffirait à détruire toutes les autres formes de domination, ainsi la question de la domination masculine s’inscrit dans une vision plus large des phénomènes de domination, il n’y a donc pas d’intérêt réel, pour les tenants de cette idéologie, de considérer la question féminine plus qu’une autre. Le concept d’universalité, ensuite, va largement freiner le développement des Gender

Studies en France ; puisque l’universalité implique l’égalité, l’inégalité n’existe pas, et,

s’interroger sur la hiérarchie du masculin et du féminin n’a alors plus aucun sens. La dernière barrière française aux Gender Studies s’incarne par la langue. La langue française ne connaissant pas le neutre, l’attribue au masculin, celui-ci devient donc

118 Judith Butler, Défaire le genre, Editions Amsterdam, 2006, p. 24. 119

Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, Judith Butler. Trouble dans le sujet, trouble dans les normes, PUF, 2009.

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représentatif de la totalité de l’espèce humaine, le féminin devenant un simple dérivé du masculin. Il faudra alors attendre les années 90 pour que le concept de Genre et les études relatives aux Gender Studies puissent se diffuser en France. Devenu, depuis plusieurs années, un objet de recherche incontournable, Nicolas Albert pense que leur popularité n’a d’équivalent que les résistances auxquelles elles se heurtent encore dans les instances politiques et universitaires120. Les Gender Studies sont aujourd’hui relativement bien intégrées au champ scientifique français, mais peine à trouver un écho au sein de la société civile qui au mieux relègue ce type de recherche au rang de pure spéculation, et au pire les considère comme un produit de contrebande importé des États-Unis.